Commission des affaires sociales

Réunion du 15 février 2017 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 15 février 2017

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Martine Carrillon-Couvreur, vice-présidente de la Commission)

La Commission procède tout d'abord à l'examen, en vue de la lecture définitive, de la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse.

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Je suppose que notre rapporteure, également présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes sera sans doute d'avis d'en rester au texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, et sur lequel aucun amendement n'a été déposé.

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Je confirme, en effet, mon souhait de voir adopté définitivement le texte voté en nouvelle lecture par notre assemblée, étant donné qu'il n'y a pas eu d'accord en commission mixte paritaire et que le Sénat est resté sur sa position.

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L'opposition regrette les conditions dans lesquelles ce texte a été examiné. Nous considérons qu'il s'agit d'un parti-pris idéologique de la majorité, qui a empêché tout débat dans l'hémicycle, et nous nous réservons la possibilité de former un recours devant le Conseil constitutionnel.

La commission des affaires sociales examine ensuite le rapport d'information de M. Gérard Sebaoun relatif au syndrome d'épuisement professionnel (ou burn-out).

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En cette fin de législature, il me revient de vous rendre compte des travaux que nous avons menés sur l'épuisement professionnel, communément appelé burn out. Notre rapport ne prétend pas à l'exhaustivité, mais il permet de mieux cerner la réalité complexe de l'épuisement professionnel, dans une société en profonde mutation.

Alors que, depuis des décennies, la question cruciale de l'emploi et du chômage éclipse celle du travail, des chercheurs, des universitaires, des représentants d'institutions et d'organismes publics ou parapublics, des praticiens travaillent sur la question de l'épuisement professionnel et n'ont jamais cessé d'étudier le travail et ses transformations.

Dans le cadre de la mission, nous les avons entendus lors de trente-cinq auditions, dont douze tables rondes ou auditions conjointes. Ce sont, au total, une centaine d'interlocuteurs représentatifs que nous avons rencontrés ; leur liste figure en annexe au rapport.

Les bouleversements du monde ont entraîné des changements profonds dans le quotidien de nos concitoyens. La mondialisation des échanges n'est ni heureuse, ni porteuse de tous les maux ; c'est une réalité, comme le sont la robotisation, la tertiarisation de l'économie, la numérisation et les nouveaux modes de communication, l'apparition de nouvelles méthodes d'organisation du travail, l'intensification de celui-ci et la généralisation de nouvelles méthodes de management.

Cette conversion de l'économie et des modes de production ne relève pas, dans l'immense majorité des cas, d'un choix des travailleurs, qu'ils exercent dans le secteur privé ou au sein de l'une des trois fonctions publiques, ou bien qu'ils soient indépendants, comme les exploitants agricoles.

La souffrance psychique au travail est, dans notre pays, une réalité grandissante qui ne s'est pas substituée à la pénibilité physique. Celle-ci est aujourd'hui mieux prise en compte, alors que nous avons des difficultés à prévenir la souffrance psychique.

Rappelons une évidence, celle de la responsabilité de l'employeur, quel qu'il soit, de la très petite entreprise à la multinationale, prévue par l'article L. 4121-1 du code du travail : « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. ». L'employeur a également l'obligation d'évaluer les risques physiques et psychiques au travers du document unique d'évaluation des risques (DUER), un préalable nécessaire à la mise en oeuvre des actions de prévention.

Nous avons été conduits à nous interroger sur l'effacement progressif et généralisé de la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, qui est facilité notamment par les nouveaux outils de communication.

Nous avons ordonné le rapport en six grands chapitres, qui sont autant de questions, et vingt-sept propositions – de portée inégale – sur lesquelles je reviendrai.

Le premier chapitre vise à délimiter le champ de l'épuisement professionnel qui, à ce stade, est un syndrome et non une maladie.

Nous avons besoin d'approfondir et de stabiliser nos connaissances sur ce vaste champ, ce qui justifie la proposition n° 1, qui figure à la page 26 du rapport. Celle-ci appelle à la création d'un centre national de référence consacré à la santé psychique au travail, comme il en existe dans d'autres domaines, tels que les maladies infectieuses. Ce centre pourrait être rattaché à Santé publique France.

Le deuxième chapitre affirme la réalité du syndrome d'épuisement professionnel dans le monde du travail en revenant sur les chiffrages disponibles.

L'Institut de veille sanitaire (InVS) a évalué à 30 000 le nombre des personnes directement touchées en France, dans une étude portant sur les salariés actifs entre 2007 et 2012. Ce nombre serait d'environ 100 000 selon un rapport de l'Académie de médecine publié en 2016.

En 2014, les médias avaient popularisé le nombre de 3 millions, mais il y avait eu un amalgame. Cette estimation était extraite d'une étude qui cherchait à évaluer le risque de burn out, et non le nombre de personnes qui en étaient effectivement atteintes.

Ces chiffres sont à mettre en regard avec le nombre très limité de cas de maladies psychiques reconnus comme maladies professionnelles par la voie complémentaire hors tableau, soit 223 en 2013, 315 en 2014 et 418 en 2015, très majoritairement des dépressions. Nous sommes donc très loin des quelques dizaines de milliers de cas que j'évoquais.

Je rappelle que les maladies professionnelles sont les affections causées directement et essentiellement par l'activité professionnelle. Compte tenu des verrous normatifs actuels, il est difficile aux travailleurs affectés par une pathologie non inscrite à un tableau d'établir le lien direct et essentiel exigé par les textes entre leur travail et cette pathologie et d'obtenir en conséquence sa reconnaissance comme maladie professionnelle.

Le troisième chapitre constate que les réponses à la réalité du syndrome d'épuisement professionnel sont à tout le moins insuffisantes, voire inadéquates.

Nous proposons de mettre en place des outils pour améliorer le dépistage et la prise en charge rapide des victimes de burn out avec l'élaboration d'un nouveau questionnaire francophone au service des médecins, car les questionnaires sont aujourd'hui rédigés en anglais, que ce soit le Maslach Burnout Inventory (MBI) ou le Copenhagen Burnout Inventory (CBI) danois – qui nous semble être l'outil le plus pertinent aujourd'hui.

Nous abordons également le casse-tête des certificats remplis par les médecins, face à des travailleurs fragilisés, devenus patients, qui établissent un lien entre l'état de santé et le travail. L'attestation de ce lien, et ainsi la mise en cause de l'activité professionnelle, ont conduit environ 200 médecins à être poursuivis devant les juridictions ordinales. Nous proposons de reconnaître que les médecins du travail sont en capacité de faire le lien entre la souffrance constatée et le travail et n'ont pas à être déférés devant les juridictions ordinales pour cela.

Le quatrième chapitre traduit une évidence : il faut être capable de reconnaître la réalité du syndrome d'épuisement professionnel avant d'envisager la réparation de ses effets.

C'est un appel à un changement radical de la vision de la santé au travail, et de la santé psychique en particulier, qui doit devenir un élément clé de la stratégie des entreprises. Le troisième plan « santé au travail » 2016-2020, élaboré et adopté par l'ensemble des partenaires sociaux, va dans ce sens, en insistant sur la prévention, notamment des risques psychosociaux, avec une action spécifique sur le burn out. Les travaux initiés par la branche accidents du travail-maladies professionnelles vont dans ce sens. Ce quatrième chapitre concentre quinze de nos vingt-sept propositions. Je vais citer les thématiques les plus importantes visées par ces propositions.

Je commencerai par le codage des arrêts de travail et leur analyse, une fois anonymisés, pour mieux quantifier et territorialiser les pathologies psychiques.

Nous proposons aussi d'élaborer des modèles types de document unique d'évaluation des risques. Aujourd'hui, le document unique est à la main de l'entreprise et doit être fait sur mesure, ce qui est logique. Mais, en réalité, la moitié des entreprises, voire plus, ne réalisent pas leur document unique. Fournir des modèles types à l'ensemble des entrepreneurs les aiderait à satisfaire à leurs obligations.

Nous préconisons d'étendre le droit d'alerte des délégués du personnel et des membres élus du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) à l'obligation de réaliser ou d'actualiser le document unique.

Nous suggérons d'inscrire la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans le champ des négociations obligatoires annuelles au sein du bloc existant « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et qualité de vie au travail » et d'intégrer les acteurs de la santé au travail dans l'élaboration des futurs accords collectifs ou chartes organisant le droit à la déconnexion.

Nos propositions visent également à l'amélioration de la formation des futurs managers dès les bancs de leur école ou de l'université, avec une obligation de stages « ouvriers », notamment pour celles et ceux qui sont appelés à diriger des services opérationnels. Il convient aussi d'améliorer la formation de tous les acteurs susceptibles d'intervenir aux différentes étapes, de la prévention des risques psychosociaux à la prise en charge des victimes d'épuisement professionnel.

Enfin, nous proposons de rendre obligatoire la certification des intervenants en entreprise dans le champ des RPS et de réformer le processus de réinsertion professionnelle des travailleurs atteints de burn out, qui est actuellement déficient car il n'offre que de très faibles perspectives de retour à l'emploi.

Dans les chapitres V et VI, nous abordons la question de l'inscription du burn out dans un tableau de maladie professionnelle, avant de terminer sur son coût économique et social.

S'agissant de la perspective d'élaboration d'un tableau, nous proposons de procéder par étapes. En effet, les difficultés sont connues : la question de la définition, d'abord, abordée dans le premier chapitre, et le cadenas réglementaire exigeant un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) minimal de 25 %, qui limite considérablement le nombre de dossiers éligibles. Lorsque les dossiers sont acceptés, un sur deux fait ensuite l'objet d'une reconnaissance.

La majorité des personnes qualifiées auditionnées par la mission ont fait état des difficultés à construire un tableau de maladie professionnelle. Il est nécessaire de remplir trois colonnes, ce qui n'est pas simple lorsqu'on parle de pathologies psychiques. L'examen des demandes de reconnaissance de pathologies relevant du burn out qui ont été acceptées par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d'Île-de-France fait apparaître qu'elles concernent quatre-vingt-quinze professions distinctes.

Nous proposons donc d'expérimenter l'abaissement à 10 % du taux d'incapacité permanente partielle nécessaire à la reconnaissance d'une maladie professionnelle, voire de supprimer ce seuil, afin d'augmenter le nombre de dossiers éligibles. Selon les estimations du docteur Jeantet, qui dirige la branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP), la suppression du seuil conduirait à augmenter considérablement le nombre des dossiers de demande de reconnaissance éligibles et le délai moyen d'examen par les CRRMP. En faisant la proposition d'abaisser le taux d'IPP, nous sommes conscients du risque réel de surcharge des CRRMP, d'où notre proposition de renforcer dès maintenant leurs moyens, notamment en dédoublant les comités les plus chargés.

Par ailleurs, nous avons retenu la suggestion visant à renforcer la dimension contradictoire de la procédure d'instruction des dossiers par les caisses et les CRRMP.

Quant au coût économique et social du burn out, qui fait l'objet du chapitre VI, il est certainement considérable, même s'il peine à être quantifié faute d'une définition opérante pour le syndrome.

Une étude très ancienne avait estimé que le coût du stress au travail était compris entre 2 et 3 milliards d'euros pour l'année 2007. Une autre étude, issue de la Commission européenne, avançait un montant de 20 milliards d'euros pour l'Union européenne à quinze et pour l'année 2002. En 2009, le rapport de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail estimait que 50 à 60 % des journées de travail perdues dans l'Union européenne avaient un lien avec le stress au travail.

Ayons toujours à l'esprit le coût économique et social astronomique de l'ensemble des maladies mentales en France, quelle que soit leur origine. Il a été évalué par la Cour des comptes à 107 milliards d'euros dans son rapport de 2011, et à 109 milliards d'euros dans une autre étude de 2012.

Nous proposons que la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale évalue le coût des maladies psychiques liées au travail, coût actuellement supporté par l'assurance maladie. Le législateur décidera si ce coût doit être répercuté vers la branche AT-MP.

Nous souhaitons également la prise en charge par la branche AT-MP du suivi psychologique à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dès lors qu'il aura été prescrit, dans le droit-fil de prises en charge expérimentales ou dérogatoires du suivi psychologique par un psychologue clinicien par l'assurance maladie.

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Nous avons mené plus d'une centaine d'auditions qui constituent aujourd'hui un matériau précieux au regard des actions qu'il nous faudra mener pour lutter contre le syndrome d'épuisement professionnel.

Gérard Sebaoun a fait une excellente présentation du rapport. C'était une gageure que de dresser l'état des lieux et de présenter en si peu de temps nos propositions, dont nous avons pu constater, lors de notre dernière réunion, qu'elles faisaient l'objet d'un consensus.

Nous avons commencé nos travaux sans aucun a priori. Je ne suis pas sûr que la traduction des termes « épuisement professionnel » par burn out soit parfaite. On nous reproche souvent d'utiliser trop d'anglicismes. Mais il faut rester très ouvert pour respecter la multidimensionnalité du burn out.

Une chose est certaine : il s'agit d'un phénomène sociétal incontestable et d'un sujet de société majeur. Si tout le monde en parle – journaux, entreprises, salariés –, c'est que ce phénomène, qui touche à la souffrance au travail, s'est accéléré et propagé, au point de devenir une caractéristique de nos sociétés contemporaines. Ce phénomène, dont le coût humain et financier pour la société est considérable, fait partie d'un sujet plus général, celui de la santé mentale au travail.

Nous nous sommes d'abord heurtés à un problème de définition. Nous sommes allés jusqu'à demander, notamment à l'Académie nationale de médecine, puisqu'il s'agit d'un problème de psychopathologie, si le burn out existait. Certes, il n'en existe pas de définition dans les tableaux nosographiques internationaux, comme le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) de l'American Psychiatric Association (APA), ou la Classification internationale des maladies (CIM) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais chacun s'accorde à dire que ce n'est pas parce qu'il n'existe pas de définition médicale communément reconnue que le phénomène n'existe pas.

Pour ce qui nous concerne, nous avons tenu compte de l'aspect multidimensionnel du burn out. Sa définition touche à la fois au champ médical et au champ juridique. Le burn out résulte d'une interaction entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale. Mais même s'il est exclusivement lié à une très forte pression dans la vie professionnelle, il influe obligatoirement sur la vie personnelle et psychique. C'est ce qui rend ce phénomène si complexe.

Il ne faut pas confondre le burn out avec d'autres troubles psychopathologiques bien connus. L'absence de définition précise du burn out fait qu'on utilise ce terme pour désigner d'autres pathologies. Je pense au surmenage, à l'anxiété, à la dépression. Le rapporteur a également parlé du stress et des conduites suicidaires. Il faudra être très précis pour mettre en application les propositions de ce rapport. S'agissant de la reconnaissance du burn out, il faudra faire preuve d'une grande vigilance.

Nous avons tenté de faire apparaître la multidimensionnalité du phénomène. Les auditions ont permis d'évoquer les dimensions scientifique, médicale, psychopathologique, mais aussi managériale et organisationnelle du burn out, sans oublier la dimension juridique. Mais est-il possible de légiférer sur un phénomène qui n'a pas encore trouvé de définition médicale ? D'où l'importance du travail qui nous attend.

Le rapporteur a également évoqué les dimensions sociale, politique, budgétaire et financière du burn out, avec toutes leurs conséquences en matière de gestion publique et de protection sociale. Pour terminer, j'insiste sur la dimension associative, comme dans tout processus qui produit des victimes.

Il est nécessaire de mettre en oeuvre les dispositions que nous proposons, car il existe incontestablement un immense besoin de reconnaissance individuelle et sociale. Personnellement, je me félicite que cette mission se soit déroulée hors de tout combat politique et idéologique. Le consensus qui existe sur ce sujet est à la mesure de l'importance de l'enjeu.

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En vous écoutant, monsieur le président, monsieur le rapporteur, je voudrais faire le lien, dont vous considérerez peut-être qu'il n'est pas d'actualité, avec la situation des personnes présentant une pathologie psychique que l'on appelle plus communément « handicapées psychiques ».

Nous savons que cette question est, elle aussi, centrale et qu'elle concerne aujourd'hui beaucoup de personnes qui peuvent ressentir une souffrance psychique dans le cadre de leur travail, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner. Avez-vous pu faire le lien avec cette problématique ? Avez-vous pu entendre des représentants d'associations qui interviennent dans ce domaine ?

Je voudrais également souligner l'intérêt de vos propositions en matière de formation. On ne peut pas avancer sur ces sujets si on ne prend pas le temps d'accompagner et de mieux former. C'est ce que vous proposez pour les managers et les médecins du travail. Certes, il sera nécessaire de définir plus précisément ce qu'est le burn out, mais on voit bien, même si les chiffres ne sont pas reconnus officiellement aujourd'hui, que ce phénomène concerne énormément de monde.

Le deuxième point que je voudrais évoquer concerne le maintien dans l'emploi et l'accompagnement au retour à l'emploi. Ce sujet est évoqué très régulièrement lorsqu'il y a une interruption ou une rupture dans le parcours professionnel. Je dois dire que les chiffres ne sont pas très bons. Le maintien dans l'emploi en cas d'inaptitude et l'accompagnement au retour à l'emploi sont des problèmes dont il faut prendre toute la mesure. C'est l'objectif de votre proposition n° 20.

Enfin, j'aimerais savoir comment vous êtes arrivés à la proposition n° 12, qui vise à favoriser la mise en place d'un réseau de salariés, délégués du personnel et représentants du CHSCT, formés à la vigilance contre les risques psychosociaux. Cela pose à nouveau – entre autres – la question des missions du CHSCT, dont nous avons récemment débattu à l'occasion d'autres textes.

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Votre rapport s'adresse tous ceux qui s'intéressent aux conditions de travail, à la santé au travail et au burn out, qu'on appelait plus communément, dans ma jeunesse, le surmenage, et qui pouvait entraîner des pathologies très connues, comme l'infarctus. Vous avez pris en compte le changement des conditions de travail, qui visent à toujours plus de productivité dans un monde économique toujours plus dur, et qui peuvent aboutir au burn out.

J'avais entendu dire, lors d'un débat, qu'il y avait potentiellement 3 millions de personnes atteintes de burn out ; c'est un nombre considérable par rapport aux 25 millions de travailleurs que compte notre pays. Le nombre de 30 000, que vous indiquez aujourd'hui, monsieur le rapporteur, me rassure un peu, même s'il reste important.

Il est très difficile pour quiconque de séparer vie professionnelle et vie privée, car si la pression au travail peut conduire au burn out, le mal-être que l'on ressent dans son travail peut être généré par d'autres facteurs relevant de la vie personnelle.

Vous l'avez dit, le burn out est un syndrome et non une maladie, ce qui complique les choses. Mais – c'est tout l'intérêt de la mission d'information – vous avez essayé d'en donner une définition.

Toutes vos propositions sont pertinentes, mais je voudrais insister sur la prévention. Dans un monde idéal, le burn out ne devrait pas exister. Il serait utopique de dire que travailler devrait toujours être un bonheur, mais on devrait pouvoir aller au travail sans difficulté majeure. C'est ce à quoi il nous faut oeuvrer. Si l'on arrive à des situations de burn out dans l'entreprise, cela prouve qu'il y a des choses qui ne vont pas. Cela peut provenir du management ou d'une demande de productivité bien supérieure à ce qu'elle devrait être. Nous avons commencé à traiter ce problème avec le droit à la déconnexion.

Je suis très sensible à l'objectif de votre proposition n° 15. On est, en effet, souvent propulsé au poste de manager sans avoir véritablement appris ce que c'est que diriger ou encadrer des salariés. Il est essentiel de démontrer qu'à partir d'un bon management, on peut arriver à travailler sereinement, dans des conditions tout à fait acceptables.

Les médecins du travail s'intéressent depuis longtemps au burn out. Ils s'occupent essentiellement des risques psychosociaux et des troubles musculo-squelettiques (TMS), qui représentent à eux seuls 80 % des consultations.

Les équipes pluridisciplinaires de médecine du travail ont recruté des psychologues pour détecter, au-delà des souffrances physiques liées au travail, les souffrances psychiques qu'il peut entraîner. Il est donc important de créer une relation de confiance entre le médecin du travail et le salarié. Quand on est mal dans son travail, on devrait pouvoir consulter en toute confiance le médecin du travail pour améliorer la situation. Cela passe par le CHSCT, les délégués du personnel, les syndicats et tous ceux qui peuvent donner l'alerte.

La présidente nous a dit combien elle était attachée au maintien dans l'emploi et au retour à l'emploi des personnes concernées. Quand on sort de l'emploi, il est en effet très difficile d'y retourner. Là encore, c'est un sujet majeur sur lequel nous devons travailler.

Ce rapport pose de véritables questions auxquelles il faudra répondre. J'espère que nos successeurs, quels qu'ils soient, s'en empareront, car il serait dommage d'en rester là. Vous avez posé notamment une question importante : le basculement de la prise en charge de la branche maladie à la branche AT-MP si le burn out était reconnu comme maladie professionnelle. Il faut être conscient que cette reconnaissance aura des conséquences budgétaires.

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Nous avons un important travail – je parle cette fois en tant que représentant du groupe Les Républicains – à effectuer sur la question de la santé mentale des travailleurs. Nous devons trouver une définition juridique, comme cela a été fait par exemple pour le harcèlement moral, sans oublier que l'employeur est soumis à une obligation de résultat.

Ensuite, j'insiste sur la question des conditions de travail et de la santé mentale au travail. J'ai l'impression qu'elle a été quelque peu éclipsée par la question obsessionnelle de l'emploi et du chômage. Cette mission d'information sur le burn out permet d'aborder la dimension de la santé mentale au travail, qui est probablement l'une des premières causes d'arrêts de travail et dont le coût est très élevé.

Les tableaux de maladies professionnelles sont un élément important en matière de reconnaissance. J'insiste sur le fait que la mission d'information n'a pas recommandé en l'état d'introduire le burn out dans ces tableaux. On peut considérer qu'il s'agit d'une très grande prudence, mais je crois que c'est surtout la preuve d'une très grande sagesse puisque la mission n'a pas écarté la possibilité d'une évolution.

Quant à la responsabilité de la branche AT-MP, sujet extrêmement sensible sur lequel les partenaires sociaux n'ont pas trouvé d'accord, la question de fond est la suivante : est-il possible de responsabiliser les employeurs si le responsable n'est pas le payeur ? Il y a une proposition d'expérimentation, mais celle-ci ne sera effective qu'après avoir travaillé à la définition du phénomène et à son encadrement.

Enfin, je voudrais signaler la dimension particulière du rôle des psychologues cliniciens dont les compétences sont aujourd'hui, selon moi, sous-utilisées.

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Je tiens à saluer la qualité du travail et l'engagement de Gérard Sebaoun et d'Yves Censi. Depuis juin 2016, notre mission d'information a consacré à cette question complexe, qui est régulièrement évoquée dans notre assemblée, 54 heures de travaux et organisé 37 auditions, auxquelles j'ai souvent eu l'occasion de participer. Je dois dire que c'était passionnant.

Le mérite premier de la mission est de faire un état des lieux approfondi – comme nous avons essayé de le faire avec Jean-Marc Germain sur le paritarisme – et de préconiser plusieurs mesures pour améliorer la santé au travail, entendue au sens large. De fait, le mal-être au travail est un vrai enjeu de société, qui mérite mieux qu'une réponse improvisée ou simpliste.

S'il est très difficile d'évaluer avec précision le nombre de personnes concernées par l'épuisement professionnel, il est évident que de plus en plus de salariés sont en proie au phénomène du burn out, souvent synonyme d'angoisse permanente, causée par l'accumulation de stress.

Plusieurs raisons font que l'épuisement professionnel doit être appréhendé par notre assemblée.

D'abord, parce que l'actualité fait régulièrement état de désastres humains causés par le burn out, que ce soit dans l'entreprise, notamment dans les PME et TPE, dans le monde agricole ou dans le milieu médical. Nous ne pouvons ignorer l'appel à l'aide de toutes ces professions.

Ensuite, parce que ce syndrome engendre une dépense importante pour l'assurance maladie. En effet, le traitement de la souffrance psychique au travail est pris en charge par l'assurance maladie, comme toute autre maladie psychique. À ce titre, je rappelle que depuis 2012, l'assurance maladie a assoupli les procédures de reconnaissance afin de mieux prendre en charge ces risques.

Enfin, parce que le burn out entraîne également un coût pour l'entreprise, même si celui-ci est souvent diffus : perte de savoir-faire ; désorganisation ; remplacement difficile des hommes et des femmes qui sont touchés ; pression à l'augmentation des cotisations sociales ; dégradation de l'image et de l'attractivité de l'entreprise – vous avez sûrement des exemples en tête.

Le chemin vers la reconnaissance du burn out est encore long, et il fera certainement l'objet de débats dans les prochains mois et les prochaines législatures. En attendant, je tenais à vous dire, au nom du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI), que les propositions que vous formulez en faveur de l'accueil et de la prise en charge des personnes souffrant dans le cadre de leur activité professionnelle nous semblent aller dans le bon sens. De la même façon, nous approuvons vos réflexions, notamment celle relative au droit à la déconnexion – que nous pourrions d'ailleurs prendre pour nous. Si les nouvelles technologies de l'information et de la communication augmentent souvent l'efficacité du travail, elles s'accompagnent d'une surcharge d'informations, qui peut se retourner contre le salarié, voire le conduire à l'épuisement professionnel.

Madame la présidente, je suis convaincu que ce rapport d'information sera très important pour les hommes et les femmes victimes du syndrome d'épuisement professionnel, et utile à la représentation nationale dans la prochaine législature.

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Je voudrais moi aussi saluer le travail de nos collègues, Gérard Sebaoun et Yves Censi.

Je rappelle que plusieurs amendements visant à reconnaître le syndrome d'épuisement professionnel avaient été repoussés lors de l'examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi et de l'examen du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le bureau de notre commission ait décidé de créer une mission d'information sur le sujet.

Comme vous l'avez observé à juste titre, monsieur Sebaoun, le sujet est complexe et ses dimensions multiples : à la fois médicales, économiques, sociales et juridiques. L'épuisement professionnel reste aujourd'hui encore mal identifié, ou du moins mal défini. L'OMS n'en a d'ailleurs pas encore donné de définition officielle.

Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) approuve donc votre première proposition, qui consiste à mettre en place un centre national de référence consacré à la santé psychique au travail. Je tiens par ailleurs à souligner la qualité de vos recherches relatives à l'épuisement professionnel chez les personnels soignants, notamment les infirmières et les infirmiers.

En octobre 2016, une étude émanant du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen rapportait que les différentes études épidémiologiques menées sur l'épuisement professionnel des médecins permettaient d'estimer que 43 % des médecins en Europe étaient atteints d'épuisement professionnel sévère, et que cette proportion était de 46 % au Royaume-Uni, de 40 % en région parisienne, de 50 % en Italie et en Bulgarie, de 45 % en Pologne. On y mentionnait également que ces taux étaient identiques chez les hospitaliers et les libéraux ainsi que les femmes et les hommes, mais que les spécialistes y étaient plus sujets, notamment les urgentistes, les obstétriciens, ou encore les chirurgiens.

Par ailleurs, après les drames qui sont survenus dans le monde médical ces derniers temps, le président de l'Ordre national des médecins, M. Patrick Bouet, a soulevé à nouveau ce problème. De votre côté, vous avez auditionné l'Ordre. C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, nous saluons votre proposition n° 2 visant à confier au futur centre national de référence l'élaboration d'un questionnaire francophone comme outil d'évaluation et de prévention destiné aux médecins de soins et aux médecins du travail.

Parmi vos vingt-sept recommandations, j'approuve particulièrement la proposition n° 10 qui vise à « permettre aux délégués du personnel et membres du CHSCT d'exercer leur droit d'alerte pour demander la mise en oeuvre de la procédure d'évaluation des risques ou son actualisation ». Il en est de même de la proposition n° 19, qui vise à « intégrer à la formation des médecins du travail, des collaborateurs médecins du travail, des infirmiers spécialisés en santé au travail, des intervenants en prévention des risques professionnels, des professionnels des ressources humaines et des relations sociales, et des assistants de service social, un module relatif à la détection, au traitement et à la prévention des risques psycho-sociaux ».

Je vous félicite donc pour ce travail qui amorce une réflexion ultérieure, réflexion qui sera certainement longue, mais qui, j'en suis persuadée, aboutira.

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Madame la présidente, je commencerai par saluer très sincèrement ce travail qui traite d'une question d'actualité, douloureuse et délicate. En effet, le burn out est un syndrome complexe, difficile à définir pour les législateurs que nous sommes. D'ailleurs, parmi les vingt-sept propositions avancées dans le rapport, plusieurs visent à faire progresser la connaissance des facteurs de risques et des manifestations de la souffrance au travail : mise en place d'un centre national de référence sur la santé psychique au travail, chargé de la veille sanitaire, de l'épidémiologie et de la prévention, ce qui est très important ; maillage du territoire par un réseau de consultation multidisciplinaire, consacré à la souffrance au travail ; mise en place d'un réseau de salariés délégués du personnel et représentants au CHSCT, formés à la vigilance contre les risques psychosociaux.

Je saluerai certaines autres propositions novatrices, plus audacieuses dans la mesure où elles envisagent de nouveaux droits pour les salariés : la proposition n° 10, qui vise à « permettre aux délégués du personnel et membres des CHSCT d'exercer leur droit d'alerte » ; la proposition n° 18, qui vise à « doter d'un statut de salarié protégé les infirmiers chargés de la surveillance de l'état de santé des salariés » ; ou encore la proposition n° 25, qui vise à « faire prendre en charge par la branche AT-MP le suivi, par un psychologue clinicien prescrit à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ». Et je n'oublierai pas de signaler les propositions qui concernent la formation – dont la proposition n° 19 – qui sont très intéressantes.

Cependant, comme l'a très bien souligné Michel Issindou, il faut noter que ce syndrome ne devrait pas exister. Il faudrait peut-être donc commencer par respecter les temps de repos des salariés ainsi que leur vie sociale. De ce point de vue, je regrette que plusieurs textes de loi adoptés au cours de cette législature, non seulement ne permettent pas des avancées dans ces domaines, mais encore constituent des reculs.

Je pense à la loi Macron, avec l'élargissement du travail du dimanche et du travail de nuit, et avec l'instauration – je dirai même « l'invention » – du travail « en soirée ». Je passe sur les angoisses que peuvent provoquer de telles contraintes pour une femme qui a des enfants et qui rentre chez elle à 21 heures…

Je pense aussi à la loi Rebsamen qui, entre autres, a réduit les prérogatives des CHSCT.

Quant à la loi El Khomri… je n'en dirai rien. (Sourires.)

En conclusion, ce rapport constitue une réflexion des plus sérieuses sur un vrai sujet. Mais quand et par qui ces préconisations seront-elles concrétisées ? On peut s'interroger, quand on sait que ce phénomène est apparu dans les années 1970 et qu'il s'aggrave, pouvant conduire à des morts et à des suicides.

Quoi qu'il arrive, il est nécessaire et urgent de s'en occuper. Et quoi qu'il arrive, ce travail ne pourra qu'être utile dans l'avenir, au-delà de nos différentes sensibilités politiques.

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Je tiens à remercier de leur travail le rapporteur ainsi que mon collègue aveyronnais Yves Censi, qui a consacré beaucoup de temps et d'énergie à cette mission.

Je retrouve dans ce rapport certains des éléments abordés dans celui que j'ai élaboré sur la branche AT-MP pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2017. J'avais reçu les mêmes institutions et les mêmes personnes que vous, et largement évoqué la souffrance psychologique au travail et sa prise en charge – ou pas…

Dans la majorité des cas, la branche AT-MP ne la prend pas en charge, pour deux raisons. La première, sur laquelle vous êtes largement revenus, tient à l'absence de définition claire du périmètre de ce qui peut être considéré comme une maladie psychologique liée à l'exercice professionnel. La seconde tient à l'état actuel de la branche AT-MP, où la sous-déclaration, qui est manifeste, a eu pour conséquence le transfert, que je considère comme regrettable, de l'excédent de la branche AT-MP sur la branche maladie, sans que l'on ait cherché à améliorer les conditions d'exercice de la branche AT-MP.

Bien sûr, je souscris à votre analyse et à vos propositions. Mais je voudrais vous interroger sur vos recommandations en matière de prévention. Selon moi, l'épuisement professionnel et le burn out nécessitent une prise en charge très large, qui dépasse la seule dimension professionnelle.

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À mon tour de saluer le travail de notre rapporteur.

Ce rapport aura sans nul doute le mérite de lever le voile sur le burn out et constituera une source précieuse d'informations pour de futurs travaux.

Il souligne à juste titre la difficulté d'apporter des réponses définitives, mais aussi la nécessité de favoriser des études plus approfondies pour mieux apprécier, qualifier et quantifier la prévalence de ce syndrome. Souvent considéré comme une « maladie honteuse » dans notre société de la performance, celui-ci s'accompagne de difficultés sociales, familiales qui fragilisent encore davantage celui qui en est victime.

Je tiens à souligner l'importance des réflexions qui, dans ce rapport, portent sur la formation et le rôle des managers, la prévention et la détection du burn out par ceux qui sont en contact régulier avec les salariés. Encore faut-il qu'ils soient sensibilisés au problème.

Par ailleurs, je remarque que le médecin du travail a un rôle à jouer dans la prévention et la détection du burn out. Vous-même, monsieur le rapporteur, avez souligné le rôle de ces professionnels, tout en déplorant leur raréfaction dans les entreprises.

J'ai deux questions à ce propos. Comment mieux articuler l'intervention des médecins du travail avec les autres membres des équipes pluridisciplinaires ? Comment faire évoluer leur pratique, voire leur formation, pour mieux prendre en compte ce syndrome et le détecter avec efficacité ?

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Madame la présidente, je m'associe aux remerciements et aux félicitations qui ont été adressées au rapporteur et à notre collègue Yves Censi pour le travail qu'ils ont accompli et qui aborde, me semble-t-il, toutes les problématiques inhérentes au syndrome du burn out, sa reconnaissance, ses causes et ses conséquences, sa prise en charge et sa prévention. Mais j'ai le sentiment – un peu comme avec le travail que nous avons fait il y a quelques semaines sur la fibromyalgie – que l'on approche le problème sans pour autant apporter de solutions concrètes à ce qui constitue une véritable maladie.

Monsieur Sebaoun, un point a tout particulièrement attiré mon attention dans ce rapport, à savoir l'épuisement professionnel chez les personnels soignants, dont vous n'avez pas beaucoup parlé dans votre présentation. Je pense notamment aux infirmières et infirmiers des hôpitaux publics et aux médecins, dont les horaires ne respectent pas la durée légale du travail et dont la charge peut se trouver amplifiée par les épidémies – comme celle de la grippe, récemment. Je pense que l'on sous-estime le malaise de ces professions, et la nécessité d'y répondre en toute urgence.

Mme Fraysse a dit qu'il faudrait commencer par respecter les temps de repos des salariés. Je trouve que, dans ce domaine, nous n'y sommes plus du tout et que nous devrons trouver des solutions.

Enfin, j'approuve la proposition n° 15 visant à « intégrer à la formation des futurs managers un module approfondi sur la connaissance et la prévention des risques psycho-sociaux et la prise en compte de la santé mentale et physique au travail dans la stratégie de l'entreprise ». Néanmoins, il me semble qu'aujourd'hui notre approche du travail est tout à fait différente de celle d'il y a seulement quelques années, et que devrons faire évoluer notre réflexion en la matière.

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Je veux à mon tour souligner l'importance de ce rapport d'information relatif au syndrome d'épuisement professionnel. Trop longtemps, la France est restée dans le déni, alors que d'autres pays ont su affronter la question. Ainsi, la Suède a supprimé les seuils à partir desquels examiner un dossier ; le Danemark a établi un tableau de maladies professionnelles pour le stress post-traumatique ; et le Bureau international du travail (BIT) nous encourage à nous engager sur cette voie.

Assurément, les nouveaux modes de production, les nouvelles formes de management, les mutations technologiques, l'économie numérique entrainent de nouveaux risques professionnels. Ce rapport est donc utile car, sans une meilleure reconnaissance de la souffrance au travail, ce mal s'amplifiera par un manque de prise en charge – et c'est précisément ce qui attise le désespoir et la colère de nombreux salariés.

Vous formulez vingt-sept propositions importantes pour faire face au syndrome d'épuisement professionnel. Je note que l'élaboration d'une définition claire n'en fait pas partie. Est-ce que cela signifie que le cadre actuel, tel qu'il est posé, permet tout de même d'avancer ?

Ensuite, s'il fallait hiérarchiser les propositions, quelles seraient celles à mettre en oeuvre en priorité dans le cadre d'un plan d'action ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur votre proposition n° 21, qui consiste à expérimenter l'abaissement du seuil nécessaire pour pouvoir déposer un dossier de reconnaissance. Le seuil actuel est de 25 % d'IPP, ce qui correspond à un bras arraché sur le plan physique, et à une tentative de suicide sur le plan psychologique. C'est bien trop élevé !

Je souhaiterais donc savoir comment vous envisagez d'abaisser – voire de supprimer – ce seuil. Quels seraient le périmètre de l'expérimentation et les conditions de sa mise en oeuvre ? S'agit-il pour vous d'un enjeu essentiel ?

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Madame la présidente, je tiens d'abord à adresser mes félicitations au rapporteur et au président de la mission d'information, car le syndrome d'épuisement professionnel est un sujet extrêmement complexe.

Je suis tout à fait d'accord sur ce qui est écrit à propos des risques d'une « psychologisation » de toute souffrance. Nous sommes bien en présence d'un syndrome, et non d'une maladie. Par ailleurs, pour vaincre le burn out, il faut mettre en place une politique de prévention. On ne sort pas du cadre de la santé au travail.

Je vous aurais volontiers interrogé sur les propositions n° 6, n° 18 et n° 22, mais le temps qui m'est imparti ne me le permet pas. Je dirais simplement qu'il est extrêmement difficile d'« améliorer la rédaction des certificats de décès afin de mieux connaître la réalité des suicides pouvant être liée à une souffrance psychique au travail » quand on connaît les conditions dans lesquelles s'établit un certificat de décès.

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Je joins mes félicitations à toutes celles qui ont été adressées au président et au rapporteur, qui ont formulé des propositions consensuelles. Il suffit d'écouter les différentes interventions pour s'en rendre compte.

Je remarque que la mission, qui portait sur le burn out, a très clairement étendu son champ d'analyse aux maladies psychiques en lien avec le travail. Et il semblerait, d'après ce rapport, qu'au-delà du burn out c'est la maladie mentale, ou la maladie psychique, qui est mal prise en charge dans le cadre du travail.

La qualité de vos recommandations est telle que ce rapport est presque directement utilisable. Je pense notamment à celle qui vise à « permettre au médecin du travail d'attester des pathologies constatées chez les salariés, et notamment des cas de souffrance au travail », qui pourrait s'avérer utile dans certains contentieux – par exemple en matière de preuve.

Je remarque que votre approche innovante du rôle des psychologues reprend une proposition qui a été adoptée dans le cadre du PLFSS : il s'agit, à titre expérimental, de permettre à des jeunes d'être suivis par des psychologues, dont l'intervention sera remboursée par la sécurité sociale.

J'observe que vous êtes extrêmement méthodique en matière de prévention des risques : élaboration d'un guide pratique ; entrée de la négociation sur le risque psychique dans le champ des négociations annuelles obligatoires ; mise en place d'un réseau de salariés ; vigilance en matière de risques psycho-sociaux ; statut de salarié protégé pour les infirmiers chargés de la surveillance de l'état de santé des salariés.

Ma conclusion est que votre rapport est intéressant, qu'il s'agisse du traitement du seul burn out, ou de l'ensemble des maladies psychiques – quand elles sont en lien avec le travail.

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Madame la présidente, chers collègues président et rapporteur, ce rapport nous permet d'évoquer un sujet très important et la qualité de son contenu élève le débat.

Le burn out est un syndrome dont la définition n'est pas figée et qui traduit l'épuisement physique, psychique, et toutes les formes de souffrance, à la suite d'une surcharge de travail, d'un investissement professionnel intense, ou pour des raisons multiples : difficultés personnelles et familiales, conditions de logement et de transport, etc. Cela m'amène à évoquer la situation des personnes qui accompagnent des personnes âgées malades ou des proches handicapés : elles peuvent se trouver en proie au burn out et à l'épuisement. Je tenais à le dire ce matin.

On l'a dit, il est difficile de définir le burn out. Suppose-t-il un état d'épuisement, difficile à apprécier ? Comment qualifier la réalité ? Et comment quantifier la prévalence du syndrome d'épuisement professionnel ? Votre rapport, quelle qu'en soit la qualité, montre la limite de l'exercice.

Je mesure combien la conciliation de la vie professionnelle avec la vie personnelle soulève de questions et d'enjeux, liés aux exigences de l'entreprise, aux contraintes de la production, aux situations familiales ou aux caractéristiques de notre territoire.

Je suis conscient que certaines professions sont plus particulièrement touchées par le syndrome d'épuisement professionnel : les professionnels des hôpitaux, qui vivent à un rythme particulier ; les agriculteurs, qui ploient sous la charge de travail et s'inquiètent pour leur revenu ; nos policiers, exposés à des situations dramatiques. Chaque jour, nous écoutons, dans nos permanences, sur le terrain, dans les usines, ce que nous disent les ouvriers, les femmes seules qui doivent faire face à leurs charges familiales et professionnelles. Bien évidemment, tous ces témoignages méritent d'être pris en compte.

Cela étant, l'état d'épuisement est fréquent dans toutes les professions, à tous les âges. Selon vous, 95 métiers seraient recensés ; mais il y en a sans doute bien d'autres. Comment définir alors le franchissement d'un seuil, et lequel, qui permettrait de faire figurer le burn out au tableau des maladies professionnelles ? C'est là tout l'enjeu.

Dans cette attente de reconnaissance, comment améliorer la santé au travail de la majorité des travailleurs ? Comment mieux les accompagner ? Comment prendre en charge les victimes de burn out ? À mon sens, les recommandations de ce rapport sont très importantes : renforcer le réseau des consultations multidisciplinaires consacrées à la souffrance au travail ; améliorer la démarche publique de prévention ; sensibiliser les dirigeants des entreprises et des services publics à la prise en charge de l'épuisement professionnel. Car c'est la qualité de vie au travail qui nous réunit tous ce matin. Et c'est un grand objectif !

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À mon tour de remercier Gérard Sebaoun et Yves Censi pour le rapport que nous étudions aujourd'hui, et notamment pour la solidité des très nombreuses mesures qu'ils nous proposent pour combattre le syndrome d'épuisement professionnel.

Je suis particulièrement intéressée par le sujet parce que j'ai été longtemps élue dans un CHSCT et dans un comité d'entreprise (CE). Nous étions souvent démunis face aux drames qui pouvaient se produire dans l'entreprise, face aussi au surmenage et à l'épuisement professionnel. La formation des salariés siégeant dans ces instances sera évidemment très importante.

Vous l'avez dit, le dispositif actuel n'est pas adapté à la prise en charge des victimes d'épuisement professionnel. Comment envisagez-vous d'intégrer celui-ci dans le tableau des maladies professionnelles ? Chaynesse Khirouni a parlé d'abaisser à 10 % le taux minimal d'incapacité professionnelle permanente. Pourriez-vous nous fournir quelques éclaircissements à ce propos ?

La première proposition de ce rapport porte sur la création d'un centre national de référence sur les nouvelles pathologies liées à la souffrance au travail. Ce centre devrait, normalement, mettre en place une politique de prévention de ce risque. Comment ? On sait aujourd'hui que l'épuisement professionnel est davantage un syndrome qu'une maladie à long terme, avec des signes précurseurs.

Enfin, vous parlez d'expérimentation et d'amélioration des outils existants. Pouvez-vous nous en dire plus ? Où l'expérimentation sera-t-elle proposée ? Et par qui ?

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Je dois moi aussi remercier ceux qui se sont engagés dans un exercice bien difficile. Si, à une certaine époque, il y avait Zola, à notre époque il y a le burn out !

Le sujet est difficile. Souvent, la victime de ce syndrome – qu'on a tendance à rattacher aux conditions de travail – a pour seuls interlocuteurs son médecin traitant et des auxiliaires médicaux ou paramédicaux – qui sont eux aussi atteints par le burn out.

Comment discuter de problèmes qui relèvent à la fois du surmenage professionnel, mais aussi familial, sportif, etc. ? Ce surmenage personnel et global est délicat à apprécier.

Et puis, le secret professionnel ne peut pas être partagé, ni avec les médecins du travail, ni avec les médecins de sécurité sociale, ni avec les auxiliaires médicaux, parce qu'une grande partie de la vie de chacun est protégée.

On a parfois affaire à des personnes qui ont des difficultés familiales et professionnelles, qui prennent de l'alcool ou des drogues, qui ont des antécédents psychiatriques et psychotiques sévères, et qui rencontrent des problèmes dans le cadre d'un travail qu'ils n'ont pas choisi, mais qui leur a été imposé par les événements de la vie.

Le conflit au travail est fréquent entre l'employé et l'employeur, pour des raisons diverses. Il se traduit par des arrêts de travail, justifiés ou non. C'est délicat pour les médecins de la sécurité sociale qui ne connaissent pas tout de la question.

Dans ces conditions, comment faire un diagnostic d'indemnisation ? Comment relier ces symptômes à une maladie, alors qu'ils sont d'abord la conséquence sociale de notre nouvelle économie, de notre nouvelle écologie, de notre nouveau mode de vie que nous subissons tous ? Moi qui étais médecin, j'ai eu un burn out, je l'ai assumé mais je suis là pour témoigner que ce fut difficile.

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Je remercie les membres de la mission d'information et son rapporteur Gérard Sebaoun.

Le travail devrait être un épanouissement et, à tout le moins, son exercice devrait se faire dans la dignité. Or nous constatons que la question du burn out est devenue préoccupante, au point d'amener notre assemblée à s'en saisir et à créer une mission d'information.

Vous l'avez dit, le burn out mérite d'être mieux identifié et mieux connu, d'être expertisé, prévenu et traité. Il amène à établir des liens entre les pathologies constatées et l'activité professionnelle. Nous avons des outils de prévention, et je suis convaincue que celle-ci la première des priorités. Je pense en particulier aux CHSCT, qui sont des lieux d'alerte et de sensibilisation pour prévenir des risques psycho-sociaux, à la sensibilisation des managers, mais aussi à celle des salariés à travers les réseaux de salariés – qui font l'objet de la proposition n° 12.

Aujourd'hui, le schéma ressemble à celui-ci : des congés de maladie qui se succèdent ; une longue maladie qui débouche trop souvent sur l'inaptitude à l'emploi et le licenciement, en laissant les personnes dans un désarroi encore plus important face à la situation générale de l'emploi – surtout lorsqu'elles sont à un âge où il est encore plus difficile de se réinsérer.

Certes, la proposition n° 20 vise à « améliorer la réinsertion professionnelle des victimes d'épuisement professionnel par la mise en place d'un accompagnement au retour au travail, organisé autour d'une visite de pré-reprise repensée, et si nécessaire l'organisation de son reclassement au sein de l'entreprise ». Mais quel organisme pourrait s'en charger ? Ne faudrait-il pas être plus coercitif envers l'employeur, pour que l'entreprise s'engage à trouver des solutions d'accompagnement en son sein quand c'est possible, ou à participer au financement d'une réinsertion dans un autre cadre ?

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Je voudrais moi aussi m'associer aux remerciements qui ont été adressés à nos collègues Sebaoun et Censi. Leur travail, qui est très intéressant, montre une certaine réalité de la souffrance au travail.

Il est exact qu'il est compliqué de définir le burn out. La difficulté majeure tient au fait que c'est un syndrome, non une maladie, et que ses causes sont multiples. On ne peut pas expliquer le burn out uniquement par des problèmes professionnels – même si certains peuvent être prégnants ou majeurs – en laissant de côté les problèmes personnels.

Le burn out ne concerne d'ailleurs pas que les seuls salariés. De nombreuses professions sont concernées : je pense aux agriculteurs, dont les journaux relatent parfois le suicide – la forme ultime du burn out ; je pense aux patrons de PME et aux cadres des entreprises ; je pense aux artisans, seuls à leur poste de travail et qui doivent tout gérer – contraintes administratives, clientèle, production ; certains ont évoqué le cas des femmes seules, des familles monoparentales qui doivent gérer leur famille et conserver leur travail tout en passant beaucoup de temps dans les transports ; je pense enfin aux policiers et aux personnels médicaux, qui ont été évoqués maintes fois par mes collègues.

Notre assemblée s'était déjà préoccupée de la prévention au travail, notamment à propos des troubles musculo-squelettiques (TMS). Mais le sujet était relativement simple à explorer, puisque les TMS sont des atteintes physiques. En l'occurrence, nous devons prendre en compte le fait qu'il y a différentes façons de faire un burn out : maladie psychique ou psychologique, maladie somatique ou psychosomatique ; et il arrive qu'une maladie grave se déclenche à l'issue d'un burn out.

Je pense que le problème a été bien décrit. Le travail réalisé est très important et très fin, mais les solutions sont complexes – à ce propos, j'observe que les propositions qui figurent dans le rapport ne sont pas hiérarchisées.

Cela rend toutes les relations du travail encore plus difficiles qu'elles ne le sont aujourd'hui. C'est donc un problème majeur. Et nous sommes nombreux ici à pouvoir témoigner que si nous n'avons pas fait de burn out, il nous a guettés.

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Je m'associe aux nombreux intervenants qui ont souligné la pertinence et la qualité du rapport qui nous est aujourd'hui proposé. Et je voudrais revenir sur l'une des propositions du rapport, qui soulève une vraie difficulté concrète : celle qui vise à améliorer la réinsertion professionnelle des victimes d'épuisement professionnel.

À la vérité, que se passe-t-il ? Comme c'est très justement indiqué dans le rapport, si l'employeur ne peut pas faire de proposition de reclassement, il ne lui reste plus que le licenciement pour inaptitude. Or, ce licenciement pour inaptitude plonge les personnes dans une double difficulté : d'abord, on n'est pas certain que ce soit la meilleure manière de les aider à sortir de la situation psychologique dans laquelle elles se trouvent ; d'autre part, cela contribue à les éloigner durablement de l'emploi, voire à les isoler du monde du travail.

Dans cette proposition n° 20, il est question d'une pré-visite repensée. J'imagine qu'elle sera assurée par la médecine du travail. Mais la difficulté n'est pas directement et uniquement liée à l'état médical de la personne. Du fait du burn out, celle-ci se trouve atteinte dans ses capacités, son rapport au temps, à la hiérarchie, au travail, etc. S'il n'est pas possible d'adapter son poste, elle sera licenciée alors même qu'elle n'a pas été pour autant reconnue handicapée. Elle ne disposera plus d'aucun outil pour l'accompagner vers le retour à l'emploi. Et cela me paraît être la difficulté la plus importante pour ces personnes exclues du travail. Il faudra donc approfondir cette proposition n° 20, pour pouvoir concrètement aider les employeurs et soutenir les salariés licenciés.

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Je voudrais associer mes félicitations à celle d'Arnaud Richard et saluer la qualité de ce travail, qui montre que le syndrome d'épuisement professionnel a des causes multiples.

On pourrait voir dans le syndrome l'effet du télescopage entre le désir de mieux vivre sa vie professionnelle, personnelle et familiale, et la nécessité d'augmenter la productivité et la compétitivité de l'entreprise. Bref, un télescopage entre la vie du salarié et l'entreprise.

Dans votre rapport, vous avez pris plusieurs exemples, notamment au sein des professions médicales ou de la police. La plupart de ces professions relèvent de la fonction publique, hospitalière ou d'État, même si certaines s'exercent dans un cadre libéral. Or, les propositions que vous avez faites s'inscrivent plutôt dans le droit du travail. Je voudrais donc savoir comment vous pensez les adapter à la fonction publique, laquelle n'est pas concernée par le code du travail. Nous devons éviter d'avoir des salariés ou des agents à deux vitesses : ceux qui sont concernés par le droit du travail et qui pourront bénéficier de certaines mesures en cas d'épuisement professionnel, et puis les autres.

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Monsieur le rapporteur, le nombre élevé des questions et des interventions témoigne de l'intérêt et de la qualité des travaux que vous avez menés avec le président de la mission d'information.

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Je commencerai par vous répondre, madame la présidente, au sujet du handicap psychique. Si chaque individu, quel qu'il soit, est par essence plus ou moins fragile, le syndrome d'épuisement professionnel ne touche pas que des individus présentant une fragilité particulière : par définition, il concerne des personnes normales, qui vont au travail comme tout un chacun et qui, plongées dans un environnement délétère, basculent brutalement dans la maladie, sans avoir émis d'autre avertissement que quelques « signaux faibles » – parfois si faibles que personne ne les perçoit. La situation de ces personnes ne se confond donc pas avec celles qui sont atteintes d'un handicap psychique reconnu et qui bénéficient de mesures d'accompagnement visant à faciliter leur entrée ou leur maintien dans la vie professionnelle.

Les conséquences de l'épuisement professionnel sont la dépression, l'anxiété généralisée et, d'une manière générale, des pathologies avérées, devant donner lieu à un traitement. L'une des principales questions consiste à se demander comment aider au mieux les personnes concernées, en vue de permettre leur retour au travail dans les meilleures conditions – ce qui n'a rien d'aisé.

Michel Issindou, auteur d'un rapport sur la médecine du travail, connaît bien le sujet. Pour ce qui est du nombre de personnes touchées par le syndrome d'épuisement professionnel, je ne sais pas s'il faut se référer au nombre de 30 000 avancé par l'InVS, au nombre de 100 000, qui est une évaluation de l'Académie de médecine, ou considérer que ces estimations sont toutes deux en deçà de l'ampleur du phénomène. Pour notre part, nous avons souhaité éviter d'engager une bataille de chiffres sur un sujet aussi sérieux, dont le véritable enjeu réside dans la recherche de moyens de nature à réduire la souffrance des victimes : à cette fin, nous avons émis des propositions sous la forme d'un questionnaire auquel le législateur et, à travers lui, la société elle-même, doivent répondre.

Yves Censi nous a livré un exposé liminaire remarquable. Son travail et le mien ont été complémentaires : il a axé sa réflexion sur les aspects psychologiques et juridiques, tandis que je m'intéressais davantage aux côtés pratiques. Il a évoqué cet aspect important qu'est l'obligation de résultat pesant sur l'employeur et insisté sur les conséquences que pourrait avoir une reconnaissance du syndrome d'épuisement professionnel, sous la forme d'un tableau – une idée à laquelle la majorité des personnes auditionnées nous ont dit ne pas souscrire, faute de savoir comment la mettre en oeuvre, même si elles n'y sont pas hostiles par principe. Enfin, il a rappelé l'intérêt de valoriser, plus qu'on ne fait actuellement, les compétences des psychologues cliniciens, ainsi que le principe essentiel selon lequel le responsable doit être le payeur.

Arnaud Richard a rappelé que certains des sujets évoqués aujourd'hui l'avaient déjà été dans le cadre de la mission d'information sur le paritarisme qu'il a conduite avec Jean-Marc Germain, et qu'il convenait d'éviter le simplisme : nous sommes face à un syndrome constituant une réalité sociétale, syndrome auquel il convient d'apporter des réponses – à tout le moins devons-nous réfléchir à améliorer la connaissance et la reconnaissance du problème. Le professeur Christophe Dejours, du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), a parlé d'« infobésité », néologisme évoquant l'énorme masse d'informations dont nous sommes abreuvés tous les jours dans nos pratiques professionnelles respectives, et qui nécessite de mettre en place des systèmes de tri et de hiérarchisation.

Dominique Orliac a rappelé que le sujet de l'épuisement professionnel avait déjà été évoqué dans le cadre de l'examen de projets de loi, notamment la loi Rebsamen, et elle a insisté sur la situation des personnels soignants, qui sont en première ligne vingt-quatre heures sur vingt-quatre et se trouvent donc particulièrement exposés au burn out – chacun garde en mémoire les cas de suicide qui ont touché certaines professions.

Elle a également évoqué la question de la formation, ainsi que le droit d'alerte. Ce droit consiste, pour les salariés représentatifs, à obliger un employeur n'ayant pas rempli le document unique obligatoire – pour de bonnes ou de mauvaises raisons –, à le faire ; à cette fin, nous proposons que soient élaborés des documents types qui permettraient d'améliorer ou d'accélérer le processus. J'insiste sur l'importance de cette proposition, car à l'heure actuelle, la moitié des entreprises françaises ne pas remplissent pas de document unique – c'est une situation que l'on rencontre même chez les pompiers !

Jacqueline Fraysse a souligné que le sujet était d'une actualité brûlante et douloureuse et que nous devions améliorer nos connaissances. Elle a rappelé que la loi El Khomri avait apporté d'importantes modifications à la médecine du travail : ainsi, les visites d'embauche et les visites de suivi en dehors des professions à risque sont aujourd'hui effectuées par des infirmières ; toutes ne possèdent pas encore la qualification en santé au travail imposée par la loi du 20 juillet 2011 relative à l'organisation de la médecine du travail, mais les choses se mettent en place progressivement, par le biais de formations universitaires – encore trop rares – ou de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Cette évolution, au terme de laquelle les infirmières vont se trouver en première ligne en matière de santé au travail, justifierait que le statut particulier du médecin du travail – salarié protégé au sein de l'entreprise – soit étendu aux infirmières ; j'en avais déjà fait la proposition par voie d'amendement au projet de loi El Khomri, sans qu'elle soit retenue.

Par ailleurs, Mme Fraysse a regretté que certaines lois n'aient pas permis de progresser sur le sujet qui nous intéresse. Je me contente d'en prendre acte, sans m'engager dans une discussion politique au fond sur ce point.

Arnaud Viala a été l'auteur, dans le cadre du PLFSS pour 2017, d'un excellent rapport sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP). Cette branche, actuellement financée par les seules cotisations des employeurs, dégage depuis deux ans un excédent de l'ordre d'un milliard d'euros en raison d'un phénomène de sous-déclaration. Une commission, mise en place en vertu de l'article L. 176-2 du code de sécurité sociale, est donc chargée de rendre tous les trois ans un rapport évaluant le coût réel pour la branche maladie de cette sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Pour notre part, nous proposons que les maladies psychiques engendrées par le travail puissent être prises en compte dans l'évaluation des dépenses relevant de la branche AT-MP et que le législateur prenne ensuite les décisions qu'il jugera nécessaires.

M. Viala a posé plusieurs questions sur les moyens d'améliorer la prévention. Je dirai que la prévention est un tout et, sans vouloir comparer la TPE employant trois personnes à une multinationale, que la stratégie d'une entreprise, quelle qu'elle soit – y compris dans le secteur public –, est vouée à l'échec si elle n'intègre pas la santé de ses salariés au travail. Pour cela, il existe plusieurs outils, par exemple le document unique d'évaluation des risques professionnels ou la négociation annuelle obligatoire qui, maintenant simplifiée par la loi, doit permettre de faire entrer les risques psychosociaux dans une discussion sereine entre employeurs et salariés. Sans doute faut-il une plus forte représentativité des salariés, au moins dans les grands groupes – de ce point de vue, je pense que nous ne sommes pas allés assez loin dans cette direction au cours de la législature qui s'achève. Enfin, il faut encore améliorer la formation de tous les acteurs concernés.

Au sujet de la formation, Kheira Bouziane-Laroussi a souligné que les médecins du travail sont de moins en moins nombreux dans les entreprises. Je le regrette également et j'estime qu'il convient d'améliorer l'attractivité de ce métier en voie de mutation : en plus de sa vocation médicale proprement dite, il consiste également à porter un regard sur la société au travail. Les instituts de médecine du travail ont souvent peu de moyens et peu de postes ; c'est une réalité objective qui se ressent déjà au niveau de l'université.

Gilles Lurton a évoqué le malaise ressenti par les personnels soignants, qui est bien réel. La chercheuse Christina Maslach, à qui l'on doit le questionnaire actuellement le plus utilisé pour l'évaluation du burn out, a montré que la fonction de soignant est particulière en ce qu'elle implique un très fort investissement envers les patients, donc un risque élevé de basculer. Nous devons réfléchir à d'autres modes d'organisation du travail et, si je ne peux vous en dire beaucoup plus sur le sujet pour le moment, je vous assure que nombre de professionnels partagent ce point de vue.

Chaynesse Khirouni a rappelé, à juste titre, que certains pays développés sont allés plus loin que la France en matière de reconnaissance du burn out – nous avons nous-mêmes cité ces pays dans notre rapport – et nous a posé une question extrêmement importante : comment hiérarchiser nos propositions de manière à déterminer celles qui pourraient être mises en oeuvre immédiatement ?

Je pense que le document unique, auquel je tiens beaucoup, pourrait être mobilisé très rapidement, à condition de mettre au point des modèles types en concertation avec les acteurs concernés. C'est souvent trop tard, lorsque la maladie ou l'accident sont survenus, que les entrepreneurs prennent conscience de la nécessité de s'interroger sur les conditions de travail et les risques d'épuisement professionnel – parce qu'ils ont d'autres priorités ; en rendant obligatoire le fait d'engager une réflexion sur ce thème au sein de l'entreprise, nous aiderons les chefs d'entreprise à prendre conscience de leurs obligations légales.

Par ailleurs, alors que le décret du 18 avril 2002 a ramené de 66,66 % à 25 % le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) minimale nécessaire à la prise en charge au titre des maladies professionnelles qui ne figurent pas dans les tableaux des maladies professionnelles – un taux qui reste effectivement très élevé – nous proposons de descendre à 10 % pour une meilleure prise en charge. Quant à supprimer purement et simplement le seuil d'IPP, comme le suggère Mme Khirouni, cela consisterait à revenir à un tableau professionnel, à supposer que cela soit possible. Sans écarter complètement cette perspective, nous constatons que la plupart des acteurs concernés estiment n'être pas en capacité d'établir un tel tableau, et nous proposons donc d'élargir le cercle des personnes ayant vocation à siéger au sein des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), avant de revenir, en concertation avec nos partenaires, sur l'hypothèse du tableau professionnel, en envisageant éventuellement une expérimentation dont il conviendrait de définir le champ – étant précisé que le nombre de dossiers à traiter serait considérable.

Denis Jacquat a dit, très justement, qu'il ne fallait pas « psychologiser » la question de l'épuisement professionnel : le burn out, qui est la réaction d'un individu placé dans un environnement donné, est susceptible de toucher n'importe qui, et pas uniquement des personnes qui présenteraient une fragilité particulière.

Il a également évoqué la notion très importante de certificat, sur laquelle nous avons fait des propositions.

Denys Robiliard a relevé, à juste titre, que nous avions procédé à une analyse des maladies psychiques au travail dépassant le cadre du seul burn out, qui n'est pas vraiment défini. Il est revenu sur le champ obligatoire des négociations ainsi que sur le statut infirmier, sur lesquels nous avons fait des propositions qui pourraient être adoptées rapidement.

Bernard Perrut a rappelé l'importance du cadre familial et le fait que, dans ce cadre où trois ou quatre générations coexistent parfois et ont vocation à s'entraider, les aidants de personnes âgées ou handicapées pouvaient facilement basculer dans un état d'épuisement qui, s'il n'est pas professionnel à proprement parler, n'en est pas moins réel.

Il a également insisté sur la notion de qualité de vie au travail qui, à mon sens, ne doit pas rester un vain mot. Pour cela, nous proposons que, dans le cadre de la négociation obligatoire, les risques psychosociaux soient pris en compte en termes de formation et de prévention.

Véronique Massonneau a évoqué son expérience au sein de CHSCT et de comités d'entreprise, pour souligner que ces instances sont parfois démunies face à certaines situations. Il est vrai que leurs membres, très compétents dans de nombreux domaines, n'ont pas forcément une bonne connaissance du phénomène d'épuisement professionnel. Nous proposons de nous inspirer de ce qui se fait au Québec, où l'on s'appuie sur l'expérience d'un réseau de connaisseurs du sujet, formé par une très grande centrale syndicale, afin d'améliorer la prise en charge des cas de burn out. Sans que cette idée soit définie très précisément pour le moment, il nous paraît intéressant d'imaginer qu'au-delà de leur appartenance syndicale, des salariés, des élus, des représentants du personnel puissent former un réseau de nature à améliorer la circulation de l'information – à la façon de ce qui est mis en place pour améliorer la prise en charge de certaines maladies, par exemple.

En sa qualité de praticien, Fernand Siré a su dire la difficulté du médecin traitant face aux patients exposés à l'épuisement professionnel. S'il est dépositaire de l'ensemble des souffrances de son patient, le médecin traitant – à qui l'on demande beaucoup – n'est pas forcément un spécialiste de la législation et ne connaît pas toujours l'intégralité du parcours professionnel de la personne qui le consulte.

Pour ce qui est du secret professionnel, je rappelle qu'il peut être partagé à la condition que l'individu concerné soit d'accord. Quant aux addictions, elles peuvent effectivement venir s'ajouter aux difficultés rencontrées par une personne en état d'épuisement professionnel.

Annie Le Houerou et Richard Ferrand ont posé la question de la réinsertion, qui est un sujet central. Dans les faits, lorsqu'une entreprise est dans l'impossibilité de proposer un reclassement, la personne qui souffre n'a souvent d'autre choix que de démissionner, ce qui n'est évidemment pas une solution satisfaisante. Il faut aussi savoir qu'il se passe des choses entre le moment où une personne est mise en arrêt maladie pour épuisement professionnel et son retour à l'emploi. Le législateur a proposé utilement la notion de visite de pré-reprise, consistant à permettre au médecin-conseil, au médecin traitant ou à la personne concernée elle-même, de demander une visite médicale ayant pour but de préparer la reprise du travail. Durant cette visite, le médecin va se trouver face à une personne pour laquelle il faut trouver une solution, celle-ci pouvant consister par exemple en une reprise à temps partiel thérapeutique – même si, très souvent, la personne ne souhaite pas reprendre le travail, car cela signifie se trouver à nouveau plongée dans le milieu délétère qui est à l'origine de ses problèmes –, tandis que l'employeur, coupé de tout contact avec le salarié pendant son arrêt de travail, préférera attendre le retour de celui-ci avant de se prononcer sur les conditions de reprise. Comme vous le voyez, quelles que soient les compétences des services des ressources humaines, et même des services d'accompagnement que l'on peut trouver dans les grandes entreprises, le dispositif actuel ne permet pas forcément une préparation optimale du retour au travail du salarié après une période d'arrêt.

Valérie Boyer a rappelé la difficulté qu'il y a à définir l'épuisement professionnel – qui n'est pas une maladie, mais un syndrome multifactoriel – et à distinguer ce qui se rattache à la vie professionnelle de ce qui relève de la vie privée, quelle que soit la profession concernée – pour notre part, nous ne parlons pas seulement des salariés dans notre rapport, mais évoquons également les cas des soignants et des policiers. Elle a insisté sur le fait que l'épuisement professionnel ne se traduisait pas uniquement par des maladies psychiques ou psychosomatiques, mais aussi par des maladies somatiques, rappelant ainsi l'ampleur et la complexité du sujet qui nous intéresse.

Enfin, Francis Vercamer, à qui l'on doit plusieurs rapports sur le thème de la médecine du travail, a évoqué la fonction publique. Si, sur le plan de l'organisation, ce secteur se caractérise par la présence d'une médecine de prévention, il est autant exposé que le secteur privé au phénomène d'épuisement professionnel : le surmenage, l'envie de bien faire son métier, l'intensification du travail y sont tout aussi présents.

Pour améliorer la prise en charge des personnes victimes d'épuisement professionnel, le législateur doit disposer de meilleures connaissances en la matière, avant de s'intéresser aux modalités de reconnaissance et de réparation qui pourraient être mises en oeuvre. Les victimes, elles, ont avant tout besoin d'être reconnues. Nous sommes dépositaires d'un grand nombre d'histoires personnelles : celles qui nous ont été confiées dans le cadre de notre vie personnelle et professionnelle, mais aussi celles que nous avons entendues lors des auditions des associations de victimes, par lesquelles nous avons commencé nos travaux. En tant que législateur, il nous appartient, grâce à notre expérience, de replacer ces histoires, qui sont autant de parcours humains, dans le schéma des organisations, des administrations et des entreprises – grandes ou petites – de notre pays.

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Je félicite et remercie à nouveau MM. Censi et Sebaoun pour leur travail.

Nous allons maintenant passer au vote sur l'autorisation de publication du rapport d'information.

La Commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.

La commission des affaires sociales procède à l'examen du rapport d'information de la mission d'évaluation de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (MM. Denys Robiliard et Denis Jacquat, rapporteurs).

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Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, comme vous le savez, le bureau de notre commission a décidé, en décembre dernier, sur le fondement de l'article 145-7, alinéa 3, du Règlement, de créer une mission d'évaluation de la loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Un peu plus de trois ans après leur adoption, il était en effet nécessaire d'évaluer l'application des différentes mesures que comportait la loi du 27 septembre 2013.

Je vous rappelle que, en réponse à une censure du Conseil constitutionnel en date du 20 avril 2012, cette loi a réformé la procédure de mainlevée des mesures de soins psychiatriques sans consentement des personnes ayant séjourné en unité pour malades difficiles (UMD) ou hospitalisées à la suite d'une déclaration d'irresponsabilité pénale.

Cette loi a, par ailleurs, allégé la procédure d'admission en soins psychiatriques sans consentement en supprimant un certain nombre de certificats médicaux, et en précisant le dispositif de programme de soins ainsi que celui relatif aux sorties d'essai. Ces mesures sont entrées en vigueur immédiatement, le 30 septembre 2013.

La loi a, en outre, réformé la procédure judiciaire encadrant l'admission en soins psychiatriques sans consentement. Elle a ramené de quinze à douze jours le délai dont dispose le juge des libertés et de la détention (JLD) pour statuer sur une hospitalisation complète sous contrainte. Elle a institué le principe d'une salle d'audience aménagée sur l'emprise de l'établissement d'accueil, lieu où l'audience du JLD doit se tenir – celle-ci ne pouvant avoir lieu au tribunal de grande instance qu'à titre d'exception. Elle a supprimé la visioconférence. Enfin, elle a instauré un principe de représentation obligatoire par avocat au bénéfice des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Toutes ces mesures sont entrées en vigueur le 1er septembre 2014 – sauf celle ayant fixé à quinze jours le délai pour saisir le JLD dans le cadre du contrôle semestriel des hospitalisations sous contrainte : ce délai est entré en vigueur le 15 mars 2014.

Notre assemblée suspendant ses travaux fin février, nous ne disposions que d'un mois environ pour mener à bien notre mission d'évaluation.

Malgré ces délais contraints, nous sommes parvenus, grâce à nos administrateurs, à réaliser plus d'une quinzaine d'auditions et de tables rondes qui ont duré au total une vingtaine d'heures et au cours desquelles nous avons rencontré la quasi-totalité des acteurs concernés, qu'il s'agisse des représentants des associations des usagers des services psychiatriques, des avocats, des magistrats, des psychiatres, des directeurs d'établissements de santé, des chercheurs et experts – je pense notamment à Mme Magali Coldefy –, des services des ministères de la justice ainsi que des affaires sociales et de la santé, ou encore d'autorités indépendantes comme la Haute Autorité de santé (HAS) ou la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).

La mission a également effectué deux déplacements : l'un à l'hôpital Sainte-Anne et à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, l'autre à l'hôpital de Meaux.

Si le ministère de la justice, ainsi que celui des affaires sociales et de la santé, se sont montrés disponibles pour répondre à nos questions, aussi bien par écrit qu'à l'occasion d'auditions, on ne peut pas en dire autant du ministère de l'intérieur. La préfecture de police de Paris (PPP) et l'association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur (ACPHFMI) mises à part, le ministère de l'intérieur s'est en effet montré sourd à nos nombreuses sollicitations : il n'a ni répondu au questionnaire qui lui a été adressé en décembre dernier, ni permis l'organisation d'une audition de ses services. Nous ne pouvons que vivement le regretter.

Je veux néanmoins achever mon propos introductif sur une note positive en me félicitant de la bonne intelligence dans laquelle vos deux co-rapporteurs, issus de la majorité et de l'opposition, ont collaboré dans le cadre de cette mission, et en soulignant que cette qualité des relations de travail a favorisé le consensus : en effet, je souscris à l'ensemble des recommandations que nous formulons à l'issue de nos investigations et que mon collègue Denys Robiliard, qui a suivi ce dossier durant toute la législature, va vous présenter sans plus tarder.

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Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mes chers collègues, notre mission a effectivement mené ses travaux très rapidement, compte tenu des délais qui lui étaient impartis – avec le concours de nos administrateurs, que je remercie –, et dans une excellente ambiance, ce qui lui a permis de trouver un accord sur la totalité des recommandations proposées.

Je regrette également que le ministère de l'intérieur n'ait pas répondu à nos sollicitations, car j'estime qu'il a, comme les autres ministères, le devoir de rendre compte à l'Assemblée nationale – d'autant qu'en l'occurrence, nous traitions d'un sujet important, touchant aux libertés, qui méritait que cette administration, ayant certes une importante charge de travail à assumer, dégage le temps nécessaire pour nous répondre.

Pour en revenir à ce qui nous réunit aujourd'hui, un bref historique me semble s'imposer. Les deux premières lois à avoir modifié celle du 30 juin 1838 sur les aliénés sont la loi du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes et la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation. Le dispositif s'appliquant à la situation des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques est resté constant dans sa tension entre la recherche des soins et le souci d'assurer l'ordre public.

La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge était perçue par les psychiatres comme une loi liberticide et procédant du discours prononcé en 2008 à Antony par le président Sarkozy.

Or, si elle s'inscrivait bien dans la filiation de ce discours, la loi avait deux autres « parents » – le mariage pour tous n'était pourtant pas entré en vigueur… (Sourires.). Premièrement, une décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 affirmait que le système d'hospitalisation d'office à la demande d'un tiers, résultant de la loi de 1990 et reprenant les grandes lignes de la loi de 1838, n'était pas constitutionnel dès lors qu'il n'y avait pas, comme l'exige l'article 66 de la Constitution, un juge pour contrôler, dans un délai de quinze jours, la validité de l'hospitalisation décidée contre le gré du patient. Deuxièmement, le souci de la continuité des soins était porté à la fois par l'Union nationale de familles et amis de personnes malades etou handicapées psychiques (UNAFAM) et par la direction générale de l'organisation des soins (DGOS) du ministère de la santé – qui exprimait cette préoccupation dans un rapport de 2004 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Ce souci a conduit à une évolution assez considérable du paradigme des soins sans consentement. Avant la loi du 5 juillet 2011, les soins sans consentement étaient des hospitalisations sans consentement – la commission chargée de leur contrôle était d'ailleurs la commission départementale de l'hospitalisation psychiatrique. En 2011, on est passé à la notion de soins sans consentement, c'est-à-dire que les soins susceptibles de faire l'objet d'une obligation légale pouvaient consister en une hospitalisation complète, mais aussi en une hospitalisation de jour, c'est-à-dire à temps partiel, ou encore en des soins ambulatoires. Cela a constitué une modification extrêmement importante du périmètre des soins sans consentement.

Dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a invalidé deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011, mais également fait une lecture particulière de cette loi, en considérant que le législateur n'avait pas entendu assortir les soins sans consentement hors hospitalisation complète d'une possibilité de coercition. Autrement dit, il a jugé que l'on ne pouvait pas, pour l'exécution de soins certes obligatoires – puisque faisant l'objet d'un programme de soins à valeur obligatoire – recourir à la force pour contraindre le patient à recevoir ces soins. Si le psychiatre considère que les soins doivent absolument être administrés, il n'a donc pas d'autre option que de lancer un nouveau programme d'hospitalisation complète qui, lui, fera l'objet d'un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention.

Le premier motif d'invalidation de la décision du 20 avril 2012 portait sur le statut des unités pour malades difficiles (UMD), ou plus exactement sur le fait que le séjour en UMD supérieur à un an entraînait l'application d'un dispositif renforcé conditionnant la mainlevée des soins psychiatriques sans consentement.

Les UMD étaient à la fois des lieux de soin et des lieux à forte dimension carcérale, à des fins sécuritaires. Ce qui prédominait dans ce dispositif était l'importance de l'encadrement médical, trois à quatre fois supérieur à celui mis en oeuvre dans un service classique. Ce système avait son efficacité : il aboutissait dans la plupart des cas – pas tous, certes – à ce que le patient ressorte au bout de quelques mois, une fois que le traitement reçu avait permis de réduire suffisamment les troubles ayant conduit à l'hospitalisation. Estimant qu'il n'y avait pas de raisons de tirer des conséquences juridiques du passage dans une structure thérapeutique, le législateur de 2013 avait choisi de supprimer le statut légal des UMD.

Le deuxième motif d'invalidation de la décision du 20 avril 2012 avait trait au statut des irresponsables pénaux. Sans nier la nécessité de maintenir un statut particulier, le Conseil constitutionnel considérait que les garanties dont ce statut devait être assorti n'étaient pas précisées par la loi, alors qu'elles relevaient nécessairement d'elle seule, et que, dès lors, le régime juridique des irresponsables pénaux n'était pas conforme à la Constitution. Je rappelle que, sur ce point n'ayant fait l'objet d'aucune observation des personnes que nous avons entendues, nous avons décidé de cantonner l'application du dispositif aux faits les plus graves – alors qu'il s'appliquait précédemment à toute déclaration d'irresponsabilité, y compris les actes les plus véniels.

Si nous avons souhaité maintenir le dispositif, ce n'était pas par défiance à l'égard des psychiatres, mais pour assurer la société que, lorsqu'une personne passait à l'acte en commettant une infraction, toutes les précautions étaient prises avant qu'elle ne retrouve la liberté – ce qui, à l'inverse, justifiait que la personne concernée retrouve pleinement sa place au sein de la société en même temps que sa liberté.

J'ajoute, en ce qui concerne les UMD, que la position du législateur de 2013 a été validée par le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie (CRPA), un acteur judiciaire extrêmement actif qui estimait que l'UMD restreignait les droits du patient davantage que la simple hospitalisation sous contrainte, et atteignait plus profondément sa liberté, ce qui nécessitait un contrôle spécialisé. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que l'UMD était un lieu thérapeutique, et qu'il n'y avait pas de différence juridique – sur le plan matériel, les conditions de sécurité sont très renforcées en UMD – entre un patient en UMD et un patient en hôpital psychiatrique.

Notre mission s'est concentrée essentiellement sur trois points. Premièrement, nous avons voulu déterminer comment fonctionnait le système reposant sur les dispositions de la loi du 5 juillet 2011 et sur celles de la loi du 27 septembre 2013, qui font corps au sein du code de la santé publique. Deuxièmement, nous avons cherché à déterminer si le contrôle judiciaire que nous avions modifié en 2013 fonctionnait de manière satisfaisante. Troisièmement, enfin, un an après l'entrée en vigueur de l'article 72 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, qui organise un régime juridique s'appliquant à l'isolement et à la contention, nous avons voulu vérifier les conditions de sa mise en oeuvre dans les hôpitaux. Si nous avions initialement prévu un décret d'application, la deuxième lecture du projet de loi avait été l'occasion de supprimer le renvoi au décret, car nous avions considéré que le régime était défini de manière suffisamment précise pour entrer en vigueur sans l'application de dispositions réglementaires – ce qui fait qu'il a pu entrer en vigueur dès la publication de la loi et a, depuis lors, vocation à s'appliquer dans les hôpitaux.

Pour ce qui est des hospitalisations sous contrainte, nous sommes passés de l'hospitalisation sous contrainte aux soins sous contrainte, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure. Nous constatons en la matière une augmentation assez nette du recours aux soins sous contrainte. Au cours de la période 2011-2015, la file active en psychiatrie – c'est-à-dire l'ensemble des personnes ayant consulté au moins une fois durant l'année – a augmenté de 4,9 % pour atteindre 1,7 million de personnes. Quant aux soins sans consentement, ils ont augmenté de 15,9 %.

Nous nous sommes beaucoup appuyés sur un rapport de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), rédigé par la chercheuse Magali Coldefy, qui met en évidence sur, sur les 92 000 personnes ayant fait l'objet en 2015 d'une prise en charge sans leur consentement, 80 000 ont été hospitalisées à plein-temps au moins une fois dans l'année, ce qui représente une augmentation de 13 % par rapport à 2012. On constate en réalité deux phénomènes : d'une part, une augmentation de l'hospitalisation à temps complet – évaluée à 13 % –, d'autre part, une très forte montée des programmes de soins sans consentement hors hospitalisation complète, en augmentation de 40 % entre 2012 et 2015, pour atteindre le chiffre de 37 000. On a conclu peut-être un peu rapidement que l'augmentation s'expliquait principalement par les soins sans consentement, alors qu'une lecture attentive du rapport de Mme Coldefy montre que le recours à l'hospitalisation complète a également augmenté.

Je précise, pour conclure sur ce point, que les préfets recourent davantage que les hospitaliers – dans un cas sur deux, pour être précis – aux programmes de soins. Il semble que les agences régionales de santé (ARS), qui ont repris les attributions des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et assistent à ce titre les préfets dans la gestion des personnes hospitalisées sans consentement, conditionnent leur accord à la levée d'une hospitalisation au bénéfice d'un programme de soins au contenu même de ce programme, notamment avec des exigences quant à la prescription de certains médicaments à effet retard.

Or, un programme de soins reste d'essence thérapeutique, et si la décision de mettre en oeuvre un programme de soins peut revenir au préfet, le contenu de ces soins, lui, ne saurait relever de son autorité. Quand nous avons entendu le préfet d'Île-de-France au titre de l'Association des préfets, il nous a clairement indiqué que les préfets n'avaient pas à intervenir dans ce domaine, et n'intervenaient donc pas. Force est de constater que certains préfets le font pourtant, via les ARS. Sur ce point, nous devons faire notre mea culpa : n'ayant pas identifié les ARS comme un acteur important de la question qui nous intéressait, nous ne les avons pas auditionnées, alors que nous aurions dû le faire.

Le fait que les programmes de soins puissent être obligatoires a constitué une innovation. Certes, la mise en oeuvre de ces programmes ne peut donner lieu à des mesures de coercition, mais le psychiatre peut menacer de demander une hospitalisation complète, ce qui constitue une forme indirecte de coercition. Constatant le manque d'éléments d'information sur ce qui constitue un nouveau paradigme, nous préconisons pour notre part que soit menée une réflexion à un double niveau. D'une part, au plan local, les commissions départementales de soins psychiatriques (CDSP) doivent être repensées, car les anciennes commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP) n'ont pas été modifiées dans leurs attributions alors qu'elles reprenaient une partie des fonctions revenant précédemment à un juge. Il faut également donner davantage de temps aux CDSP afin de leur permettre d'intervenir à la fois sur les formes d'hospitalisation, sur les programmes de soins, sur l'isolement et la contention. Enfin, certaines CDSP sont confrontées à des problèmes matériels nuisant à leur fonctionnement. Dans mon département, la CDSP ne s'est pas réunie depuis plus d'un an, tout simplement parce que l'ARS ne la convoque pas, en dépit des demandes de l'UNAFAM et du tribunal : une telle situation est tout à fait anormale, et il doit y être remédié au plus tôt.

La deuxième chose que nous avons constatée, c'est l'augmentation des procédures d'admission d'urgence. La loi du 5 juillet 2011 en prévoit plusieurs types : sur décision du préfet ; à la demande d'un tiers ; sans tiers, dans le cadre de la procédure dite de « soins pour péril imminent » (SPI), laquelle a connu une progression très importante en l'espace de cinq ans au point de représenter aujourd'hui 20 % des décisions.

Comment expliquer cette évolution ?

D'abord, le recours à cette procédure répond à des situations très concrètes vécues dans les services d'urgences, psychiatriques comme générales. Quand le patient en crise décompense, sa prise en charge doit être quasi immédiate. Or la procédure de soins pour péril imminent ne suppose qu'un seul certificat médical contre deux dans le cas de la procédure de droit commun à la demande d'un tiers et elle peut être mise en oeuvre sans tiers.

Ensuite, la procédure d'admission à la demande d'un tiers n'est pas toujours assumée par ceux qui la déclenchent, car ils ne tiennent pas forcément à ce que la personne qui fait l'objet de l'hospitalisation sache que ce sont eux qui ont pris cette décision. Il n'est pas si simple pour des parents de demander l'hospitalisation de leur enfant, qui peut être âgé de trente ans, quarante ans ou cinquante ans, et qui reviendra vivre chez eux, car ils savent que la loi de 2011 permet au patient de connaître l'identité des personnes qui ont demandé son hospitalisation. Ces parents, je les comprends. Je ne leur jette pas la pierre.

Enfin, il y a une troisième raison : la facilité. Pourquoi s'embêter à rechercher un tiers quand la procédure de soins pour péril imminent permet de s'en passer ? Cette raison-là n'est pas acceptable, car on ne saurait faire l'économie du tiers, qui joue un rôle important. C'est la personne sur laquelle continuera de s'appuyer le malade après sa sortie de l'hôpital. Et une sortie se prépare dès l'entrée.

Nous avons appelé l'attention de l'ensemble des instances compétentes en matière de santé mentale sur la forte augmentation du recours aux procédures d'urgence, qui ne se justifie qu'en partie. La facilité que constitue la procédure de soins pour péril imminent sera à terme coûteuse pour le patient et même pour l'hôpital.

Nous avons renvoyé à la HAS et aux CDSP le soin de formuler des recommandations à ce sujet.

J'en viens au contrôle judiciaire et à la question de l'isolement et de la contention.

La première modification que nous avons apportée par la loi du 27 septembre 2013 est la réduction du délai de contrôle du juge des libertés et de la détention : après une longue négociation avec le ministère de la justice, nous avons pu le faire passer à douze jours suivant l'admission au lieu des quinze jours qui figuraient dans la loi de 2011, laquelle s'était calée sur le délai indiqué par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 novembre 2010. Nous considérons qu'en matière de libertés, plus le contrôle intervient tôt, mieux c'est.

La réduction du délai de contrôle et le recours accru à l'hospitalisation complète ont conduit à une forte augmentation des décisions : celles-ci ont progressé de 27 % entre 2012 et 2015. En 2013, année où la loi du 5 juillet 2011 a atteint ses pleins effets, il y a eu 65 682 décisions ; en 2015, année où la loi du 27 septembre 2013 a, à son tour, atteint ses pleins effets, il y en a eu 77 791, soit une progression de 18,64 %. Aujourd'hui, ces décisions représentent ainsi près d'un cinquième de l'activité des juges des libertés et de la détention.

Par ailleurs, le taux des mainlevées est bas, ce dont nous pouvons nous féliciter car cela signifie que les procédures sont bien conduites. Il est inférieur à 10 % et se rapproche progressivement des 5 %. Cela n'est pas pour autant négligeable, puisque cela représente 4 000 décisions. Les problèmes ne concernent pas les abus, ou très peu, mais avant tout le respect des délais, la rédaction des certificats et la proportionnalité des mesures, l'hospitalisation complète sans consentement étant attentatoire à la liberté de la personne.

La deuxième modification concerne le déroulement des audiences : la loi de 2011 avait permis qu'elles se tiennent à l'intérieur de l'hôpital psychiatrique ; la loi de 2013 pose le principe selon lequel les audiences à l'intérieur de l'hôpital sont la règle et celles au palais de justice, l'exception. La place du malade mental n'est pas au tribunal, lieu qui peut lui donner l'impression qu'il a quelque chose à se reprocher alors que ce n'est évidemment pas le cas. Le juge apparaît en effet dans l'imaginaire collectif davantage comme une figure répressive que comme une figure bienveillante à l'instar des juges aux affaires familiales ou des juges pour enfants. Tout le monde s'accorde pour dire que les audiences à l'hôpital sont beaucoup mieux vécues par les patients.

Où en sommes-nous ?

Nous déplorons le manque de fiabilité et d'exhaustivité des données, qui caractérise de manière plus générale l'ensemble de l'appareil statistique, défauts appelés à être corrigés. Grâce aux informations que nous avons recueillies, nous avons établi que 60 % des audiences se tenaient à l'hôpital, que 20 % se déroulaient, pour un même tribunal, soit à l'hôpital, soit au palais de justice, et que 20 % n'avaient lieu qu'au palais de justice.

On ne peut pas dire que le cahier de charges pour l'aménagement des salles d'audience brille par sa légèreté. Est-il vraiment besoin de placer une barre devant le juge des libertés et de la détention qui statue sur une hospitalisation contrainte ? À l'évidence, non. Pourtant, l'installation d'une barre est requise. Nous avons pu constater que, dans la salle d'audience dépendant du tribunal de Meaux, une barre était placée devant la table de l'avocat de la défense au côté duquel se tenait le justiciable : curieuse configuration car, habituellement, la barre est placée devant le juge. La salle d'audience devrait ressembler non à une salle de tribunal correctionnel, mais plutôt aux vastes bureaux dans lesquels les juges aux affaires familiales et les juges pour enfants reçoivent les justiciables. Je ne suis pas sûr non plus qu'il soit nécessaire de fixer par écrit la hauteur de l'estrade sur laquelle doit être juché le bureau du président de l'audience…

J'ai ici à vous livrer une petite anecdote. Dans la salle d'audience, sont présents, bien évidemment, le président, qui est le juge des libertés et de la détention, un greffier, un représentant de la défense et dans la plupart des cas le justiciable. Le représentant du parquet, lui, est absent : dans une salle d'audience dont je ne citerai pas le nom, son fauteuil n'a même pas été déballé ! La question de l'assistance fournie par les mandataires à la protection des majeurs est également posée car les gérants de tutelle ou de curatelle, dûment convoqués, sont eux aussi absents.

Ajoutons que les salles d'audience, dans l'immense majorité des cas, sont mutualisées. Quand un tribunal comprend dans son ressort plusieurs hôpitaux psychiatriques, le plus souvent, un seul d'entre eux dédie une pièce à la salle d'audience afin d'accueillir les audiences de patients venant des autres hôpitaux. Il est mieux, pour un patient, de se déplacer dans un autre hôpital plutôt qu'au palais de justice. Le mélange des publics n'est en effet pas favorable aux malades.

Un problème se pose à terme. La réforme du statut du juge des libertés et de la détention, qui prendra effet en septembre prochain, rend cette fonction statutaire. Or il manquera, semble-t-il, des candidats et on ne peut pas nommer sans candidatures. Les chiffres qui nous ont été donnés font apparaître que la pénurie touche un tiers des effectifs. C'est un point auquel nous devrons veiller.

La loi prévoit que les débats peuvent se tenir en chambre du conseil comme devant le juge aux affaires familiales ou devant le juge pour enfants, dans sa fonction civile comme répressive. Or il est très peu recouru au huis clos : les audiences se tenant à l'hôpital, il n'y a pas de public.

Il faut se pencher également sur la façon dont le contrôle s'exerce.

Quel est l'office du juge ? Les magistrats se posent, à juste titre, beaucoup de questions à ce propos. Le contrôle est avant tout formel et porte sur le nombre de certificats requis ou le respect des délais. Si le délai de douze jours est passé, le juge ne peut plus statuer : le patient doit faire l'objet d'une mainlevée et quitter l'hôpital.

Le juge doit néanmoins aborder également le fond. Pour vérifier que les conditions matérielles de l'hospitalisation contraintes sont réunies, il doit apprécier la qualité des certificats. Cela suppose que la langue des certificats soit suffisamment compréhensible et que le magistrat se forme à la psychiatrie. Des formations conjointes réunissant psychiatres, magistrats et avocats sont souhaitables et souhaitées ; l'École nationale de la magistrature (ENM) a d'ailleurs déjà prévu des outils de formation performants dans ce domaine.

S'agissant des avocats, il faut souligner que certains sont allés à ces audiences à reculons. Au barreau de Coutances, le bâtonnier avait même décidé de ne pas désigner d'avocats au motif qu'il leur fallait parcourir quatre-vingts kilomètres pour se rendre à l'audience et que les frais de transport n'étaient pas pris en charge dans l'indemnisation. Les patients de certains hôpitaux n'étaient donc pas défendus, jusqu'à ce que le problème soit résolu par la création de salles mutualisées. Et ce n'est pas le seul exemple qui nous ait été cité.

Il faut être très attentif au vocabulaire employé et aux glissements qui peuvent se produire. Pour un médecin, la personne hospitalisée est un patient, pour le juge elle est un justiciable, pour l'avocat elle est un client. Si un avocat ou un juge la désigne comme un patient, c'est qu'il y a un problème. Chacun doit être attentif à son rôle. Le juge ne doit pas se transformer en psychiatre, il doit appliquer la loi. L'avocat doit rechercher l'intérêt de son client d'un point de vue déontologique et juridique mais il n'est certainement pas en mesure de décider de la façon dont il doit être soigné.

Dernier point à propos du contentieux : ce que les personnes hospitalisées remettent en cause, c'est moins leur hospitalisation elle-même – elles reconnaissent la nécessité pour elles d'être soignées et surtout en soins libres – que les conditions dans lesquelles elle se déroule. Elles se plaignent de l'administration de médicaments aux effets secondaires extrêmement lourds mais aussi de l'isolement et de la contention.

S'agissant des programmes de soins, y a-t-il une possibilité de contrôle ? Si oui, quel est le juge compétent pour les contrôler ? Le recours au programme de soins résulte d'une décision administrative mais nous n'avons pas créé de bloc de compétence dans les lois de 2011 et de 2013, ce qui implique a priori – même si ce n'est pas au législateur d'interpréter la loi – qu'il y a plusieurs juges compétents en ce domaine.

La question du contrôle se pose également pour les sorties d'essai, qui peuvent être de courte durée, accompagnées ou non. Le préfet peut s'y opposer si l'hospitalisation sous contrainte a été faite à sa demande. En ce cas, la décision n'est pas notifiée au patient, qui ignore alors qu'il aurait pu bénéficier d'une telle procédure. Dans ces conditions, quels sont les recours possibles ? Des progrès restent à faire.

Plusieurs personnes ont appelé notre attention sur l'effectivité des droits. Pour la renforcer, peut-être est-il nécessaire de prévoir la mise en place systématique d'un point d'accès au droit (PAD), les avocats n'étant présents qu'au moment des audiences présidées par les juges des libertés et de la détention.

La judiciarisation éventuelle de l'isolement et de la contention constitue un autre enjeu important.

La circulaire n'est pas parue et certaines administrations considèrent qu'en l'absence d'un tel texte la loi n'a pas à s'appliquer. Les législateurs que nous sommes estiment que la loi s'applique dès qu'elle est publiée, à moins qu'un décret soit nécessaire ou que son application soit différée, ce qui n'est pas le cas pour la loi de modernisation de notre système de santé. Certains établissements n'ont pas mis en place les registres prévus par cette loi et ne se conforment pas au régime juridique de l'isolement et la contention. Nous ne sommes pas capables de savoir dans quelle proportion car il n'y pas de traçabilité de ces pratiques.

Nous avons demandé à la HAS de faire du respect de la législation un critère de certification des établissements. La tâche de vérifier la façon dont les établissements se conforment à la législation devrait revenir aux commissions départementales de soins psychiatriques, structures légères et peu coûteuses. La loi a expressément prévu qu'elles puissent avoir accès aux registres.

Je terminerai par une information surprenante. Savez-vous qui publie les rapports annuels des CDSP ? Une association dépendant de l'Église de Scientologie ! Est-il opportun qu'elle continue à le faire ? Je ne le crois pas. Ces rapports sont utiles et nous devons confier à une structure identifiée la charge de les publier et de les exploiter. De manière générale, il convient de revitaliser ces commissions, dont certaines fonctionnent très bien, d'autres pas. Composées de professionnels, d'un magistrat et de représentants d'associations d'usagers, elles posent un nécessaire regard extérieur sur le fonctionnement des établissements psychiatriques qu'elles sont autorisées à visiter alors que les juges ne font que se rendre dans la salle d'audience, sans entrer dans les lieux où vivent les patients ou pénétrer dans les chambres d'isolement. Elles constituent un formidable outil, au même titre que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lequel n'est pas en mesure de se rendre dans chaque établissement. Il nous appartient de mieux articuler leurs tâches avec celles des juges des libertés et de la détention. Grâce au travail qu'elles effectuent, de nouveaux progrès pourront être accomplis dans les hôpitaux psychiatriques.

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Tout d'abord, j'aimerais remercier nos deux rapporteurs pour ce rapport très utile qui a permis de faire le point sur des questions extrêmement importantes dans un court délai.

Ce rapport fait suite à plusieurs lois qui ont constitué des étapes significatives, qu'il s'agisse du renforcement de l'encadrement des soins sans consentement ou de leur extension à l'ambulatoire, mesure qui répondait à l'exigence de continuité des soins qui est une préoccupation constante de l'UNAFAM.

Nous avons tous autour de nous des exemples qui montrent que la question de l'accès au droit se pose. L'effectivité des droits est encore perfectible. Cela renvoie à la prise de conscience des acteurs sur le terrain et à leur implication.

Par ailleurs, vous soulignez qu'il existe de grandes variations d'un territoire à l'autre. Comment pouvons-nous améliorer concrètement sur chaque territoire le respect de la continuité des soins ? Vous évoquez les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et le rôle des CDSP.

J'aimerais vous poser une question sur les tiers. Nous savons qu'il est extrêmement difficile pour les membres de la famille d'un malade de demander son admission sans son consentement, alors qu'ils ont ensuite à l'accompagner dans son retour à la vie sociale. Ne faudrait-il pas envisager que d'autres personnes jouent le rôle de tiers ? Les commissions départementales de soins psychiatriques n'auraient-elles pas leur place ? Dans d'autres domaines a émergé la notion de personne de confiance. Qui pourrait-on désigner pour ce qui est des soins psychiatriques ? Comment cette personne pourrait elle-même être accompagnée ?

Enfin, pour les mandataires à la protection des majeurs, quelle formation envisager ? Comment procéder à une clarification des rôles ?

Voilà autant de questions que nous devons approfondir pour progresser encore dans l'accompagnement des malades.

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Le sujet qui nous occupe, abordé par les rapporteurs avec beaucoup d'humilité, nous amène à nous interroger sur la liberté et sur les atteintes qu'elle peut subir.

L'intervention du juge permet un véritable contrôle de la régularité de la contrainte, de la proportionnalité des mesures et de la nécessité médicale d'agir. C'est un progrès. L'important rôle joué par le préfet dans les décisions d'hospitalisation sans consentement était une exception française et nous pouvons nous réjouir qu'il ait moins à intervenir. À cet égard, on peut s'étonner du mutisme du ministère de l'intérieur, même si le véritable scoop est plutôt le rôle joué par l'Église de Scientologie dans la publication des rapports annuels des CDSP.

Nous voyons bien que, depuis la loi de 1838, nous n'avons pas forcément su adapter les textes législatifs aux réalités médicales du temps présent. Nous sommes toutefois très éloignés de l'époque où l'enfermement psychiatrique était appliqué à toute personne marginale.

Les questionnements restent nombreux. Vous les avez pointés, soulignant notamment la nécessité de saisir la HAS pour édicter des recommandations de bonnes pratiques.

Les phénomènes que vous décrivez renvoient à des réalités plus larges, que nous connaissons bien. S'il y avait plus de médecins généralistes, les urgences seraient moins engorgées. De la même manière, s'il y avait davantage de psychiatres libéraux, le recours à l'hospitalisation serait moindre. Nous nous heurtons toujours aux mêmes problèmes, ceux des moyens et de l'inégale répartition des professionnels de médecine sur l'ensemble du territoire.

Nous savons en outre que les personnes malades sont souvent des personnes fragiles. Rappelons que 70 % des personnes incarcérées souffrent de problèmes psychiques.

Bref, nous sommes au coeur d'un drame de société mais nous pouvons considérer que la France ne le prend si mal en compte que cela. Je considère que les lois de 2011 et de 2013 ont permis une progression des libertés : amélioration du contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention, réduction de son délai d'intervention, audiences tenues au sein des établissements et non plus au sein des tribunaux, obligation de la représentation par un avocat.

Étant maire, je sais à quel point ces questions sont parfois délicates à gérer : il faut trouver un médecin, envoyer la police ou la gendarmerie pour chercher le malade. Il n'est pas étonnant que d'autres difficultés se posent lorsque la personne entre à l'hôpital ainsi que lorsqu'elle en sort. Elle peut se retourner vers le tiers qui a demandé son hospitalisation ou se retrouver dans un environnement peu favorable à la poursuite des soins.

Au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), je vous remercie, chers collègues, pour ce travail de spécialistes. Nous savons que vous ne pourrez que parfaire la législation en ce domaine.

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Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à féliciter nos deux rapporteurs qui ont su, dans le temps réduit dont ils disposaient, effectuer un travail utile sur un sujet très complexe.

La loi de 2011 relative aux droits et à la protection des patients faisant l'objet de soins psychiatriques a apporté un réel progrès dans la réponse au difficile et douloureux problème de la prise en charge des maladies psychiatriques. Elle a fait évoluer les pratiques en matière de soins sans consentement et a apporté des améliorations très importantes en accroissant l'efficacité des soins pour les patients en soulageant leurs souffrances et en facilitant une meilleure réinsertion sociale et même professionnelle.

L'ampleur des avancées avait conduit le législateur de 2011 à prévoir l'évaluation de la mise en oeuvre de la loi. La censure d'une partie du texte par le Conseil constitutionnel a ensuite obligé la nouvelle majorité à agir dans l'urgence en 2013.

Nous avions soutenu une grande partie du texte mais exprimé le regret que la réforme de l'encadrement juridique des unités pour malades difficiles, rendue indispensable par la censure du Conseil constitutionnel, ait été mal pensée.

À la lecture de votre rapport, je constate que nous avions raison : le nouveau texte réglementaire n'est pas encore appliqué qu'il est déjà contesté. La question est particulièrement compliquée et il faudra y revenir dans les mois qui viennent. Quand on touche à l'encadrement légal de sujets aussi essentiels que les libertés individuelles, la protection des personnes ou la sécurité publique, il faut le faire en prenant le temps de la réflexion et en s'entourant de précautions.

La plupart des autres observations que vous nous livrez nous poussent à nous interroger sur le déroulement et la durée des hospitalisations, sur l'efficacité de certains programmes, sur le manque d'effectivité de certains droits nouveaux, autant de problèmes qui renvoient sans doute en grande partie au manque de moyens de la médecine psychiatrique en France.

Nous considérons que votre travail contribuera à améliorer la mise en oeuvre des dispositions des lois les plus récentes et donc la prise en charge de nos concitoyens atteints d'une maladie mentale. Nous autoriserons bien sûr la publication du rapport.

Si vous me le permettez, madame la présidente, je compléterai mon intervention de porte-parole du groupe Les Républicains par une remarque que je formule à titre personnel.

Je tiens à souligner toute la pertinence de la recommandation n° 10. Le retour à domicile après une hospitalisation d'urgence pose très souvent problème. Le seul accompagnement est bien souvent une prescription médicamenteuse, que les patients ne suivent pas forcément. Ils sont un peu laissés à l'abandon. Dans ces conditions, le renforcement des équipes mobiles dédiées à l'hospitalisation à domicile que vous préconisez me paraît essentiel.

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Tout d'abord, au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), j'aimerais féliciter nos deux rapporteurs pour leur travail très complet et détaillé. Je regrette simplement que l'ordre du jour très chargé ne nous ait pas permis de suivre toutes les auditions de la commission des affaires sociales.

Ce rapport de la mission d'évaluation permet de dresser un large bilan de la loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Le chapitre consacré à la problématique de l'augmentation des admissions en soins psychiatriques sans consentement est particulièrement intéressant et instructif. Je retiens que l'augmentation, entre 2012 et 2015, du nombre de patients admis en soins sans consentement est plus importante que celle de la file active des patients : 16 % contre 5 %.

Le temps imparti aux groupes ne me permettant pas d'aborder l'ensemble des quinze préconisations contenues dans le rapport, je reviendrai sur l'article 73 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, introduit dans le texte initial par un amendement que j'avais proposé avec le soutien de mon groupe.

Il vise à demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP) dans les six mois suivant la promulgation de la loi. Force est de constater que les délais n'ont pas été tenus.

Vous indiquez dans votre rapport, chers collègues, que le Gouvernement vous a fourni un document transmis au ministre de l'intérieur par la préfecture de police de Paris en juin 2016. Nous serait-il possible de le consulter ? En outre, pouvez-vous nous préciser qui l'a rédigé ? Je crains que l'optique adoptée ne soit plutôt partiale. S'il est l'oeuvre de l'équipe dirigeante de l'IPPP, par exemple de son médecin-chef, on peut sincèrement se demander s'il ne s'agit pas d'un plaidoyer pro domo.

Rappelons qu'en 2011 le Contrôleur général des lieux de privation de liberté Jean-Marie Delarue dénonçait le fait que les droits formels des patients hospitalisés sous contrainte n'étaient pas respectés à l'IPPP. Dans tous les cas, cet article visait à obtenir un document provenant du Gouvernement et non de l'IPPP elle-même.

Pour terminer, permettez-moi de faire un aparté qui reste contenu dans la thématique qui nous occupe aujourd'hui. Je vous invite à visionner le documentaire de la réalisatrice Sonia Médina intitulé Looking for Mary Barnes. Réalisé à la suite de l'Appel des Trente-Neuf de 2008, il porte un regard intéressant sur les soins psychiatriques, les équipes soignantes et les patients dans des lieux de soins dits de « psychiatrie ouverte ». Il est très instructif pour les personnes intéressées par ce sujet mais également pour les autres.

Je précise que nous voterons en faveur de la publication de ce rapport pour lequel je vous remercie très chaleureusement, messieurs les rapporteurs.

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Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), je remercie nos rapporteurs pour ce travail très intéressant conduit dans un délai court, qui impliquait beaucoup de contraintes.

Les lois de 2011 et de 2013 visaient à placer la personne humaine au centre de la réflexion, avant même de les considérer comme des cas psychiatriques sans négliger bien sûr la sécurité publique. Il s'agissait – tâche ardue – de construire un équilibre entre les droits des patients, la protection de leur santé et la sécurité publique.

Vous soulignez certains points positifs comme l'amélioration de la protection des libertés, processus qui réclamera encore du temps pour que les professionnels s'imprègnent de ces enjeux, pour que les locaux soient dûment aménagés et que tous les fauteuils soient déballés…

Vous dressez aussi des constats préoccupants : banalisation du recours aux procédures d'urgence et aux procédures dérogatoires ; banalisation de l'admission en soins psychiatriques pour péril imminent, qui constitue un véritable dévoiement de l'esprit de la loi ; « décalage considérable entre les droits reconnus aux patients par la loi et l'effectivité de ces droits au quotidien ».

La loi de 2011 n'a pas modifié la répartition des modes d'admission et des profils des patients. Vous notez même une augmentation significative du nombre de patients admis en soins pour péril imminent. Comme deux tiers d'entre eux proviennent des urgences, on peut légitimement soupçonner que cette procédure est utilisée pour désengorger les services hospitaliers d'urgences, ce qui pose problème.

Je m'interroge sur les raisons de la grande diversité des pratiques d'un territoire à l'autre. Ces dernières doivent en tout cas être mieux encadrées.

Je souscris totalement aux recommandations formulées dans le rapport d'information. J'ai relevé, en particulier, celle qui préconise d'« enquêter sur les conditions du recours à la procédure d'urgence à la demande du tiers », celle relatives aux commissions départementales de soins psychiatriques (CDSP) et à leurs fonctions, celle visant à permettre à la Haute Autorité de santé (HAS) d'« édicter des recommandations de bonne pratique relatives aux admissions en soins psychiatriques par des procédures d'urgence », et celle qui tend à « instaurer un indicateur d'évaluation du respect des recommandations de bonne pratique relatives aux admissions en procédures d'urgence dans le cadre de la certification des établissements de santé ».

Nous souhaitons évidemment la publication de ce rapport.

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Les maires et leurs adjoints sont confrontés toutes les semaines aux problèmes que posent les procédures d'urgence.

« En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes », le code de la santé publique permet au maire de prendre, dans le cadre de ses pouvoirs de police administrative, toute mesure provisoire nécessaire à la prise en charge sous forme d'hospitalisation complète « à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes ». Ces dispositions sont exprimées en termes suffisamment larges pour laisser une marge d'appréciation. Qu'entend-on par « trouble mentaux manifestes » ou par « danger imminent » ? Un médecin doit évidemment donner un avis, mais sans avoir nécessairement examiné la personne concernée.

Dans ce domaine, les décisions des élus ne sont pas faciles à prendre. Nous savons parfaitement que l'hospitalisation crée une véritable rupture pour la personne concernée alors que nous ne connaissons ni le contexte ni les antécédents au moment où nous nous prononçons.

Nous manquons aussi d'informations sur la suite de la procédure. Le représentant de l'État, qui est le seul à pouvoir donner une suite à la mesure provisoire prise par le maire, informe-t-il ce dernier ? Je ne crois pas que ce soit le cas. Cela permettrait pourtant que les communes assurent un meilleur suivi.

Disposez-vous pour de chiffres département par département concernant les procédures d'urgence mises en oeuvre par les communes ?

Que pensez-vous, enfin, des services de médecine psychiatrique des hôpitaux ? Au-delà des grandes structures hospitalières, certains besoins restent-ils encore aujourd'hui insatisfaits ? Il faut pouvoir accueillir les personnes concernées en restant le plus proche possible du terrain.

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MM. Liebgott, Costes et Perrut sont maires. Leurs questions m'ont fait penser aux remarques que nous avons entendues en audition sur le caractère parfois très succinct des certificats médicaux. En tant que médecin, je sais qu'il est extrêmement difficile de rédiger un certificat s'agissant de patients et de situations que l'on peut ne pas bien connaître. La judiciarisation à l'oeuvre explique que les certificats médicaux soient de plus en plus concis ; avec le temps, ils tendront sans doute à l'être encore davantage.

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Monsieur Costes, le fait que le décret relatif aux UMD ait été attaqué dès sa parution semble prouver, selon vous, que vous aviez raison de contester la disposition de la loi qui les concerne. Je vous rassure, si je puis dire : le reste de la loi, que vous souteniez, a également été mis en cause. Pour notre part, nous considérons que le passage par un dispositif thérapeutique n'a pas à produire d'effets juridiques ; les deux champs ne se recouvrent pas. Je ne crois pas que notre analyse soit erronée.

Je me félicite qu'un large consensus se dégage ce matin. Lorsque nous nous opposons sur les questions psychiatriques, cela fait d'abord souffrir les malades – bien plus que les psychiatres eux-mêmes. Il est de notre responsabilité qu'il n'en soit pas ainsi. Je constate avec satisfaction la quasi-unanimité de notre commission sur un sujet difficile.

Certaines de vos remarques concernent moins les soins sans consentement que la psychiatrie en général. Nous retrouvons, dans cette spécialité, les problèmes généraux du monde médical.

La question des déserts médicaux, par exemple, se pose parfois davantage en psychiatrie : certains hôpitaux ne disposent pas du nombre de psychiatres nécessaire à leur fonctionnement. En 2013, lorsque j'étais rapporteur de la mission d'information de notre commission sur la santé mentale et l'avenir de la psychiatrie, on m'avait cité le cas d'un hôpital psychiatrique sans psychiatre : les spécialistes d'autres hôpitaux s'y relayaient. Lorsque l'on sait l'importance de la personnalisation et de la continuité médicale afin de rétablir la relation humaine, on s'interroge. Je continue de penser qu'une partie de la solution se trouve chez les médecins généralistes qui doivent être davantage formés : il leur appartient d'identifier la maladie, et de savoir passer la main à un spécialiste plus tôt qu'ils ne le font généralement. Il faut également que ce dernier assure un retour vers le généraliste, ce qu'il ne fait pas toujours, tant s'en faut.

Mme Orliac a évoqué l'IPPP et, de son côté, M. Perrut a parlé des mesures urgentes. Il s'agit en fait du même sujet. L'IPPP intervient en matière de mesures urgentes prises par les commissaires de police lorsqu'ils exercent, par délégation du préfet de police, une prérogative qui est habituellement celle des maires.

Je rappelle que, pour prolonger une hospitalisation d'urgence, le préfet doit prendre une décision dans les quarante-huit heures qui suivent l'arrêté du maire. Ce dernier lui est transmis dans les vingt-quatre heures de sa signature. À défaut de décision du préfet, la personne est remise en liberté.

Si nous disposons de nombreuses informations sur les mesures d'urgences prises à Paris grâce aux comptes rendus transmis par l'IPPP, nous n'en avons en revanche aucune sur la situation en province. Paradoxalement, nous n'avons donc aucune statistique sur les pratiques de ceux qui sont les moins préparés pour agir – le maire est parfois seul, sans aucun service communal.

Le préfet doit certes informer le maire dans les vingt-quatre heures de la décision qu'il prend, mais il n'y a pas de dispositions spécifiques pour assurer le suivi des décisions. Sachant qu'à Paris deux mille personnes passent tous les ans par l'IPPP, on peut penser que les cas sont nombreux hors de la capitale, même si nous avons bien conscience que le cas de Paris est un peu particulier en raison de sa nombreuse population et de l'attrait particulier exercé par la ville sur les malades. Je rappelle aussi que, par délégation du préfet de Seine-Saint-Denis, le préfet de police de Paris gère les problèmes de l'aéroport de Roissy.

Madame Orliac, vous avez raison, il y a bien un problème : le rapport prévu à l'article 73 de la loi du 26 janvier 2016 devait être remis au Parlement dans les six mois de la promulgation de la loi. De son côté, la préfecture de police a fait la partie du travail qui lui incombait, et nous avons eu connaissance des « Éléments pour le rapport au Parlement relatif à l'évolution de l'organisation de l'infirmerie psychiatrique près la préfecture de police de Paris ». Le préfet de police assume la responsabilité de ce document, et nous ne sommes pas certains qu'il ait été rédigé par le médecin-chef de l'IPPP. Nous ne lui avons pas posé la question, même si nous avons passé trois heures à l'IPPP où nous l'avons rencontré, ainsi que les professionnels qui travaillent dans cette structure. L'infirmerie psychiatrique fonctionne en coordination avec le bureau des actions de santé mentale de la préfecture de police (BASM) qui émet tous les arrêtés suite aux décisions du préfet relatives à l'admission en soins psychiatriques de personnes non consentantes.

Nous ne nous sommes pas prononcés sur l'IPPP. Nous avons seulement constaté que l'établissement fonctionnait bien. Il compte cinq psychiatres : un médecin-chef, un médecin-chef adjoint, trois psychiatres à temps partiel. Ces derniers se relaient, et la présence psychiatrique est continue. Conformément aux objectifs poursuivis par la loi, 93 % des personnes hospitalisées y font un passage de moins de vingt-quatre heures. Un véritable dispositif d'observation est en place. Malgré la durée généralement limitée passée à l'IPPP, le placement systémique en isolement peut être discuté, d'autant que les lieux dédiés ne sont pas équipés de sanitaires – un infirmier et un surveillant doivent assurer les déplacements dans l'infirmerie. Le dispositif médical est cependant très bien encadré. Le personnel est en nombre suffisant. Les certificats sont rédigés de façon très précise, et le taux de confirmation est très élevé – les ordonnances de mainlevée des JLD parisiens sont peu fréquentes. Dans ces conditions, je vous avoue que la réforme de l'IPPP ne constitue pas, à mes yeux, la priorité du moment. En matière de psychiatrie, il me semble que nous devons mener des travaux autrement urgents.

À mon sens, l'IPPP est victime de son rattachement à la préfecture de police car, assez spontanément, on imagine que la psychiatrie ne devrait pas relever de cette institution. N'oublions pas que l'IPPP prend en charge des personnes qui font l'objet de mesures urgentes d'hospitalisation à Paris alors que, partout ailleurs en France, ces mesures sont prises par les maires sans que l'on n'en sache jamais rien ! Comment sont-elles exécutées ? Combien en compte-t-on ? Même si je n'ai pas connaissance d'abus particuliers sur les territoires, je pense qu'il faudrait commencer par répondre à ces questions, et par savoir comment les choses se passent dans les communes avant de chercher à réformer l'IPPP.

Vous êtes nombreux à vous être interrogés sur l'effectivité des droits. Notre rapport d'information traite ce sujet en abordant trois questions importantes.

Les rapporteurs encouragent « la généralisation, au niveau national, de points d'accès au droit dans l'ensemble des établissements autorisés en psychiatrie chargés d'assurer les soins psychiatriques sans consentement ». Cela vaut aussi à mon sens dans les hôpitaux généralistes. La question se pose cependant avec davantage d'acuité à l'hôpital psychiatrique où il faut répondre non seulement aux problèmes relatifs à l'hospitalisation sans consentement, mais aussi à ceux concernant les régimes de protection des majeurs. Les commissions départementales d'accès au droit (CDAD), instituées auprès de chaque tribunal de grande instance, sont compétentes pour agir, mais des financements sont nécessaires.

J'en viens à la question des notifications. Qui notifie ? Est-ce le médecin ou le directeur d'établissement ? Comment les notifications sont-elles faites ? Vérifie-t-on que la personne hospitalisée dispose bien d'une copie du document sans lequel elle ne pourra pas attaquer la décision qui la concerne ? Pour exercer ses droits, il faut être informé. L'IPPP a pris des dispositions afin d'informer de ses droits toute personne maintenue dans ses locaux, dès son arrivée sur place. Je crois, madame Orliac, que ces mesures permettent de répondre aux observations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté que vous citiez. La notification de la décision énonce nécessairement les conditions de recours car, sans cette précision, le délai de recours ne court pas.

Il ne faut pas oublier le sujet un peu urticant de l'aide juridictionnelle. La loi du 27 septembre 2013 impose la présence de l'avocat, car le législateur a estimé que, si l'état de santé d'une personne l'empêche de consentir aux soins qui lui sont nécessaires, on ne peut présumer qu'il lui permet de discerner si elle a besoin d'être assistée par un conseil. La loi impose donc la présence de l'avocat, mais sans prévoir une prise en charge au titre de l'aide juridictionnelle. La pratique des bureaux d'aide juridictionnelle est cependant assez souple pour que cette prise en charge soit accordée dans environ 90 % des cas, sans que l'avocat ait à justifier des revenus de son client. La situation de l'avocat est particulièrement difficile : il intervient en urgence dans des délais si brefs que le bureau d'aide juridictionnel n'a pas le temps de prendre une décision. De plus, il a affaire à une personne hospitalisée qui n'a plus accès aux documents qui justifieraient de ses revenus et de ses charges.

Une question plus fondamentale se pose. Il serait en effet un peu saumâtre de demander à une personne qui fait l'objet d'un examen judiciaire qu'elle n'a pas demandé mais auquel la loi le soumet, et qui sera assistée d'un avocat parce que le législateur le lui impose, de régler les honoraires de ce dernier au motif qu'elle en a les moyens. Nous recommandons en conséquence que soit reconnu le bénéfice de l'aide juridictionnelle de plein droit aux personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Cette prise en charge devrait être systématique lorsque l'avocat intervient au titre de l'aide juridictionnelle – chacun conservant la liberté de choisir son avocat par ailleurs.

J'ajoute que ce dispositif n'est pas coûteux, tout étant relatif. Actuellement, la dépense qui permet de couvrir 90 % des cas s'élève à 5,6 millions d'euros. En extrapolant, il faudrait donc mettre sur la table environ 600 000 euros supplémentaires ; j'ai déjà soutenu des amendements plus onéreux… J'en appelle donc au Gouvernement, car l'initiative parlementaire en matière de dépense est contrainte par l'article 40 de la Constitution.

Vous avez évoqué le tiers de confiance. Ce dernier n'est pas défini par la loi. La jurisprudence montre qu'il peut s'agir d'un membre de la famille, d'un proche qui peut prouver qu'il est soucieux des intérêts de la personne concernée, ou encore des mandataires aux tutelles. Je sais aussi les hôpitaux un peu réticents à l'égard des personnes de confiance de peur que certaines aient développé des stratégies pour être désignées à des fins qui ne seraient pas désintéressées. La crainte concerne aussi les sectes qui pourraient chercher à approcher des personnes fragiles. Toutefois, dès lors que la loi n'opère pas de distinction, il n'y a pas lieu de le faire. De plus, si je ne prétends pas qu'il n'y a jamais eu d'affaires, les inquiétudes dont on nous fait part ne sont pas documentées. L'institution de la personne de confiance permet d'instaurer un véritable dialogue avec le médecin. Nous protestons contre le développement peut-être trop important des procédures d'urgence, parce qu'elles placent le médecin, selon les mots mêmes de l'un d'entre eux, « en position de toute puissance, étant seul à ordonner et prescrire l'admission, sans contradicteur possible dans sa décision médicale ». Il faut donc porter une attention particulière à la présence du tiers qui est utile à la fois à l'hôpital et au patient.

La Commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.

La séance est levée à treize heures.