La réunion

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Présidence de M. François Rochebloine, président

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Chers collègues, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à notre collègue Pierre-Yves Le Borgn'. C'est en sa qualité de rapporteur de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) sur la mise en oeuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) que nous l'entendons aujourd'hui.

Sa venue me permet de rappeler que la CEDH fait partie des institutions dont les pays démocratiques européens ont souhaité la création sous l'égide du Conseil de l'Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L'évaluation de l'exécution de ses arrêts par les États membres est un critère précieux pour mesurer la capacité de chaque État à faire sien le projet politique du Conseil de l'Europe, assis sur les droits de l'Homme et les libertés fondamentales. Cette remarque générale s'applique bien entendu à l'Azerbaïdjan.

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Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux de pouvoir intervenir ce matin devant vous au sujet de la mise en oeuvre des arrêts de la CEDH par l'Azerbaïdjan. Il me paraît bon que ceux d'entre nous qui siégeons à l'APCE puissent être auditionnés. De session en session, nous accumulons à Strasbourg une connaissance à propos de divers pays et de matières complexes que nous ne partageons pas suffisamment.

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Pour m'adresser à vous, je me permettrai d'employer un langage direct, à la fois parce que j'estime qu'il faut dire les choses telles qu'elles sont et parce que je considère que cela favorise les échanges.

Depuis quinze ans que l'Azerbaïdjan est devenu le quarante-troisième État membre du Conseil de l'Europe, on constate une dégradation marquée de la liberté d'expression, de la liberté de réunion et de la liberté d'association dans ce pays. Pour dire les choses clairement, telles que je les ressens, de manière nécessairement subjective, l'Azerbaïdjan n'est pas une démocratie. Il est légitime même de s'interroger sur le bien-fondé de sa présence comme État membre au sein d'une organisation, le Conseil de l'Europe, dont la vocation est d'être la maison européenne du droit. De la lecture de nombreux rapports consacrés à ce pays, rédigés par des collègues appartenant à l'ensemble des groupes parlementaires – Parti populaire européen, groupe socialiste, Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe – se dégage un même constat : l'État de droit non seulement n'y a pas progressé, mais il a reculé. Je ne suis pas certain que si l'Azerbaïdjan redéposait une demande d'adhésion au Conseil de l'Europe aujourd'hui, celle-ci serait acceptée. Je suis même convaincu du contraire.

Quelle est la difficulté au coeur de ces dérives ? Sans doute la volonté du régime du président Aliev de réduire au silence tous, je dis bien tous, les défenseurs des droits de l'Homme en Azerbaïdjan, lesquels se trouvent aujourd'hui ou bien en prison, ou bien à l'hôpital, ou bien en exil. De ce fait, il devient impossible pour le Conseil de l'Europe, notamment pour son assemblée parlementaire, pour le Commissaire aux droits de l'Homme, pour la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, de travailler efficacement sur la question des droits et libertés en Azerbaïdjan afin de permettre aux citoyens de ce pays de bénéficier de progrès.

J'énumérerai plusieurs types de dérives.

Le premier type se rapporte aux poursuites pénales pour divers motifs, la plupart du temps très fantaisistes, exercées à l'encontre de personnes critiques du régime : opposants politiques, journalistes, blogueurs, militants des droits de l'Homme. Tous ceux qui coopèrent avec les organisations internationales pour dénoncer les violations des droits de l'Homme font l'objet de harcèlement judiciaire et de représailles systématiques. Il est très fréquent, voire quasi-systématique, que des personnes portant témoignage de la situation de la démocratie en Azerbaïdjan devant des instances internationales se retrouvent confrontées à la police de retour chez elles. Je me souviens du cas douloureux d'une très jeune femme azerbaïdjanaise qui, après être venue courageusement parler devant la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme à Madrid, à la fin du mois d'octobre 2014, a découvert à son retour à Bakou que son appartement avait été mis à sac en présence de son petit garçon de sept ans. Ce harcèlement judiciaire et ces représailles systématiques marquent immensément les relations entre les défenseurs des droits de l'Homme et les autorités azéries – et de fait, indirectement, celles qu'ils entretiennent avec les membres de l'APCE. Cela se traduit encore par des détentions préventives illimitées, sans passage devant le juge, sous divers motifs, le plus souvent fantaisistes. Autant de pratiques qui font l'objet de nombreux arrêts de la CEDH.

Le deuxième type de dérives est la pénalisation de la diffamation et la condamnation au paiement d'indemnités disproportionnées dans le cadre de procédures civiles. L'Azerbaïdjan sur ce point ignore systématiquement les recommandations du Conseil de l'Europe, qu'elles émanent du comité des ministres, de l'Assemblée parlementaire ou de la Commission de Venise, tout comme la jurisprudence de la CEDH. La pénalisation de la diffamation est le meilleur moyen de réduire les journalistes au silence : pour celui qui a voulu exprimer des opinions libres, elle est synonyme d'emprisonnement et de ruine financière. Elle entraîne l'autocensure, par peur pour soi et par peur pour les siens. Le débat est monocolore et sans aspérité, si bien que les enjeux politiques ne sont jamais mis en lumière. En cela, l'Azerbaïdjan n'est malheureusement pas un exemple unique. L'utilisation par un régime autoritaire de la pénalisation est un moyen d'éviter l'expression de toute voix critique dans le débat public, de telle sorte que les enjeux ne sont jamais présentés ni même pressentis.

Troisième type de dérives : les restrictions imposées aux activités des organisations non gouvernementales (ONG) depuis une loi de 2014, adoptée sans tenir compte des critiques et des recommandations que la Commission de Venise a formulées en 2011 et 2013. Nombre d'ONG, se heurtant à la complexité des exigences en matière d'enregistrement – refus non motivés, traitement très long des demandes –, se retrouvent de facto à fonctionner en marge de la loi ; dès lors, elles sont immédiatement poursuivies pour évasion fiscale et autres activités illicites. Les ONG internationales sont en outre soumises à l'obligation d'obtenir un accord préalable du ministre de la justice en personne, après avoir démontré qu'elles respectent les « valeurs morales nationales » et ne sont pas impliquées dans une « propagande politique ou religieuse ». Jamais l'une ou l'autre de ces conditions n'ayant été précisément définie, il suffit d'invoquer ces termes très vagues pour interdire à ces organisations d'opérer. Cela est d'autant plus facile aux autorités azerbaïdjanaises qu'il est interdit de percevoir des fonds étrangers supérieurs à 185 euros sans accord préalable du ministre de la justice… Les comptes bancaires de nombreuses ONG – l'Association azerbaïdjanaise des avocats, l'Institut pour la liberté et la sécurité des reporters, Transparency International ou Oxfam – ont ainsi été gelés.

Quatrième type de dérives : l'usage excessif de la force contre des manifestations pacifiques. Beaucoup d'arrêts de la CEDH portent sur l'arrestation de participants, placés en détention administrative pour une durée longue et condamnés ensuite à de lourdes amendes.

Cinquième type de dérives : la violation du droit de propriété par la démolition d'habitations sans droit de recours effectif. Les spoliations ont été monnaie courante ces dernières années.

J'en termine par l'une des plus importantes dérives, la fraude électorale, sur laquelle porte depuis plus de dix ans un nombre important d'arrêts de la CEDH : ces cas vont d'irrégularités dans le processus électoral à l'invalidation arbitraire des résultats des opposants, en passant par l'absence d'examen des plaintes déposées. On note dans les commissions électorales mises en place lors de chaque élection une présence massive de représentants du parti au pouvoir, de sorte que le contradictoire ne s'exerce pas vraiment. Je voudrais citer ici le cas symbolique d'Anar Mammadli, militant des droits de l'Homme, qui a été directeur d'une organisation reconnue de surveillance électorale. Son engagement en faveur d'élections libres et ses critiques à l'encontre des fraudes dans son pays lui ont valu cinq ans d'emprisonnement. Il se trouvait déjà en prison au moment où l'APCE lui a décerné le prix Václav Havel en 2014. Citons encore Ilgar Mammadov, opposant politique au régime du président Aliev, qui a été arrêté peu de temps avant les élections et condamné à sept ans de prison pour troubles à l'ordre public. Cette situation est tellement insupportable que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a décidé de retirer sa mission de surveillance des élections.

Je tiens à souligner que le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Nils Muižnieks, a fait usage dans le cas de l'Azerbaïdjan de la possibilité d'intervenir en qualité de tierce partie devant la CEDH. La convention l'y autorise mais c'est en vérité une procédure d'ordinaire assez peu fréquente. Il y a eu recours cinq fois en 2015 et une fois en 2016. Ces interventions ne contiennent aucun commentaire sur les faits ou la substance de la requête, mais visent à fournir à la CEDH des informations objectives et impartiales sur les éléments d'inquiétude concernant le respect des droits de l'Homme. En 2015, elles ont concerné Hilal Mammadov, Intigam Aliyev, condamné à sept ans et demi de prison, Rasul Jafarov, condamné à six ans et trois mois, Anar Mammadli, Leyla et Arif Yunus, condamnés respectivement à huit ans et demi et sept ans de prison, avant d'être assignés à résidence pour raisons médicales puis expulsés de leur pays. Ils vivent aujourd'hui en exil aux Pays-Bas. Je vous parle d'eux en particulier car la France a su les reconnaître : Leyla Yunus a été faite chevalier de la Légion d'honneur. À l'occasion d'une session de l'APCE à Strasbourg, j'ai pu rencontrer leur fille unique, une jeune femme d'une vingtaine d'années qui se bat toute seule pour ses parents, déjà malades au moment de leur arrestation et davantage encore après leur séjour en prison. Quand on recueille un tel témoignage, on prend très concrètement la mesure des violations des droits et libertés dont se rend coupable l'Azerbaïdjan.

Nous nous trouvons face à l'impossibilité de travailler avec ce pays. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe, Thorbjørn Jagland, a décidé, il y a quelques mois, de retirer son représentant du groupe de travail sur les droits de l'Homme, mis en place dans l'espoir justement de renouer le dialogue et de progresser.

Je terminerai en évoquant le suivi par le comité des ministres des arrêts de la CEDH. Hier, 2 novembre 2016, on recensait 164 affaires concernant l'Azerbaïdjan. Elles renvoient essentiellement à l'application arbitraire du droit pénal dans le but de limiter la liberté d'expression : affaire Mahmudov et Agadze, Ilgar Mammadov, Rasul Jafarov. Les recommandations – car le Conseil de l'Europe ne se contente pas de dénoncer, il entend aussi indiquer les voies d'amélioration – portent sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et des procureurs. Ces réformes nécessaires, réclamées par le Conseil de l'Europe – comité des ministres, assemblée parlementaire, commission de Venise – et la CEDH, sont rejetées par le régime du président Aliev. Le seul léger progrès à noter concerne le moratoire sur les peines longues pour diffamation : il semble que, sur ce point, les choses évoluent dans un sens moins défavorable.

Le comité des ministres a demandé de manière réitérée la libération immédiate d'Ilgar Mammadov et a appelé l'attention sur la situation de l'ancien ministre de la santé Ali Insanov, condamné à onze ans de prison sous divers motifs pour le moins fantaisistes et contre qui de nouvelles charges ont été invoquées à neuf jours de sa libération, ce qui l'a immédiatement reconduit en détention préventive…

Le comité des ministres pointe également l'impossibilité pour les personnes déplacées durant le conflit au Haut-Karabakh de retrouver leurs maisons et leurs biens. Elles ne disposent d'aucun moyen effectif leur permettant de faire valoir leurs droits.

Enfin, il souligne l'arbitraire dans le contrôle de la régularité des élections.

Tel est le tableau sombre et même désespérant que je viens de dresser devant vous, mes chers collègues ; pareille situation devrait, me semble-t-il, susciter une réprobation unanime du monde parlementaire.

Les droits de l'Homme supposent un long combat auquel il ne faut pas renoncer. Et un événement récent devrait nous inciter à un peu d'optimisme : l'APCE a élu comme juge azerbaïdjanais à la CEDH une personne qui m'a paru très estimable, ancien représentant dans son pays du Comité de prévention contre la torture. Mais elle avait auparavant rejeté trois listes de candidats azerbaïdjanais, dont l'une comprenait l'agent du gouvernement azerbaïdjanais auprès de cette institution… C'est dire si le chemin est long.

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Je vous remercie, cher collègue, pour le travail que vous effectuez à l'APCE. Vous avez aussi raison de rappeler que l'Azerbaïdjan n'est pas le seul pays dans ce cas : il y en a d'autres.

Comme vous l'avez rappelé, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, M. Nils Muižnieks, est intervenu en qualité de tierce personne dans plusieurs affaires concernant l'Azerbaïdjan – cinq en 2015 et une en 2016. Il a écrit un article intitulé « Azerbaïdjan : une zone de ténèbres » où l'on peut lire : « La seule chance qu'a l'Azerbaïdjan de renverser son isolement international croissant est de montrer son respect des valeurs démocratiques et d'effacer les procédures pénales diligentées contre tous les défenseurs des droits de l'Homme, les journalistes et autres personnes emprisonnées en raison de leur action ou parce qu'elles s'opposent au pouvoir établi ».

Quelle est votre appréciation sur les probabilités de réalisation de ce souhait ?

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Je vous remercie, mon cher collègue, pour la clarté de votre exposé.

Ma première question concernait les différentes péripéties qui ont accompagné l'élection du juge azerbaïdjanais à la CEDH mais vous y avez déjà répondu.

J'aimerais en savoir plus sur la coordination entre les diverses institutions chargées des droits de l'Homme, Conseil de l'Europe, Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme, Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'OSCE et représentant de l'OSCE pour la liberté des médias. Existe-t-il des réunions de coordination ? Si oui, selon quelle fréquence ? À quel type de rapport ou de démarche aboutissent-elles ?

Ma deuxième question porte sur la méthodologie. Vous travaillez selon une démarche d'évaluation par les pairs, dont l'efficacité, reconnue dans de nombreux domaines, est moindre pour ce qui concerne les droits de l'Homme. Comment l'expliquez-vous ?

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Monsieur le président, je partage les conclusions de Nils Muižnieks sur la « zone de ténèbres » qu'est devenu l'Azerbaïdjan en matière de droits de l'Homme. Sans doute le commissaire aux droits de l'Homme est-il la personne la plus habilitée pour établir ce constat puisqu'il travaille avec les défenseurs des droits au sens large, militants des droits de l'Homme, dirigeants d'ONG ou d'associations. Il a abouti au constat que tous ses interlocuteurs avaient fini par disparaître : ils sont soit emprisonnés, soit hospitalisés, soit poussés à s'exiler. Lors de son dernier séjour en Azerbaïdjan, il a dû passer un temps infini à se déplacer d'une prison ou d'un hôpital à l'autre pour rendre visite à ceux qu'il rencontrait une année auparavant dans leurs bureaux à Bakou. C'est là un signe qui ne trompe pas.

Dans quelle mesure l'appel adressé par le commissaire aux droits de l'Homme aux autorités azerbaïdjanaises pour leur demander d'effacer les procédures pénales contre les militants des droits de l'Homme sera-t-il entendu ? Hormis le moratoire sur les peines longues en matière de diffamation, je ne vois malheureusement aucun signe tangible qui nous permettrait d'espérer un avenir meilleur, au moins dans un très court terme. C'est le rôle des assemblées parlementaires, et a fortiori du Conseil de l'Europe, organisation paneuropéenne du droit et des droits, de son Assemblée parlementaire et du commissaire aux droits de l'Homme d'exercer toujours plus de pression. L'évaluation par les pairs, l'opprobre international sont bien souvent des forces irrésistibles. Il n'est toutefois pas simple de parvenir à faire passer ces messages lorsque le pays en question dispose d'atouts économiques et représente un marché important pour un certain nombre de nos pays.

Entre nous, je peux vous dire que j'étais intervenu auprès du Président de la République au nom de Leyla Yunus avant qu'il ne se rende à Bakou en lui révélant ce que j'avais pu apprendre de la conversation avec sa fille et en lui rappelant comme la République française avait su honorer cette femme. Je veux imaginer que le fait que Leyla Yunus et son mari aient été libérés – certes pour être assignés à résidence puis expulsés, sans être réhabilités, mais au moins cela leur a-t-il permis de bénéficier de soins médicaux qu'ils ne recevaient pas – est peut-être la conséquence de ce genre de démarche mais je n'en suis pas absolument certain.

Pour revenir à l'élection du juge azerbaïdjanais, monsieur le rapporteur, je dois vous préciser que je n'ai assisté qu'à une partie des débats car la commission de sélection des juges à la CEDH dans sa configuration actuelle a été mise en place il y a deux ans alors que la procédure de sélection avait déjà commencé. Trois candidatures sont soumises aux membres de la commission de sélection qui établit ensuite un ordre de préférence en vue du vote de l'APCE. Il nous arrive de rejeter des listes lorsque nous nous apercevons que les candidats ne sont pas au niveau…

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…ou bien qu'ils ne sont pas de même stature, quand par exemple un État joue à envoyer un bon candidat entouré de deux candidats dont on sent qu'ils ne sont que des alibis. Pour la dernière liste azerbaïdjanaise que nous avons rejetée, c'était clairement le cas. Elle comprenait deux candidats qui n'étaient absolument pas en situation de siéger à la CEDH pour diverses raisons – méconnaissance du droit, méconnaissance de la jurisprudence, absence de pratique de l'anglais et davantage encore du français – et un troisième, très prolixe, agent de l'Azerbaïdjan depuis longtemps actif auprès de la CEDH, que le gouvernement de son pays, par un procédé très peu subtil, voulait placer au sein de la Cour. Nous avons choisi de rejeter cette liste à l'unanimité, estimant que de telles choses ne se faisaient pas. Au demeurant, si l'agent d'un pays auprès de la Cour devient juge – ce qui est possible car il n'y a pas d'incompatibilité –, il doit se déporter de tous les arrêts pour lesquels il est intervenu. Compte tenu du nombre de sujets qui concernent l'Azerbaïdjan, cela aurait fait beaucoup d'affaires pour lesquelles le juge n'aurait pas pu siéger…

Monsieur le rapporteur, vous m'avez également interrogé sur la coordination des organisations internationales en matière de droits de l'Homme. Elle existe, davantage de manière informelle que formelle, à l'échelle de la direction de chacune des organisations concernées. Pour l'APCE, elle se fait moins sentir. Il est possible que Pedro Agramunt qui, avant d'être élu président de l'APCE, était le rapporteur pour le « monitoring » sur l'Azerbaïdjan, ait eu des échanges avec l'OSCE. En tant que rapporteur pour l'exécution des arrêts de la CEDH, je dois dire que je n'entretiens pas ce type d'échanges, sans doute parce que je suis en quelque sorte dans un silo puisque je ne m'occupe que des arrêts de la Cour, même si j'essaie de me documenter par la lecture des rapports réguliers du commissaire aux droits de l'Homme ou par des échanges avec le cabinet de M. Jagland.

Il est vrai que l'évaluation par les pairs est difficile en matière de droits de l'Homme. Toutefois, je ne vois pas quelle démarche pourrait être meilleure. Je ferai une comparaison avec l'Accord de Paris sur le climat dont le caractère contraignant a fait l'objet de nombreux débats – la vérité étant qu'il n'est pas aussi contraignant qu'on a pu le dire. Un examen transparent relevant de la sphère publique internationale vaut parfois mieux que certaines condamnations en cours.

Je ne suis membre de l'APCE que depuis quatre ans et j'ai senti dans notre hémicycle une prise de conscience croissante sur l'Azerbaïdjan, ce qui est un encouragement. Et c'est ce côté positif que je veux regarder, plutôt que de ne prendre en compte que le fait que les choses patinent un peu pour l'exécution des arrêts de la Cour.

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Avant d'en venir à me deux questions, je voudrais faire une remarque d'ordre général, tirée de mon expérience limitée des missions d'observation électorale. J'ai participé à deux missions de ce type : l'une en Azerbaïdjan – à laquelle participait aussi Michel Voisin – pour le Conseil de l'Europe ; l'autre lors d'élections législatives au Burkina Faso, dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de la francophonie.

Je n'accepterai plus aucune mission de ce genre. Pourquoi ? Arrivés la veille des élections, les nombreux observateurs – qui n'étaient pas seulement des Français – ont assisté dans les deux cas au déroulement d'un scrutin absolument impeccable. En Azerbaïdjan, j'étais surpris de constater que l'organisation – bureaux de vote, déroulement du scrutin, dépouillement – était même plus rigoureuse que dans notre propre pays ! Le problème est que les observateurs ne participent en rien à tout ce qui constitue l'amont de l'élection : la campagne électorale, l'exercice de la liberté d'expression et de communication, la répartition des temps de parole, les réunions publiques, l'égalité entre les candidats, etc. Aucune mission d'observation électorale ne participe à ce processus qui précède l'élection proprement dite.

J'ai le souvenir d'un récit de notre cher collègue Loïc Bouvard qui participait à de nombreuses missions. Accompagné d'un membre du parti socialiste, il était venu devant la Commission des affaires étrangères rendre compte du déroulement d'une élection présidentielle en Géorgie. Tous les deux nous avaient raconté à quel point tout s'était magnifiquement bien déroulé ; ils ne trouvaient rien à redire concernant ces élections ; tout était impeccable. Le lendemain, une révolution éclatait en Géorgie, l'élu était renversé et de nouvelles élections étaient organisées quelques mois plus tard… Leurs observations ne correspondaient visiblement pas au ressenti des gens sur place. Il faut donc rappeler les limites de ce type d'exercice.

Le Conseil de l'Europe est une très belle institution, trop méconnue, insuffisamment pratiquée par les responsables politiques de tous bords, mais qu'il faut sauvegarder à tout prix. Comme François Rochebloine, j'y siège depuis longtemps, et je tiens à dire que le travail de Pierre-Yves Le Borgn'est absolument remarquable et d'une très grande rigueur. La première question que je veux lui poser est double. Sur les quarante-sept pays appartenant au Conseil de l'Europe, combien ne respectent pas les valeurs de l'Europe dans le domaine des droits de l'Homme et de la démocratie, à l'instar de l'Azerbaïdjan ? Pour ma part, je pense qu'ils sont une dizaine dans ce cas. Pour une telle institution, c'est un ratio élevé. À l'inverse, combien de pays du Conseil de l'Europe remplissent les critères que vous avez énumérés en négatif à propos de l'Azerbaïdjan ?

Malheureusement, la description de Pierre-Yves Le Borgn'est un réquisitoire contre la diplomatie française. En tout cas, je l'ai prise comme telle. Ce réquisitoire vise en particulier le Président de la République, le ministre des affaires étrangères et l'ambassadrice Aurélia Bouchez qui, pendant une heure, nous a fait ici une description de ce pays qui ne correspond absolument pas à ce que ressent Pierre-Yves Le Borgn'au Conseil de l'Europe. Nous sommes bien obligés de constater le jugement contradictoire que suscite ce pays membre du Conseil de l'Europe avec lequel la France entretient des relations d'un très haut niveau dans les domaines économique, politique, etc. Si ce que vous dites est exact, nous pouvons légitimement nous poser la question suivante : pourquoi la France, le Président de la République, le ministre des affaires étrangères et son ambassadrice ne nous le disent pas la même chose ?

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D'abord, je voudrais renchérir sur les propos de François Loncle relatifs à la qualité du travail de Pierre-Yves Le Borgn'.

Ensuite, je voudrais revenir sur le travail que nous pouvons effectuer, les uns et les autres, dans le cadre de missions électorales. Nous arrivons en effet la veille ou l'avant-veille, même s'il y a une mission pré-électorale. Pour ma part, et j'ai dénoncé la situation au Conseil de l'Europe, j'ai surtout l'impression de remplir des papiers qui vont surtout servir à élaborer des statistiques. Il est vrai que, le jour du scrutin, on ne voit souvent pas grand-chose. Malgré tout, on peut citer des cas contraires : en Russie, Josette Durrieu et René Rouquet étaient arrivés dans un bureau de vote où l'urne était recouverte d'un papier opaque. En insistant, ils étaient parvenus à faire enlever le papier et ils avaient découvert qu'elle était pleine à huit heures du matin… Cela étant, je vous l'accorde, le plus important est ce qui se passe durant les semaines et les mois qui précèdent l'élection.

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Je vous remercie pour ce que François Loncle a qualifié, à juste titre, de réquisitoire. Vous aviez d'ailleurs prévenu en préambule que votre exposé serait subjectif. C'est effectivement un réquisitoire subjectif.

Première remarque : les quelques individus concernés sont toujours les mêmes. J'en entends parler depuis des années, de manière récurrente. Je ne pense pas que leur cas soit symbolique de la situation réelle de tout un pays. Si c'était aussi grave que vous semblez le dire, nous n'aurions pas seulement quatre ou cinq noms ; nous pourrions en aligner des centaines, voire des milliers. Or les noms des personnes concernées tiennent sur les doigts des deux mains.

Deuxième remarque : nous pouvons débattre des procédures à l'infini. Auditionné hier par notre mission, l'ambassadeur d'Azerbaïdjan en France a évoqué quelques sujets de ce type et il a fait la démonstration contraire. Quant à notre ambassadrice à Bakou, elle était en désaccord avec ce qui vient d'être évoqué par notre collègue Le Borgn'. On peut toujours retourner tous les arguments. En ce qui concerne la loi sur la presse, Pierre-Yves Le Borgn'considère que la pénalisation est grave. Pour ma part, je me dis que notre loi sur la presse est nettement trop laxiste, ce qui produit tous les excès que l'on connaît. Il y a des équilibres qui peuvent être recherchés dans un pays comme dans l'autre.

Ma première question est relative aux statistiques de la CEDH, instance que je suis sans doute le seul ici à avoir saisie à titre personnel, obtenant la condamnation de la France. En consultant les statistiques de la CEDH pour l'année 2014, les seules que j'aie trouvées ce matin sur internet, je n'ai pas vu l'Azerbaïdjan apparaître parmi les pays le plus souvent mis en cause. En revanche, il semble que l'Italie soit l'un des pays les plus poursuivis, condamnés et mis en cause par la CEDH. Je passe sur la France dont le rang ne semble pas merveilleux. Cette première question tend à relativiser la force du réquisitoire…

Ma deuxième question va au-delà des limites du propos de Pierre-Yves Le Borgn'mais je la lui pose car j'ai bien conscience de ses qualités de juriste et d'homme. Qu'en est-il des droits de l'Homme des 900 000 Azerbaïdjanais chassés par l'invasion arménienne qui s'est produite dans le Haut-Karabakh et dans les sept provinces voisines ? Au sens juridique du terme, certains d'entre eux sont des déplacés et d'autres sont des réfugiés.

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Lorsque nous l'avons reçu hier, l'ambassadeur d'Azerbaïdjan en France a évoqué l'existence de cinquante-trois partis politiques dans son pays.

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Certes ! Quoi qu'il en soit, j'aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur Le Borgn'.

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Pour avoir participé à un nombre assez important de missions d'observation électorale, je dois dire que les mêmes problèmes se rencontrent partout, mais que les missions à long terme – pour lesquelles les observateurs arrivent au moins quarante jours avant l'élection – sont très différentes. Si vous lisez les prérapports, au fil de leur publication, vous constaterez une évolution constante dans le ton : le premier parle d'une amélioration ; le suivant tempère le propos ; le dernier est totalement défavorable. Le pire que j'ai vu concernait les États-Unis où je me rends d'ailleurs lundi prochain…

Les observateurs de courte durée de l'Union européenne, du Conseil de l'Europe ou de l'OSCE émettent souvent un avis totalement contraire à celui des observateurs de longue durée. Nous avions suggéré que les chefs de mission de courte durée et de longue durée fassent leur rapport de façon coordonnée afin que l'on puisse trouver matière à apporter des précisions. Pourquoi ? Je pense que ce serait désinvolte vis-à-vis des gens qui se déplacent pour aller voter que de tout mettre dans le même panier. Des fraudes peuvent avoir lieu avant le scrutin, mais si vous voulez décourager la démocratie, il faut continuer à totalement pénaliser l'expression publique.

Cette réflexion est le fruit de mon expérience : je siège à l'OSCE depuis 1992 et j'ai participé à plusieurs dizaines de missions. En Russie en 2004, la délégation française avait émis un avis contraire à celui du BIDDH de l'OSCE. Il faut faire très attention quand on lit les conclusions. Contrairement aux parlementaires, certains observateurs sont rémunérés après avoir été recrutés par les organisations par le biais d'appels à candidatures émis par les ministères des affaires étrangères. Une fois, en Bosnie-Herzégovine, j'ai eu un différend avec un Suisse : il voulait emporter notre dossier commun, au motif qu'il était rémunéré 4 000 francs suisses et qu'il était donc là pour travailler. Comme si, pour ma part, j'avais été là pour m'amuser ! La différence est que les gens rémunérés le sont dans un but à atteindre.

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Sachant le rôle que joue l'OSCE dans le domaine des élections, je parle sous le contrôle de Michel Voisin. Rares sont les situations dans lesquelles une observation ponctuelle, effectuée par des gens qui débarquent le vendredi précédant les élections du dimanche, fait apparaître une fraude massive, très peu subtile, que tout esprit à peu près alerte détecterait rapidement.

En réalité, la plupart du temps, le dérapage se produit en amont, bien avant que n'apparaissent les observateurs, du simple fait que les débats n'ont pas lieu. J'en reviens au problème de la pénalisation de la diffamation : il est très facile de tuer le débat. Si un journaliste sent que ses articles ou ses interventions à l'antenne peuvent le conduire à la ruine et à la prison, il y réfléchira à deux fois avant de rapporter des situations critiques.

L'exemple de la Macédoine – qui fait partie de ma circonscription des Français établis à l'étranger – est encore plus criant que celui de l'Azerbaïdjan. En apparence, le débat public y semble sain. Rien d'inquiétant n'apparaît dans le compte rendu des observateurs électoraux. En réalité, la plupart des électeurs ne connaissent pas les candidats, ils n'ont pas la moindre idée de ce qui est proposé par tel ou tel parti, ni de ce qu'il y a dans les programmes. Rien ne leur a jamais été présenté. C'est le fond du débat. Pour moi, cette question de la pénalisation de la diffamation est fondatrice. Le Conseil de l'Europe mène depuis des dizaines d'années un combat qui vise à exclure la diffamation du droit pénal, non pas pour empêcher toute poursuite pour ce motif mais pour en faire une question de droit civil.

Combien de pays du Conseil de l'Europe ressemblent à l'Azerbaïdjan par certains travers ? Plusieurs, en effet. Si je me place sous l'angle unique des difficultés d'exécution des arrêts de la CEDH, je dois dire que l'Italie rencontre en effet des problèmes récurrents. La France a aussi ses dossiers comme celui de la reconnaissance des droits des enfants nés à l'étranger par gestation pour autrui (GPA). On peut penser ce que l'on veut de la GPA, mais les enfants existent et la France a été condamnée trois fois au cours des deux dernières années à ce sujet.

Klaas de Vries, mon prédécesseur comme rapporteur sur l'exécution des arrêts de la CEDH, avait élaboré un rapport en deux parties. Dans la première, il avait recensé l'importante jurisprudence, ce qui représente une masse de travail incroyable, concernant les dix pays qui se distinguent en matière de mauvaise exécution des arrêts. Vous y trouvez la Fédération de Russie, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Italie – ce qui tend à montrer ces dérapages ne sont pas l'apanage des pays de l'Est de l'Europe et que chacun doit balayer devant sa porte.

Les Britanniques font une fixation sur le droit de vote des prisonniers et ils ont fait le choix politique de ne pas appliquer les arrêts qui les condamnent de manière récurrente. Prenez la Hongrie, comme le suggère François Loncle. Prenez la Bosnie-Herzégovine : l'arrêt Sejdić et Finci de décembre 2009 portait sur l'impossibilité pour un Rom et un Juif de se présenter aux élections présidentielles. En effet, conformément à la Constitution, seules les personnes déclarant leur appartenance à l'une des trois nations fondatrices, à savoir les Bosniaques, les Croates et les Serbes, ont le droit de se présenter à ces élections. Les exclus représentent 30 % de la population bosnienne. La Bosnie a été condamnée mais elle est incapable d'exécuter l'arrêt de la CEDH parce qu'il faudrait revenir sur la construction du pays, consécutive aux accords de Dayton. Voyez la mécanique… Les problèmes d'exécution sont souvent de nature très structurelle et, pour les surmonter, il faudrait changer l'organisation institutionnelle d'un pays, laquelle dépend parfois des puissances internationales. Tout cela fait que l'on ne s'en sort pas. Je ne veux pas donner l'impression de faire, à mon tour, une fixation sur l'Azerbaïdjan. Pour autant, il faut dire que ce pays se détache aussi, non par le nombre des problèmes soulevés mais par leur acuité. La pénalisation de la diffamation est un élément parmi d'autres.

François Loncle voit dans mon propos une forme de réquisitoire contre la diplomatie française. Je n'y avais pas pensé mais, en effet, intervenant sous l'angle du seul droit, ce que je peux vous dire ici est décalé par rapport à un exercice diplomatique un peu plus large, qui intègre immanquablement un volet économique. Ceci pourrait être valable pour d'autres pays du monde. Est-ce vraiment un réquisitoire ? Je vous ai cité l'exemple de Leyla et Arif Yunus. Je n'ai pas la preuve que le message que j'ai essayé de faire passer au Président de la République, à travers Jean-Pierre Jouyet, ait eu un impact. J'ai tendance à considérer que le Président de la République, dans le huis clos, a pu faire passer ce type de message.

Je n'ignore rien des conditions de la concurrence économique et des contrats qui peuvent être conclus avec un pays comme l'Azerbaïdjan – je pense aux trains et pas seulement aux hydrocarbures. Cet aspect de la relation doit être pris en compte. Cependant, un pays ne peut pas faire silence sur le respect des droits de l'Homme, surtout quand ce pays se décrit au plan international comme étant porté par une certaine vision universaliste. C'est ce que je défends comme parlementaire. C'est ce que je défendais aussi dans ma vie précédente d'industriel. Je n'ai pas l'impression d'avoir changé de casquette en passant de l'entreprise à l'Assemblée nationale. Quand on fait du « business », on n'est pas en dehors du cadre des droits et des libertés fondamentales.

Jean-François Mancel, vous disiez que les individus que j'ai cités, notamment les nombreux Mammadov qui ne portent pas le même prénom, sont toujours les mêmes. On peut le voir ainsi, mais ce n'est pas mon cas. Il y a quand même 164 arrêts sous surveillance du comité des ministres. Ceux qui sont condamnés sont ceux qui ont été tout à la fois les plus malchanceux et les plus courageux. Ces gens-là ont un fil conducteur commun : la défense des droits, soit qu'ils soient à la tête d'organisations, d'associations impliquées dans la surveillance des élections, dans la protection des droits de l'Homme, soit qu'ils soient des opposants politiques, ce qui est légitime dans un pays qui se voudrait démocratique.

Ils ont payé la défense de la liberté d'opinion par la perte de leur propre liberté. En tant que tel, c'est déjà condamnable, à moins de considérer que tout cela n'est que scories du débat public, ce qui n'est pas ma philosophie du respect des droits de l'Homme. Sur le principe, cela me choque profondément, surtout quand c'est très récurrent et que cela dure depuis longtemps : je vous parle ici d'arrêts parfois vieux de dix ans et sur lesquels nous n'obtenons aucun résultat. Dans l'intervalle, faut-il le rappeler, l'Azerbaïdjan a présidé le comité des ministres ! Il est cruellement ironique d'imaginer qu'un pays, qui a tant de mal avec l'exécution des arrêts, s'est retrouvé à présider l'instance précisément chargée de leur exécution.

Au sujet de la pénalisation de la diffamation, vous disiez que la France aurait beaucoup à apprendre, à moins que j'aie mal compris votre propos. Est-ce à dire que vous jugez utile de pénaliser la diffamation ?

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Pour tout vous dire, moi je m'y oppose fondamentalement parce que la pénalisation marque le début de la fin du débat. Si vous intimidez la presse de cette manière, si vous prévoyez des peines de prison pour délit d'opinion, alors vous avez un souci. C'est l'un des plus grands combats que mène le Conseil de l'Europe depuis longtemps et qu'il a gagné dans beaucoup d'États. C'est pour cela que je continue à avoir un regard positif sur ce qu'il est possible d'obtenir en Azerbaïdjan. Par la continuité de ce combat, le Conseil de l'Europe a réussi à libérer plusieurs pays de la pénalisation de la diffamation et à donner ainsi au débat public l'ampleur dont il a besoin pour que les élections soient ensuite réellement libres.

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La sanction de la diffamation existe en France !

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Pour parler clair, j'ai été condamné pour des propos tenus dans les locaux de l'Assemblée nationale. Certes, la condamnation était symbolique et sous forme d'amende mais l'affaire est allée jusqu'en cassation.

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La dernière question de Jean-François Mancel portait sur les 900 000 personnes chassées de leur lieu de vie au Haut-Karabakh. Je n'ai pas à juger qui a raison et qui a tort, mon travail consiste à faire en sorte que soient exécutés les arrêts de la CEDH. En l'occurrence, j'observe que la question de la propriété est interprétée avec constance par la CEDH. S'il y a des arrêts portant sur la spoliation de ces personnes et leur statut de réfugié – et c'est certainement le cas – le droit doit être appliqué pour elles autant que pour les autres.

S'agissant des partis politiques en Azerbaïdjan, leur grand nombre ne signifie pas que la démocratie s'exerce de manière irrésistible. En France, il existe un parti de la loi naturelle, par exemple, qui ne remporte pas beaucoup de voix lors des élections.

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Tous ces partis existent-ils réellement en Azerbaïdjan ?

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Ils existent réellement, mais quelle peut être leur influence s'il n'y a pas vraiment de débat, s'il leur est impossible de faire connaître leurs propositions en raison du climat menaçant qui règne autour d'eux ? Quitte à être encore beaucoup plus subjectif que lors de mon propos introductif, je peux vous dire ce qui me frappe lorsque s'expriment nos collègues azerbaïdjanais à l'APCE : on les retrouve au groupe libéral, au groupe des conservateurs européens (CE) et au groupe du Parti populaire européen (PPE).

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Si, il y en a un et il s'appelle Mammadov !

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L'expression de ces collègues azerbaïdjanais est quand même très monocolore. J'ai relativement peu d'échanges avec eux. Comme vous, monsieur le président, je vois souvent M. Rafael Huseynov qui est membre de la commission des affaires juridiques. Il m'est arrivé de dire à nos collègues arméniens qu'il est vain de vouloir utiliser l'APCE dans le but exclusif de régler ses comptes avec le pays voisin : cela ne mène à rien. Quand on vient siéger à Strasbourg, c'est pour des raisons qui dépassent ce conflit, aussi lourd soit-il. À Strasbourg, on est porté par une conscience européenne au service de quarante-sept États et de près d'un milliard de personnes. On se doit de penser un peu plus large. L'aspect monocolore des interventions azerbaïdjanaises m'a toujours surpris, mais je peux ignorer certaines choses et émettre un jugement injuste.

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Contrairement aux Azerbaïdjanais dont les interventions sont effectivement très monocolores, il arrive aux Arméniens de débattre entre eux, car ils n'ont pas les mêmes positions.

Au nom de tous nos collègues, je voudrais vous remercier très sincèrement, monsieur Le Borgn' pour le travail, essentiel, que vous réalisez au Conseil de l'Europe.

La séance est levée à midi quarante-cinq.