La réunion

Source

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

La séance est ouverte à quatorze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir de recevoir Mme Aurélia Bouchez, ambassadrice de France en Azerbaïdjan. Je vous remercie, madame, d'avoir répondu à notre invitation.

Après que Mme Florence Mangin, directrice pour l'Europe continentale, et M. Jean-Pierre Lacroix, directeur pour les Nations unies, les organisations internationales, les droits de l'Homme et la francophonie au ministère des affaires étrangères, nous ont présenté la position officielle de la France, ce que vous nous ferez savoir de votre expérience directe nous sera précieux.

Quelle appréciation portez-vous sur l'état des relations politiques et économiques entre la France et l'Azerbaïdjan ? Existe-t-il une concertation, formelle ou informelle, entre les ambassades en Azerbaïdjan des États de l'Union européenne ? Quelle analyse faites-vous de la situation politique intérieure ? Quelle est votre interprétation de la réforme institutionnelle – qui, selon M. Lacroix, renforce les pouvoirs de l'Exécutif ? Vous connaissez l'appréciation négative sur le respect des droits de l'Homme et des libertés en Azerbaïdjan portée par plusieurs organisations internationales, dont le Conseil de l'Europe. Qu'en est-il de la liberté d'opinion, de la liberté de circulation et du respect des droits de l'opposition ? Enfin, quel est l'impact de la baisse des cours du pétrole sur la politique budgétaire et sociale du gouvernement azerbaïdjanais ?

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Je vous remercie de m'avoir invitée à vous présenter l'Azerbaïdjan, pays où je suis en poste depuis un an mais où il me semble l'être depuis plus longtemps tant les relations bilatérales sont dynamiques, riches et diversifiées et tant la région connaît d'évolutions.

Deux éléments caractérisent le contexte régional : le conflit du Haut-Karabagh, sujet sur lequel je ne m'attarderai pas puisqu'il est de la compétence de M. Pierre Andrieu, co-président du Groupe de Minsk, que vous recevrez ; la présence de voisins de poids que sont la Russie, l'Iran et la Turquie, ainsi que la Géorgie. Tous ont connu récemment des évolutions majeures. Je citerai la tension russo-turque, la réintégration de l'Iran dans le jeu régional après la levée de la plupart des sanctions internationales, l'affirmation militaire russe dans la Caspienne, la convergence irano-russe en Syrie, la tentative manquée de coup d'État en Turquie. Outre que ces événements ont, à des degrés divers, des répercussions en Azerbaïdjan, ils se déroulent dans un contexte général marqué, de manière particulièrement sensible dans cette partie du monde, par la montée du fondamentalisme, le renforcement du risque terroriste et aussi la baisse persistante du prix du pétrole, qui affecte la plupart des économies de la région.

L'Azerbaïdjan doit de plus faire face à la crise économique la plus sérieuse connue après les débuts de son indépendance – crise qui provoque changements et réformes – tout en finançant l'essentiel des dépenses liées au corridor gazier Sud. Il finance en effet quelque 60 % du coût du segment trans-anatolien du gazoduc, le TANAP, et presqu'un quart du segment trans-adriatique, le TAP.

Tel est le cadre de l'action bilatérale franco-azerbaïdjanaise. Il s'agit avant tout d'un dialogue politique au plus haut niveau. Entre 2014 et 2016, le président de la République et le président Ilham Aliev se sont entretenus trois fois. Deux rencontres ont eu lieu à Bakou, la troisième en marge du sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), à Varsovie, en juillet dernier. Les rencontres au niveau ministériel sont fréquentes : en 2016, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères est venu deux fois à Paris, et le Secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, M. Harlem Désir, s'est rendu à Bakou. De 2014 à 2016, douze visites de présidents, de ministres ou de secrétaires d'État ont eu lieu ; ce nombre est impressionnant. Lors de ces entretiens, le dialogue porte sur une grande diversité de sujets d'ordre politique, culturel et économique. En matière politique, les discussions ont trait à la situation du Haut-Karabagh et aux évolutions régionales, mais aussi aux questions intérieures, le sujet de l'État de droit étant toujours présent.

L'Azerbaïdjan est pour la France un partenaire important à plusieurs titres. En raison, d'abord, de sa situation géographique : en matière de sécurité et de stabilité, et compte tenu de la proximité du Proche-Orient et du Moyen-Orient, c'est pour nous un interlocuteur clef quand nous cherchons à évaluer l'évolution des défis sécuritaires autour de la Caspienne, au Daghestan, en Iran et dans les pays d'Asie centrale, lesquels sont confrontés au retour des combattants revenus d'Afghanistan et aux trafics divers, dont celui de stupéfiants. Par ailleurs, l'Azerbaïdjan entretient de bonnes relations avec la Russie, la Turquie et l'Iran, et parvient à les maintenir même lorsqu'ils se querellent entre eux. Parler à l'Azerbaïdjan, c'est avoir une discussion ouverte sur l'évolution politique de partenaires politiques majeurs pour la France ; c'est également l'occasion de faire partager nos propres analyses stratégiques. Cet apport de la France est important en soi, et aussi parce que l'Azerbaïdjan s'emploie fortement à préserver sa souveraineté nationale, son indépendance de décision et sa stabilité, ce qu'il sait ne pouvoir faire qu'en maintenant des relations équilibrées avec l'ensemble de ses grands voisins. Cette diplomatie d'équilibre ne se conçoit que si l'Azerbaïdjan donne toute sa place à l'Occident et en particulier à la France. Le président Ilham Aliev rappelle cette doctrine à tous ses interlocuteurs, et de manière systématique dans ses déclarations publiques. Il arrive que la présidence azerbaïdjanaise critique l'Occident, mais sans jamais remettre en cause l'importance du dialogue avec nous, comme les actes le prouvent.

Nous entretenons donc un dialogue confiant sur les considérations stratégiques régionales avec un partenaire attaché à la stabilité et aux rapports de bon voisinage. Mais ce dialogue franc et ouvert n'élude pas les questions relatives à la situation intérieure du pays. Nous rappelons, à tous les niveaux, que la stabilité durable à laquelle aspire l'Azerbaïdjan ne peut être fondée que sur l'État de droit et que le dialogue inclusif avec l'ensemble des composantes de la société civile et politique est le meilleur gage de stabilité. Nous transmettons ce message régulièrement, en faisant alterner, selon les sujets, une diplomatie publique et une diplomatie plus discrète. Nous usons de la diplomatie publique pour exprimer des positions de principe – ce que la France a fait parfois seule, parfois dans le cadre de l'Union européenne ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – et aussi lors de l'arrestation de certains opposants, tels M. et Mme Yunus ou Mme Khadija Ismaïlova. Parce qu'il importe de faire preuve d'une position équilibrée, nous avons aussi réagi de manière positive lorsqu'ils ont bénéficié d'une libération conditionnelle. Nous utilisons une diplomatie plus discrète pour obtenir des résultats précis. Je rappellerai à cet égard le cas célèbre de la libération pour cause humanitaire des époux Yunus. Après que Mme Yunus eut reçu en 2013 les insignes de la Légion d'honneur des mains du président François Hollande et que la France eut exprimé publiquement sa position au sujet de la situation de ce couple, nous avons aussi entretenu un dialogue discret avec les autorités pour obtenir que les époux Yunus puissent, comme il le souhaitaient, être autorisés à titre humanitaire à sortir d'Azerbaïdjan pour recevoir à l'étranger les soins requis par leur état de santé. Notre action diplomatique, publique ou discrète, s'adapte aux circonstances et recherche des résultats. Elle est appréciée par les opposants et les activistes. Les remerciements que j'ai reçus en sont la démonstration. Mais l'on peut toujours faire plus et mieux, et il faut persévérer.

Sans nous départir d'une approche critique, nous devons prendre en compte les évolutions positives, qu'elles soient de fait ou en germe. Au nombre des premières, je citerai la position de l'Azerbaïdjan sur la peine de mort – le pays a, sur ce plan, toujours été aux côtés de la France – et sur la laïcité, entendue comme le droit pour chacun d'exercer sa religion librement, sans être passible d'amende ou d'emprisonnement parce que l'on ne porte pas le voile, comme cela se produit ailleurs. En Azerbaïdjan, la pratique laïque, garantie par la Constitution, est réelle. Cela a été souligné par le pape François lors de sa récente visite comme par le Bureau international de la démocratie et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'OSCE, dont le président a rendu hommage à cette tolérance religieuse. Cette position remarquable en un temps où les pays musulmans modérés respectant les libertés se font rare, doit être soutenue car l'état d'esprit, dans les pays voisins de l'Azerbaïdjan, n'est pas toujours le plus propice à cette approche laïque de l'islam, étant donné l'influence qu'y exercent l'Iran, le mouvement salafiste wahhabite venu du Daghestan et des États du Golfe. Le multiculturalisme traduit la volonté de l'Azerbaïdjan d'être un pont entre l'Asie et l'Europe et entre les religions ; le pays a d'ailleurs pour intéressante particularité d'être membre à la fois du Conseil de l'Europe et de l'Organisation de la coopération islamique.

Au nombre des évolutions prometteuses vers une démocratie plus affirmée et plus claire, je mentionnerai la reprise du dialogue, le 21 septembre dernier, entre l'Azerbaïdjan et le Parlement européen et, plus généralement, avec l'ensemble des institutions européennes. Le plus visible est la négociation actuelle du mandat en vue d'un accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan ; tous les accords de ce type comportent systématiquement un important volet relatif à l'État de droit. Autre élément concret : l'accord en vigueur entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan prévoit l'existence d'un sous-comité bipartite « justice, affaires intérieures, droits de l'homme, démocratie, migration et asile », et l'Azerbaïdjan a donné son accord pour une réunion de ce sous-comité, qui a eu lieu la semaine dernière, avant l'ouverture des négociations du nouvel accord. Enfin, à la suite de la visite à Bakou de Mme Federica Mogherini, Haute-Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et des pressions exercées par certains États dont la France, certains opposants au régime, y compris les époux Yunus et Mme Ismaïlova, ont bénéficié de libérations conditionnelles et 148 personnes ont été amnistiées, dont plusieurs activistes des droits de l'Homme inclus.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Les estimations varient. Quelques dizaines, sans doute, mais tout dépend des critères utilisés pour les définir et des informations que nous donnent les organisations non gouvernementales (ONG). Certes, nous ne sommes pas au bout du chemin, mais notre rôle est d'accompagner les étapes. Tels sont les éléments positifs, et je pense que l'on n'en est qu'au début.

J'ajoute que les réformes économiques peuvent enclencher une dynamique de plus grande transparence et une lutte plus efficace contre la corruption. C'est en tout cas ce qui est annoncé par les plus hautes autorités. Ainsi, l'Agence d'État pour le service public et l'innovation sociale (ASAN) vise à éliminer par des procédures électroniques la petite corruption administrative, la plus sensible par les citoyens. Notre rôle est d'encourager les évolutions positives tout en maintenant une vigilance intacte.

Notre action comporte désormais un troisième volet, celui de la coopération décentralisée, qui en est encore à ses débuts. À ce jour, un peu plus d'une douzaine d'accords ou de partenariats ont été conclus entre des municipalités françaises et azerbaïdjanaises. Ce sera pour nous une manière de favoriser les contacts et peut-être des opportunités pour nos entreprises – MEDEF International est intéressé – et de promouvoir notre conception de la gouvernance, sachant qu'une décentralisation réelle est un facteur clef de démocratie vivante. Nous espérons pouvoir progresser en ce sens.

Nos relations avec l'Azerbaïdjan se traduisent aussi par une coopération économique. Malgré la crise qu'il connaît, le pays reste notre principal partenaire économique dans le Caucase, et la quatrième destination de nos exportations dans l'espace de l'ancienne URSS. Nous sommes le troisième acheteur de gaz azerbaïdjanais ; le pays est donc un élément important dans notre stratégie d'approvisionnement et de sécurité énergétique. Cependant, on ne peut sous-estimer la gravité de la crise qui affecte l'Azerbaïdjan. Elle a eu pour effet, en 2015, deux dévaluations qui ont fait perdre à la monnaie l'essentiel de sa valeur, et une inflation qui devrait être de 10 % au moins cette année. En conséquence, par un tour de force assez laborieux, le budget, qui avait été établi sur la base d'un baril à 60 dollars a dû être recalculé en cours d'exercice sur la base d'un baril à 25 dollars.

De manière remarquable, dans l'allocution qu'il a prononcée en janvier dernier au sommet de Davos, le président Aliev a affirmé que la crise que connaît l'Azerbaïdjan offre une chance de faire les réformes nécessairement douloureuses dont l'abondance de l'argent du pétrole avait, par facilité, dispensé le pays jusqu'alors. Ce sera, a dit le président, l'occasion de renforcer la transparence, de lutter contre la corruption et les monopoles, de favoriser la concurrence et de diversifier l'économie – car la crise illustre les méfaits de la dépendance au pétrole. Pour obtenir ces résultats, il faut attirer des investisseurs étrangers, ce qui incite à rendre le pays attractif et à améliorer le climat des affaires. C'est ainsi que peut s'enclencher une spirale vertueuse. J'ai immédiatement appuyé cette approche, en indiquant que nous veillerions à ce que les entreprises françaises fassent connaître leur point de vue sur ce qui pourrait améliorer la marche des affaires en Azerbaïdjan. J'ai des contacts réguliers avec la présidence, qui est le moteur des réformes. Nos conseillers du commerce extérieur sont en relation avec les chambres de commerce et les entreprises, et nous avons de nombreux échanges avec des autorités azerbaïdjanaises ainsi qu'avec l'ASAN. Ces relations sont très ouvertes car les autorités savent que nous cherchons à les aider et à les encourager.

Les réformes seront laborieuses parce que l'Azerbaïdjan a un héritage soviétique, compliqué par la facilité qui a prévalu au cours des belles années pendant lesquelles la croissance annuelle, fondée sur le commerce des hydrocarbures, était parfois de 30 %. Maintenant s'ouvre une phase difficile. Les premiers pas ont été convaincants : ce fut la réforme des douanes, qui a facilité la vie de nos entreprises. Mais ce n'est qu'un début, et je n'aimerais pas laisser entendre que la situation est subitement passée du noir profond au blanc pur. La procédure d'appel d'offres pour les commandes publiques a également été réformée et une réforme des impôts et taxes est en cours – mais la précédente réforme, laborieuse, est encore inachevée.

Les priorités retenues pour la diversification économique et les avantages afférents devraient être dévoilés en novembre. Des signaux ont déjà été donnés : ainsi, l'agriculture bénéficie de conditions favorables en matière de taxation et de financement. Nous espérons que cette politique se prolongera car les entreprises françaises sont particulièrement bien placées pour en bénéficier. En effet, nos entreprises du secteur de l'énergie sont présentes en Azerbaïdjan, mais aussi des entreprises de secteurs appelés à devenir prioritaires dans la diversification économique à venir, dont nous avons déjà quelque idée. Se trouvent ainsi déjà en Azerbaïdjan des entreprises françaises de transport telles qu'Alstom, Thales et d'autres encore. Or, l'Azerbaïdjan envisage de devenir un hub régional de transport multimodal. Nous avons donc une carte que nous ne manquerons pas de jouer, et nous sommes sûrs d'être au coeur de ce volet de la diversification projetée. De même, des entreprises françaises sont bien placées pour participer au développement d'un secteur agricole et agro-alimentaire encore balbutiant, de l'industrie aéronautique et spatiale et de celle de l'environnement. Ce n'est d'ailleurs pas un mystère, et cela a été mis en valeur, le 13 mai dernier, lors d'une visite particulièrement réussie d'une délégation d'une quarantaine de chefs d'entreprise adhérentes de MEDEF international, qui a notamment été reçue par le président Aliev pour un entretien à bâtons rompus d'une heure et demie. Cette audience témoigne de l'importance qu'accorde la présidence à ce que les technologies françaises, qui jouissent d'un prestige mérité en Azerbaïdjan, peuvent apporter à la diversification économique du pays. Le président Aliev m'a d'ailleurs indiqué qu'« acheter français » est pour lui un gage de réussite.

Pour autant, le contexte, difficile, demeure celui d'un État qui a hérité beaucoup de la bureaucratie de l'ancienne Union soviétique, et les réformes n'en sont qu'à leur début. Quand les entreprises françaises rencontrent des problèmes, elles demandent le concours de l'ambassade. Nous intervenons à haut niveau, et nous sommes entendus.

Un mot sur les hydrocarbures. La France, je vous l'ai dit, est le troisième acheteur de gaz azerbaïdjanais. Les entreprises françaises sont présentes en Azerbaïdjan dans le secteur de l'énergie et elles le resteront. Engie sera l'un des principaux acheteurs du gaz extrait à Shah Deniz 2 – c'est une contribution importante à la viabilité du corridor gazier Sud – et Total devrait assurer la production de gaz du très important champ offshore d'Apchéron. Je rappelle que l'Azerbaïdjan est au 23e rang mondial des pays producteurs de gaz naturel, classés en fonction de leurs réserves.

Nous avons mobilisé l'Agence française de développement (AFD), qui contribue au financement de projets dans le secteur ferroviaire.

Ces relations bilatérales, riches et équilibrées, concernent aussi la culture et l'éducation. Le terreau est exceptionnel. Dès le XIXe siècle, via la Russie et l'Empire ottoman, l'Azerbaïdjan a découvert l'Europe. Tous les intellectuels azerbaïdjanais rêvaient d'aller à Saint-Pétersbourg perfectionner leur connaissance de la langue russe et apprendre le français avant de partir à Paris. La tradition a perduré et elle a été favorisée par le boom pétrolier de la fin du XIXe siècle : les investisseurs étrangers – les frères Nobel, la famille Rothschild – et les magnats azéris, tel Zeynalabdin Taghiev, partageaient la même culture européenne amoureuse des Lumières, culture qui a poussé, à cette époque, à l'ouverture d'écoles de filles sur le modèle français et qui a inspiré la première République azerbaïdjanaise, laquelle a reconnu en 1918 le droit de vote aux femmes. Ce terreau est favorable aux relations culturelles entre l'Azerbaïdjan et la France, et nous menons à ce sujet une politique structurée en trois axes : contribuer à la modernisation et à l'ouverture d'esprit de la société ; partager les valeurs de la République française, qu'énonce sa devise ; entretenir le dialogue avec la société civile azerbaïdjanaise, la jeunesse en particulier, dans un pays où les ONG sont peu développées.

La présence française est marquée par l'Institut français d'Azerbaïdjan, lieu d'apprentissage du français et de débats d'idées avec des personnalités venues de France. Elle l'est aussi par le lycée français de Bakou, qui est une réussite et qui fonctionne en coopération entre la Mission laïque française et la Société pétrolière nationale de la République d'Azerbaïdjan (SOCAR). Elle l'est encore par la nouvelle Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ) que j'ai inaugurée le 15 septembre dernier ; né de la coopération entre le ministère de l'éducation d'Azerbaïdjan et les universités de Strasbourg et de Rennes, l'établissement préparera à des doubles diplômes d'ingénieur. Plus largement, l'Azerbaïdjan prend le système éducatif français comme référence pour la modernisation de son propre système éducatif, à tous les niveaux.

Nous nous attachons à promouvoir l'apprentissage du français. Après le russe et l'anglais, c'est la troisième langue étrangère étudiée en Azerbaïdjan, où l'on compte 43 000 élèves de français. Nous aidons à former des professeurs locaux, à Bakou et en province, et nous avons porté à treize le nombre de bourses accordées à de jeunes Azerbaïdjanais partant faire leurs études supérieures en France, qui s'ajoutent à une dizaine de bourses européennes Erasmus. Nous avons noué une coopération, très appréciée, avec l'Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi pour orienter par ce biais les élèves vers la culture française. Nous utilisons au maximum les financements accordés par l'Union européenne au titre de l'Instrument d'assistance technique et d'échange d'informations (TAIEX, selon l'acronyme anglais), pour promouvoir l'expertise de nos administrations publiques ; c'est très important pour la modernisation de l'État. Dans ce cadre, la France a participé à des travaux sur l'efficacité du système de retraite, participe à l'amélioration du système de protection sociale des personnes handicapées et coopère également avec l'Azerbaïdjan en matière d'épidémiologie vétérinaire. La France est, après l'Allemagne, celui des pays de l'Union qui utilise le plus ces financements européens en Azerbaïdjan.

En conclusion, dans un contexte de crise économique durable génératrice de changement et d'instabilité régionale, notre ambassade s'attache à renforcer la présence française dans des domaines variés et complémentaires afin d'avoir avec ce pays un partenariat équilibré, orienté vers l'avenir. Nous veillons à encourager l'Azerbaïdjan sur le chemin des réformes et à appuyer la volonté d'indépendance et de souveraineté nationale qui se manifeste par une diplomatie équilibrée, multivectorielle, qui fait sa place à l'Union européenne et en particulier à la France.

Quelques précisions maintenant, pour répondre à vos questions, monsieur le président. S'agissant de la concertation entre l'ambassade de France et celles – une bonne vingtaine – des autres États de l'Union européenne en Azerbaïdjan, des réunions ont lieu tous les quinze jours. Les échanges sont ouverts et chaleureux, et l'approche est convergente : chacun dresse un bilan mitigé en matière de droits de l'homme, mêlant des éléments préoccupants et des éléments plus positifs, et souligne une dynamique, notamment européenne, qui va dans le bon sens – mais il faudra être attentif à chacune des étapes. Cela étant, en arrière-plan, la concurrence économique demeure et, en dépit de la crise, l'Azerbaïdjan demeure un pôle d'intérêt pour beaucoup. La concurrence économique est à l'oeuvre avec de très nombreux pays européens – Allemagne, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni plus particulièrement pour le pétrole – mais aussi avec la Corée du Sud et le Japon et, dans une moindre mesure, avec la Chine et les États-Unis. Israël est également un concurrent important. Cette concurrence est un encouragement à renforcer encore le dialogue et la coopération économique entre la France et l'Azerbaïdjan.

Pour ce qui est du référendum du 26 septembre dernier, la Commission de Venise a montré que l'allongement du mandat du président, la création de postes de vice-présidents nommés par lui, la faculté qui lui est donnée de dissoudre le Parlement, ainsi que d'autres dispositions, sont autant de pouvoirs supplémentaires confiés à un président qui en a déjà beaucoup, au détriment d'un Parlement déjà faible. De plus, certains des 29 amendements à la Constitution appellent des éclaircissements. Je les ai demandés aux autorités ; elles ont fait valoir que les dispositions considérées étaient liées à la mise en oeuvre et à l'accélération des réformes. On peut juger cet argument de différentes manières. Une précision cependant : la seule source d'impulsion des réformes est la présidence, et elle rencontre des difficultés dans leur mise en oeuvre car elles froissent certains intérêts.

Le rôle du Parlement dans la mise en oeuvre de la révision constitutionnelle est très limité. Le principe de la hiérarchie des normes n'existant pas tel que nous le connaissons, beaucoup dépendra de l'utilisation qui sera faite, ou qui ne sera pas faite, des dispositions nouvelles. Je note que le président Aliev a déjà indiqué à la presse qu'il n'entendait pas convoquer d'élection présidentielle anticipée, comme il le pourrait. Quant aux dispositions relatives au droit de propriété foncière, elles sont présentées comme indispensables à la réalisation du hub régional de transport multimodal : si l'on veut construire une voie ferrée, il faut une base juridique permettant à l'État d'acquérir des terrains ; or, dans la tradition soviétique, l'acquisition d'un terrain est toujours problématique. Il faudra voir quelle est la pratique, et nous exercerons notre vigilance habituelle.

La population a payé un lourd tribut à la crise économique et les critiques virulentes de la gestion du gouvernement parues dans la presse traduisent les tensions sociales. Apparemment, le message a été entendu puisque, au sein d'un budget dans lequel l'ensemble des recettes et des dépenses est en baisse de 13 %, les dépenses sociales et de santé augmentent de 32 %. Je ne dis pas que cela suffit à régler les difficultés de la société azerbaïdjanaise, notamment celles des classes sociales les moins aisées, mais cela témoigne d'une prise de conscience.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame, pour cet exposé et pour le travail que vous accomplissez à l'ambassade de France à Bakou. Quelle est votre appréciation de la liberté d'opinion, de la liberté de circulation, du respect des droits des opposants au Parlement ? Combien de journaux peuvent réellement s'exprimer ?

Quelle est, d'autre part, l'orientation de l'Azerbaïdjan dans la lutte internationale contre le terrorisme ? Des Azerbaïdjanais ont-ils été recensés comme soutenant Daech ? Quelle est la position officielle des autorités à ce sujet ? Quelle est la part des dépenses militaires dans le budget du pays et quelle est l'évolution de cette ligne budgétaire ? La France a-t-elle une relation économique avec l'Azerbaïdjan en matière d'armement ?

Quelle est la part des initiatives privées, françaises et azéries, en matière culturelle et pour quel montant ?

Enfin, le site Vision azerbaïdjanaise, relatant la remise de vos lettres de créance au président Ilham Aliyev, le 11 novembre 2015, vous fait déclarer que vous appréciez « hautement la stabilité et la tolérance religieuse en Azerbaïdjan, en espérant que celles-ci serviront d'exemple pour les pays européens ». Ce compte rendu transcrit-il fidèlement les propos que vous avez tenus ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame l'ambassadrice, je vous remercie pour cet exposé très complet. Pourriez-vous préciser combien de ressortissants russes, américains et turcs résident en Azerbaïdjan et, pour chaque nationalité, le motif principal de leur présence ? Les Azerbaïdjanais éprouvent-ils un sentiment de proximité culturelle avec les Turcs ? Quel est le poids de l'Iran, où vivent 25 millions d'Azéris ? Quelle est l'influence du chiisme et quel est le poids de la religion dans cet État laïc ? Par ailleurs, les relations israélo-azerbaïdjanaises se résument-elles à la livraison d'équipements de défense par Israël ou vont-elles au-delà ?

Vous avez évoqué l'attraction de l'Occident chez les élites azéries au XIXe siècle, mais qu'en est-il de l'opinion publique aujourd'hui ? L'Azerbaïdjan ayant été l'une des républiques de l'Union soviétique, la population regarde-t-elle davantage vers la Russie ou vers l'Occident ? Plus généralement, quelle est l'image de l'Occident ?

Enfin, s'agissant des droits de l'Homme, êtes-vous beaucoup sollicitée, ès qualités, par les journalistes, les avocats, les défenseurs des droits de l'Homme ? Si tel est le cas, intervenez-vous, et quel écho trouvent vos interventions auprès du président et du gouvernement d'Azerbaïdjan ?

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

J'ai dit, lorsque j'ai été reçue par le président Aliyev, que la tolérance religieuse avait valeur d'exemple « dans la région ». Je suis heureuse que votre question me donne l'occasion de dissiper toute ambiguïté, car il arrive que l'on me prête des propos que, bien entendu, je n'ai jamais tenus.

Les libertés fondamentales existent en principe en Azerbaïdjan. Le problème tient au cadre légal dans lequel elles s'exercent. Ainsi, la liberté de manifestation est prévue dans les textes et, plusieurs fois, en septembre dernier, des manifestants ont demandé l'annulation du referendum et protesté contre la situation sociale. Ces manifestations se sont déroulées sans trop de difficultés, mais elles doivent être autorisées et elles sont confinées loin du centre-ville.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qu'obligation soit faite aux manifestants de se réunir en banlieue ne m'était jamais apparu.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Le cadre légal limite l'exercice des libertés, de manière diverse selon les cas. Ainsi, la presse écrite est étroitement encadrée, mais l'Internet est libre – cela dit, tout dépend de ce que l'on peut écrire sur l'Internet. Il faut prendre en compte le fait que l'Azerbaïdjan est confronté à des menaces fondamentalistes et terroristes, et l'Internet, là comme ailleurs, est un vecteur extrêmement nuisible sur ce plan.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

L'administration azerbaïdjanaise fait de son mieux pour débusquer le wahhabisme et les autres factions dangereuses. Un certain contrôle est nécessaire, qui peut se comprendre ; la question est de savoir jusqu'où ce contrôle peut aller. L'impression d'ensemble est que les libertés existent en théorie mais qu'elles sont contraintes par le cadre légal qui s'est durci depuis quelques années, comme en Russie, au Kazakhstan et ailleurs, après les manifestations de la place Maïdan à Kiev et les Printemps arabes. On le voit, en Azerbaïdjan, avec la loi soumettant le financement des ONG par des fonds étrangers à des conditions si strictes qu'il en devient très difficile. Cela nous choque et nous le disons. On nous répond qu'un financement européen est par définition bienveillant, mais que l'Azerbaïdjan doit pouvoir identifier, contrôler et stopper les financements venant d'Arabie saoudite – et il y en a –, d'Iran et d'autres pays. Nous avons demandé si l'on ne pourrait envisager de distinguer ces financements en fonction de leur origine ; les autorités azerbaïdjanaises n'ont pas trouvé la solution adéquate à ce jour, mais elles y travaillent car elles ont conscience du problème et l'Azerbaïdjan n'a aucune envie de se couper des financements européens potentiels à cause de cette loi. La négociation à venir d'un nouvel accord de partenariat entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan sera un facteur d'accélération de cette prise de conscience, certains pays, dont la France, demandant que la loi sur les ONG soit évoquée dans ce cadre. Même si l'évolution est lente, elle va dans le bon sens.

Le budget consacré à la défense et à l'armement est de ceux qui ont bénéficié d'une hausse ; elle est de 25 %, moindre, donc que celle du budget des dépenses sociales et de santé, qui est de 32 %. Les dépenses de défense représentent 15,3% du total des dépenses du budget (18,49 milliards de manats azerbaïdjanais).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Indépendamment de la hausse en proportion, il est intéressant de savoir quels sont les montants respectivement consacrés à ces budgets.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Je vous les communiquerai. L'Azerbaïdjan souhaite être en position de force pour répondre aux défis sécuritaires qu'elle doit affronter. On pense au Haut-Karabagh, mais le pays s'inquiète de plus en plus de la montée des risques autour de la Caspienne, et il est prêt à dépenser beaucoup d'argent – argent qui n'est pas perdu pour nos amis israéliens et russes – pour assurer la sécurité de ses plateformes pétrolières, lutter contre les trafics d'armes et se prémunir contre la militarisation de la Caspienne. Peut-être y a-t-il aussi le facteur iranien, mais il est difficile de l'affirmer. L'Azerbaïdjan ne veut pas se trouver en position d'infériorité. Outre cela, la crainte de la menace terroriste est réelle, même si, étant donné l'effectivité du contrôle des frontières, l'Azerbaïdjan n'est pas un pays à risque élevé pour l'instant.

En matière de coopération culturelle, les initiatives sont publiques et privées. L'UFAZ est financée par le ministère azerbaïdjanais de l'Éducation – d'ailleurs, le budget consacré à l'éducation est en hausse de 4 % dans un budget globalement en baisse de 13 %. Le lycée français de Bakou, qui compte 132 élèves pour sa troisième rentrée, est financé par la SOCAR, très grande entreprise publique. À mesure que l'effectif des élèves augmentera, le lycée deviendra autonome sur le plan financier. Il y a donc de larges financements publics ou quasi-publics en matière de partenariats éducatifs. En matière culturelle, la Fondation Heydar Aliev a, un temps, joué un rôle actif, contribuant en particulier à l'ouverture du département des arts de l'islam au Musée du Louvre ; c'est moins le cas maintenant, la Fondation semblant désormais privilégier des actions en faveur de l'éducation et l'aide caritative.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Nous n'avons guère de détails sur le budget de la Fondation car nous n'avons pas de coopération directe avec elle.

Les situations des populations russe, turque et américaine diffèrent. La présence des Russes en Azerbaïdjan est ancienne, remontant au XVIIIe siècle et même avant, et des Russes sont restés après l'indépendance tandis que d'autres sont venus ; on estime leur nombre total à 120 000 environ ; avec les Ukrainiens et les Tatars, ils forment une population de presque 200 000 personnes, que l'on trouve en particulier dans les élites intellectuelles et universitaires et dans le monde des affaires. Il y a une familiarité réelle entre eux et les élites azerbaïdjanaises, qui ont souvent suivi des études supérieures à Moscou – le fait d'avoir étudié en Russe leur valant brevet de prestige culturel… et d'européanité. Les Russes sont donc très présents : l'université d'État Lomonossov de Moscou a une antenne à Bakou. Pratiquement tout le monde parle fort bien le russe et ce n'est un secret pour personne que la Russie fournit l'Azerbaïdjan en matériel militaire ; c'est d'ailleurs classique dans les pays de l'ancienne URSS, qui ont hérité de stocks importants de matériel soviétique – et l'on ne change ni de matériel ni de formation du jour au lendemain. Cela n'empêche pas l'Azerbaïdjan d'être membre du partenariat pour la paix de l'OTAN.

Les Turcs ne sont pas très nombreux mais la relation entre les Azerbaïdjanais et eux est forte et instinctive, en premier lieu parce que l'azéri est une langue turcique. Selon un dicton, en Azerbaïdjan, « les élites sont russes, la rue est turque ». Il existe une grande sympathie pour le voisin turc, une confiance profonde qui tranche avec la méfiance persistante à l'égard de la Russie qu'expliquent les massacres commis au cours des temps, le plus récent ayant eu lieu le 20 janvier 1990. Cette confiance historique ne signifie pas que les autorités azerbaïdjanaises approuvent tout ce que font les Turcs ; l'évolution actuelle, moins séculière, de la Turquie suscite des interrogations, mais elles ne sont jamais exprimées publiquement. La Turquie est très présente dans le domaine économique. Sa présence culturelle est si diffuse qu'elle ne s'appuie pas sur une politique d'implantation de réseau.

Après la chute de l'Union soviétique, les États-Unis ont consenti un fort investissement initial en Azerbaïdjan pour contrer ce qu'il y restait de l'URSS et pour sécuriser l'accès des Occidentaux aux ressources pétrolière et gazière. Ils ont jeté les bases du corridor gazier Sud, et veillé à ce que le « contrat du siècle » soit remporté par un consortium largement occidental mené par British Petroleum (BP). Cet intérêt d'ordre géopolitique et énergétique s'est ensuite amoindri – mais cette appréciation doit être tempérée par le fait que les États-Unis co-président, avec la Russie et la France, le groupe de Minsk et se tiennent donc informés par ce biais de l'évolution du pays. Ce désengagement relatif s'est infléchi il y a plusieurs mois : les États-Unis redécouvrent en quelque sorte l'importance de l'Azerbaïdjan, d'abord pour des raisons énergétiques. On est au coeur de la politique de diversification des routes énergétiques, en particulier celles qui tendent à contourner la Russie ; tel est le cas du corridor gazier Sud dans son nouveau tracé, et l'Envoyé spécial des Etats-Unis pour l'Energie a assisté au conseil ministériel relatif au corridor gazier Sud qui a entériné les deux segments – le TANAP (gazoduc transanatolien) et le TAP (gazoduc transadriatique) – et les financements gigantesques que demande l'achèvement de ce projet. Les États-Unis sont aussi conscients de l'importance stratégique de l'Azerbaïdjan, pays de transit réel ou potentiel, dans la lutte contre le terrorisme dans la Caspienne. Les Américains sont relativement nombreux en Azerbaïdjan, mais moins qu'autrefois car ils étaient présents par le biais d'ONG qui pour certaines ont dû plier bagage. Ils gardent toutefois une forte influence, et la visite du président Aliev au président Obama lors du 4e sommet sur la sécurité nucléaire, fin mars dernier, a été un élément positif, comme l'a été la visite de Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Les rapports entre l'Azerbaïdjan et l'Iran sont complexes. La relation entre les deux pays est très ancienne. De nombreuses provinces azéries ont fait partie de la Perse, la frontière entre les deux pays a bougé, comme l'illustre l'exemple de la ville de Tabriz, et au moins 25 millions de personnes de souche azérie vivent en Iran, où cette minorité joue un rôle réel mais non décisif. Le président Aliev privilégie une stratégie pragmatique que je pense avisée : mettant à profit le caractère réformiste de M. Hassan Rohani, président de la République islamique d'Iran, il a noué des contacts avec l'Iran il y a quelques années, alors que ce pays espérait la levée des sanctions internationales, et a fait savoir que l'Azerbaïdjan était prêt à contribuer à la reprise de l'économie iranienne et à la modernisation des infrastructures. Une dizaine d'accords de coopération technique ont été signés dans ce cadre ; c'est aussi une manière pour l'Azerbaïdjan de garder un oeil sur les projets iraniens, qu'il s'agisse de l'extraction pétrolière et gazière ou de circuits d'évacuation du gaz, puisqu'il y a en ce domaine un potentiel iranien et peut-être aussi irano-turkmène. Ces accords permettent à l'Azerbaïdjan de nouer une relation lui donnant un bon angle de vue, sachant que la situation économique de l'Iran est telle que l'Azerbaïdjan ne craint pas sa concurrence dans le secteur des hydrocarbures avant bon nombre d'années. Le président Aliev a aussi réussi un coup de maître en créant le format trilatéral russo-azerbaïdjano-iranien concrétisé par les réunions ministérielles, des coopérations techniques et, surtout, un sommet au début du mois d'août à Bakou qui a fait couler beaucoup d'encre. Je ne suis pas certaine que la Turquie ait été particulièrement enthousiaste, mais l'Azerbaïdjan était peut-être heureux de s'affirmer.

Entre l'Azerbaïdjan et Israël existe une relation de confiance solide depuis quelques années déjà. Israël est très présent et les relations sont excellentes, y compris avec des membres du gouvernement israélien.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Oui, mais pas seulement : les Israéliens ont, par exemple, une expérience appréciée de l'agriculture en milieu aride. Pour ce qui est des matériels militaires, Azad Systems, co-entreprise israélo-azerbaïdjanaise, a été créée pour produire des drones. Le matériel de défense israélien a une réputation très établie, et Israël ne s'impose pas obligatoirement les limitations que s'imposent les pays membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Les relations de l'Azerbaïdjan avec l'Occident sont ambiguës. L'Occident suscite une réelle fascination, les jeunes rêvent d'aller y étudier, et tout ce qui est européen, singulièrement français, jouit d'un prestige considérable. D'autre part, une frustration s'exprime dans la presse, en substance comme il suit : « Nous vous aimons mais vous nous aimez beaucoup moins et ne nous comprenez pas ». La différence entre une critique constructive et une critique qui ne l'est pas n'est pas toujours perçue. De plus, toute laïque que soit la société azerbaïdjanaise, elle reste patriarcale et assez traditionnelle, et certaines moeurs européennes sont mal comprises.

En matière de droits de l'Homme, la France veille à réagir comme je l'ai décrit, par des critiques ou par des encouragements selon que les choses sont négatives ou positives. Mon adjointe et moi-même avons des contacts réguliers avec les défenseurs des droits de l'Homme et les partis d'opposition. Nous recevons les avocats des personnes emprisonnées, et nous sommes également en contact avec les ONG. Nos interventions ont des échos variés. Il faut parfois des efforts prolongés pour obtenir un résultat, mais je vous ai parlé de cas précis pour lesquels nos interventions ont abouti. Il convient de poursuivre cette action avec ténacité, en portant une attention particulière aux cas qui ont fait l'objet de jugements de la Cour européenne des droits de l'Homme, non pour chapitrer nos interlocuteurs mais parce que quand un État prend des engagements, on s'attend qu'il s'y conforme et qu'il applique les décisions de la Cour. Nous nous devons d'avoir des contacts avec tout le spectre de la société azerbaïdjanaise, et les autorités savent très bien que nous rencontrons des personnalités de l'opposition et de la société civile.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'intéresse à l'Azerbaïdjan dans le cadre de l'OSCE et en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Azerbaïdjan de l'Assemblée nationale. À ce sujet, je déplore, comme mon homologue du Sénat, l'absence de contacts avec nos collègues azéris. J'ai tenté d'organiser une mission, mais ce projet a été contrarié par les contraintes budgétaires et j'ai invité, en vain, une délégation parlementaire par le truchement de l'ambassadeur d'Azerbaïdjan en France. Pouvez-vous intervenir pour que les relations entre nos Parlements s'approfondissent ?

Comme vous le savez puisque vous nous avez aimablement reçus, j'ai participé aux équipes chargées d'observer le déroulement du référendum sur les amendements à la Constitution. Les conclusions de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur l'organisation du scrutin montrait que l'on allait dans le bon sens au regard de ce que nous avons observé au cours d'autres missions.

Ma dernière question, incidente, s'adresse au président de notre mission. Nous devions entendre M. Pierre Andrieu en sa qualité de co-président du Groupe de Minsk, mais l'on apprend qu'il a été remplacé dans cette fonction ; son audition sera-t-elle maintenue ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous, j'ai appris cette nouvelle aujourd'hui. L'audition est maintenue, à une date qui sera précisée ultérieurement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment ont évolué les relations politiques entre l'Azerbaïdjan et la Russie après que celle-ci a annexé la Crimée ?

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Je ferai le maximum pour encourager les contacts interparlementaires et en particulier toute invitation de la partie française.

L'Azerbaïdjan, lors du vote au Nations unies au sujet de la Crimée, a pris une position reflétant son attachement au principe du respect de l'intégrité territoriale ; mais si les autorités se sont montrées critiques, elles n'ont pas été particulièrement virulentes, par la suite, à l'égard de la Russie. Le sujet, délicat pour les deux pays, n'est évoqué qu'accessoirement. Toutefois, cet épisode a provoqué un dommage collatéral en ravivant le sentiment qu'une politique de « deux poids, deux mesures » s'exerce aux dépens de l'Azerbaïdjan. « Qu'en est-il de l'application du droit international pour nous ? » nous ont dit les autorités, constatant la vigoureuse réaction de l'Union européenne envers la Russie après l'épisode de la Crimée. Cela a renforcé les critiques à l'encontre du Groupe de Minsk.

L'Azerbaïdjan n'a pas voulu que ces événements obscurcissent ses relations avec la Russie, qui sont bonnes. La Russie est le premier partenaire économique de l'Azerbaïdjan – le deuxième étant la Turquie – et les intérêts communs sont trop nombreux pour qu'ils soient remis en cause. Les relations entre le président Aliev et le président Poutine sont, semble-t-il, assez bonnes, et la proximité culturelle des élites est celle que j'ai décrite. On se méfie des Russes en Azerbaïdjan mais on sait comment travailler avec eux. Enfin, l'Azerbaïdjan tient à maintenir de bonnes relations avec la Russie pour s'assurer une partie de ses faveurs dans le dialogue politique sur le Haut-Karabagh. Ces différents éléments font que la relation avec Moscou reste aussi importante qu'elle l'était avant l'épisode de la Crimée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai appartenu au corps diplomatique, où il se dit parfois que nos chefs de poste sont victimes d'une sorte de « syndrome de Stockholm », avec une tendance à se faire les défenseurs auprès de Paris du pays dont ils sont les hôtes plutôt que de la position française dans leur capitale de résidence… Votre brillant exposé, madame l'ambassadeur, a présenté des éléments favorables à l'Azerbaïdjan ; quels sont les éventuels petits points noirs ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes félicitations vont à Mme l'ambassadrice pour la clarté et l'exhaustivité de son propos – ce à quoi on pouvait s'attendre de la part d'une diplomate qui, pour avoir précédemment dirigé la délégation de l'Union européenne à Astana, connaît bien la région. Le groupe de l'Union des démocrates et indépendants vous aurait-il entendue avant de réclamer la création de cette mission d'information qu'il ne l'aurait certainement pas demandée – mais cela nous aurait privé du plaisir de vous entendre, madame.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout au contraire. Je suis très heureux d'avoir entendu Mme l'ambassadrice, que je félicite pour le travail qu'elle accomplit au nom de la France, mais je juge cette mission d'information plus que jamais nécessaire. Il est dommage, monsieur Mancel, que vous n'ayez pas fait la même observation après avoir entendu M. Jean-Pierre Lacroix, qui a exprimé un autre point de vue.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Le risque d'être victime du « syndrome de Stockholm »est toujours possible… Il l'est d'autant plus que les ambassadeurs de France sont très bien accueillis en Azerbaïdjan. Pour autant, dès le début, on perçoit les lacunes et les faiblesses du pays, et j'ai le sentiment d'avoir signalé les principales. Mais un ambassadeur doit agir et, de manière déterminée, nous aidons nos amis à combler les manques et à aller dans le bon sens. J'ai mentionné les points noirs et pour commencer, bien entendu, la situation de l'État de droit. J'ai signalé que les libertés fondamentales existent mais qu'elles s'exercent dans un cadre légal qui les restreint à l'excès. Cela peut s'expliquer par les raisons que j'ai dites ; pour autant, cela ne doit pas conduire à abandonner la lutte visant à ce que les libertés fondamentales s'exercent conformément aux engagements pris auprès de l'Union européenne et de l'OSCE. Un chemin s'est ouvert avec la reprise du dialogue avec le Parlement européen en dépit de sa déclaration très raide de novembre 2015. Notre rôle est d'orienter dans la bonne direction tout en dénonçant les manques connus, comme le fait l'Organisation des Nations unies (ONU). J'ai reçu M. Michel Forst, rapporteur spécial de la Commission des droits de l'Homme de l'ONU sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme ; nous étions sur la même longueur d'onde et il a fait état devant moi de la défense des familles de détenus, question importante sur laquelle, grâce à lui, nous avons mis l'accent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sans parler de l'état de santé des prisonniers. On a vu quel était celui de M. et Mme Yunus quand ils ont été libérés.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

J'ai en effet constaté, au fil des visites que je leur ai rendues, combien ils s'affaiblissaient.

Une partie du travail de l'ambassade consiste à venir en aide aux entreprises françaises en proie aux maux habituels que sont le manque de transparence, l'annihilation de la concurrence par des monopoles, des retards de paiement et des remises en cause de contrats ; tous ces éléments leur compliquent singulièrement la vie, et le mot est faible. Je suis intervenue deux fois au plus haut niveau de l'État et nous avons été entendus, mais il faut pour cela, si j'ose dire, mobiliser la « grosse artillerie », c'est-à-dire insister sur la perte de crédibilité de l'Azerbaïdjan auprès des investisseurs étrangers quand de tels épisodes se produisent. Ces difficultés peuvent s'expliquer par la crise budgétaire, par une bureaucratie excessive et par mille autres choses, mais ce n'est pas parce que l'on comprend que l'on accepte. Le rôle d'un ambassadeur est de donner à comprendre, mais cela ne nous empêche pas d'agir fermement. C'est aussi pourquoi je soutiens les réformes en cours ou à venir, qui devront mettre fin à ces situations – mais nous n'y sommes pas encore.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout de même ! L'équilibre des pouvoirs est inexistant, l'exercice du pouvoir est dominé par l'Exécutif incarné par son président et le pouvoir du Parlement est extraordinairement limité.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Il n'y en a plus véritablement.Il y a des indépendants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'essentiel est d'avoir un bon président : c'est le cas en Azerbaïdjan, pas en France…

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Les pouvoirs du Parlement ont encore été affaiblis par la révision constitutionnelle, mais le Parlement, peut-être parce qu'il est faible, n'est pas un organe où l'opposition a sa place : il n'y a plus de vrais partis d'opposition depuis que les manifestations de la place Maïdan ont provoqué une crispation progressive. Dans ce contexte, l'investiture du gouvernement par le Parlement ne signifie pas grand-chose. Rappelons-nous que l'Azerbaïdjan est influencé par le formalisme soviétique. Le Parlement ne peut peser que sur la base d'élections vraiment libres, sans quoi l'on est dans un théâtre d'ombres. Or le BIDDH a vivement critiqué le déroulement des avant-dernières élections législatives, et il n'a pas envoyé d'observateurs lors des dernières élections. Nous sommes dans un cadre très contraint. Le président Aliev joue un rôle clef dans la réforme. Cela ne dispense évidemment pas de faire fonctionner les institutions de manière démocratique, mais les choses seront lentes et il existe aussi une crainte sécuritaire croissante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, les membres de la délégation d'Azerbaïdjan se répartissent entre les différents groupes politiques alors qu'ils appartiennent tous au même parti !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lors des élections de 2013, le BIDDH, qui avait accompli une mission de longue durée, a exprimé des réserves sur ce qui s'est passé avant et après les élections. Mais l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et l'Union européenne, ainsi que les observateurs de l'OSCE présents pour la mission de courte durée dont j'étais le coordonnateur ont conclu que les élections s'étaient déroulées normalement. Le BIDDH n'est pas toujours objectif ; c'est un organisme politique aux mains de certains, et il rend des conclusions orientées, différentes de celles du Conseil de l'Europe.

Permalien
Aurélia Bouchez, ambassadeur de France en Azerbaïdjan

Au nombre des faiblesses de l'Azerbaïdjan, je mentionnerai la critique régulière du Groupe de Minsk. Je défends constamment, au plus haut niveau de l'État et devant les journalistes, ce que nous faisons dans ce cadre, et rappelle la nécessité absolue d'une solution pacifique. Le fait de ne pas toujours prendre toutes ses responsabilités, des deux côtés, et d'en imputer les conséquences aux co-présidents est dommageable et nous ne pouvons le tolérer.

Enfin, la lutte contre le terrorisme est une priorité pour l'Azerbaïdjan qui craint la radicalisation et le retour de combattants. Les autorités reconnaissent le départ de 500, peut-être 600, de leurs ressortissants vers le théâtre syrien. Aux frontières, sont contrôlés qui part et surtout qui revient ; ceux qui rentrent de Syrie sont interpellés, fichés, et emprisonnés quand la preuve est apportée qu'ils ont commis des actes de barbarie. Les Azerbaïdjanais partis en Syrie grossissent le bataillon des russophones de Daech venus du territoire de l'ancienne URSS. L'Azerbaïdjan a institué une formation des imams et la surveillance de la teneur des prêches, à Bakou et en province ; la formation des imams à l'étranger ou grâce à des financements de sources étrangères est désormais interdite. La majorité du pays est chiite, mais une bonne proportion des habitants est sunnite. Les recrutements peuvent se faire dans la sphère wahhabite mais aussi du côté chiite. L'Azerbaïdjan veut se tenir le plus éloigné possible du conflit syrien dont il craint les effets collatéraux.

La séance est levée à seize heures.