Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Réunion du 1er décembre 2016 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir aujourd'hui M. Pierre Andrieu, ambassadeur, qui a co-présidé, au nom de la France, le Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), d'avril 2014 à octobre dernier.

Monsieur l'ambassadeur, comme vous le savez, l'objectif de notre mission d'information est d'examiner les relations politiques et économiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud-Caucase. Il n'est donc pas de chercher à évaluer la manière dont la France a compris sa mission à la co-présidence française du Groupe de Minsk au cours de ces dernières années, encore moins de porter un jugement sur la conduite, au jour le jour, des négociations organisées dans cette instance.

Nous aimerions en revanche que vous nous aidiez à mieux connaître le fonctionnement concret du Groupe de Minsk depuis les origines de sa création : quand et comment a-t-il été créé ? Comment sont fixés le rythme et l'ordre du jour de ses réunions ? Peut-on estimer que les co-présidents du Groupe de Minsk ont tous la même vision du rôle et des buts de cette instance ? Dans le cas contraire, comment ces différences se marquent-elles dans les travaux du groupe ? Sans vous demander de vous livrer à un exercice de voyance, quelles pourraient être, à votre avis, les voies d'un déblocage de négociations dont tout porte à constater qu'elles n'avancent guère aujourd'hui ?

Vous avez maintenant la parole. Après votre exposé, le rapporteur, puis moi-même, puis ceux de nos collègues qui le souhaiteront vous poseront quelques questions complémentaires.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

J'ai en effet pris mes fonctions de co-président du Groupe de Minsk le 1er avril 2014. C'était une période politiquement intéressante et, à la fin du mois d'octobre de cette année-là, le Président de la République a organisé un sommet qui a rassemblé non seulement les présidents azerbaïdjanais et arménien, mais aussi – contrairement aux autres sommets qui ont été organisés, notamment par la Russie – les trois co-présidents. J'y étais donc avec mes deux collègues, russe et américain.

Je rappelle que le Groupe de Minsk est constitué par treize pays qui, au sein de l'OSCE, ont décidé d'aider l'Arménie et l'Azerbaïdjan à essayer de régler le conflit du Haut-Karabagh…

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Tout de suite après la guerre de 1992-1993, après la signature du cessez-le feu de mai 1994.

Au début, il n'y avait qu'un seul président, mais il a très vite été décidé qu'il y aurait trois co-présidents : la Russie, les États-Unis, et un troisième pays – d'abord l'Italie, la Finlande, la Suède, puis la France depuis la fin des années 1990.

L'ordre du jour dépend évidemment des deux pays. Nous fixons nous-mêmes le calendrier de nos voyages, de nos rencontres en fonction de l'agenda des présidents des deux Etats et des deux ministres des affaires étrangères.

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Y a-t-il des divergences entre les trois co-présidents ? Peut-on parler d'une approche commune ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

En réalité, nous sommes quatre, comme les Trois Mousquetaires... Nous travaillons en effet avec le représentant personnel de la présidence tournante de l'OSCE, qui est la même personne depuis vingt ans : un diplomate polonais, Andrzej Kasprzyk. Celui-ci, à force de sillonner la région, a constitué une équipe représentée dans les quatre capitales – Bakou, Erevan, mais aussi Stepanakert et Tbilissi. Il connaît parfaitement bien les données du problème et a la confiance des deux présidents, arménien et azerbaïdjanais.

Il n'y a pas de divergences entre nous. Nous travaillons dans une atmosphère extrêmement ouverte et nous discutons de bonne foi – y compris avec le co-président russe. Bien sûr, cela dépend, pour beaucoup, des initiatives des uns et des autres. Les Américains ont pris des initiatives qui ont, notamment, débouché sur le sommet de Key West, en Floride.

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Avant Key West, il y a eu Paris. Il y a même eu un accord de principe à Paris, qui a été ultérieurement remis en cause au sommet de Key West.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Malheureusement, cela n'a pas abouti, en raison d'évènements qui avaient eu lieu à Erevan.

Par la suite, en octobre 2014, le Président de la République a fait une proposition pour essayer de rapprocher les positions des deux parties. L'idée était de demander aux deux présidents, azerbaïdjanais et arménien, de faire des déclarations publiques et croisées : le président arménien acceptait l'évacuation de territoires et, en échange, le président azerbaïdjanais acceptait de reconnaître la validité du vote qui aurait lieu sur le futur du Haut-Karabagh. Dans ce cadre, soit le président azerbaïdjanais fixait une date et l'Arménie évacuait les sept territoires limitrophes du Haut-Karabagh qu'elle occupe, soit il ne fixait pas de date et le président arménien n'évacuait que cinq territoires et se maintenait dans les deux territoires qui relient directement le Haut Karabagh et l'Arménie.

C'était un engagement public et croisé. Mais ce n'étaient que des déclarations, ce qui n'impliquait pas de les concrétiser dans l'instant. Malheureusement, aucun des deux présidents n'a donné son accord – alors même que c'était une idée arménienne.

Outre ce projet politique de règlement, la France a proposé un certain nombre de mesures de confiance pour faire revenir, justement, la confiance et permettre la reprise du dialogue. Parmi ces mesures de confiance, il faut citer une mesure humanitaire relative à l'échange des données sur les disparus de la guerre, sous l'égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). En effet, c'est la seule mesure qui ait été acceptée par les deux parties, et que l'on d'ailleurs a commencé à appliquer.

C'est ainsi que le CICR, depuis des années, poursuit la collecte de données ADN au sein des familles, notamment en Azerbaïdjan, de façon à pouvoir, le moment venu, croiser ces données avec celles prélevées sur les restes de soldats qui seraient exhumés – essentiellement sur le territoire du Haut-Karabagh. La Croix-Rouge poursuit son travail à sa manière, c'est-à-dire extrêmement discrète et sérieuse. Elle espère pouvoir procéder aux premières exhumations l'année prochaine, si toutefois il ne se produit pas, d'ici là, d'incident grave ni de conflit ouvert.

En résumé, pour répondre à votre question, il règne entre les trois co-présidents du Groupe de Minsk une atmosphère de travail, de sérieux et de confiance.

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Quand vous vous déplacez sur les lignes de contact, que ce soit du coté azerbaïdjanais ou du côté arménien, le faites-vous ensemble ou séparément ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Toujours ensemble, tous les trois, ou plutôt tous les quatre. Une fois que nous avons décidé d'aller sur place, nous choisissons l'endroit et l'équipe d'Andrzej Kasprzyk prend contact avec les deux parties pour les prévenir, faire préparer le terrain, le déminer et nous assurer de bonnes conditions de sécurité.

En général, nous sommes conduits à quelques kilomètres de là, sur une route. Nous mettons des gilets pare-balles et des casques. Sous un grand drapeau de l'OSCE, nous traversons à pied jusqu'à la ligne de contact elle-même, accompagnés, si nous sommes du côté arménien, par l'armée arménienne, qui nous « remet » à l'armée azerbaïdjanaise. C'est très impressionnant, car la ligne de contact nous ramène, visuellement, au conflit de 14-18, avec des tranchées, des barbelés, des soldats qui se font face à dix ou quinze mètres. Puis nous sommes escortés par les soldats azerbaïdjanais jusqu'à un endroit où nous rencontrons des responsables. Enfin, nous sommes ramenés à Bakou, soit en voiture, soit en hélicoptère. Les deux ou trois fois où je me suis rendu sur la ligne de contact, cela s'est déroulé ainsi.

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Monsieur l'ambassadeur, considérez-vous que le rapport de force sur le dossier du Haut-Karabagh a été substantiellement modifié par les évènements d'avril 2016 ? Et les principes de Madrid constituent-il toujours une base crédible de règlement de conflit ?

Dans le même esprit, pensez-vous que le format de dialogue « un plus deux », c'est-à-dire associant Russie, Azerbaïdjan et Arménie, pourrait prendre le pas sur le format du Groupe de Minsk dans les prochains mois ?

Pourriez-vous nous faire un état précis des forces en présence – forces armées du Haut-Karabagh, soldats arméniens, soldats azerbaïdjanais – de part et d'autre de la ligne de contact ?

Enfin, pouvez-vous faire un point sur les minorités dans le Haut-Karabagh, ainsi que dans les districts de l'Azerbaïdjan occupés par l'Arménie et dans les zones du Haut-Karabagh restées sous contrôle azerbaïdjanais ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

S'agissant du rapport de forces, on considérait généralement, depuis une vingtaine d'années, jusqu'à la « Guerre des Quatre Jours », que l'équilibre entre les deux parties penchait en faveur de l'Arménie, dans la mesure où celle-ci est puissance occupante et où ses soldats étaient retranchés dans des régions très montagneuses, le fait d'être en défense donnant une sorte d'ascendant. Au moment où j'avais pris mes fonctions, j'en avais parlé avec la direction du renseignement militaire (DRM). On m'avait expliqué qu'il serait très difficile, même pour une armée très moderne, de reprendre pied et de reprendre la région.

Voilà pourquoi, malgré le déséquilibre des populations et des économies, on considérait que l'équilibre des forces était en faveur de l'Arménie. Les évènements du début d'avril 2016 ont montré qu'il n'en était pas ainsi. Les Azerbaïdjanais ont sans doute voulu montrer que le rapport de forces était en train de changer. Vous savez que le budget militaire de l'Azerbaïdjan dépasse la totalité du budget de l'État arménien.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

L'Azerbaïdjan a fait un énorme effort en matière d'armement et d'entraînement, notamment grâce aux armes russes, car les Russes continuent plus que jamais à lui vendre des armes.

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L'Azerbaïdjan utilise aussi des armes israéliennes.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Et les troupes azerbaïdjanaises s'entraînent avec les Turcs. Mais, vous avez raison, les Israéliens ont vendu à l'Azerbaïdjan des drones offensifs, et c'est la première fois que ces drones entraient en action sur un champ de bataille.

Donc, les Azerbaïdjanais ont voulu montrer que le rapport de forces était en train d'évoluer en leur faveur, rappeler à la communauté internationale que le conflit du Haut-Karabagh perdurait – même si on l'oublie un peu – et, surtout, faire de la propagande.

L'Azerbaïdjan a essayé de transformer ses deux ou trois petits succès militaires – il semble qu'ils aient repris deux ou trois collines – en succès politiques vis-à-vis de sa population, mais aussi vis-à-vis de la communauté internationale. Il s'agissait pour lui de démontrer qu'il avait désormais la maitrise du calendrier et du contenu des négociations.

Nous nous sommes rendus dans la région, dans les trois capitales, quelques jours avant la « Guerre des Quatre Jours ».

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Vous vous doutiez, à ce moment-là, de ce qui allait se passer ? Vous n'aviez pas de craintes ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Bien sûr, on craint toujours que la situation ne dérape, à la suite de telle ou telle provocation, d'un côté ou de l'autre. Mais nous ne nous doutions pas de ce qui allait se passer, d'autant que les deux présidents se trouvaient à l'étranger.

Sur place, quelques jours après, nous avons rencontré des responsables azerbaïdjanais extrêmement sûrs d'eux, qui disaient : « Maintenant, nous pouvons faire ce que nous voulons ». De l'autre côté, il faut reconnaître que les responsables arméniens semblaient avoir reçu un coup sur la tête. Pour eux, c'était vraiment une mauvaise surprise.

Il n'est pas exclu que les Russes aient été au courant de cette affaire et que, pour des raisons politiques, ils se soient bien gardés d'agir, de façon à calmer l'Arménie qui ne voulait pas discuter de la proposition qu'ils avaient faite.

Mais maintenant, la situation a changé. En effet, les Russes, voyant qu'ils avaient beaucoup perdu en crédibilité et en popularité en Arménie, ont peut-être décidé de reprendre l'affaire en mains et de rassurer l'Arménie. Ils lui ont livré à peu près les mêmes armes qu'à l'Azerbaïdjan, sans doute à un prix beaucoup moins élevé puisque l'Arménie fait partie de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC).

En octobre, quand nous sommes retournés sur place, les Arméniens paraissaient beaucoup plus sûrs d'eux, et tenaient un discours qui était à peu près le suivant : « Maintenant, on va voir ce qu'on va voir, on va tout reprendre »… Nous avons discuté avec leur nouveau ministre de la défense, M. Viguen Sakissian, qui est l'ancien conseiller diplomatique du président et qui n'est pas un militaire. Son discours était beaucoup plus politique et surtout beaucoup plus offensif : il est allé jusqu'à comparer la situation entre les deux pays à la Guerre froide, avec destruction mutuelle assurée – même sans armes stratégiques.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui : d'un côté, l'Azerbaïdjan perd patience en disant que les négociations politiques n'ont pas commencé, contrairement à ce que ses dirigeants voulaient. De l'autre côté, les Arméniens maintiennent plus que jamais leur discours, qui est le suivant : il faut d'abord appliquer les mesures de confiance avant d'engager les négociations politiques. Des deux côtés, l'opinion publique est extrêmement remontée. La situation est donc assez fragile et dangereuse.

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Le format des négociations vous paraît-il adapté ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Le format des négociations est celui qui existe depuis vingt ans, et il faut reconnaître qu'il n'y a pas eu beaucoup de résultats positifs. Cela étant, le succès d'une entreprise de médiation dépend beaucoup de la volonté des deux parties. Si celles-ci ne veulent pas discuter, ne veulent pas faire de concessions, aucune médiation, aussi bonne soit-elle, n'aboutira jamais.

Néanmoins, je pense que ce format est bon. Les trois pays qui co-président le Groupe de Minsk sont tout de même la Russie, sans laquelle la question ne pourra pas se régler ; les États-Unis, qui sont ce qu'ils sont ; et la France, qui a sa spécificité au sein de l'Union européenne. Ces trois pays veulent avoir de bonnes relations avec l'Azerbaïdjan, notamment sur le plan économique, veulent la paix dans la région, et ont chez eux une minorité arménienne nombreuse – que ce soit la Russie, les États-Unis ou la France.

Souvent, les Azerbaïdjanais, ou d'autres, disent qu'il faudrait élargir le cercle à d'autres pays, à l'Allemagne, à la Turquie, etc. Évidemment, en Arménie, cela ne « passe » pas… Et puis on voit bien que ces demandes visent à noyer le problème.

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À ce que je sache, selon l'accord de cessez-le-feu de mai 1994, il devait y avoir des représentants du Haut-Karabagh dans les discussions et négociations.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

En effet, et ils ont d'ailleurs signé. Mais c'est l'Arménie qui, un jour, a décidé de les éliminer.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Je crois que c'était sous le président Robert Kotcharian. L'initiative venait en tout cas d'Erevan.

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Je suis surpris, mais si vous me le dites. Quoi qu'il en soit, ne serait-il pas important que les représentants du Haut-Karabagh participent au moins aux discussions ? Entendre tout le monde faciliterait sans doute ce retour à la paix que nous souhaitons tous.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Sur le fond des négociations, les trois co-présidents ont pris, chacun à leur tour, des initiatives qui ont toujours été bien accueillies par les deux autres. Après la France au cours des années 1990, c'est aujourd'hui le tour de la Russie. Celle-ci a décidé il y a près de deux ans de proposer ce qu'elle appelle une approche par étapes. Il s'agit, à partir des principes de Madrid, qui sont la « bible » de cette négociation, de procéder en deux ou trois étapes : la première étape porterait sur les questions réputées les plus faciles – l'évacuation des territoires, l'ouverture des frontières, la fin du blocus, la reprise des échanges économiques et commerciaux, le déploiement d'une force de maintien de la paix. Les questions les plus difficiles – le statut provisoire ou final du Haut-Karabagh – seraient reportées à une deuxième étape. Les Russes ont proposé deux textes, qui sont devenus trois : le premier texte, qui a vocation à être signé par les deux présidents, azerbaïdjanais et arménien, aurait trait à la première étape ; le deuxième texte, qui formaliserait la deuxième étape, serait signé par les trois co-présidents du Groupe de Minsk ; enfin, le troisième texte prendrait la forme d'un projet de résolution à soumettre au Conseil de sécurité des Nations unies en vue du déploiement d'une force de maintien de la paix.

Cette proposition est sur la table. Inutile de vous dire que les deux parties ont réagi très différemment. Les Arméniens ont été extrêmement réticents et continuent de l'être. Sachant cela, les Azerbaïdjanais ont approuvé la proposition. Le ministre des affaires étrangères et le président russes – qui a repris la main – poursuivent cette diplomatie de la navette. À leur demande insistante, les Américains et les Français ont été mis « dans le bain » assez rapidement, mais nous n'avons pas vraiment la main : ce sont les Russes qui sont à la manoeuvre.

Les discussions se poursuivent. Il y a quelques mois, elles étaient bloquées. Un sommet s'est tenu à Vienne en mai, à l'initiative des Américains, au cours duquel ont été évoquées uniquement les mesures de confiance. Malheureusement, la déclaration adoptée par les trois co-présidents n'a pas été respectée. Il avait été décidé lors de ce sommet d'augmenter les moyens humains et matériels de l'équipe d'Andrzej Kasprzyk, représentant personnel du président en exercice de l'OSCE, afin de renforcer les missions de monitoring. Or, certains responsables azerbaïdjanais, dès la fin de la réunion, ont nié avoir validé ces décisions, tout en affirmant ne pas y être opposés sur le principe à condition que l'Arménie accepte d'engager les négociations politiques. Le document avait été signé par les ministres des trois pays qui co-président le Groupe de Minsk. Pour le moment, nous en sommes là. Les Russes ont voulu accélérer un peu les choses. Le président Poutine a organisé, en marge du forum économique international qui se tient chaque année à Saint-Pétersbourg, un sommet avec les deux présidents. Nous avons fait antichambre pendant très longtemps, puis nous avons été invités pour le dessert. Malheureusement, le désaccord entre les deux pays persiste. La situation est assez fragile et instable.

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Après toutes ces années, percevez-vous une volonté des deux parties d'aboutir, ou pensez-vous que le statu quo arrange finalement tout le monde ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Il est difficile de répondre à une telle question. Je ne perçois malheureusement pas de volonté d'aboutir, de la part d'aucune des deux parties, pour diverses raisons qui tiennent notamment au rapport entre les présidents et leurs opinions publiques respectives. Tant en Azerbaïdjan qu'en Arménie, les opinions publiques sont très remontées – ce sont deux nationalismes qui s'opposent. Les contacts et les discussions se poursuivent néanmoins. Les deux parties ont besoin du Groupe de Minsk et de la médiation, ne serait-ce que pour maintenir le contact et essayer de faire avancer leurs thèses.

Le manque de confiance entre les deux parties est grand. Une seule mesure de confiance a été acceptée, qui est en fait une mesure humanitaire : la collecte et l'échange de données sur les personnes disparues, sous l'égide du CICR, qui est une organisation très sérieuse, compétente et expérimentée dans ce domaine. C'est une mesure très importante pour les familles, notamment azerbaïdjanaises, qui ont vu leurs enfants ou leurs pères disparaître.

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Les difficultés économiques que connaît l'Azerbaïdjan en raison de la baisse du prix du pétrole ont-elles eu un effet sur les réunions du Groupe de Minsk ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Non. L'Azerbaïdjan, comme l'Arménie, conserve des positions extrêmement rigides.

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Les questions économiques jouent-elles un rôle dans les discussions ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Absolument pas.

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On a évoqué la présence de mercenaires turcs lors de la « Guerre des Quatre Jours ». Pouvez-vous confirmer cette information ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

C'est difficile à vérifier. On a évoqué la présence de mercenaires, si on peut les appeler ainsi, des deux côtés. Il s'agirait notamment d'Arméniens de la diaspora, venus de France et des États-Unis, qui ont déjà fait la guerre en 1994 et qui seraient revenus, mais nous manquons d'éléments tangibles.

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Quelle influence peut exercer sur les travaux du Groupe de Minsk la solidarité notoire entre la Turquie et l'Azerbaïdjan ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

La Turquie soutient depuis longtemps l'Azerbaïdjan, pour des raisons sans doute historiques, et aussi idéologiques. Ses positions pro-azerbaidjanaises lui interdisent de coprésider le Groupe de Minsk puisque, pour proposer sa médiation, il faut s'abstenir de prendre parti. La Turquie peut naturellement, cela dit, jouer un rôle. Nous devions nous rendre dans ce pays les 14 et 15 juillet, mais la tentative de coup d'État nous a obligés à annuler notre visite. Le Caucase du Sud est une région importante pour la Turquie. Un début de solution de ce conflit passe par le règlement du contentieux entre la Turquie et l'Arménie. Les tentatives menées en ce sens il y a quelques années n'ont pas abouti. Il faut encourager les deux parties à reprendre langue et à négocier.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Malheureusement, ils ne sont pas entrés en vigueur.

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Les incursions de chaque côté donnent lieu à des accusations mutuelles. Rien de plus classique, me direz-vous. Pourrait-on envisager de recourir à des moyens techniques – des observations satellitaires, par exemple – pour aider le Groupe de Minsk à déterminer de manière objective les responsabilités et à savoir qui est le premier à avoir attaqué ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Nous avons prôné le renforcement des moyens de l'équipe de M. Kasprzyk et l'installation d'un mécanisme de détection capable d'établir qui tire le premier, mais cette proposition n'a pas été retenue.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

L'Azerbaïdjan, au motif que le mécanisme ne pourra être installé qu'une fois que les Arméniens auront évacué les lieux. Or, c'est précisément maintenant que ce mécanisme serait utile. Les co-présidents essaient de faire pression en faveur de cette solution, sans succès à ce jour. Toutefois, je ne suis pas sûr que le dispositif de même nature installé en Ukraine ait fait la preuve de son efficacité.

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Vous quittez vos fonctions de co-président – j'en profite pour vous remercier pour le travail que vous avez effectué – en même temps que le représentant américain. Ne craignez-vous pas que ce changement crée des difficultés ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Je ne le crois pas.Le représentant américain, après trois années de co-présidence, est appelé à de nouvelles fonctions, mais les États-Unis restent engagés, et un intérim sera assuré jusqu'à l'installation de la nouvelle administration. Reste à savoir si celle-ci manifestera le même intérêt que les précédentes pour cette question, dans une région qui reste importante pour les États-Unis pour des raisons stratégiques et économiques, notamment du fait de la présence de pétrole.

Quant à la Russie, cette région fait partie de sa zone d'influence ; les Russes n'ont pas intérêt à un conflit majeur alors qu'ils sont déjà engagés en Syrie. Ils ont intérêt au maintien de l'équilibre. Lors de la « Guerre des Quatre Jours », ce sont eux qui ont « sifflé la fin de la récréation ».

L'Union européenne, pour sa part, a intérêt à la stabilité de la région et à des relations apaisées et de confiance avec ses voisins.

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Vous laissez entendre que le statu quo satisfait finalement les deux belligérants. Mais ne peut-on pas considérer qu'il joue davantage en faveur de l'Arménie, dans la mesure où elle est la puissance occupante ? Plus l'occupation perdure, plus le territoire devient progressivement, dans les faits, celui de l'Arménie.

Il semble par ailleurs que des Arméniens, venus notamment de Syrie, se soient récemment installés au Haut-Karabagh et dans les provinces voisines. Est-il possible d'appréhender le phénomène de colonisation qu'on a observé au début – les Azerbaïdjanais étant chassés de leur territoire au bénéfice des Arméniens ?

Enfin, le Groupe de Minsk s'intéresse-t-il au sort des réfugiés et des déplacés qui ont dû quitter leur territoire, notamment celui des sept provinces, dont nul ne conteste que la population était majoritairement azérie, contrairement à celle du Haut-Karabagh lui-même ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Chaque fois que nous nous rendons à Bakou, nous rencontrons des représentants des réfugiés azerbaïdjanais qui ont dû quitter le Haut-Karabagh et les territoires alentour. Il s'agit aujourd'hui de la deuxième, voire de la troisième génération de réfugiés. Le gouvernement a fait beaucoup d'efforts pour les installer ; ils vivent aujourd'hui dans de bonnes conditions, ils sont logés, leurs enfants sont scolarisés, mais ils veulent évidemment retourner sur leurs terres, ce qui est tout à fait normal.

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Quel est le nombre de réfugiés et de déplacés ?

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Entre 300 000 et 400 000, je ne suis pas sûr.

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Selon mes informations, le nombre de déplacés est estimé à 200 000, celui des réfugiés à 700 000.

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Dans l'autre sens, de nombreux Arméniens ont aussi été obligés de quitter Bakou, qui était auparavant une ville cosmopolite.

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Les Azerbaïdjanais réfugiés provenaient certainement plus des provinces que du Haut-Karabagh.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Ils provenaient des deux régions. Des villes commeChoucha et Stepanakert – que les Azerbaïdjanais tiennent à appeler Hankendi – étaient des villes où vivaient de très nombreux Azéris, qui en ont été chassés.

S'agissant du statu quo, il est vrai qu'il est plus profitable à l'Arménie. Les Arméniens ont gagné la guerre, ils sont en position d'occupant, retranchés dans les montagnes, difficilement expugnables. Du point de vue stratégique, leur position est favorable. Objectivement, le statu quo les arrange.

Chaque fois que nous allons en Arménie, nous posons la question, notamment celle des Arméniens réfugiés de Syrie. Il faut quand même avoir conscience que le Haut-Karabagh est un territoire peu hospitalier, où les localités sont à moitié détruites.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Quelques-uns vont au Haut-Karabagh, mais ils n'y restent sans doute pas longtemps. La plupart sont en Arménie, avec l'espoir de continuer leur route vers l'Occident.

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Je souhaiterais que le rapport de la mission d'information comporte une note objective et exhaustive sur le Groupe de Minsk – son fonctionnement, ses actions et ses échecs. Ce serait très utile à la compréhension de chacun.

Il m'est arrivé d'interroger les ministres des affaires étrangères pour savoir ce que faisait le Groupe de Minsk. Avec tout le respect que je dois à votre fonction et à votre personne, je me suis souvent étonné de cette « instance » qui donnait une image un peu caricaturale de l'impuissance de la communauté internationale.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Lors du sommet de Paris, le Président de la République a proposé plusieurs mesures de confiance, mais elles ne sont pas exhaustives. On peut en imaginer d'autres. Je pense notamment que l'Assemblée nationale pourrait jouer un rôle en organisant des rencontres entre des parlementaires azerbaïdjanais et arméniens.

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Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE

Rien n'est simple. Vous parlez de l'impuissance du Groupe de Minsk, mais la médiation ne peut donner des résultats que si les deux parties sont prêtes à faire des compromis. Apparemment, aucune des deux ne le souhaite.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie et vous souhaite bonne chance dans vos futures fonctions.

La séance est levée à douze heures quinze.