Commission des affaires étrangères

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de Mme Sylvie Bermann, Ambassadeur de France au Royaume-Uni

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq

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Nous avons le plaisir de recevoir Sylvie Bermann, notre ambassadeur à Londres.

La loi organisant le référendum sur l'Union européenne, promulguée le 17 décembre 2015, prévoit de poser aux électeurs la question suivante : le Royaume-Uni doit-il rester membre de l'Union européenne ou la quitter ?

Aucune date n'est fixée à ce jour pour le scrutin qui devra intervenir avant le 31 décembre 2017. Il semblerait que David Cameron souhaite sa tenue en juin 2016, ce qui suppose un accord au Conseil européen des 17 et 18 février.

Les demandes britanniques sont connues. Elles se déclinent en quatre grands chapitres : le premier d'entre eux porte sur la limitation des droits des migrants, y compris ceux en provenance de l'Union européenne ; le gouvernement envisage d'instaurer pour ces derniers une période de probation de quatre ans avant de pouvoir bénéficier des prestations sociales ; deuxième chapitre, la gouvernance économique, en particulier le lien entre la zone euro et la place financière de Londres ; troisième chapitre, la compétitivité de la zone euro, notamment l'achèvement du marché intérieur ; dernier chapitre, la souveraineté dans laquelle se rangent les exigences liées aux droits des Parlements nationaux – la possibilité d'un droit de regard, voire de veto, sur les propositions de la Commission – et le refus d'être lié par l'expression du préambule du traité sur une union sans cesse plus étroite.

J'avais le sentiment qu'on s'acheminait vers un compromis. Qu'en est-il selon vous ?

Même si un accord est obtenu, des incertitudes pèsent sur l'issue de la campagne. Nous sommes bien placés pour savoir que souvent les électeurs répondent à côté de la question qui leur est posée. Pouvez-vous faire un point sur l'évolution de l'opinion publique ? Comment les différents partis font-ils campagne ?

David Cameron a laissé la liberté à ses ministres. Il semble qu'il ait réussi à rallier au oui qu'il défend la plupart des membres de son gouvernement, y compris le très eurosceptique ministre des affaires étrangères.

Si le Royaume-Uni devait se prononcer en faveur de la sortie de l'Union européenne, ce serait un très mauvais coup porté aux relations bilatérales dont nous espérons qu'elles demeureront aussi excellentes qu'elles le sont aujourd'hui ; ce serait aussi un mauvais coup porté à l'Union européenne qui serait atteinte dans son prestige et son image, d'autant plus dans son état actuel ; ce serait enfin un très mauvais coup pour le Royaume-Uni lui-même puisque l'Écosse menace de le quitter et qu'il n'existe pas d'alternative – les dirigeants du Commonwealth et des États-Unis ont fait savoir que le Royaume-Uni les intéresse s'il fait partie de l'Union européenne.

Nous allons faire tout ce que nous pouvons sans céder sur des choses essentielles. Le Président de la République a notamment rappelé que la question de la zone euro était fondamentale.

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Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni

Je vous remercie de cette invitation et je vous présente tous mes voeux.

Le référendum mobilise toutes les énergies des milieux politique et universitaire ainsi que du monde des affaires. Il est presque l'unique sujet aujourd'hui au Royaume-Uni et le grand sujet des relations bilatérales.

Pourquoi un référendum ? Lors des dernières élections, David Cameron, redoutant sa défaite faute de coalition, a pensé que cette promesse lui permettrait de prendre des voix au parti UKIP. Or, ce parti s'est effondré et, divine surprise pour le Premier ministre, il a remporté les élections avec une courte majorité. Mais, aujourd'hui, les Libdems ne peuvent empêcher le référendum ni en atténuer la portée.

Les termes de la question posée ont été longuement discutés pour aboutir à une formulation très claire que vous avez citée madame la présidente et qui se peut être résumée ainsi : « in or out ? ». Une des formulations qui avait été envisagée laissait penser que le Royaume-Uni ne faisait peut-être pas partie de l'Union européenne. Or, tous les Britanniques ne sont pas conscients que leur pays est membre de l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle cette formulation sans équivoque a été retenue.

Si le Conseil européen des 17 et 18 février parvient à un accord, le référendum devrait se tenir en juin 2016. S'il échoue, un conseil exceptionnel devrait avoir lieu fin février afin de respecter le calendrier. Faute de quoi, les Écossais prenant leurs vacances en juillet et les Anglais en août, le référendum serait repoussé en septembre faisant courir le risque d'une évolution négative. Pour la première fois en septembre dernier, les sondages donnaient le « out » vainqueur. Toutefois, les sondages réalisés plusieurs mois avant le scrutin ne veulent absolument rien dire car la campagne n'a pas encore commencé. La date envisagée par David Cameron serait le 23 juin.

Pendant un temps, seuls les partisans de la sortie de l'UE se sont mobilisés, usant d'arguments bien connus : la souveraineté du Royaume-Uni et l'immigration. Au nom de la première, il leur est intolérable que, faute de constitution britannique écrite, la seule loi écrite soit européenne. Le second argument avancé traduit la peur de perdre des emplois. Comme souvent, ce sont dans les régions dans lesquelles les immigrés sont les moins nombreux que les positions sont les plus hostiles à leur égard. À Londres, près de 40 % des habitants ne sont pas nés au Royaume-Uni. L'opposition vient donc d'ailleurs.

La campagne est menée au sein du parti de David Cameron par un groupe d'europhobes – j'emploie ce terme à dessein, car ils ne sont pas seulement eurosceptiques, ils veulent sortir de l'Union à tout prix, quel que soit le résultat de la négociation.

S'agissant d'une alternative éventuelle, les membres du Commonwealth ont fait savoir qu'ils comptaient sur un Royaume-Uni influent, ce qu'il ne peut pas être s'il est isolé. Quant à la Norvège et la Suisse, le Premier ministre norvégien a rappelé que son pays contribue financièrement à l'Union européenne et est obligé d'en respecter les règles sans pour autant être à la table des négociations pour les élaborer. Les tenants du « out » peinent à trouver des arguments rationnels pour soutenir leur position mais personne n'ignore la part d'irrationnel dans les référendums.

La campagne en faveur du « in » n'a pas commencé car ses partisans attendent de pouvoir tirer argument d'une Europe réformée à laquelle le Royaume-Uni trouverait un avantage à appartenir.

Les réformes demandées par David Cameron n'ont rien d'inacceptable dans l'ensemble, même si certains sujets sont plus difficiles – pour nous, les liens entre la zone euro et la zone non euro. Les Britanniques sont prêts au compromis. Ils ne cherchent pas à empêcher la zone euro de s'intégrer, au contraire, disent-ils, car l'économie britannique a besoin d'une zone euro qui fonctionne – ils étaient très inquiets au moment de la crise grecque. Il est possible de trouver un accord, reste à s'entendre sur la rédaction.

Sur l'immigration, les Etats membres ont fait connaître leurs lignes rouges et David Cameron a donné ses assurances qu'il n'était pas question de revenir sur les principes de libre circulation ou de non-discrimination. La proposition d'instaurer une période probatoire de quatre ans pour pouvoir prétendre aux prestations sociales pose un problème de discrimination évident. Mais le Premier ministre est prêt à trouver des solutions alternatives. Des discussions ont lieu actuellement à Bruxelles.

La négociation n'a pas été menée de manière complètement ouverte mais sur le mode de confessionnaux, le président du Conseil européen ou le président de la task force rencontrant les pays un par un pour connaître leurs difficultés et, par approximations successives, arriver à trouver un accord sur ce point.

La difficulté tient moins à la réaction des Européens – beaucoup sont disposés à aider le Royaume-Uni à rester et ils l'ont dit – qu'à la campagne au Royaume-Uni même. La mobilisation pro-européenne devrait commencer à la fin du mois de février, après l'accord au Conseil. La campagne sera financée notamment par les grands magasins Sainsbury's alors que les partisans du « out » semblaient pouvoir compter sur des financements plus importants. Tous les arguments seront avancés : non seulement l'Europe réformée mais aussi l'influence et la sécurité de l'Union européenne. David Cameron lui-même, depuis le mois d'octobre à la conférence du parti à Manchester, a commencé à présenter les avantages de l'Union européenne dans ces termes. Les membres du gouvernement, à l'exception de deux ou trois, sont conscients de l'intérêt de l'Europe : Philip Hammond, le ministre des affaires étrangères, parti d'une positioneurosceptique est désormais convaincu car il mesure l'importance des sanctions européennes pour mener une politique vis-à-vis de la Russie, de l'Iran ou du Moyen-Orient ; le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, est très favorable au maintien dans l'Union européenne ; Theresa May, ministre de l'intérieur, pourtant considérée comme eurosceptique, a dû défendre le mandat d'arrêt européen considérant qu'il est dans l'intérêt du Royaume-Uni. Les milieux d'affaires sont à 80 % en faveur du maintien ; ils sont dans les starting blocks ayant affuté un certain nombre d'arguments. Mais les statistiques sont toujours utilisables dans les deux sens.

La sortie de l'Union européenne entraînerait une perte d'influence considérable. Obama, qui doit venir en visite à Londres peu avant le référendum, devrait dire clairement que la relation spéciale qui lie les deux pays présentera moins d'intérêt si le Royaume-Uni quitte l'Union et y perd donc son influence. Le président chinois a également indiqué que Londres était la porte d'entrée en Europe. Un pays de la taille d'une province chinoise risque de ne pas être traité avec beaucoup d'égards. Les Britanniques sont conscients de cette menace d'affaiblissement de leur influence.

De l'autre côté, paradoxalement, l'Europe a besoin du Royaume-Uni pour être forte. C'est le seul pays à consacrer 2 % de son budget à la défense et à participer aux opérations civiles et militaires de l'Union européenne, malgré son parti pris hostile, y compris en Afrique – au Mali par exemple – et sans compter l'intervention à nos côtés en Syrie.

C'est une économie majeure, avec ses 64 millions d'habitants, qui quitterait l'Union européenne. Dans les négociations avec les États continents qui sont les puissances de demain, l'Union perdrait beaucoup avec le départ du Royaume-Uni. Notre intérêt est de les aider.

Le prochain sommet franco-britannique aura lieu début mars, probablement à Amiens. Les relations entre nos deux pays sont actuellement très chaleureuses. David Cameron a rencontré à trois reprises le Président de la République ces derniers temps. Il a manifesté un soutien exceptionnel lors des attentats du 13 novembre ; la ministre de l'intérieur était présente à la minute de silence à l'ambassade de France ; la marseillaise a été chantée à Wembley, vous avez tous vu les images. La France est pour les autorités britanniques un pays allié et ami qui a un rôle à jouer. Angela Merkel n'est pas la seule à pouvoir aider David Cameron à obtenir le paquet européen qu'il pourrait défendre.

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Nous sommes tous ici convaincus de l'intérêt du maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne.

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Je vous remercie pour ce propos qui ne me rassure pas complètement.

Nous sommes attachés à la présence du Royaume-Uni dans l'Union européenne, élément essentiel de la construction européenne. Mais, face au terrorisme et aux migrations, nous avons besoin de plus d'Europe et d'unité.

La différence de traitement d'un pays à l'autre du problème de Calais génère un contentieux entre les deux pays que nous regrettons beaucoup.

Nous avons besoin de plus d'Europe en matière de politique internationale. Certes le Royaume-Uni est très souvent aux côtés de la France lorsqu'elle intervient au nom de l'Union, notamment en Afrique, mais nous devons aller plus fort et plus loin sur d'autres questions, notamment la Syrie et la Libye.

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Je ne partage pas votre opinion, madame la présidente. Je ne considère pas que le départ du Royaume-Uni serait une catastrophe. Ce pays ne participe pas à Schengen, ou à ce qu'il en reste, il ne fait pas partie de la zone euro. En réalité, il est intéressé par une Europe à la carte : il prend ce qui l'intéresse et rejette le reste.

La proposition d'un délai de carence imposé aux migrants pour bénéficier des prestations sociales était inscrite dans le programme du RPR qui l'a un peu oubliée.

S'agissant de l'Écosse, peut-on considérer que le sujet est définitivement clos ou peut-il resurgir ?

Quel est le débat en Angleterre sur la situation à Calais, où la France joue le rôle de police aux frontières pour le compte des Britanniques ?

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Je n'ai pas dit que le départ du Royaume-Uni serait une catastrophe, j'ai dit que la plupart d'entre nous souhaitaient que ce pays reste dans l'Union, en rappelant les conditions qui ont été posées.

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Les milieux économiques ont-ils mesuré les conséquences d'un retrait du Royaume-Uni ?

Vous l'avez dit, les habitants sont d'autant plus sensibles aux migrants que ceux-ci sont peu présents dans leur voisinage. Avec le référendum, on pose une question mais le peuple décide autre chose. Quelle est votre perception de l'Angleterre profonde ?

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Je salue la nomination à Londres d'une spécialiste des chinoiseries.

Le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne pour avoir son mot à dire sur ce qui se passe sur le continent. Sa stratégie constante consiste à ne pas couper les ponts afin de ne pas être exclu du continent ; cela dure depuis plusieurs siècles.

Alors que l'Europe est en train d'imploser, les propositions que David Cameron met sur la table méritent d'être examinées avec soin car elles sont frappées au coin du bon sens. Il faut regarder la réalité en face. Les Anglais disent des choses que certains d'entre nous ont dites par le passé sur la nécessité de choisir entre une Europe fédérale et l'Europe des nations. N'en déplaise à certains, on ne va pas vers une Europe fédérale.

L'Union européenne est confrontée à deux problèmes majeurs : la gouvernance et la subsidiarité. Devenue obèse et se mêlant de tout, elle ne peut plus fonctionner.

Ce référendum est l'occasion de réfléchir à ce que nous voulons. Nous avons besoin de coopération européenne dans tous les domaines, nous n'avons pas besoin d'intégrisme européen. Aujourd'hui, en Europe, l'idéologie intégriste veut tout maîtriser au service d'une technocratie.

Cela durera dix ans mais il y a des mesures à prendre pour sauver le projet européen.

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Cela ne vous étonnera pas, je défends une vision contraire de celle que vient de promouvoir Jacques Myard puisque les écologistes, depuis de longues années, sont partisans d'une Europe fédérale.

S'agissant des migrants, le traité du Touquet de 2003 est le fait générateur de la situation que nous connaissons à Calais. Afin de tourner la page de Sangatte, ce traité a été signé à la demande du Royaume-Uni, transformant la France en sous-traitant pour les migrants, puisque le Royaume-Uni ne fait partie de l'espace Schengen et qu'il refuse l'arrivée de personnes extra-européennes ne possédant pas de visas. Le référendum ne laisse pas augurer d'une révision prochaine du traité du Touquet. Comment peut-on parvenir au règlement du problème difficile de Calais ?

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L'Europe est aujourd'hui en panne dans tous les domaines. Elle est figée, au milieu du guet, hésitant à renforcer l'intégration mais prenant le risque d'une implosion.

Les Britanniques souhaitent quitter l'Union européenne. La seule chose qui les retient, qui est aussi la seule chose qui marche, c'est l'Europe des échanges – je ne parle même pas d'Europe économique.

A ce sujet, nous manquons d'informations. Une étude sérieuse a-t-elle été réalisée sur les conséquences économiques d'une sortie de l'Union – sur la croissance, les exportations, l'emploi ? C'est le seul argument qui pourra retenir les Britanniques de quitter l'Union.

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Dans l'hypothèse d'un retrait, d'autres pays sont-ils susceptibles d'imiter le Royaume-Uni ?

Conséquence de l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne, l'anglais a supplanté le français comme langue de travail européenne. Le retrait britannique serait-il de nature à redonner une chance à notre langue ?

Le départ des Britanniques peut-il rejaillir négativement sur la défense européenne ?

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Il y aurait un certain paradoxe à voir le Royaume-Uni quitter l'Union européenne au moment où celle-ci ressemble le plus à ce qu'il a toujours défendu, une Europe des nations. Les choix politiques le montrent – l'attitude du Danemark sur la question des migrants, la remise en cause de Schengen –, l'Europe est devenue très britannique dans son fonctionnement, réduite à un marché intérieur.

À l'instar de mon collègue Poniatowski, je m'interroge sur l'impact sur le plan économique d'un départ des Britanniques.

Enfin, j'avoue mon ignorance, quelle est la position du Labour dans ce débat ?

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Lorsque David Cameron a annoncé le référendum, très sûr de son fait, la Commission et le Conseil ont été très peu coopératifs.

Que va pouvoir dire David Cameron dans cette campagne ? Qu'a-t-il obtenu de Bruxelles ? Pas grand-chose. Les maigres concessions, ajoutées à la crise des migrants, conduisent droit à l'échec du référendum.

Quel est le plan B, pour reprendre l'expression de l'actuel ministre des affaires étrangères lorsqu'il faisait partie du camp des nonistes lors d'un certain référendum ? Que faire si le Royaume-Uni part, que la dislocation de Schengen et de la zone euro se poursuit, et que l'Europe politique de la défense et de la lutte contre le terrorisme est remise en cause ? La question va se poser après le départ du Royaume-Uni.

Le référendum est déjà perdu. Avec des sondages négatifs six mois avant l'échéance, vous n'avez aucune chance de gagner. L'expérience en France et aux Pays-Bas l'a montré. Que se passe-t-il pour nous Français dès lors que l'Angleterre part et que l'Allemagne joue sa propre partition sur l'immigration avec les conséquences que l'on sait dans le reste de l'Europe – tout le monde renationalise les politiques en matière migratoire – alors que la situation monétaire n'est pas réglée et que le chômage est en hausse ? Nous sommes entrés dans une phase dans laquelle nous devrions nous intéresser à un risque de dislocation de l'entreprise européenne. Le départ du Royaume-Uni va donner le signal pour un détricotage des politiques publiques européennes dont les conséquences sont incalculables. Nous serions bien inspirés de nous en préoccuper dès maintenant.

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Cela mérite en effet d'être approfondi. On peut aussi espérer un réflexe salutaire des Européens qui les ferait enfin se mettre d'accord sur quelques sujets essentiels.

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Je reviens sur un dossier qui est rarement évoqué avec l'éclairage franco-britannique, celui de Calais.

Avec l'accord de 2003, tout était réglé, disait son signataire, le ministre de l'intérieur de l'époque devenu Président de la République.

Or, cet accord consiste à faire porter à la France, pour le compte du Royaume-Uni, le poids économique, social, humanitaire et sanitaire de l'afflux des réfugiés et des migrants. Les Britanniques ferment leur frontière et nous en payons le prix. Le bon sens aurait voulu qu'ils ferment leur frontière à Douvres et non à Calais.

Pour accepter ce prix, je suppose qu'une contrepartie a été négociée. L'accord est tellement déséquilibré que je n'arrive pas à imaginer qu'il ait pu être signé en l'état. Voyez comme je suis élogieux à l'égard des négociateurs de l'époque. Pourtant, je n'arrive pas à voir quelle peut être cette contrepartie. La connaissez-vous ?

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S'inquiète-t-on au Royaume-Uni de la possibilité de déplacer la frontière de Calais à Douvres ?

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Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni

Calais est un sujet très difficile, un sujet d'incompréhension des deux côtés.

La crise a été très forte en juillet-août, les Britanniques nous reprochant notre incapacité à contrôler les frontières et à assurer la sécurité. Au même moment surgissait le problème de MyFerryLink, avec des marins en grève et des pneus brûlant sur le quai. Notre image était alors très mauvaise.

Du côté français, les autorités locales considèrent que notre pays n'a pas à faire la police à la place des Britanniques et que la frontière devrait être à Douvres.

Sur l'accord du Touquet, je ne dispose pas de tous les éléments. Il est vrai que l'erreur a été commise de raisonner en termes de stock et non de flux. Pour les Britanniques, la contrepartie était d'accueillir des réfugiés. Ils l'ont fait à l'époque mais par la suite, les migrants ont continué à arriver. Aujourd'hui, trois à quatre mille personnes sont à Calais – à rapporter au million de réfugiés arrivés sur le continent européen l'année dernière. Des accords entre les ministres de l'intérieur des deux pays ont été trouvés pour renforcer la sécurité à Calais : plus personne ne passe par le tunnel. Toutefois, des difficultés persistent car les réfugiés prennent d'assaut les camions. Des mesures ont été prises contre les passeurs – de nombreux passeurs arrivent du Royaume-Uni ; la coopération judiciaire a été renforcée. Auparavant, il était très difficile de transmettre aux Britanniques des éléments sur la criminalité organisée. Des progrès sont accomplis dans ce domaine.

Dans le domaine humanitaire, les Britanniques apportent une participation financière. Un tribunal a récemment exigé que l'État accueille les enfants dont les parents résident au Royaume-Uni.

Ce sujet est très sensible car il touche à l'immigration. Un comité conjoint se réunit sur ces questions, avec des demandes toujours plus fortes de la part du Royaume-Uni.

Autre question, est-ce vraiment notre intérêt que la frontière soit déplacée à Douvres ? Je ne suis pas sûre que cela facilite les échanges et le passage des trains. Cela reste à expertiser. Ceux qui font campagne pour la sortie de l'Union européenne vantent le contrôle des frontières. Le statu quo plaiderait plutôt en faveur du « in ». Ce problème va se poser encore pendant longtemps car, à Calais, se trouvent des Érythréens et des Soudanais qui ont des liens avec le Royaume-Uni mais n'en ont aucun avec la France. C'est extrêmement compliqué à régler.

Monsieur Baumel, l'incompréhension sur ce référendum était partagée par les milieux d'affaires pour lesquels l'organisation d'un tel référendum était un « total nonsense ».

Monsieur Mariani, les effets négatifs d'une victoire du non sont incontestables : perte d'influence, risque de dislocation de l'Europe. Face à des États continents puissants, on a besoin d'une entité de plus 500 millions d'habitants et du plus grand marché économique au monde. En outre, dans les désaccords commerciaux, j'ai pu le vérifier en Chine, la négociation bilatérale n'aboutit pas ; en revanche, le poids de l'Europe permet de trouver un compromis.

Le dossier écossais n'est pas réglé. Le sujet revient constamment sur la table. Les adhésions au parti nationaliste écossais ont triplé depuis l'échec du référendum. Ce dossier est une épée de Damoclès car si les Anglais votent pour sortir de l'Union et les Écossais pour rester, ces derniers réclameront à nouveau un référendum, avec un risque de dislocation du Royaume-Uni.

Il ne faut pas oublier une autre nation, l'Irlande, farouchement pro-européenne, dont les ressortissants ont le droit de voter au Royaume-Uni. Les autres membres de l'Union européenne ne votent pas, à l'exception des membres du Commonwealth – Malte, Chypre.

Le problème écossais reste pendant mais il peut jouer dans un sens positif sur l'issue du référendum européen.

Le MEDEF britannique – Confederation of british industry (CBI) – a publié un rapport très important sur les conséquences d'une sortie de l'Union européenne, tout en reconnaissant son manque de rigueur scientifique. Ce départ devrait coûter entre 1 et 1,5 point de croissance dans un premier temps, la croissance reprenant ensuite.

Toutefois, ce n'est pas une bataille de chiffres qui convaincra les électeurs. Ils seront davantage sensibles aux conséquences sur leur vie quotidienne, en particulier sur l'emploi. Ce qui l'a emporté lors du référendum sur l'Écosse, ce n'est pas tant les déclarations des grands groupes ou des banques que les exemples très concrets de Waitrose. Je sais qu'une étude a également été réalisée par la banque d'Angleterre.

L'Angleterre profonde est réceptive aux arguments émotionnels. Le parti conservateur a peu de relais dans les provinces. En revanche, il existe de nombreux groupes de pression. L'un d'entre eux a annoncé sa volonté de retourner les slogans des partisans du non en pointant le fait que les conséquences seront plus importantes pour les moins nantis.

Monsieur Myard, certaines exigences britanniques rejoignent nos préoccupations, je pense en particulier aux travailleurs détachés. Il n'est plus question d'une Europe à la carte mais d'une Europe différenciée. Je ne pense pas qu'on puisse parler d'une Europe intégriste ou fédéraliste actuellement car, en effet, dans tous les pays de l'Union, y compris les plus pro-européens comme l'Allemagne, nous assistons à une renationalisation des politiques. Les demandes britanniques dans ce contexte posent donc moins problème.

Quant au risque d'implosion, certains pays risquent de partager le sentiment du Royaume-Uni. La plupart des pays sont aujourd'hui eurosceptiques parce que l'Union européenne ne réussit pas là où elle doit. Elle va de crise en crise. Il faut espérer la reprise de la croissance et de l'emploi qui conditionnent la réussite du référendum.

Lors du référendum sur l'adhésion en 1975, l'Europe était très prospère tandis que le Royaume-Uni était dans une situation déprimée. Aujourd'hui, c'est l'inverse, le Royaume-Uni affichait une croissance de près de 3 % en 2014 et un taux de chômage de 5,1 % – l'objectif est le plein-emploi. La différence avec le reste de l'Europe est manifeste.

Quant à la suprématie de l'anglais, c'est avec l'élargissement que l'utilisation du français a beaucoup reculé.

Les Britanniques ont un a priori très négatif sur l'Europe de la défense. Il y a quelques années, ils s'abritaient derrière leur volonté de ne pas rompre avec l'OTAN et la crainte d'un découplage avec les États-Unis. Aujourd'hui, les États-Unis encouragent la défense européenne, qui peut les suppléer quand ils ne veulent pas intervenir. D'énormes progrès ont été accomplis dans la coopération franco-britannique en matière de défense : les programmes d'armement, l'avion du futur, les programmes des missiles et les mines anti-navires, mais aussi une force expéditionnaire conjointe de 10 000 hommes dont l'opérationnalité sera déclarée ce printemps, avec des possibilités d'intervention.

Enfin, s'agissant du plan B, on a demandé à David Cameron s'il espérait un non pour être en meilleure position pour la négociation. David Cameron a affirmé que le choix serait irrévocable. Il n'y aura pas de plan B du côté anglais.

L'élaboration d'un plan B côté français n'est pas à l'ordre du jour.

Peut-être que je m'avance imprudemment mais je pense que les Britanniques vont rester. Un Britannique m'a dit : « it will be dirty and bumpy but at the end we will stay ». La conjonction des arguments rationnels et des considérations économiques ainsi que la nécessité de ne pas être seul dans un monde où les menaces sont globales plaident en faveur d'un maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Il ne faut pas non plus sous-estimer la peur d'un avenir inconnu. Tout le monde dit que les Britanniques sont pragmatiques et conservateurs. Je pense qu'in fine, ils resteront. Je peux toujours être démentie.

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Le référendum qui doit se tenir prochainement aux Pays-Bas et qui est largement passé sous silence, est-il évoqué au Royaume-Uni ?

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Sylvie Bermann, ambassadeur de France au Royaume-Uni

Les conséquences de ce référendum ne sont pas évoquées au Royaume-Uni. Toutefois, les Pays-Bas viennent de prendre la présidence de l'Union européenne pour six mois. Ils exerceront donc cette fonction lors du référendum britannique, ce qui crée un lien étroit entre les deux pays. Les Pays-Bas font tout pour aider le Royaume-Uni à rester dans l'Union européenne. Il y a un intérêt partagé des deux pays à ce que les deux référendums soient positifs.

Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (n° 2852) – M. Philippe Baumel, rapporteur

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Nous examinons, sur le rapport de M. Philippe Baumel, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la France et les États-Unis relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme.

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Le projet de loi a pour objet de ratifier un accord conclu sous forme d'échanges de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique et relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et lutter contre la criminalité grave et le terrorisme.

À la suite des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont souhaité renforcer la sécurité de leur territoire et l'arsenal préventif et répressif de lutte contre le terrorisme. Ils ont alors relevé les exigences liées au maintien de leur programme d'exemption de visa, dont bénéficie la France, et ont notamment posé comme contrepartie l'accroissement des échanges d'informations.

Nous le savons bien, les États partenaires dans la lutte contre la criminalité transnationale et le terrorisme ont un besoin accru de traiter et d'échanger des données à des fins préventive et répressive. La coopération judiciaire et opérationnelle est déjà très intense avec les États-Unis. Il existe une coopération ancienne d'entraide en matière pénale fondée sur les accords relatifs à l'extradition du 23 avril 1996 et à l'entraide judiciaire du 10 décembre 1998. La coopération opérationnelle est quant à elle d'excellente qualité et d'une grande efficacité aux dires des services, notamment avec le ministère de la sécurité intérieure américain et les agences fédérales qui dépendent du ministère de la justice comme le Federal Bureau of Investigation (FBI) et la Drug Enforcement Administration (DEA), particulièrement dans les domaines du trafic de stupéfiants, du blanchiment et de la cybercriminalité.

Au titre de l'année 2014, 197 Messages SIENA (messagerie Europol) ont été envoyés par la France vers les USA et nous en avons reçu 412. Dans le cadre d'Interpol, en 2013, 1234 messages ont été envoyés par le bureau central national (BCN) France et 1412 ont été reçus du BCN américain. À la suite des attentats du 13 novembre, les États-Unis ont transmis un certain nombre d'informations via la consultation du programme de surveillance du financement du terrorisme (TFTP) par Europol. Par ailleurs, comme d'autres partenaires, les États-Unis ont fait l'objet d'interrogations via le canal Interpol pour des recherches sur la base d'empreintes digitales ou génétiques. Je rappelle aussi la grande qualité de la coopération entre la France et les États-Unis dans le domaine du renseignement.

Toutefois, outre le canal d'Interpol, la coopération opérationnelle n'est pas institutionnalisée au travers d'un service centralisé côté américain, en raison d'une multiplicité d'acteurs fédéraux appartenant à différents ministères. Étonnamment, aucun accord de coopération policière ne lie la France et les États-Unis. L'accord soumis offre un cadre à la coopération opérationnelle, en instituant des procédures de consultation des données dactyloscopiques et génétiques et d'échanges spontanés en matière de prévention des actes de terrorisme et de crimes graves. Il devrait faciliter et fluidifier le travail des services.

J'insiste sur le fait, comme l'a rappelé le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve la semaine dernière, que seules les empreintes permettent souvent d'assurer l'identification des individus et la capacité à tracer leur parcours. De nombreuses empreintes figurent dans les fichiers. Le fichier automatisé des empreintes digitales français – le FAED – compte plus de 5,5 millions de fiches personnes et le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour les profils ADN – le FNAEG – plus de 3,2 millions de profils. En ce qui concerne les fichiers américains, d'après l'Ambassade des États-Unis à Paris, le Gouvernement américain compterait plus de 100 millions d'empreintes digitales dans les registres du Département de la sécurité intérieure et plus de 70 millions dans les bases de données du FBI. Les données génétiques n'étant pas centralisées, le nombre n'est pas connu.

Or, à ce jour, les échanges entre nos deux pays en matière de données génétiques ou dactyloscopiques sont très restreints et s'élèvent à seulement quelques dizaines de demandes par an. L'accord ayant principalement pour objet d'autoriser la consultation des fichiers d'empreintes, il répond donc pleinement à un besoin aigu de nos services de police. L'accord permettra en la matière de générer un réflexe de consultation dont l'utilité ne fait aucun doute.

Avant de présenter les clauses de l'accord, je veux revenir sur le délai de négociation et de ratification. C'est en 2008 que les États-Unis ont engagé une négociation avec la France qui s'est avérée assez ardue, notamment au regard des garanties en matière de protection des données que le gouvernement français estimait indispensables de voir figurer dans l'accord, exigence forte qui ne fut pas celle, ou à des degrés moindres, de nos partenaires européens. Il convient en effet de souligner que les États-Unis ne présentent pas un niveau jugé suffisant de protection des données personnelles. Or, il est ici question de données d'une sensibilité particulière puisqu'il s'agit notamment des données dactyloscopiques et génétiques.

L'accord qui a finalement été signé en 2012 est assez remarquable de ce point de vue. Sans être aussi prescriptif que l'accord dont il s'inspire et qui lie les États de l'Union européenne, à savoir le traité de Prüm, qui lui vaut le surnom de « Prüm atlantique », il comporte des garanties fortes, prévoit de manière précise et stricte les principes essentiels de la protection des données et la manière d'assurer leur respect, toutes choses qui contrastent avec les clauses souvent lapidaires qui figurent dans les accords signés par la France avec des États étrangers. Il répond donc à l'objectif d'équilibre entre sécurité et protection des données privées.

Vous trouverez dans le rapport des développements sur les évolutions de la législation européenne en matière de protection des données, un état de la législation américaine et une présentation du cadre juridique euro-américain des échanges de données notamment en matière de lutte contre la criminalité et le terrorisme. J'attire votre attention sur deux points :

- d'abord, un projet de loi a été déposé aux États-Unis qui accorde des voies de recours devant les juridictions américaines pour les ressortissants de pays tiers ne résidant pas aux États-Unis, en cas de violations de leurs droits en matière de protection des données personnelles par les autorités de police américaines. Le texte été adopté le 20 octobre 2015 par la Chambre des représentants. La date relative à l'adoption par le Sénat n'est pas encore fixée, mais le département d'État assure tout mettre en oeuvre pour inciter le Sénat à adopter rapidement le texte, qui s'inscrit dans la lignée des annonces faites par le Président Obama en janvier 2014 pour rétablir la confiance sur la scène internationale suite aux différentes affaires d'écoutes ;

- ensuite, un accord dit parapluie est en cours de négociations relativement avancées entre l'UE et les États-Unis en matière de protection des données pour les besoins de la prévention, de l'enquête, de la détection ou de la poursuite des infractions de nature criminelle et notamment les infractions terroristes. L'adoption de la loi américaine ouvrant un droit de recours a été posée comme une condition non négociable de sa signature.

J'en viens donc aux dispositions essentielles de cet accord qui comporte 16 articles.

L'objectif de l'accord vise à renforcer la coopération dans le cadre de la justice pénale, principalement par l'échange d'informations relatives aux empreintes génétiques et dactyloscopiques, en vue de prévenir, d'enquêter, de détecter et de poursuivre les infractions liées à la criminalité grave et en particulier au terrorisme. Le champ d'application couvre les crimes et délits énumérés en annexe ainsi que toutes les infractions punies d'une peine privative de liberté égale ou supérieure à trois ans, contre un an dans l'accord Prüm. Ce champ correspond à la définition de crime grave visée par la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen. Il s'agit d'une spécificité de l'accord signé avec la France d'avoir limité les consultations à des crimes d'une particulière gravité. Au vu de l'application des accords existants entre les Etats-Unis et nos partenaires, restreindre plus encore le champ aurait été inopportun, le fait de couvrir le vol étant utile.

Les articles 3 et 5 de l'accord tendent à permettre une consultation mutuelle et automatisée des fichiers d'analyses ADN et des systèmes d'identification dactyloscopique, selon un système de concordancesans concordance (« hitno hit »). J'insiste sur le fait que la concordance ne se traduit pas par la transmission automatique des données personnelles. C'est dans un deuxième temps que l'État requis transfère des informations complémentaires qui permettent l'identification, sur demande et selon sa législation.

En vue de ces échanges, chaque Partie désigne un ou plusieurs points de contact en charge de centraliser et de traiter les demandes ou les réponses aux demandes d'échanges de données indexées. En France, ces consultations seront réalisées par la sous-direction de la police technique et scientifique de la direction centrale de la police judiciaire pour les dossiers de grande criminalité. Pour les États-Unis, il s'agira du FBI et du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), seules agences qui seront habilitées à interroger les bases de données françaises. Les dispositions opérationnelles et techniques des procédures de consultation seront établies dans le cadre d'arrangements administratifs entre autorités compétentes.

Il est également institué une procédure d'échanges spontanés par l'article 9. Afin de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme, chaque partie, sur sa propre initiative, peut transmettre les données complètes d'identification d'un individu, lorsqu'il y a raison de croire que l'intéressé a commis ou va commettre des actes terroristes ou criminels graves, ou a participé ou va participer à leur préparation. Les données transmises sont les suivantes : nom, prénoms, alias, sexe, date et lieu de naissance, ainsi qu'un exposé des circonstances qui motivent la transmission. Il s'agit du même type d'information que dans le cadre européen. Cet échange d'informations se fait par les points de contacts nationaux. S'agissant plus particulièrement de la prévention des actes de terrorisme, l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), rattachée à la direction générale de la police nationale, sera le point de contact.

Plusieurs dispositions permettent d'encadrer fortement les consultations et les échanges autorisés :

1. la consultation doit s'inscrire dans le cadre d'une enquête clairement délimitée en vue de poursuivre des infractions pénales ;

2. la consultation ne peut s'opérer qu'au cas par cas et dans le respect du droit national ;

3. si la comparaison automatisée fait ressortir des concordances entre les données dactyloscopiques ou les profils ADN, l'échange de données à caractère personnel doit intervenir selon les dispositions du droit national, y compris de l'entraide judiciaire, et l'accord ne peut limiter ou porter atteinte aux relations existantes entre les États-Unis et la France. Ainsi, la possibilité qu'un échange d'informations puisse constituer une preuve conduisant aux États-Unis à une condamnation à la peine capitale est exclue, conformément à l'accord d'entraide judiciaire ;

4. enfin, quand elle adresse spontanément des informations, l'autorité peut, en vertu du droit national, fixer au cas par cas des conditions relatives à leur utilisation par l'autorité destinataire et cette dernière est liée par ces conditions.

Concernant spécifiquement la protection des données personnelles, l'accord contient un article 10 dédié, long et précis. Il reprend la plupart des principes essentiels de protection des données de la législation française, à savoir la finalité, l'utilisation cantonnée à ces seules fins sauf accord de l'autre partie, la durée de conservation limitée au nécessaire, le respect des droits des personnes concernées et des mesures de sécurité des données. On rappellera utilement que toute utilisation de données dans le cadre d'un procès pénal, nécessitera que son origine, directe ou indirecte, soit légale et donc conforme à l'accord, ce qui donne force aux dispositions de l'article 10.

La correction, le blocage et la suppression des données sont réalisés à la demande expresse de la Partie qui transmet ces données. L'échange de données avec les États tiers ne peut être effectué que si l'autre partie consent à ce transfert et les données transmises ne peuvent provenir d'un précédent échange avec un État tiers à l'accord sans le consentement préalable de cet État. Enfin, les Parties garantissent l'existence de procédures qui permettent à toute personne concernée d'avoir accès à un recours approprié pour violation de ses droits à la protection des données à caractère personnel, indépendamment de la nationalité ou du pays de résidence de l'intéressé. Dans les faits, ce droit effectif suppose l'adaptation de la législation américaine, en cours comme indiqué précédemment. À défaut, la Partie française serait fondée à invoquer l'article 14. Cet article prévoit que l'accord peut être suspendu par l'une des Parties en cas de manquement substantiel aux obligations de l'accord. L'accord peut par ailleurs être dénoncé avec un préavis écrit de trois mois.

Chaque Partie doit tenir un registre afin d'assurer la traçabilité des données, de suivre la mise en oeuvre correcte des législations respectives et de garantir la sécurité des données. Ce registre permet le contrôle effectif des dispositions de l'accord relatives aux consultations automatisées des fichiers, d'une part, et de la législation nationale des Parties relative à la protection des données personnelles, d'autre part. Les données du registre dont l'accès doit être protégé, sont conservées durant deux ans. Une autorité de contrôle doit par ailleurs être désignée dans le cadre d'arrangements administratifs.

Un an après la mise en oeuvre de l'accord, les Parties se consultent pour dresser un bilan de son application, en prêtant particulièrement attention à la protection des données à caractère personnel. Une consultation est expressément prévue en cas d'évolution des négociations de l'accord « parapluie » précité.

À l'exception des articles relatifs à la consultation des données, l'accord entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la dernière des notes diplomatiques attestant l'accomplissement des procédures internes requises. S'agissant d'un executive agreement, aucune procédure n'est nécessaire pour sa ratification aux Etats-Unis.

L'entrée en vigueur des articles relatifs à la consultation des données est quant à elle subordonnée à la conclusion des arrangements qui doivent préciser les modalités techniques. Dans un premier temps, seul les fichiers d'empreintes dactyloscopiques seraient concernés. En effet, dans les conditions de la législation américaine actuelle, l'article 5 ne pourra être mis en oeuvre car l'organisation fédérale américaine attribue à chaque État fédéré la gestion de son propre fichier génétique (étant précisé que le laboratoire du FBI centralise notamment les profils génétiques des personnes concernées par certaines infractions fédérales, celles du district de Columbia ou encore certains profils de ressortissants étrangers condamnés par des juridictions fédérales). Dans l'attente d'une évolution côté américain, l'article 7 de l'accord permet à chaque Partie d'effectuer une consultation de son propre fichier ADN à la demande de l'autre Partie.

Parmi les pays de l'Espace économique européen pratiquant l'exemption de visa, tous disposent d'un accord de cette nature avec les États-Unis ou d'une base alternative autorisant l'échange de données. Plusieurs autres pays qui ne sont pas membres du Programme d'exemption de visa, dont les cinq pays de l'Union européenne entrant dans cette catégorie, ont négocié un tel accord et quatre l'ont signé.

Compte tenu des délais de rédaction de l'arrangement administratif à conclure et des délais techniques nécessaires à l'ouverture d'accès distants, j'ai le sentiment qu'il serait hautement souhaitable que la procédure de ratification s'achève très rapidement et que la phase de mise en oeuvre puisse s'engager. Le projet de loi a été voté en juin 2015 par le Sénat. Tout en remerciant les services de la police judiciaire, les équipes de la CNIL et l'Ambassade des États-Unis à Paris pour leur disponibilité et la densité des échanges que nous avons eus, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le projet de loi.

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Je voudrais souligner que cet accord a été bien négocié, notamment parce qu'il l'a été sur la base de la réciprocité. En cela, il diffère de l'accord que nous avons négocié en matière de fraude fiscale, qui était sans doute nécessaire mais qui a maintenant pour effet que des citoyens français travaillant aux États-Unis ne peuvent pas avoir de compte bancaire en France.

Il faudrait donc renégocier cet accord sur le modèle de celui dont nous parlons aujourd'hui. Il doit être appliqué de bonne foi, mais il est fondé sur la réciprocité avec des verrous qui sont la loi nationale.

Ma question est la suivante : compte tenu du caractère fédéral du système politique américain et de la force des Etas fédérés surtout en matière de police et de données, est-ce que la loi fédérale qui va passer permettra de le mettre en oeuvre cet accord et d'avoir des échanges réciproques ?

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J'approuve ce texte qui est nécessaire et qui effectivement entraine des obligations réciproques.

Je souhaiterais poser deux questions. La première est, si j'ose dire, neutre : des accords similaires ont été négociés, avez-vous dit, avec les autres États européens. Pourquoi, dans ce cas, ne pas l'avoir négocié entre les États-Unis et l'Union européenne ? Est-ce parce que cela ne rentre pas dans les compétences de l'Union européenne ?

Ma deuxième question, qui rejoint la remarque de Jacques Myard, est la suivante : la structure fédérale des États-Unis ne va-t-elle pas faire obstacle à l'application de cet accord pour certains transferts d'informations ?

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Je partage l'avis de Jacques Myard sur la qualité de cet accord. Concernant la loi fédérale en cours d'examen, la démarche semble assurée car on nous a fait savoir qu'elle être votée par le Sénat américain dans le courant de l'année et elle permettra l'application de l'accord sur la question des recours.

Concernant l'Union européenne, un accord entre cette dernière et les États-Unis est en fait en cours de négociation sur les règles de protection des données échangées. D'une certaine façon nous l'avons anticipé. Les Etats-Unis ont négocié des accords bilatéraux avec les partenaires du programme d'exemption de visas pour autoriser les échanges et améliorer la coopération opérationnelle entre services. Nous avons besoin d'un accord spécifique entre nos deux pays. L'accord franco-américain comporte des clauses de protection des données avancées et s'il y a un accord global au niveau européen en cours de négociation, sa procédure d'adoption n'est pas achevée.

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Que contiendra de plus l'accord européen ?

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Il renforcera les règles de protection des données personnelles par rapport à beaucoup d'accords bilatéraux, mais son analyse détaillée est en cours.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte à l'unanimité le projet de loi (n° 2852) sans modification.

La séance est levée à onze heures.