La réunion

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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Nous accueillons une délégation de l'Agence française de développement (AFD) conduite par M. Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Monsieur le directeur, devant notre mission, l'ambassadrice à Bakou, Mme Aurélia Bouchez a indiqué que l'AFD avait été mobilisée « pour contribuer au financement de projets dans le secteur ferroviaire ». J'ignorais que l'AFD pouvait être amenée à intervenir dans des pays qui, tel l'Azerbaïdjan, connaissent un certain développement grâce aux ressources tirées du pétrole et du gaz ; pourtant, l'engagement de l'Agence en Azerbaïdjan s'élèverait à 112 millions d'euros, montant qui n'est pas négligeable.

Avant que de vous entendre préciser la nature des investissements ainsi aidés, je vous serais reconnaissant de rappeler quelle est la stratégie générale de l'AFD dans le Caucase du Sud et les raisons qui l'ont conduite à s'intéresser plus particulièrement à l'Azerbaïdjan. La question est essentielle car, au-delà de ses aspects directement financiers, chacun sait l'importance du concours que votre établissement apporte à la diplomatie économique de la France. Aussi souhaitons-nous savoir si l'AFD entend poursuivre son action en Azerbaïdjan et, si tel est le cas, selon quelles orientations et pour quels montants.

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

L'AFD vient de fêter son soixante-quinzième anniversaire. Elle intervenait à l'origine dans ce qui était alors les colonies et à ce titre, pour l'Asie, en Indochine, d'où elle est partie quand la France en est partie. Au début des années 1990, le Gouvernement et le Parlement nous ont autorisés à intervenir à nouveau en Asie, d'abord au Vietnam, au Cambodge et au Laos, et, peu à peu, la zone d'intervention de l'Agence s'est ensuite étendue ; ce ne fut jamais à notre initiative mais sur décision de l'État. Aujourd'hui, nous intervenons du Caucase jusqu'à la Chine et dans une grande partie des pays situés au Sud de cette ligne. Notre engagement en Asie est, bon an mal an, de 1,2 milliard d'euros, soit quelque 15 % de notre activité.

Le comité d'orientation stratégique de l'Agence nous a autorisés en juin 2011 à prospecter dans le Caucase du Sud et spécifiquement en Azerbaïdjan. Lors de la visite dans ce pays de M. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, en octobre de la même année, un protocole de coopération a été signé entre le gouvernement azerbaïdjanais et l'Agence. Il a défini les secteurs d'intervention prioritaires de l'Agence dans le pays : le développement urbain – l'accent étant mis sur l'eau, l'assainissement, la gestion des déchets, les transports et l'énergie –, le tourisme et le financement du secteur privé. En avril 2012, une lettre de nos tutelles nous a autorisés formellement à intervenir dans dix pays dont l'Azerbaïdjan, dans le cadre d'un mandat spécifique visant à promouvoir une croissance verte et solidaire, sur la base de prêts pas ou peu concessionnels. Mais les relations entre l'Agence et l'Azerbaïdjan ont été interrompues pendant une bonne partie de l'année 2012 : après le vote de la loi Boyer visant à réprimer la négation des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, les autorités azerbaïdjanaises, en janvier 2012, ont invité l'équipe technique de l'AFD qui participait à une mission sectorielle, en partenariat avec la Banque asiatique de développement, à quitter le pays.

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

On nous demande de reprendre l'avion, nous reprenons l'avion… Puis les relations se sont normalisées et nous avons effectué plusieurs missions dont l'une, préalable à la visite du président Hollande en mai 2014, a permis de définir le projet que vous avez évoqué, le seul que nous avons financé à ce jour en Azerbaïdjan : le financement de deux ateliers d'entretien de locomotives. Ce prêt est lié à l'attribution, officialisée en mai 2014, d'un marché de locomotives à Alstom ; couplé à un prêt garanti par la Coface, il a permis à Alstom d'emporter ce marché face à Siemens.

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Vous établissez donc un lien certain entre l'aide de l'AFD et le marché obtenu par Alstom.

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

C'est notre point de vue : ce couplage a permis à Alstom d'emporter le marché en proposant un ensemble « locomotives et maintenance ». Le projet de prêt de 112,5 millions d'euros a été soumis à l'approbation de notre conseil d'administration en décembre 2015 et nous sommes en train de mettre la dernière main à l'accord de prêt. Les nouvelles locomotives seront livrées à la fin de cette année et les ateliers de maintenance devront bien sûr être en état de fonctionnement. Nous tenons compte de cette échéance.

L'AFD a été associée à la visite que M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, a faite en Azerbaïdjan en juillet 2015. Les perspectives d'autres projets en coopération ne sont pas évidentes. Nous discutons régulièrement avec les autorités azerbaïdjanaises sans que ces échanges aboutissent pour l'instant. L'expérience montre qu'un temps d'acclimatation est nécessaire dans tous les pays nouveaux où nous intervenons. À cela s'ajoute que, dans les anciennes républiques soviétiques, le dialogue est compliqué : qu'il s'agisse des procédures ou des obligations liées à la lutte anti-blanchiment, une bonne dose de pédagogie est nécessaire – mais ce n'est pas propre à l'Azerbaïdjan. Il est donc difficile de tirer des conclusions du fait qu'aucun autre projet n'est prévu pour le moment.

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

Des responsables techniques, mais essentiellement le ministère des finances – davantage que dans d'autres pays.

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Qu'est-ce qui a conduit l'AFD à intervenir en Azerbaïdjan ?

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

Nous répondons aux demandes de l'État. Nos engagements en Asie – 1,2 milliard d'euros en tout, je vous l'ai dit, répartis entre de nombreux pays – représentent un petit montant. Nous sommes un bailleur de fonds modeste dans une zone du monde où beaucoup de ressources sont disponibles, où les marchés financiers sont très liquides et où le coût de l'argent est peu élevé, pour l'instant. Les bailleurs de fonds institutionnels, très présents, offrent des conditions financières plus intéressantes que les nôtres puisque, à la demande de l'État, nous n'intervenons que très peu avec l'argent des contribuables : il nous arrive, en Afghanistan ou au Laos, d'accorder des subventions, mais, très souvent, nos interventions en Asie se traduisent par des prêts non bonifiés, si bien que nous sommes peu compétitifs.

Pour cette raison, nous devons apporter une valeur ajoutée, qui tient à la qualité des échanges bilatéraux. Nos engagements, en Chine comme en Inde, portent sur des montants insignifiants. Mais ce qui, dans l'AFD, intéresse les ministères chinois des finances et du plan n'est pas tant le volume du financement consenti – en Chine, nos engagements ne sont que de 100 millions d'euros par an, bien peu de chose – que l'accès que nous permettons à des réflexions sur les politiques publiques en matière de transport, de politique de la ville, d'aménagement du territoire, d'énergie verte ou de gestion des parcs naturels. Ainsi avons-nous présenté au conseil d'administration, en décembre dernier, un projet de prêt de 75 millions d'euros visant à la création du premier parc naturel chinois, en partenariat avec le parc naturel régional des Ballons des Vosges. Nous devons trouver des points d'accroche avec la France, car c'est ce qui intéresse au premier chef nos interlocuteurs. Il peut s'agir de réflexions sur l'aménagement du territoire, ce qui implique d'établir des liens avec les collectivités locales et les élus ou, comme en Azerbaïdjan, du savoir-faire des entreprises françaises. C'est grâce à ces éléments additionnels que nous parvenons à concrétiser des prêts dont les termes ne sont pas très intéressants et dont le volume est peu élevé.

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Puisque vous n'avez pas consenti de prêt concessionnel, quelles améliorations avez-vous permises telles qu'Alstom a réussi à emporter ce marché face à l'âpre concurrence de Siemens, fortement soutenu par la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) ? Comment, précisément, l'AFD aide-t-elle les entreprises françaises à emporter des marchés en Azerbaïdjan ? Sur un plan général, de quels moyens disposez-vous comparés à ceux des agences concurrentes, européennes et autres, en Azerbaïdjan et dans les autres pays du Sud Caucase ? Quel est le niveau de leur présence et de leurs interventions ?

Retraçant la genèse des relations de l'Agence avec l'Azerbaïdjan, vous avez indiqué qu'elles résultent de la demande politique du président Sarkozy d'abord, du président Hollande ensuite.

Enfin, il a été fait état de possibles coopérations entre nos deux pays dans le secteur agricole ; qu'en est-il ?

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

Dans le cas spécifique du marché emporté par Alstom, notre valeur ajoutée est faible. Nous avons participé au bouclage du plan de financement. Notre financement a permis de renforcer la compétitivité de l'offre française, en proposant une solution de financement jugée satisfaisante par l'État azerbaïdjanais pour les dépôts d'entretien et de maintenance des locomotives. Nos experts ont favorisé la cohérence technique de l'opération, mais elle était lancée avant même que notre intervention ait été envisagée.

Nous ne sommes pas en concurrence avec d'autres agences en Azerbaïdjan : il y a de la place pour tout le monde. Mais nul ne maîtrise parfaitement le mécanisme de décision des autorités, dont on ne sait pas toujours en fonction de quels critères elles décident de traiter avec un partenaire plutôt qu'avec un autre. Il est atypique, pour nous, d'intervenir dans ce qui pourrait être considéré comme un émirat pétrolier à la gouvernance particulière. La Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque asiatique de développement et la KfW sont très présents. Nous vous communiquerons si vous le souhaitez les informations dont nous disposons, qui ne sont pas nécessairement les plus précises, sur leur exposition respective ; je pense l'engagement de chaque organisme compris entre 2 et 3 milliards de dollars, ce qui n'est pas considérable. C'est que le mode de gouvernance en Azerbaïdjan et les problèmes de transparence incitent à la prudence.

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La baisse du prix du gaz et du pétrole a-t-elle une incidence ?

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

La réduction des ressources freine effectivement le dialogue avec les bailleurs de fonds institutionnels, et la tendance n'est pas de faire appel à des financements extérieurs pour la compenser. Ainsi, le projet de ligne de métro envisagé depuis quelques années n'a plus le même degré de priorité depuis que les ressources budgétaires ont baissé. En Asie, de manière générale, nous entretenons un partenariat très fort avec la Banque asiatique de développement, qui nous a beaucoup aidés à nous réimplanter et à créer un réseau, ainsi qu'avec la Banque mondiale. Nos relations sont un peu plus rares avec la Banque européenne d'investissements (BEI) et avec la KfW, alors que nous travaillons très bien ensemble, en Afrique et dans les pays du pourtour méditerranéen. Avec l'Agence japonaise de coopération internationale – Japanese International Cooperation Agency (JICA) –, nous partageons des réflexions bien davantage que des financements de projets, car la JICA, étroitement liée aux entreprises japonaises, a un programme de diplomatie économique très élaboré qui rend la coopération avec elle difficile.

Rien n'est véritablement engagé dans le secteur agricole. Les échanges sont malaisés car dans toute discussion nos interlocuteurs techniques se mettent en retrait, indiquant très vite qu'à partir de ce moment c'est le ministre des finances qui doit décider. Disons que l'Azerbaïdjan est gouverné de manière un peu centralisée… Par ailleurs, les réactions sont faibles quand on évoque l'aménagement du territoire, le développement ou l'appui aux catégories sociales défavorisées.

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Vous intervenez dans trois pays du Caucase du Sud ; quelles sont les spécificités de l'Azerbaïdjan, comparé à la Géorgie et à l'Arménie ?

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

L'Azerbaïdjan est probablement, des trois, le pays le plus difficile. Celui où nous nous implantons le plus naturellement et le plus facilement est l'Arménie, où nous menons déjà deux projets d'envergure. Nous espérons concrétiser cette année un premier projet important en Géorgie. Jusqu'à présent, nos opérations dans ces trois pays étaient suivies depuis Paris, avec l'aide d'un volontaire international en administration installé à Istanbul. Nous avons renforcé notre dispositif en décembre 2016 en ouvrant un bureau régional à Tbilissi.

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Votre interlocuteur institutionnel est donc le ministère des finances, sinon le ministre lui-même. Quels instruments juridiques définissent les modalités des concours versés par l'Agence ? La procédure vous paraît-elle centralisée entre les mains des autorités politiques ?

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

Dès l'origine, la France a essayé de négocier un accord intergouvernemental pour officialiser la présence et les modalités d'intervention de l'AFD en Azerbaïdjan mais, à la suite du refroidissement sensible des relations entre les deux pays provoqué par le vote de la loi Boyer, cela ne s'est pas fait. L'ambassade d'Azerbaïdjan à Paris nous demande régulièrement quel cadre juridique nous serait nécessaire mais nos propositions renouvelées sur l'accord intergouvernemental ne trouvent pas vraiment d'écho. Bien que ce ne soit pas une situation idéale, il nous est arrivé de monter et de financer un premier projet dans d'autres pays sans l'ombrelle juridique d'un accord inter-gouvernemental officialisant notre présence. Mais notre objectif est qu'après quelques années, quand nous sommes bien établis dans un pays, nous disposions d'un cadre juridique sûr pour travailler dans de bonnes conditions.

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Je retiens de vos explications que l'Azerbaïdjan n'est pas une zone d'intervention stratégique pour l'AFD.

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Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l'Agence française de développement (AFD

C'est un fait. Mais il n'appartient pas aux agents de l'AFD de définir quel doit être le périmètre des interventions de l'Agence.

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Je constate qu'aucun de mes collègues ne souhaite vous interroger. Je demeure surpris que l'AFD intervienne dans un pays que l'on ne peut considérer comme dénué de ressources, mais vous avez répondu à nos questions et je vous en remercie. L'occasion m'est aussi donnée de saluer le travail accompli par l'Agence.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.