Intervention de Bruno Fiszon

Réunion du 16 juin 2016 à 11h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Bruno Fiszon, grand rabbin de Metz et de la Moselle, conseiller de M. le grand rabbin de France et de M. le président du consistoire central, membre de l’académie vétérinaire de France :

Il me revient la tâche de vous expliquer la procédure de l'abattage rituel et, surtout, j'évoquerai ce qui, au fond, nous rassemble : le bien-être animal. Est-il possible de l'améliorer ? Est-il compatible avec l'abattage rituel ?

Il faut tout d'abord savoir que le bien-être animal est une préoccupation biblique très ancienne : en témoignent, par exemple, l'interdiction de la chasse ou des combats d'animaux. La méthode ancestrale d'abattage, inscrite dans les textes bibliques, dans les textes talmudiques et qui, à ce titre, ne peut être changée – on ne peut y déroger si l'on veut manger casher –, est elle-même considérée comme limitant la souffrance animale. Encore faut-il le démontrer. Je vais donc tâcher de voir en quoi les travaux scientifiques, divers et parfois contradictoires, peuvent nous offrir des pistes intéressantes.

L'abattage rituel doit être pratiqué sur un animal en bonne santé et conscient, ce qui exclut toute forme d'étourdissement avant ou après. On procède par saignée à l'aide d'un couteau très affûté – du reste, l'arrêté ministériel de référence, signé par Bruno Le Maire, prend pour décrire l'outil adéquat l'exemple du couteau des sacrificateurs israélites, qui fait notamment le double de la taille du cou de l'animal. La saignée doit être rapide et complète ; la section des carotides doit permettre une hémorragie massive et donc une perte de connaissance puisque l'animal n'est plus alimenté en oxygène. Temple Grandin, du Colorado, aux États-Unis, une des grandes « papesses », une des scientifiques les plus reconnues en matière de bien-être animal, et en particulier en ce qui concerne les animaux de boucherie, note que « lorsque l'incision est appliquée correctement, l'animal ne semble pas la ressentir ». Ses travaux s'étendent sur une dizaine d'années et ses derniers articles datent de 2014.

Cette hémorragie massive doit être comparée avec les méthodes conventionnelles qui prévoient un étourdissement préalable. Ce dernier est obtenu par tige perforante, par électronarcose, ou encore par le gaz – notamment pour les volailles ou les porcins, même si ces derniers ne nous intéressent pas ici. Il faut savoir que l'étourdissement lui-même n'est pas indolore. La souffrance animale est difficile à mesurer ; ce qu'on évalue, c'est la perte de conscience et même, d'ailleurs, la perte de sensibilité, ce qui ne revient pas tout à fait au même : un animal inconscient n'est pas forcément insensible. Il s'agit en tout cas des deux seuls critères objectifs que l'on peut étudier en laboratoire, encéphalogrammes à l'appui. On en déduit que plus on va vers l'inconscience et, ensuite, plus on va vers l'insensibilité, moins l'animal va ressentir la douleur.

Or il faut comparer ce qui est comparable et mesurer, d'un côté, le temps de perte de conscience et de la sensibilité après la chekhita – l'abattage rituel juif –, à savoir après la section des carotides et de l'hémorragie, et mesurer le temps de perte de conscience après perforation du crâne de l'animal par un pistolet à tige perforante. Aucune étude n'existe sur la douleur ressentie par l'animal au moment de cet « étourdissement », qui est un véritable traumatisme. Eh bien, la comparaison entre les deux méthodes réserve un certain nombre de surprises.

L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a remis un rapport en 2009 qui met en évidence l'échec de l'étourdissement. Il faut bien avoir à l'esprit qu'après cette étape, l'animal est saigné : l'étourdissement ne signifie pas qu'on chante à l'animal une berceuse, qu'on l'endort gentiment avant de le tuer on ne sait trop comment. L'animal est donc bel et bien saigné. Quand l'étourdissement est mal effectué, que l'animal ne perd pas conscience, n'est pas rendu insensible, c'est dramatique. Des travaux néo-zélandais font apparaître que l'échec de l'étourdissement chez les ovins peut aller de 2 % à 54 %. Pour ce qui est des bovins, on parle de 16 % à 17 % d'échecs de l'étourdissement par tige perforante. Cela représente un nombre d'animaux qui souffrent considérable par rapport aux animaux abattus rituellement. Mal étourdis, les animaux arrivent sur la chaîne conscients et sensibles et sont saignés, mais pas du tout par une section des carotides nette et franche suivie d'une hémorragie massive. Il y a donc là un vrai débat, ; si certains scientifiques soutiennent que l'étourdissement est une bonne méthode, d'autres estiment qu'il n'est pas la panacée, et cette controverse d'experts n'est pas encore tranchée, si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots. Temple Grandin considère que l'abattage rituel, quand il est effectué dans les règles de l'art, est une méthode acceptable, voire humaine.

Je prendrai l'exemple des volailles, assez symptomatique. En abattage rituel, l'animal est saigné à la main, comme il se doit : on le présente à l'opérateur d'abattage, le chokhet en hébreu, qui procède à la section. L'animal, comme le veut la loi, est immobilisé avant d'être accroché sur la chaîne, il perd son sang et, en quelques secondes, il perd conscience et est insensible, ce qu'on peut constater en vérifiant le fameux réflexe cornéen. S'il bat encore des ailes, c'est un mouvement réflexe. En abattage conventionnel, ces animaux sont au contraire accrochés en étant conscients ; ils partent dans la chaîne et leur tête est plongée dans un bain traversé d'un courant électrique. L'inconvénient – je l'ai constaté par moi-même et un film a été réalisé puis projeté dans le cadre de la formation de nos sacrificateurs – est que non seulement l'électricité n'est pas répartie uniformément, mais que les animaux n'ont pas tous la même taille : certains vont se recroqueviller et seront donc tout à fait conscients au moment de passer sur la lame. Je vous laisse juge de savoir quelle est la meilleure méthode d'abattage, la plus humaine – si tant est qu'il puisse exister une méthode humaine pour abattre, mais ce n'est pas l'objet de la présente audition.

L'étourdissement n'est donc pas la panacée et il me semble que nous devons travailler ensemble pour améliorer les conditions d'abattage. Nous y sommes tout à fait prêts et nous avons d'ailleurs organisé très rapidement les formations destinées à acquérir le certificat de compétence – ainsi que le prévoit une directive européenne. Mais même auparavant, les chokhatim, les opérateurs d'abattage, suivaient déjà une formation de trois ans. Ils ne peuvent abattre que s'ils possèdent une carte signée du grand rabbin de France – garantie de compétence et de qualité. Et il arrive que le grand rabbin de France ait refusé des cartes de sacrificateurs à certains qui étaient trop peu ou mal formés.

Le bien-être animal est l'une de nos préoccupations principales. Nous souhaitons travailler à l'amélioration des conditions d'abattage – qui concernent également l'élevage, le transport, les conditions de contention. Temple Grandin considère qu'une bonne contention, lors d'un abattage rituel, permet de diminuer le stress et donc le temps de perte de conscience et de perte de sensibilité. Nous parvenons ainsi, selon des travaux américains, à des chiffres inférieurs à dix-sept secondes pour les gros bovins.

J'ai eu la chance de participer aux travaux du projet européen DIALREL réunissant des religieux, des scientifiques et des défenseurs des animaux. Le dialogue était parfois difficile, voire houleux, mais le résultat de ces discussions a pu servir à la Commission européenne pour établir le règlement voté en 2009 et appliqué en 2013.

Travaillons donc ensemble, j'y insiste, à l'amélioration du bien-être des animaux, tout en préservant les droits de chacun, en République, à vivre conformément à ses traditions et à ses convictions religieuses : il n'y a pas d'antinomie entre les deux démarches.

1 commentaire :

Le 26/10/2016 à 15:08, laïc a dit :

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"tout en préservant les droits de chacun, en République, à vivre conformément à ses traditions et à ses convictions religieuses : il n'y a pas d'antinomie entre les deux démarches."

Je suis désolé, mais si la République dit qu'il faut abattre de telle façon les animaux, et que la loi religieuse dit qu'il faut les abattre autrement, alors l'abattage rituel doit se sacrifier, et laisser la place à l'abattage républicain. La République, c'est droits et devoirs, ce n'est pas seulement des droits. Et le devoir d'appliquer la loi républicaine est supérieur au droit d'exercer librement son culte, sans aucune contrainte, sans aucun devoir, ce serait tellement plus facile, et signerait la fin de toute laïcité contraignante, et finalement la fin de la laïcité tout court.

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