La réunion

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

La séance est ouverte à quatorze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Monsieur, on peut considérer que votre parcours professionnel comporte deux périodes disctintes. Vous avez travaillé, durant presque un quart de siècle, au service de l'État, au sein de ce qu'il est désormais convenu d'appeler les « ministères financiers », où vous étiez principalement en charge des échanges extérieurs de la France. Depuis maintenant dix ans, vous occupez, dans le groupe Alstom, divers postes de responsabilités. L'année dernière, vous en êtes devenu le vice-président chargé des affaires publiques.

De récents événements, sans lien direct avec l'objet de notre réunion de ce jour, nous ont rappelé l'importance des activités du groupe Alstom pour l'économie française. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de voir une entreprise française de haute valeur économique et technologique s'implanter en Azerbaïdjan.

Il y a deux ans, en mai 2014, était annoncée la signature d'un contrat portant sur la fourniture de cinquante locomotives à la compagnie ferroviaire azérie, ainsi que l'engagement d'un partenariat avec le gestionnaire du métro de Bakou. Je souhaite que vous nous décriviez l'historique de l'implantation d'Alstom en Azerbaïdjan, l'ampleur financière des affaires que le groupe y traite, et la nature des prestations assurées. Cela devrait vous amener à nous dépeindre le paysage de vos relations avec ce pays, en particulier en termes de contrats.

Dans les exemples que j'ai cités, Alstom signe des contrats avec des entités distinctes de l'État. De manière générale, à quel niveau de la structure politique et administrative se situent vos interlocuteurs ? Avant de signer un contrat, vos partenaires émettent des voeux ou présentent des exigences quant à l'éventuelle implication d'entreprises azéries. Pouvez-vous nous en parler ? Enfin, quelle est votre évaluation globale des conditions de travail de votre groupe en Azerbaïdjan ? Qu'en est-il de la qualité de l'exécution des obligations contractuelles, de l'intervention éventuelle de la sous-traitance, de la rapidité et de l'efficacité des procédures administratives ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Comme chargé des affaires publiques au sein d'Alstom, je suis responsable des relations avec le gouvernement français et avec les gouvernements étrangers pour l'ensemble des affaires du groupe. Depuis l'année dernière, Alstom s'est recentré sur son activité de transport ferroviaire, activité qui l'amène à être présent en Azerbaïdjan.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Pour ce qui concerne le transport ferroviaire, nous sommes en Azerbaïdjan depuis la signature du contrat que vous évoquiez, en mai 2014. Nous avions auparavant des activités dans le domaine de l'énergie qui nous avaient amenés à nouer des partenariats avec l'Azerbaïdjan et les autres pays de la région. Dans ce secteur, il faut dire que, jusqu'au jour de 2015 où nous avons cédé nos activités à General Electric, nous étions présents dans quasiment tous les pays du monde. Nous étions implantés industriellement dans une quinzaine de pays et, commercialement, dans une soixantaine. Il n'est guère de pays où l'on ne trouve pas, encore aujourd'hui, au moins une vieille turbine d'un barrage ou d'une centrale électrique construite dans l'une des usines historiques d'Alstom, groupe lui-même constitué progressivement par le rachat de différentes sociétés et marques. Nous étions très présents en Azerbaïdjan où notre dernière réalisation majeure fut la réalisation d'un centre de régulation du système électrique azéri.

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La visite du Président de la République française en Azerbaïdjan, en 2014, a été déterminante dans la réorientation de vos activités ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Dans ce pays, nous étions novices dans le domaine ferroviaire. Nos activités en la matière ont effectivement commencé avec le contrat de mai 2014, signé lors de la visite du Président de la République qui s'était rendu ensuite en Arménie et en Géorgie. Notre présence déjà ancienne dans le secteur de l'énergie nous a clairement ouvert un certain nombre de portes. Le patron d'Alstom sur place, de nationalité azérie, est d'ailleurs resté à son poste.

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Comment cette personne est-elle impliquée au sein du groupe ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Il représente le groupe à Bakou. La plupart des responsables du groupe à l'étranger sont des nationaux des pays concernés. Il est devenu rare qu'un expatrié occupe ce type de poste, mis à part pour nos plus grandes implantations.

Fort de cette présence ancienne, et bénéficiant des très bonnes relations bilatérales entre la France et l'Azerbaïdjan, nous avons pu signer un contrat de 288 millions d'euros lors de la visite présidentielle, portant sur l'achat par les chemins de fer azéris de cinquante locomotives.

Ce contrat, signé au mois de mai 2014, n'est entré en vigueur qu'au début de l'année 2016. Ce délai est d'abord dû au fait que les chemins de fers azéris ont fait évoluer le contrat en commandant non plus cinquante locomotives pour du transport de fret, mais quarante locomotives de fret et dix autres pour le transport de passagers. Le montant du contrat n'a pas été modifié, bien que les locomotives pour transport de passagers soient un peu moins chères, car il a été complété par des commandes d'équipements électriques et électroniques, comme des éléments de signalisation.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

De façon générale, nous sommes en mesure d'intervenir pour tout ce qui concerne l'infrastructure ferroviaire. Nous pouvons poser des rails, mais nous ne les fabriquons pas ; nous les achetons. Nous ne réalisons jamais les travaux de génie civil préalable à la pose. En revanche, nous prenons de plus en plus souvent la responsabilité de l'ensemble de l'électromécanique qui comprend, au-delà de la livraison du train lui-même, la pose des rails, l'installation des équipements électriques, la fourniture des équipements de signalisation et d'électrification de la ligne, et la responsabilité globale de la livraison du projet clés en main à un client.

En l'espèce, le contrat azerbaïdjanais ne portait que sur des locomotives, même s'il a été complété par la commande de quelques équipements de signalisation embarqués dans les locomotives.

Le temps nécessaire à la mise en oeuvre du contrat s'explique ensuite par la nécessité de boucler un financement qui repose principalement sur un crédit bancaire contracté auprès d'un consortium de banques, dirigé par la Société générale, bénéficiant d'une garantie de la Coface. Tout cela a demandé un certain délai, ce qui est normal dans ce genre d'affaire assez complexe.

Ce marché avait fait l'objet d'une concurrence extrêmement âpre avec les entreprises qui se trouvent habituellement face à nous : Siemens, Bombardier… Je ne me souviens plus de la liste complète, mais je suis certain que des groupes asiatiques étaient également sur les rangs.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

La livraison des cinquante locomotives commence en ce moment, et elle se fera de façon fractionnée. Je n'ai pas les détails en tête, mais j'imagine qu'elle sera étalée sur deux ou trois ans.

Dans ce contexte, à la fois particulièrement complexe et très concurrentiel, notre présence au Kazakhstan a constitué l'un des éléments qui nous a permis de l'emporter. Notre unité sur place livre depuis un certain temps déjà des locomotives aux chemins de fer kazakhs, ce qui nous a conduits à installer une ligne d'assemblage de locomotives de fret à Astana. Le fait de livrer en grande série au Kazakhstan nous a donné la possibilité de proposer un prix concurrentiel à l'Azerbaïdjan. Si nous n'avions dû livrer que cinquante locomotives dans la région, nous n'aurions certainement pas pu proposer le prix qui a été le nôtre, et qui nous a permis d'emporter ce marché.

Il reste qu'environ la moitié de la valeur du matériel fournit par ce contrat de 288 millions d'euros provient d'unités de production d'Alstom situées sur le territoire français. Les bogies proviennent du Creusot ; les moteurs, du site d'Ornans ; les transformateurs de puissance, du Petit-Quevilly ; les blocs électriques, de Tarbes ; des équipements électriques, de Villeurbanne, et le fameux site de Belfort, particulièrement impliqué dans ce contrat, assure la gestion du projet, le développement du produit, la plateforme logistique, et également l'assemblage des dix locomotives pour train de passagers. Les autres locomotives sont assemblées au Kazakhstan où sont également produits quelques bogies et transformateurs – mais ils proviennent pour la plupart de France. Six de nos sites en France, soit la moitié de nos implantations sur le territoire national, sont impliqués dans ce contrat pour un total de 500 000 heures de travail.

Le fait que quasiment 50 % de la valeur du contrat proviennent d'équipements fabriqués en France rendait ce dernier éligible à la garantie de la Coface, qui couvre, selon les règles habituelles, 85 % du contrat. Il s'agissait d'un montage complexe car il nous fallait expliquer l'économie spécifique du projet, l'implication des usines françaises, et le rôle de notre joint-venture au Kazakhstan, tout en intégrant les modifications demandées par les chemins de fer azéris. Cela justifie que les dernières décisions de la Coface ne soient intervenues qu'au mois de septembre dernier. Finalement, nous n'avons touché un premier acompte qu'en avril, et le premier tirage sur le crédit date seulement du 30 septembre.

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Une telle configuration existe-t-elle dans les relations d'Alstom avec d'autres pays ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Lorsque nous avons répondu à leur commande de locomotives, les Kazakhs avaient exigé une localisation partielle de la production sur leur territoire. Nous avons investi sur place et conçu notre implantation industrielle en ayant conscience que nous pourrions couvrir la zone de l'Asie centrale et du Caucase. Il est clair qu'il est intéressant de disposer d'un site industriel à proximité des marchés auxquels on veut avoir accès, ne serait-ce que pour des raisons de logistique.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Ces matériels voyagent soit par bateau, soit par les lignes de chemin de fer, mais cela a un coût. En tout état de cause, disposer d'un site de production à proximité des marchés permet d'améliorer notre compétitivité.

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L'approche des marchés kazakhs et azéris est-elle semblable ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Ces deux pays ont en commun, comme tous ceux de la région, le fait de connaître encore une forte influence russe – eux-mêmes disent plutôt « soviétique » – à laquelle ils cherchent à échapper. Initialement, nous avons monté notre filiale kazakhe dans une joint-venture avec un grand partenaire russe, TMH, qui est un peu l'Alstom russe – il est aujourd'hui en train de se détacher de ce partenariat. Dans cette zone, il est toujours utile de commencer par apparaître avec un « nez russe », mais nos clients, qu'ils soient kazakhs ou azéris, sont aussi demandeurs de technologies européennes. En matière ferroviaire, les deux pays ont besoin de renouveler leur flotte et de leurs infrastructures, l'un conditionnant l'autre, car le matériel européen ne peut rouler que si l'écartement des voies respecte les normes internationales – alors que l'écartement des voies kazakhes et azéries correspond au standard russe qui est différent. La transformation ne pouvant s'opérer que progressivement, il était important, dans un premier temps, d'être capable de proposer des matériels compatibles avec les équipements déjà installés dans ces pays.

J'ai rencontré, il y a quelques semaines, le Premier ministre ukrainien en visite à Paris. Les Ukrainiens sont confrontés au même problème d'évolution des standards anciens pour moderniser leur pays.

Quoi qu'il en soit, la proximité avec les clients permet de signer plus facilement des contrats. L'implantation locale constitue à chaque fois une nécessité.

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En tant qu'élu de Haute-Saône, je m'intéresse particulièrement au contrat signé par Alstom, en 2014, en Azerbaïdjan, car il a des répercussions sur le site de Belfort.

Dans votre secteur d'activité, beaucoup de groupes européens ont eu affaire à la justice pour avoir versé des commissions occultes au cours de leurs relations commerciales avec les pays de la Communautés des États indépendants (CEI). On a aussi parlé d'une société monégasque qui aurait servi d'intermédiaire – les médias ont cité le nom d'Unaoil. Nous sommes à huis clos, pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont Alstom travaille ?

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Monsieur Villaumé, tout ce qui se dit dans cette salle figurera au compte rendu !

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Le code d'éthique d'Alstom est extrêmement précis : il interdit tout paiement illicite, que ce soit au regard des lois internationales ou des lois de chacun des pays dans lesquels nous travaillons. Dans le passé, Alstom a pu être condamné lors d'affaires anciennes sur lesquelles il ne m'appartient pas de me prononcer aujourd'hui devant votre mission d'information. En revanche, il est parfaitement clair qu'il n'existe aujourd'hui aucune transaction telle que celles que vous évoquiez, monsieur le député. Il ne peut pas en être autrement, car les règles internes du groupe sont d'une très grande clarté en la matière.

Mon expérience des sujets de commerce international, en particulier dans l'administration, m'incite à penser qu'il ne suffit pas de fixer des règles : il faut s'assurer que vos collaborateurs les respectent – Alstom emploie 30 000 collaborateurs dans le monde entier. En conséquence, nous avons mis en place divers dispositifs s'agissant de ces sujets, tant en termes de formation que de communication. Depuis plusieurs années, des « ambassadeurs de l'éthique » sont nommés dans chaque unité industrielle ou commerciale de tous les pays du monde : ils sont chargés de rappeler les règles, car nous sommes conscients que la corruption se pratique dans de nombreux pays, en particulier pour les grands projets d'infrastructures – les rapports des ONG compétentes le montrent bien. Nous travaillons dans un secteur particulièrement exposé, ce qui nous oblige à être d'autant plus vigilants.

S'agissant du contrat avec l'Azerbaïdjan, monsieur le député, je ne connais pas du tout les sociétés dont vous parlez, elles n'ont eu aucune part dans la transaction qui a été conclue.

Alors que vous venez d'adopter le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit loi « Sapin 2 », j'ajoute que nous avons intérêt à ce que les règles soient les plus strictes possible afin de contraindre nos concurrents à les appliquer comme nous le faisons nous-mêmes – car nous savons que certains d'entre eux ne les appliquent pas.

Depuis le contrat signé en mai 2014, Alstom a d'autres affaires en cours en Azerbaïdjan, même si, en volume, elles sont de moindre importance.

Le mois suivant la visite de la Président de la République, en 2014, nous avons signé un petit contrat de 17 millions d'euros pour livrer trois rames au métro de Bakou. À l'époque, l'Azerbaïdjan était en pleine croissance grâce aux revenus du pétrole dont le prix était au plus haut. Le pays avait de très gros projets d'infrastructure, notamment liés à la préparation des premiers jeux européens de Bakou de juin 2015. Les trois rames destinées à densifier le trafic ont été fabriquées par notre filiale russe, selon les normes locales, ce qui a permis de les livrer en moins d'un an.

Alstom a également signé à cette époque un memorandum of understanding concernant le développement du métro de Bakou, qui prévoit l'éventuelle livraison de 300 voitures de métro de technologie européenne.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Parce que nous en sommes toujours au stade du memorandum of understanding. Le projet existe, mais il a été mis de côté en raison de la dégradation rapide de la situation financière du pays. Honnêtement, nous n'envisageons pas que la discussion relative à la signature d'un contrat puisse reprendre à court terme. L'existence de ce document constitue tout de même une première étape ; c'est mieux que rien. Le jour où le prix du pétrole remontera suffisamment, nous serons là.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

C'est difficile à dire car rien n'a encore été négocié. Nous sommes sans doute dans un ordre de grandeur similaire à celui du contrat des locomotives.

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La RATP ou la SNCF seraient-elles impliquées en termes d'ingénierie pour un contrat de cette nature ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Non, nous disposons nous-mêmes de ces compétences. En revanche, s'agissant de l'exploitation du métro, Bakou pourrait tout à fait demander le soutien de la RATP.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Nous avons négocié avec les chemins de fer ou avec le métro de Bakou, qui sont des entités publiques, mais ces sujets sont trop importants pour ne pas remonter au Président de la République d'Azerbaïdjan.

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Les ministres ne jouent-ils donc aucun rôle ? Nous avons eu ce sentiment ce matin en entendant M. Stéphane Heddesheimer, le directeur du pôle Europe et CEI du groupe Suez.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Les ministres sont évidemment partie prenante, mais ce genre de décision est centralisé. Le contrat des chemins de fer a d'ailleurs finalement été signé lors de la visite du Président de la République française.

Pour conclure ma présentation, j'en viens aux opportunités qui se présentent pour le groupe en Azerbaïdjan. Sous réserve de sa situation financière, et au-delà, des à-coups conjoncturels, le potentiel du pays est grand. En termes d'intérêt ferroviaire, il se situe de façon stratégique au croisement de deux axes majeurs qui reprennent de l'importance : l'axe Est-Ouest de la nouvelle route de la Soie, entre la mer Caspienne et la mer Noire, et l'axe Nord-Sud, de la Russie vers l'Iran. Fort de notre présence auprès des chemins de fer azéris, nous discutons de différents projets qui en restent aujourd'hui à ce stade.

S'agissant de l'axe Nord-Sud, les présidents d'Iran, de Russie, et d'Azerbaïdjan ont signé en septembre dernier un accord sur la réouverture et la remise en état d'une ligne existante. Le gouvernement azéri s'est engagé à financer 150 kilomètres de cette ligne en Iran. La Banque asiatique de développement a fait savoir son intérêt pour le projet. Nous le suivons de très près car il peut comporter pour nous des opportunités diverses : électrification, signalisation, fourniture éventuelle de locomotives additionnelles par rapport au contrat actuel…

S'agissant de l'axe Est-Ouest, il existe un projet de ligne Bakou-Tbilissi-Kars, reliant l'Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie – Kars se trouve en Turquie près de la frontière avec l'Arménie. Ce projet commence à prendre forme avec un financement turc. Les trois gouvernements manifestent leur souhait que le trafic routier par camion se reporte sur le rail, ce qui justifie l'harmonisation de la ligne et l'achat de matériels supplémentaires.

Nous discutons enfin, en ce moment, de la signature d'un contrat de maintenance des locomotives que nous avons vendues à l'Azerbaïdjan. Il pourrait être signé pour vingt-cinq ans, ce qui nous conduirait à ouvrir une petite implantation industrielle à Bakou.

Les règles que nous nous imposons nous évitent de rencontrer des difficultés lorsque nous faisons des affaires en Azerbaïdjan. Aujourd'hui, nos clients savent très bien comment nous travaillons. Nous n'avons pas eu de problème particulier pour signer des contrats. Si l'on met à part l'évolution récente de la situation financière du pays, nous constatons globalement que les conditions dans lesquelles se font les affaires en Azerbaïdjan se sont plutôt améliorées. Nous souhaitons nous inscrire dans cette tendance plutôt favorable qui se retrouve dans tous les pays de la région – nous entendons travailler avec tous, indépendamment des problèmes qu'ils peuvent avoir entre eux. Cependant, ces pays, comme l'Arménie ou la Géorgie, dans lesquels nous étions présents lorsque nous étions spécialistes de l'énergie, n'ont, pour l'instant, pas offert de perspective particulière dans le domaine ferroviaire.

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Ils n'ont sans doute pas les mêmes moyens que l'Azerbaïdjan !

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Merci pour cet exposé. Je ne reviendrai pas sur le rôle des visites politiques et des visites de délégations d'entreprise, puisque la nature même de vos activités implique d'être en relation avec les responsables politiques et ceux des chemins de fer, qui sont des entités publiques.

Concrètement, est-ce que vous rencontrez des difficultés avec les administrations locales et vos partenaires locaux dans le quotidien des affaires, notamment en matière fiscale, administrative ou douanière ? Que pouvez-vous nous dire de la situation dans le pays et de votre expérience d'entreprise en la matière ?

Avez-vous la liberté de choisir vos sous-traitants, ou êtes-vous contraints de travailler avec certaines entreprises ‒ locales ou venant de pays tiers ‒ que vous ne connaissez pas forcément ? De manière pragmatique, quelle part pouvez-vous réserver aux sous-traitants français ?

La contraction des revenus de l'économie azerbaïdjanaise du fait de la baisse du prix du brut a-t-elle accru la concurrence sur place, ou un certain nombre de vos concurrents ont-ils quitté le marché ?

Enfin, en matière d'appels d'offres, la règle azerbaïdjanaise est-elle celle du moins disant ou du mieux disant ? Comment se passent les marchés publics ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Sur les sujets administratifs, douaniers, fiscaux ou autres, nous constatons plutôt une amélioration. Mais avec cette réserve : nous n'en sommes qu'au début de l'exécution du contrat sur les locomotives, qui est notre principale activité en Azerbaïdjan.

Il ne serait pas étonnant qu'au cours de l'exécution, nous rencontrions les problèmes auxquels nous sommes classiquement confrontés dans ce type de contrats. Surtout que ce contrat fait appel à un schéma contractuel assez complexe impliquant la France, le Kazakhstan et l'Azerbaïdjan. À ce jour, les retours de nos petites équipes locales font plutôt état d'une amélioration des choses, mais je prends cela avec prudence.

En matière de sous-traitance, en l'occurrence, il n'y a pas de sous-traitants azerbaïdjanais, la part locale est infime. Nous traitons directement avec les chemins de fer d'Azerbaïdjan. En revanche, la part du Kazakhstan est importante. Et l'essentiel de nos sous-traitants est en France. Dans cette affaire comme dans la plupart des autres, nous faisons travailler beaucoup de sous-traitants en France, qui bénéficient également de ce contrat à l'exportation. En moyenne, nous estimons qu'une commande pour Alstom fait travailler un salarié dans nos usines et trois chez nos sous-traitants.

Il n'y a donc aucun emploi créé en Azerbaïdjan, et je n'ai pas en tête le nombre d'employés qui travaillent dans l'usine au Kazakhstan. Le contrat représente 500 000 heures de travail dans nos usines françaises, et le chiffre est beaucoup plus faible pour le Kazakhstan.

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La majeure partie du travail est donc réalisée en France, seul le montage se fait à Astana.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Le montage des locomotives de fret, oui. Le montage des locomotives de passagers se fera à Belfort.

La baisse du prix du pétrole a surtout conduit à l'arrêt de projets. En premier lieu le projet de métro, sur lesquels nous comptions beaucoup.

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Tout le monde reviendra dès que les projets ressortiront, je ne me fais aucune illusion sur ce point. Mais entre-temps, nous aurons développé notre présence locale, et nous serons mieux armés pour bien comprendre les besoins du client et essayer de les satisfaire.

En matière d'appels d'offres, nous étions les moins-disants en l'occurrence ; le facteur décisif réside cependant dans le financement. C'est parce que nous faisons la meilleure offre que nous gagnons une affaire. C'est pourquoi il est nécessaire d'être très compétitif, et c'est la raison du schéma que nous avons monté avec le Kazakhstan. Certes, tout n'est pas fabriqué en France, mais il vaut mieux 50 % de quelque chose que 100 % de rien. En tout état de cause, ce contrat, une fois signé, ne serait pas entré en vigueur si nous n'avions pas été capables de mettre en place un financement. De ce point de vue, l'intervention du gouvernement français par l'intermédiaire de la Coface a été totalement décisive. Cela signifie que 500 000 heures de travail pour nos usines françaises ont été acquises grâce à l'intervention de la Coface.

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L'adhésion du Kazakhstan à l'Union économique eurasiatique, à la différence de l'Azerbaïdjan, peut-elle modifier quelque chose ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Je ne pense pas que cela ait des conséquences immédiates sur nos affaires. Notre sujet est celui des normes. Si l'appartenance à cette union amenait les pays à choisir certaines normes plutôt que d'autres, cela aurait un effet sur l'offre que nous pouvons faire.

Notre partenaire russe nous permet d'offrir des équipements correspondants aux anciennes normes soviétiques. Dans ce cas, nous intégrons beaucoup moins de composants français. Nous essayons de développer les composants français chez notre partenaire russe, mais ce n'est pas la même proportion que sur des matériels faits en France, ou partant de technologie française.

L'évolution des normes est donc vraiment le facteur clé. Mais dans les discours des responsables politiques ou du secteur ferroviaire de ces pays, la tendance est de passer aux normes internationales, meilleures en termes de sécurité et de fiabilité.

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Vous avez très clairement répondu à la question de notre collègue sur les lois anticorruption.

Au niveau du code d'éthique, Alstom adhère aux règles internationales et nationales de lutte contre la corruption, notamment à la convention OCDE régissant cette matière.

Conformément à ces normes, le groupe etou les sociétés qui le composent ont-ils mis en place des procédures et des outils spécifiques pour détecter les comportements de corruption active et passive ? Ces outils peuvent-ils affecter la conduite des affaires en Azerbaïdjan ? Avez-vous reçu des signalements de tels comportements ? Et le cas échéant, quelles conséquences en avez-vous tiré ?

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Philippe Delleur, vice-président d'Alstom, chargé des affaires publiques

Cette question se pose particulièrement à propos du recours éventuel à des consultants extérieurs en matière commerciale.

Nous avons recours à des consultants extérieurs dans tous les domaines ‒ des juristes, des fiscalistes ‒ parce que nous n'avons pas toutes les compétences, nous sommes surtout une entreprise d'ingénieurs. En matière fiscale ou autre, nous avons besoin d'expertise extérieure.

Notre groupe est extrêmement décentralisé. Si nos équipes jugent que pour leur approche commerciale, ils ont besoin d'un appui extérieur, ce sujet est particulièrement fléché, car il est très sensible quant aux risques de corruption.

Dans ce domaine plus particulièrement, nous avons mis en place des procédures extrêmement strictes : aucun engagement ne peut être pris par aucun membre du groupe sans passer par une analyse du département de l'éthique et de la conformité. C'est un département totalement centralisé au sein du département juridique au siège du groupe. Toute demande de soutien commercial fait l'objet d'une investigation spécifique pour comprendre les raisons d'un tel besoin, et s'assurer que l'entité à laquelle nous aurions recours est honorablement connue. Cette entité doit prendre des engagements de ne pas recourir à des paiements illicites, en particulier vis-à-vis des personnalités officielles ou des autorités publiques.

Il existe donc bel et bien des procédures spécifiques, elles ont d'ailleurs été auditées par une société spécialisée dans la certification des procédures anticorruption il y a déjà plusieurs années, suite aux déboires du groupe Alstom. Maintenant, les procédures sont considérées comme au meilleur état de l'art en ce domaine. Nous continuons d'ailleurs à veiller à les perfectionner si nécessaire.

Ce sont ces procédures que nous divulguons dans les efforts de communication et de formation dont j'ai parlé tout à l'heure.

Dans le cas particulier de ce contrat, nous n'avons absolument pas eu de problèmes, aucun drapeau rouge n'a été levé pour signaler un risque.

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Merci pour vos réponses précises, qui ne prêtent pas à contestation.

La séance est levée à quinze heures quinze.