La réunion

Source

– (Audition de M. Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total)

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons le plaisir de recevoir M. Michael Borell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total SA, accompagné de ses collègues M. Thierry Darrigrand, délégué pays pour le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Tadjikistan, et M. François Nahan, directeur des relations institutionnelles pour la France.

Nous avons déjà entendu plusieurs responsables de grandes entreprises qui interviennent en Azerbaïdjan, comme Alstom et Engie. Dès le début de nos travaux, le ministère des affaires étrangères a attiré notre attention sur l'importance du développement des relations économiques entre les entreprises de nos deux pays, non seulement pour des raisons commerciales, mais aussi parce que la contribution que ces relations sont susceptibles d'apporter à la prospérité économique du pays pourrait favoriser la libéralisation du régime et de la société, qui connaît encore des hauts et des bas, pour dire le moins.

Je vous propose donc, monsieur le directeur, de détailler les activités de Total en Azerbaïdjan, l'histoire de votre implantation, les accords sur lesquels elle se fonde depuis l'origine et la nature de vos activités de production dans ce pays, ainsi que le cadre juridique local dans lequel s'inscrit votre présence sur place, en particulier vos relations avec la société d'État SOCAR.

Total n'est pas la seule entreprise pétrolière étrangère qui intervient en Azerbaïdjan. Comment s'organisent les relations avec vos voisins, qui sont aussi vos concurrents ?

J'ai relevé dans le Guide de l'intégrité que vous publiez sur votre site une affirmation forte à laquelle je souscris : « La corruption détruit la confiance, socle de l'économie et de la vie en société ». S'ensuit une liste de lignes de conduite contre la corruption. Il est de notoriété publique que la corruption constitue un risque non négligeable dans la vie concrète des activités économiques de nombreux pays de la zone. Qu'en est-il en Azerbaïdjan selon l'expérience de votre entreprise et de ses collaborateurs ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Permettez-moi de commencer par me présenter brièvement : citoyen britannique, je travaille dans le groupe Total depuis trente ans et je m'occupe actuellement de l'Europe et de l'Asie centrale – autrement dit la mer du Nord, principalement, ainsi que la France, l'Italie et la Bulgarie en Europe continentale et, en Asie centrale, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Tadjikistan, ainsi que la Russie au Nord.

Il se trouve que l'Azerbaïdjan est un pays important pour le secteur du pétrole et du gaz puisque c'est le berceau de notre industrie : c'est là qu'a été découvert en 1848 le premier champ de pétrole au monde, Bibi-Heybat, dix ans avant les premières découvertes aux États-Unis. En 1900, l'Azerbaïdjan assurait la moitié de la production mondiale de pétrole, et c'est ce pays qui a le premier exploité un gisement en mer – un type d'exploitation dont l'intérêt ne s'est jamais démenti depuis. Après avoir atteint un pic de production à 1 million de barils de pétrole et de condensat par jour en 2010, l'Azerbaïdjan produit aujourd'hui quelque 800 000 barils par jour, la production mondiale étant de l'ordre de 92 millions de barils. La fraction de la production azerbaïdjanaise consommée sur place est très faible et l'essentiel est exporté via l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) dans lequel nous avons une participation de 5 % et qui relie l'Azerbaïdjan à la Méditerranée par le port turc de Ceyhan.

Notre activité en Azerbaïdjan est essentiellement gazière. Le pays produit 16 milliards de mètres cubes par an – à titre de comparaison, la France consomme 38 à 40 milliards de mètres cubes chaque année. L'Azerbaïdjan consomme environ la moitié de sa production gazière et exporte l'autre moitié vers l'Ouest, en particulier vers la Géorgie et la Turquie. Aux termes du projet que nous venons de signer cette semaine, nous produirons environ 1,5 milliard de mètres cubes, soit 15 % de la consommation locale.

L'économie de l'Azerbaïdjan dépend fortement du pétrole et du gaz. Ces dernières années, l'État a consenti des investissements considérables, en particulier à Bakou, en lien avec l'évolution du prix du brut entre 2000 et 2014, date à laquelle le cours a chuté. Les effets les plus manifestes de ces investissements ont été les Jeux européens et le Grand prix d'Europe de Formule 1.

Les activités de Total en Azerbaïdjan concernent pour l'essentiel l'exploration et la production. Nous exerçons certes une activité de trading qui consiste à acheter du brut à SOCAR, la société pétrolière d'État, pour le distribuer dans nos raffineries et le vendre ailleurs dans le monde, et une modeste activité de vente de produits lubrifiants, de l'ordre de 1 400 tonnes par an. Cependant, ces activités sont marginales par rapport à l'exploration et la production.

Dans ce domaine, disons d'emblée que l'entreprise BP exerce depuis la chute de l'Union soviétique un quasi-monopole en Azerbaïdjan. Elle a signé en 1994 un contrat considérable de développement pétrolier du champ Azeri-Chirag-Gunashli (ACG) – que les Azerbaïdjanais ont baptisé « le contrat du siècle ». La production a démarré en 1997 et elle est pour l'essentiel exportée via l'oléoduc précité, qui est à l'origine de l'enrichissement récent du pays et du développement de l'activité de BP. Il y a deux ans, BP employait quelque 800 expatriés en Azerbaïdjan ; à titre de comparaison, nous y employons 27 personnes dont quatre ou cinq expatriés. C'est dire la dimension de BP qui, dans ce pays, n'est pas pour nous un partenaire, mais un véritable concurrent.

BP a entrepris d'exploiter un deuxième champ, celui de Shah Deniz – un gisement gazier en mer auquel nous avons participé à hauteur de 10 % lors de la première phase de développement. La production a démarré en 2006 et a atteint un plateau de 9 milliards de mètres cubes par an, soit l'équivalent de la consommation du pays, même si l'essentiel de ce gaz est exporté vers la Géorgie et la Turquie. En 2013, BP a proposé une deuxième phase de développement à ses partenaires, qui l'ont approuvée, pour doubler le volume de production ; la moitié de ces 18 milliards de mètres cubes est destinée à la Turquie, l'autre à l'Europe – c'est là l'origine des trois oléoducs du fameux corridor Sud : le premier (SCP) traverse le Caucase méridional, le deuxième (TANAP) l'Anatolie et le troisième (TAP) la Grèce, l'Albanie et la mer Adriatique, cette infrastructure devant entrer en service en 2019.

Nous avons décidé que ce projet de deuxième phase ne remplissait pas nos critères de rentabilité et, lors de la décision finale d'investissement, nous avons vendu notre part de 10 % à la société nationale turque TPAO, qui est un investisseur et un partenaire important pour l'Azerbaïdjan, pour SOCAR et pour la livraison de gaz par le gazoduc TANAP. L'investissement requis pour développer la deuxième phase d'exploitation du gisement de Shah Deniz s'élève à 30 milliards de dollars, sans compter l'augmentation des capacités des oléoducs SCP, TANAP et TAP, soit 5, 10 et 5 milliards de dollars respectivement. Autrement dit, nous ne sommes désormais plus producteurs de gaz en Azerbaïdjan.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

En raison de l'économie et de la rentabilité du projet. Les autres acteurs qui y participent ont adopté des critères de rentabilité différents ; la société norvégienne Statoil, en revanche, a appliqué les mêmes critères que Total et a également vendu ses parts, en l'occurrence à SOCAR et à TPAO. Si BP poursuit le développement de ce projet, c'est parce que ses intérêts dans le gisement ACG – et donc dans le pays tout entier – sont beaucoup plus importants que les nôtres, ce qui explique qu'elle accepte d'autres critères de rentabilité compte tenu de son portefeuille d'activités en Azerbaïdjan.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre retrait du projet est-il lié à une analyse purement économique ou d'autres considérations ont-elles joué un rôle ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

De nombreuses considérations ont joué un rôle, mais l'économie du projet et son niveau de risque ont été les éléments décisifs.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Tout à fait, même si son évaluation entre dans le champ de l'analyse économique. Nous avons estimé que le risque de dérapage des coûts de développement était élevé pour un projet nécessitant déjà un investissement de 30 milliards de dollars, notamment parce que les puits sont difficiles à forer. De surcroît, s'il est vrai que nul n'anticipait à la fin 2013 une chute aussi brutale des cours que celle qui s'est produite en 2014, le prix du gaz – indexé sur celui du brut – risquait tout de même de baisser en Europe et en Azerbaïdjan. Toutes ces incertitudes nous ont incités à ne pas participer au projet. En outre, le moment était opportun pour vendre car la décision finale d'investissement résout une partie des risques, ce qui explique que TPAO ait vu un intérêt stratégique à participer au projet et à acheter nos parts au prix convenu.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les risques d'ordre géopolitique ont-ils eu une incidence ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Ils existent naturellement dans la zone, mais ce ne sont pas les risques majeurs de notre point de vue. À l'époque, le débat sur le corridor Sud – et la construction du gazoduc Nabucco ou du TANAP – était sur le point d'être tranché, et il n'a pas constitué un argument déterminant dans notre décision de vente. Nous estimions que la capacité de Nabucco serait trop importante et qu'il valait mieux procéder par étapes, car le gaz n'arriverait pas immédiatement et l'économie du corridor Sud s'en trouverait affectée. L'exploitation du gisement de Shah Deniz répond à cette logique de développement progressif du gaz azerbaïdjanais à destination de l'Europe.

J'en viens au gisement qui est au coeur de l'activité de Total en Azerbaïdjan : Apchéron. Cette nouvelle découverte se trouve à une centaine de kilomètres en mer à l'Est de Bakou, entre les gisements d'ACG – qui se trouve à trente kilomètres environ – et de Shah Deniz. L'histoire pétrolière d'Apchéron est très intéressante. La formule juridique des permis d'exploitation des gisements azerbaïdjanais en mer, qu'il s'agisse d'ACG, d'Apchéron ou de Shah Deniz, est celle de l'accord de partage de la production ou production sharing agreement (PSA). Un PSA est un contrat passé entre la co-entreprise (joint venture) – en l'occurrence Total, Engie et SOCAR – et l'État, sachant que SOCAR est présente de part et d'autre puisqu'elle est notre partenaire mais qu'elle exerce aussi la fonction de régulateur et qu'elle est de surcroît une société d'État à qui il arrive de signer des contrats en lieu et place de l'État, d'où un risque de conflit entre ses différentes branches. Dans le cas d'Apchéron, notre partenaire est en réalité une filiale de SOCAR créée ad hoc.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La présence de l'État se fait-elle sentir dans cette entreprise publique ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Non, c'est une société d'État dotée d'un président, d'un état-major et de différentes directions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment les éventuels conflits d'intérêts sont-ils gérés entre la branche qui signe les contrats et celle qui participe au développement des projets ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

C'est à nous de les gérer en nous assurant que ce qui est dit d'un côté se reflète de l'autre.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Parfois. L'accord que nous venons de conclure cette semaine au sujet de la première phase de développement du gisement d'Apchéron en offre un exemple : SOCAR est partenaire du projet mais aussi acheteur du gaz ainsi produit. Le conflit est donc manifeste. Dans les discussions relatives au prix du gaz, néanmoins, nous nous assurons que c'est l'état-major de SOCAR qui négocie avec nous en toute indépendance et qui ne représente que l'intérêt de l'État. Dans le même temps, nous veillons naturellement à ce que la filiale de SOCAR qui participe au projet, et qui applique un critère de rentabilité, approuve le prix convenu.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Engie est partenaire à hauteur de 20 %, Total et SOCAR se partageant le reste à hauteur de 40 % des parts chacune. À l'origine, Total et SOCAR étaient les seuls acteurs du projet, mais nous avons décidé de confier 20 % des parts à Engie afin d'abaisser notre propre participation.

Un PSA consiste à rembourser les coûts de production assumés par la joint venture grâce au produit de la vente, puis à partager les bénéfices supplémentaires entre les partenaires du projet et l'État – d'où la notion de partage de la production.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Très souvent, à l'exception de la mer du Nord où les gisements sont exploités dans le cadre de concessions. En effet, un PSA est un contrat privé conclu entre les entreprises partenaires du projet et l'État ou la société nationale. Il comporte notamment des clauses spécifiques concernant l'arbitrage international, qui est destiné à protéger les deux parties en cas de changement de régime ou de gouvernement par exemple. Nous utilisons ce cadre juridique, qui permet le cas échéant de recourir à un arbitrage pour interpréter les clauses contractuelles, dans de nombreux pays, du Kazakhstan et de l'Angola à l'Indonésie et au Nigéria.

Pour ce qui concerne Apchéron, nous avons conclu un premier PSA en 1997 en prenant une participation de 20 %, Chevron étant l'opérateur principal. En 2001, nous avons foré un premier puits sur la structure d'Apchéron, un bel objet dont les lignes sismiques nous révèlent la surface et dans lequel nous espérions trouver du gaz ou du pétrole. Ce puits, foré à une profondeur de cinq cents mètres environ sous le niveau de la mer, était sec : nous y avons décelé quelques traces de gaz, mais surtout de l'eau. L'existence du système pétrolier ne fait pas de doute, puisqu'il y a du gaz au Sud et du pétrole au Nord, mais il reste à trouver l'endroit où le gaz se trouve piégé. Après avoir déclaré le puits sec, nous avons donc rendu la licence et les différents partenaires se sont retirés. Nos géologues ont pourtant été intrigués par l'absence de découverte d'un gisement et ont poursuivi leurs études. La structure, orientée du Nord-Ouest vers le Sud-Est et longue d'une trentaine de kilomètres pour environ cinq kilomètres de large, comporte une faille centrale. En étudiant le bassin pétrolier, nos géologues ont émis l'hypothèse d'un mouvement hydrodynamique allant du Sud vers le Nord qui pourrait se traduire par un plan d'eau incliné, voire séparé en deux niveaux par la faille. Nous avons donc décidé en 2009 de reprendre le bloc avec SOCAR puis Engie, et de forer un nouveau puits entre 2010 et 2011, cette fois-ci de l'autre côté de la faille, à près de cinq kilomètres du premier site de forage ; c'est alors que nous avons découvert le gisement. C'est une remarquable histoire pétrolière pour les géologues ! Depuis 2011, nous envisageons les moyens de développer cette découverte.

Je précise que ces puits sont très difficiles à forer : la profondeur d'eau atteint cinq cents mètres et les puits sont forés jusqu'à sept mille mètres, dans des conditions de très haute pression. La haute pression est souvent liée à une haute température, mais ce n'est pas le cas à Apchéron, parce que ce bassin géologique est relativement récent, de l'ordre d'un million d'années seulement ; les hautes températures ne sont donc pas encore remontées. Quoi qu'il en soit, ces forages sont techniquement délicats : en l'espèce, il nous a fallu plus de douze mois pour forer ce puits.

Nous avons programmé le forage de quatre puits de développement dont un puits avec un double objectif de production et d'appréciation. La production devait avoisiner les 5 milliards de mètres cubes par an, c'est-à-dire la moitié de la consommation de l'Azerbaïdjan, pour un investissement d'environ 6 à 7 milliards de dollars. Cependant, la chute du prix du brut a complètement remis en cause l'économie de ce projet et les coûts qui lui étaient associés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans les conditions actuelles, le coût de production du mètre cube de gaz est-il supérieur au prix de vente sur le marché, qui est indexé sur celui du pétrole ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

J'y viens. Étant donné le volume de la production envisagée, il était difficilement imaginable qu'il soit intégralement absorbé par la consommation locale. Certes, la production de gaz de l'Azerbaïdjan décline quelque peu – hormis la deuxième phase de développement du gisement de Shah Deniz, qui est principalement destinée à l'exportation – mais un tel volume allait inonder le marché national. Il faut donc exporter, d'où les difficultés que nous rencontrons concernant le prix du gaz par rapport à la dimension du projet. Au début 2016, nous avons finalement conclu que nous ne parviendrions pas à réaliser un tel développement tout de suite, et qu'il convenait de procéder par étapes en réduisant les coûts et en développant plus vite un projet plus limité et destiné au marché local. Nous avons donc décidé que ce projet ne serait pas isolé et doté de ses propres infrastructures de traitement du gaz à terre, mais que nous raccorderions un puits unique aux installations que SOCAR possède à une trentaine de kilomètres, à Oil Rocks, sur l'un des premiers champs en mer du pays, pour ensuite vendre le gaz dès l'arrivée à terre à SOCAR et récupérer à Ceyhan, en Turquie, le condensat produit dans l'intervalle. Ce projet plus modeste permettra de démarrer la production plus rapidement. En effet, l'Azerbaïdjan a besoin de gaz tout de suite pour son propre marché. Il exporte beaucoup de gaz à partir du gisement de Shah Deniz, au point qu'il va devoir importer du gaz russe pour satisfaire ses propres besoins. Il est donc très intéressant, de son point de vue, d'obtenir rapidement du gaz du gisement d'Apchéron.

Avec un seul puits, nous pourrons produire 1,5 milliard de mètres cubes par an, soit 15 % du marché local, ce qui correspond précisément aux besoins du pays pour 2019-2020. Depuis le mois d'avril, nous sommes en discussion sur l'ensemble des éléments du projet : coût de développement, utilisation d'un appareil de forage que SOCAR est en train de construire localement, besoins du marché local du gaz, prix de vente suffisant pour garantir l'économie du projet. Ces discussions ont abouti à l'accord que nous venons de signer lundi. Le premier puits sera foré en septembre prochain ; la décision finale d'investissement concernant le reste du projet sera prise dans un an environ, et la production annuelle de 1,5 milliard de mètres cubes pourra démarrer fin 2019, moyennant une économie de projet satisfaisante pour un groupe comme Total ou Engie. Sachant qu'une production de 1,5 milliard de mètres cubes de gaz correspond à peu près à 35 000 barils d'équivalent pétrole, un tiers de ce volume consiste en condensat, lequel, compte tenu de son prix, représente la moitié des revenus du projet – c'est dire s'il est un élément-clé du projet.

J'en viens au prix. Sur le marché local, il dépend de l'acheteur. Il est difficile de donner des chiffres précis en raison de la dévaluation récente du manat, la devise azerbaïdjanaise, mais le prix du gaz s'établit à environ 70 dollars par millier de mètres cubes, soit 2 dollars par million de BTU – ou MBTU. Autrement dit, le gaz est vendu sur le marché local à un prix oscillant entre 2 et 4 dollars par MBTU. Le prix dont nous sommes convenus avec SOCAR se situe précisément dans cette fourchette et suffit à rentabiliser l'investissement du projet.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Je ne peux que vous donner l'ordre de grandeur de l'investissement consenti pour ce projet : entre 1 et 1,1 milliard de dollars.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je comprends que vous ne puissiez pas nous indiquer un coût de production précis, mais pouvez-vous au moins nous confirmer qu'il se situe au-dessus du point de rentabilité ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Absolument ; nous ne conclurions pas l'accord autrement s'agissant d'un projet de 1,1 milliard de dollars, dans lequel nous participons comme SOCAR à hauteur de 40 %, les 20 % restants étant détenus par Engie. Je ne peux en revanche pas communiquer le coût de production, étant entendu qu'il est naturellement inférieur au prix de vente et que nous produirons un mélange de gaz et de condensat.

Le forage du puits d'Apchéron aura lieu rapidement, et nous allons nous atteler au volet développement du projet, qui représente un défi technique. En effet, le puits aura 7 700 mètres de profondeur. Le gaz en sort à très haute pression et le fond de la mer Caspienne étant très froid, il est nécessaire d'isoler le gazoduc qui reliera le puits à Oil Rocks, à une trentaine de kilomètres. Nous emploierons pour ce faire une technologie d'isolation thermique consistant à créer une double paroi concentrique (pipe-in-pipe) qui permettra d'éviter la formation de cristaux d'hydrate ou de blocs de paraffine. Il se trouve à Oil Rocks une installation qui réduit la pression du gaz et une station de comptage du gaz et du condensat, qui est ensuite traité sur place. Tous ces travaux techniques dureront un an, suite à quoi nous disposerons du prix définitif.

Encore une fois, ce projet est intéressant pour SOCAR car il répond à ses besoins de disposer de gaz rapidement pour alimenter le marché local au prix convenu. Nous finançons habituellement de tels projets par apport de fonds propres, mais SOCAR financera sa part par emprunt. Total aidera à monter le dossier. Nous présenterons le projet à l'Union européenne, pour laquelle il revêt un intérêt stratégique car, s'il est destiné au marché azerbaïdjanais, il permet de libérer d'autres productions afin qu'elles soient exportées vers l'Europe, notamment dans le cadre du développement du corridor Sud.

En tant qu'acteur majeur de l'énergie responsable, Total mène également d'autres projets dans le pays : dans le domaine éducatif, par exemple, nous envoyons des étudiants azerbaïdjanais en France. En dix ans, une trentaine d'étudiants ont ainsi reçu une formation pétrolière, certains ayant ensuite été recrutés par Total, d'autres par SOCAR. Nous avons conclu un partenariat avec le lycée français de Bakou. Nous participons par ailleurs à un projet local d'élevage des esturgeons, et nous parrainons différentes activités culturelles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Puisque Total a mis au point un guide de l'intégrité, pouvez-vous nous faire part de votre sentiment sur la corruption en Azerbaïdjan ?

D'autre part, avez-vous rencontré des conflits d'intérêt qui nécessitent le recours à une instance d'arbitrage ?

Enfin, SOCAR et Engie ont déployé des publicités très visibles au cours de l'Euro 2016 en France. Le groupe Total y était-il associé d'une manière ou d'une autre ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Il est vrai que SOCAR a été très visible lors de l'Euro 2016, mais cette stratégie a été décidée sans que le groupe Total n'y soit associé d'une quelconque manière, même si nous avons naturellement accueilli comme il se doit Rovnag Abdullayev, le président de SOCAR, à l'occasion de la compétition. Je l'ai interrogé lundi dernier sur sa stratégie de parrainage dans le milieu du football car, de mon point de vue, cette activité est héritée de l'ère où le prix du brut s'établissait à 100 dollars et les liquidités étaient abondantes. Total n'a pas du tout cette politique. Nous venons de lancer un projet de parrainage plus modeste, pendant sept ans, de la Coupe d'Afrique des nations et de différents championnats nationaux africains, y compris des championnats féminins et des compétitions de jeunes. Nous pensons en effet qu'une telle stratégie est plus adaptée pour atteindre non seulement nos consommateurs, mais aussi les populations affectées par nos installations pétrolières.

S'agissant des conflits d'intérêts au sein de SOCAR, nous nous assurons que toute position exprimée est celle du groupe tout entier. Sur le prix d'achat du gaz, par exemple, je ne me satisfais pas d'entendre la seule position de la filiale de SOCAR qui est notre partenaire ; je tiens à m'assurer que c'est aussi celle de l'État et de SOCAR en tant qu'acheteur. C'est ainsi que nous gérons les éventuels conflits d'intérêts. Nous agissons à l'égard de SOCAR en toute transparence : nous comprenons certes les difficultés qu'a ce groupe d'aligner les positions de ses différentes branches, mais nous sommes attentifs à poser toutes les questions pertinentes aux acteurs concernés. Quant aux contrats qui sont signés in fine¸ qu'ils portent sur le prix du gaz, les plateformes, l'utilisation des installations d'Oil Rocks ou toute modification apportée au PSA ou à l'accord d'exploitation commune, nous veillons à la cohérence de SOCAR au plus haut niveau et ne les signons qu'avec M. Abdullayev lui-même ou son équipe personnelle.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Soixante mille.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne peux m'empêcher de constater le caractère schizophrène de votre situation : c'est en effet à l'opérateur extérieur qu'il revient d'évaluer l'action des différentes branches de SOCAR et de prendre des arbitrages !

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

C'est une situation particulière, en effet. Il est vrai qu'un PSA suppose l'existence d'un régulateur qui n'assume que la seule mission de régulation et qui représente l'État auprès des opérateurs extérieurs, lesquels, dans des pays comme l'Azerbaïdjan, sont très souvent liés à la société nationale par un partenariat. Les conflits entre la société nationale et l'État sont donc inévitables. J'en veux pour preuve le cas du Kazakhstan : KMG, la société nationale, est partenaire du projet que nous développons dans ce pays, et assumait également la fonction de régulateur jusqu'à ce que l'État décide de dissocier ces deux fonctions en confiant la mission de régulation au ministère – ce qui est plus normal, car c'est un gage d'indépendance. Même ainsi, nous avons éprouvé de grandes difficultés à Kachagan et avons dû exclure KMG des renégociations avec l'État parce qu'elle était en situation de conflit d'intérêts, dans la mesure où elle est tout à la fois notre partenaire et le représentant de l'État.

Cela étant, nous n'avons jamais eu à utiliser la clause d'arbitrage en Azerbaïdjan. Nous l'avons invoquée une fois au Kazakhstan mais l'affaire s'est finalement soldée par un règlement amiable. L'Azerbaïdjan, de son côté, s'enorgueillit de n'avoir jamais suscité de contentieux international dans le secteur pétrolier, et de n'avoir même modifié aucun contrat pétrolier.

La corruption, enfin : nous avons élaboré un guide extrêmement précieux, car il est très clair et répond à toutes les situations de conflit éventuel. Je n'ai eu à l'utiliser qu'une fois dans ma carrière, au cours d'une négociation, et nos interlocuteurs ont immédiatement compris sur quelles bases nous travaillons en toute transparence ; aucun doute n'est permis sur ce point. De ce fait, nous n'avons jamais été réellement exposés à des faits de corruption en Azerbaïdjan, car nos interlocuteurs connaissent nos codes de conduite et nos positions, et savent parfaitement quelle réponse leur serait apportée à la moindre tentative de corruption.

Permalien
François Nahan, directeur des relations institutionnelles pour la France, Total

J'ajoute, s'agissant de la corruption, que les 90 000 employés du groupe Total reçoivent tous une formation sur l'intégrité et l'anticorruption, ainsi que des « piqûres de rappel » tous les ans ou tous les deux ans, afin qu'ils se remémorent régulièrement nos positions très intègres en matière de conduite des affaires.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

En effet, nous sommes particulièrement exigeants sur la question de l'intégrité, qui est au coeur de nos activités.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre branche à Bakou n'employant directement que 27 personnes, à combien de sous-traitants avez-vous recours ? Comment les choisissez-vous ? Subissez-vous des pressions pour retenir tel ou tel ?

Quelles sont précisément les règles d'évolution des contrats d'exploration et de production ? Avec qui négociez-vous ? Comment qualifieriez-vous le déroulement des négociations ? Quelles sont les redevances et les taxes à payer à l'État, et les procédures de recouvrement ? Comment est effectué le contrôle de la quantité produite ?

S'agissant de la concurrence à laquelle le groupe Total est confronté en Azerbaïdjan et dans l'ensemble de la région, il semble – ce n'est qu'une impression – qu'elle s'apparente moins à une féroce rivalité qu'à une coopération entre les grandes sociétés internationales, en particulier dans le secteur de l'exploration et de la production. Confirmez-vous cette impression, ou la concurrence est-elle rude ?

Enfin, il nous a été indiqué qu'en Azerbaïdjan, les contrats sont respectés et que les bénéfices peuvent en être rapatriés sans limite, ce qui est à l'évidence avantageux en comparaison d'autres pays. Quelle appréciation faites-vous du climat des affaires en Azerbaïdjan par rapport au reste de la Communauté des États indépendants, y compris la Russie, et aussi la Turquie ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

À ce stade, nous n'employons directement que 27 personnes à Bakou, mais ce nombre est appelé à évoluer rapidement dès que les opérations débuteront. Nous recruterons alors d'autres employés et notre branche connaîtra une croissance rapide, même si elle ne sera jamais très importante pour un développement tel que celui-là. Le forage du puits nécessitera de constituer une équipe d'une cinquantaine de personnes à Bakou ; outre la fonction logistique, s'y ajouteront des employés venus en soutien de la maison mère ainsi que les employés en poste sur la plateforme de forage – une plateforme semi-submersible de cette taille occupant environ 200 personnes. Cela étant, le total des emplois mobilisés sera beaucoup plus élevé que le seul nombre d'employés par notre filiale. Nous allons en effet sous-traiter avec différentes sociétés pour forer le puits, pour acheminer les besoins logistiques par la mer, pour l'ingénierie, pour construire la plateforme et sa structure de surface ou encore pour construire et installer le gazoduc, et ainsi de suite. Il est donc difficile de vous indiquer avec précision le nombre d'emplois que génèrera cette première phase de développement.

Les groupes comme Total ont généralement une politique de sous-traitance qui repose sur des appels d'offres ouverts avec une portée précisément définie et une programmation claire. La sélection se fait tout à la fois en fonction de critères techniques et du prix. C'est ainsi que nous procédons partout dans le monde, y compris en Azerbaïdjan. La difficulté de ce pays, toutefois, tient au fait que la mer Caspienne est fermée ; nous ne pouvons donc pas accéder à l'ensemble des contractants auxquels nous recourons en mer du Nord, par exemple, ou encore en Asie. Les modules de plateforme utilisés dans le golfe de Guinée, par exemple, sont souvent construits en Corée ou en Chine et acheminés par voie maritime ; en Azerbaïdjan, nous sommes limités par le volume pouvant être transporté sur les canaux de la Volga, ce qui restreint considérablement le nombre de contractants capables de nous fournir les équipements nécessaires. Nous faisons donc au mieux sur place : l'Azerbaïdjan compte deux chantiers de construction et un troisième en cours de construction, que nous allons mettre en concurrence pour répondre à nos besoins – qui, en l'occurrence, sont modestes. Il ne s'agit en effet que d'un projet d'un milliard de dollars qui consiste en un oléoduc et une petite plateforme dotée de deux séparateurs pour compter le gaz et le condensat : c'est assez limité. Il n'est guère nécessaire de mettre de nombreux acteurs en concurrence pour s'assurer des services au prix adéquat, d'autant plus que nous disposons d'un large éventail mondial de prix de référence pour déterminer si les prix proposés sont trop élevés.

Concernant les quantités, le comptage est effectué à tous les stades et par tous les acteurs, et ne pose aucune difficulté. Très souvent, il nous faut un brut liquide et un gaz de qualité très pure pour pouvoir les compter au plus près ; pour ce projet, nous disposerons de deux séparateurs qui permettront de compter l'un et l'autre, et c'est sur cette base que nous facturerons nos quantités.

J'en viens à la concurrence avec d'autres acteurs pétroliers. Nous sommes très souvent partenaires, comme dans le cas présent avec SOCAR et Engie. Lorsque nous avons obtenu le permis d'Apchéron et conclu le nouveau PSA, notre principal concurrent était BP, qui voyait d'un mauvais oeil l'arrivée d'un nouvel opérateur à proximité du gisement ACG, dans une zone qui constitue pour ce groupe une sorte de pré carré – extrêmement rentable, qui plus est. L'État et SOCAR cherchaient précisément un nouveau partenaire, Total, et nous leur avons de surcroît proposé un nouveau mode opératoire de développement qui consiste à créer une société d'exploitation commune dans laquelle Total et SOCAR participent à égalité. C'est cette société qui sera l'opérateur du projet, et non pas Total en tant que tel. Le groupe BP, au contraire, agit en tant qu'opérateur direct. La formule que nous proposons permettra à SOCAR de développer ses compétences et son expertise et de les réutiliser ailleurs. Autrement dit, nous entretenons avec les autres sociétés pétrolières des liens de partenariat ou de concurrence selon les cas.

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Pas du tout et, d'ailleurs, c'est rarement le cas, même si la concurrence peut parfois être féroce, notamment lors de l'acquisition des blocs.

Cela étant, BP possède de nombreuses installations en Azerbaïdjan ; nous allons donc essayer d'utiliser leur expertise pour nos propres opérations. S'ils n'utilisent pas certains bateaux à temps plein, par exemple, nous pourrons les louer à moindre coût, d'où un bénéfice mutuel ; de même, nous pourrions utiliser l'une de leurs têtes de puits. Des coopérations de nature technique peuvent donc être envisagées.

Enfin, il m'est difficile de comparer l'Azerbaïdjan aux autres pays de la région, parce que nos activités y sont très différentes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Étant donné les réformes entreprises par ce pays, l'environnement juridique, économique et financier vous y paraît-il plus favorable que dans d'autres pays d'héritage soviétique, ou qu'en Turquie ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Par rapport au Kazakhstan, au Turkménistan et au Tadjikistan, le comportement de l'Azerbaïdjan à notre égard est plutôt favorable, tant du point de vue juridique qu'en termes de relations professionnelles. Au Kazakhstan, par exemple, l'approche juridique et les relations me semblent plus conflictuelles qu'en Azerbaïdjan, mais peut-être cette impression évoluera-t-elle à mesure que notre projet s'y déploie. Nos collègues de BP, très actifs dans le pays, arrivent toujours à trouver avec l'État et SOCAR des solutions qui conviennent aux deux parties. De plus, la structure politique de l'Azerbaïdjan est plus simple à décrypter que celle du Kazakhstan. En Turquie, nos activités sont de nature différente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelle appréciation faites-vous du développement futur de l'exploitation pétrolière et gazière en Azerbaïdjan compte tenu des différends qui l'opposent à ses voisins concernant la propriété des gisements sous-marins, de l'évolution prévisible du coût d'extraction des ressources qu'ils contiennent et de l'évolution des cours mondiaux des produits pétroliers ?

Quelle a été l'implication des autorités politiques – le Président de la République, le Premier ministre et les ministres compétents – dans la conduite des négociations préalables à votre implantation ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Et avez-vous été accompagné lors de ces négociations par des agences publiques ou parapubliques françaises ?

Autre question : il y a quelques années, l'un de vos cadres supérieurs a été nommé à l'ambassade de France en Azerbaïdjan. N'est-ce pas une source de conflits d'intérêts, et quelle serait votre position si une telle situation venait à se reproduire ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous faite sans doute référence à Pascal Meunier, qui fut un temps détaché auprès du groupe Thalès.

Pouvez-vous, monsieur le directeur, nous donner des précisions sur l'organisation et le fonctionnement de SOCAR, son savoir-faire et le type de relations que vous entretenez avec elle ?

Par ailleurs, les PME françaises présentes en Azerbaïdjan sont peu nombreuses. Le groupe Total peut-il jouer un rôle en matière de tutorat, par exemple, au profit de PME françaises qui opèrent dans votre secteur élargi ?

Enfin, que pensez-vous de la main d'oeuvre azerbaïdjanaise, de son niveau de formation et de ses connaissances, qu'il s'agisse des cadres ou des salariés de base ?

Permalien
Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l'exploration et de la production de Total

Le projet que nous avons programmé sur le gisement d'Apchéron n'est qu'une première phase de développement. À terme, nous pourrions tripler voire quadrupler le volume de production déjà programmé, à condition de trouver un modèle économique qui soit satisfaisant pour Total et pour l'Azerbaïdjan. En effet, un groupe comme Total ne peut se contenter de produire 35 000 barils d'équivalent pétrole dans un pays. Nous devrons donc trouver d'autres activités pour pérenniser notre implantation en Azerbaïdjan, et nous sommes d'ores et déjà en discussion au sujet des champs d'Umid et de Babek, deux structures réparties de part et d'autre d'un col sous-marin. La première a déjà été découverte par SOCAR ; la seconde n'est qu'une hypothèse, mais elle laisse présager de bonnes perspectives. D'autres gisements à découvrir nous permettront également de poursuivre notre développement en Azerbaïdjan, d'où notre optimisme tant pour Total que pour ce pays. C'est d'ailleurs le principal message que Patrick Pouyanné, directeur général de Total, a transmis au Président Aliev lorsque nous l'avons rencontré lundi à l'occasion de la signature de notre accord : il faut poursuivre nos travaux sur le champ d'Apchéron, mais aussi sur d'autres objets, de sorte que Total s'implante durablement comme deuxième opérateur dans le pays aux côtés de BP.

Il reste en effet des litiges frontaliers en mer Caspienne. Les zones d'exploitation pétrolière sont clairement délimitées avec la Russie et le Kazakhstan, mais des différends demeurent avec le Turkménistan et l'Iran. Nous avons exprimé un intérêt pour un gisement se trouvant dans la zone contestée entre l'Azerbaïdjan et le Turkménistan, mais nous nous sommes retirés de la discussion dès qu'il est apparu que le litige devrait être réglé par les deux États et que Total n'avait pas de rôle à jouer, à moins d'être sollicité à cet effet. Le Président Aliev nous a confirmé lundi que les relations bilatérales concernant cette zone se sont nettement améliorées : l'Azerbaïdjan a fait une offre et il semble que la question soit en voie de résolution, ce qui pourrait ouvrir une perspective de développement pour Total, même s'il convient de rester très prudent.

Je travaille depuis neuf ans sur le Turkménistan et j'ai toujours cru que l'année suivante serait celle de l'ouverture et de notre implantation ; de ce fait, je reste là aussi très prudent. Quant à l'Iran, il est encore trop tôt pour se prononcer : il reprend peu à peu pied sur la scène internationale, même si les relations avec les États-Unis demeurent très précaires et difficiles. L'Azerbaïdjan et l'Iran ont l'un et l'autre intérêt à s'entendre pour se développer. D'ailleurs, une partie du gaz turkmène transite déjà par l'Iran vers l'Azerbaïdjan, même s'il n'y a guère eu de publicité autour de cette activité, ce qui témoigne d'une certaine coopération dans la Caspienne méridionale.

Il a souvent été question d'un oléoduc transcaspien. Il me semble très difficile, sur le plan politique, que les pays riverains, en particulier la Russie et l'Iran, acceptent de se mettre d'accord pour promouvoir un tel projet, qui était pourtant l'un des éléments-clé du dispositif d'exportation du gaz turkmène vers l'Europe dans le cadre du projet Nabucco. L'option consistant à passer par l'Iran pour rejoindre l'oléoduc TANAP me paraît beaucoup plus crédible et probable – à condition de parvenir à exploiter le gaz turkmène de manière rentable.

Encore une fois, je ne peux pas communiquer sur l'évolution des prix du brut mais, en la matière, nous sommes humbles : les prix sont volatils.

Il va de soi que nous tenons l'ambassadeur de France, le ministère des affaires étrangères et les autorités politiques au courant de notre action ; lors de sa visite en Azerbaïdjan en 2014, le Président Hollande était informé de l'avancée de nos discussions. De même, l'équipe de M. Matthias Fekl est tenue au courant de l'ensemble de nos activités en vue de la Commission mixte. Nous maintenons ce lien d'information pour les cas où nous aurions besoin de l'aide des autorités françaises comme cela s'est produit au Kazakhstan, par exemple, au sujet de la législation sur l'environnement. Les négociations pétrolières, en revanche, relèvent de notre seule compétence. Les autorités politiques azerbaïdjanaises, quant à elles, interviennent très peu, car c'est SOCAR qui gère l'activité pétrolière dans le pays. À chacun de mes déplacements dans le pays, je rencontre le ministre de l'énergie, Natig Aliev, mais il est peu influent dans l'ensemble ; c'est SOCAR et son président, Rovnag Abdullayev, un ancien de la société, qui gèrent directement les relations avec les opérateurs étrangers. Pour avoir une vision globale de la situation, j'échange avec trois instances : SOCAR, le ministre de l'énergie et SOFAZ, le fonds souverain qui a par exemple financé la plateforme en construction. Les négociations, en revanche, relèvent exclusivement de SOCAR.

SOCAR me semble de bon niveau. Fière de ses résultats passés, cette société est déterminée à enrichir son expérience et son expertise, et nous l'y aidons. C'est précisément pourquoi nous avons souhaité la création d'une société d'exploitation commune, car cette formule favorisera le développement de SOCAR. Elle nous a également offert un avantage concurrentiel : si nous avons obtenu ce contrat, c'est parce que nous offrions un élément supplémentaire. Certes, je me méfie de certaines des manières de faire de SOCAR sur le plan technique, car leurs installations présentent parfois des caractéristiques que nous n'accepterions pas sur les nôtres, mais un effort de pédagogie nous permettra de bien vivre ensemble.

Enfin, nous cherchons naturellement à emmener des PME françaises dans notre sillage. C'est pourquoi nous accueillons des jeunes dans nos bureaux dans le cadre de volontariats internationaux en entreprise. De même, nous avons accueilli en Azerbaïdjan la visite d'une délégation d'Evolen, l'association regroupant les entreprises et les professionnels du secteur parapétrolier et paragazier. Cela étant, notre activité dans ce pays est relativement limitée car, même si elle porte sur des montants importants, elle implique un nombre restreint de contractants. Il n'en reste pas moins que nous essayons d'associer des entreprises françaises lorsque c'est possible. Quant au niveau de la main d'oeuvre locale, il est relativement bon.

La séance est levée à douze heures trente.