Délégation aux outre-mer

Réunion du 5 avril 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • collective
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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 15.

Présidence de Mme Chantal Berthelot, vice-présidente.

La Délégation examine le rapport d'information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi (n° 3600) visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs

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Mes chers collègues, notre président Jean-Claude Fruteau m'a chargé de vous transmettre ses excuses : retenu en circonscription, il ne pouvait être parmi nous cette après-midi.

Nous sommes aujourd'hui réunis pour examiner le rapport d'information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Je lui rends hommage d'avoir su travailler, dans le temps très restreint dont elle a disposé, à la fois à la rédaction de ce rapport et aux amendements qui seront déposés au nom de notre délégation sur le texte qui va être débattu en séance publique.

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Madame la présidente, mes chers collègues, l'ampleur du débat national suscité par la présentation du projet de loi inscrit aujourd'hui à l'ordre du jour de la délégation n'a pas permis la prise en compte des particularités des outre-mer. C'est pourquoi j'ai souhaité que notre délégation se saisisse de ce projet, et je vous remercie d'avoir bien voulu me confier la tâche de vous le présenter.

Le report de l'adoption du projet de loi par le conseil des ministres et les modifications qu'il a subies par rapport à la version communiquée aux partenaires sociaux au début du mois de mars ont créé des complications supplémentaires. D'une part, le texte stabilisé du projet n'a été connu que cinq jours avant la réunion de la délégation où il était initialement prévu de l'examiner, mardi dernier. D'autre part, l'incertitude ainsi créée sur le texte définitif a été invoquée par certaines personnes que j'ai interrogées pour répondre plus tard, voire pas du tout, à mes questions. Enfin, le calendrier de l'examen en commission des affaires sociales du projet était tel que, si je souhaitais que soient prises en compte les idées essentielles que j'ai partagées avec vous lors de l'audition de la ministre des outre-mer la semaine dernière, je n'avais d'autre ressource que de déposer vendredi dernier, date limite, devant cette commission les amendements traduisant juridiquement ces idées.

Sous le bénéfice de ces observations liminaires, je voudrais souligner, de manière générale, combien l'objectif gouvernemental de donner au dialogue social une place beaucoup plus importante dans la définition des règles du droit social, de passer en quelque sorte d'une culture de l'affrontement à une culture du compromis et de la négociation, a de résonance dans les départements d'outre-mer. Nous savons tous combien l'histoire des relations sociales est marquée dans nos territoires par la culture de l'affrontement, et alimentée par des inégalités bien plus accusées que dans l'Hexagone.

Or, le projet de loi ne remet pas en cause, par exemple, la règle posée depuis presque un quart de siècle par la loi du 25 juin 1994 dite « loi Perben ». L'application aux départements d'outre-mer d'une convention collective à compétence nationale est subordonnée par ce texte à l'insertion dans la convention d'une stipulation expresse en ce sens. Le sentiment d'exclusion ainsi créé n'est pas apaisé par le projet de loi, qui n'en parle pas. Je dirai tout à l'heure pourquoi et comment je souhaite la modification de l'état du droit sur ce point.

Avec ce point crucial de la négociation collective, les dispositions relatives à la formation professionnelle ont été mon deuxième sujet de préoccupation. J'y suis d'autant plus sensible que la situation actuelle de l'emploi et de la formation dans les outre-mer révèle de très importants problèmes de structure. Mon rapport écrit contient, sur ces deux sujets, un certain nombre de données statistiques auxquelles je vous renvoie pour le détail des chiffres.

Pour l'emploi, je rappellerai seulement, pour fixer les termes du débat, une réalité que tous les députés ultramarins connaissent : dans les outre-mer, le chômage structurel et de longue durée est malheureusement d'une ampleur spécifique, bien plus importante que dans l'Hexagone. Cela est vrai partout, bien sûr avec des nuances propres à chaque territoire. Il en résulte un sentiment de révolte que des solutions conjoncturelles ne paraissent pas propres à apaiser.

L'action de formation, initiale comme au long de la vie professionnelle, doit tenir compte d'un certain nombre de handicaps propres aux outre-mer. Malgré les efforts accomplis, notamment depuis la départementalisation, le taux d'illettrisme chez les jeunes est partout très supérieur à ce qu'il est en métropole ; le même constat vaut pour la mesure de la difficulté de lecture à l'entrée dans l'âge adulte, ou pour l'appréciation du niveau de scolarisation. On note, enfin, un fort décalage entre le niveau moyen de formation des jeunes qui sont restés sur leur territoire d'origine et les besoins en personnel des entreprises de ces territoires. Sur tous ces points encore, des détails figurent dans le rapport écrit.

Quant à la formation professionnelle au long de la vie active, les études disponibles et les informations que j'ai recueillies au cours de la préparation de mon rapport convergent pour souligner la nécessité de prendre en compte, dans le cadre d'éventuelles réformes, les effets de la prédominance des PME et des TPE dans l'économie locale et la nécessité d'améliorer l'adéquation des outils de la formation professionnelle par une connaissance plus fine des besoins de formation.

Telles sont les observations générales qui ont servi de cadre à la réflexion dont sont issues les propositions que je vais vous présenter dans un instant. Elles se présentent, par rapport au projet de loi lui-même, d'une manière très différente des propositions que j'ai faites il y a un peu plus d'un an sur le projet de loi relatif à la santé. Il s'agissait alors de compléter les dispositions du texte initial pour qu'elles tiennent mieux compte des situations spécifiques des outre-mer. Dans le cas présent, il s'agit le plus souvent d'introduire des dispositions entièrement nouvelles, même si elles sont en lien étroit avec le domaine juridique dont le projet de loi propose la modification.

C'est notamment le cas du principal domaine dans lequel je préconise une modification complète du droit existant : l'application dans les outre-mer des conventions collectives nationales. Pourtant, l'assouplissement des règles de la négociation collective est bien un objectif revendiqué du projet de loi ; on en trouve notamment l'empreinte dans son article 7. La révision du cadre imposé à l'application outre-mer des accords collectifs pourrait être une traduction supplémentaire et bienvenue de cet objectif.

L'effet concret de la restriction imposée en 1994 à cette application est clairement négatif : les deux tiers seulement des conventions collectives nationales sont en vigueur dans les outre-mer, et l'applicabilité, quand elle est décidée par les partenaires sociaux, se fait sans concertation préalable avec les représentants des syndicats actifs dans les territoires.

La loi Perben a-t-elle atteint son but, qui était de favoriser la négociation dans les outre-mer d'accords locaux, et plus largement, de développer par ce biais le dialogue social dans ces territoires ? On peut légitimement en douter quand on considère la vision que les partenaires sociaux – aussi bien le patronat que les syndicats de salariés – ont de l'état de ce dialogue.

Si les opinions divergent quant aux causes de la situation, le constat est unanime : le dialogue social ne fonctionne pas dans les outre-mer. De façon prévisible, chacune des parties est tentée de renvoyer sur l'autre la responsabilité de la situation. Cependant certains, d'un côté ou de l'autre, prennent conscience de la nécessité de se parler dans l'intérêt commun du territoire : ainsi est né, à la Réunion, le Pôle régional pour l'innovation sociale et la modernisation des entreprises (PRISME), instance informelle de concertation qui existe depuis 2012.

Les organisations patronales et syndicales ne tirent pas les mêmes conséquences, pour l'avenir de la loi Perben, d'un constat qu'en réalité elles partagent. Le MEDEF national et la CGPME se prononcent pour le statu quo. Le MEDEF fait notamment valoir que certaines dispositions des conventions collectives nationales sont inapplicables dans les outre-mer, soit qu'elles n'y aient point d'objet, soit qu'elles soient inadaptées aux conditions concrètes du travail. Les organisations syndicales se prononcent pour un cadre de négociation qui, tout en sauvegardant les acquis nés des relations collectives nouées au niveau national, développe, au niveau local, la prise en compte des spécificités ultramarines.

Au vu de ces réactions à la fois opposées et concordantes, il apparaît que la promotion du dialogue social dans les outre-mer passe – condition nécessaire mais pas suffisante – par la reconnaissance d'un statut de représentativité, au sens des règles de la négociation collective, aux organisations syndicales propres aux outre-mer, qui ne peuvent pas, par définition, intervenir dans les négociations menées au plan national. Parallèlement, l'institution des élus mandatés pourrait être opportunément utilisée pour permettre l'organisation du dialogue social dans les entreprises de petite et de très petite taille, prépondérantes en outre-mer.

Au prix d'une telle organisation de la représentativité locale, il serait possible de donner un nouveau souffle à la négociation collective dans les outre-mer sans remettre en cause la garantie que peut représenter le socle national des conventions collectives. Pour les conventions nouvelles, peu nombreuses en vérité, il faudrait prévoir une consultation préalable systématique des organisations ultramarines par les partenaires sociaux négociateurs nationaux.

Pour les conventions actuellement en vigueur, il faut organiser la négociation sur leur applicabilité au niveau local entre les organisations syndicales représentatives à ce niveau, en enfermant l'ouverture de la négociation correspondante dans un délai de deux ans et en rendant les conventions nationales applicables, à défaut de négociation pendant ce délai.

La mise en oeuvre de ce système suppose acquis plusieurs corollaires, en particulier une information adéquate des partenaires sociaux locaux sur l'état d'application des conventions collectives nationales, ce qui passe par un effort accru de formation des responsables syndicaux à la négociation collective.

J'en viens maintenant aux politiques de l'emploi et de la formation professionnelle dans les outre-mer, en rappelant que plusieurs dispositions du projet de loi modifient les règles applicables nationalement à ce sujet. Mon rapport écrit contient une description des dispositifs actuellement prévus en faveur de l'emploi : contrats aidés, emplois d'avenir, garantie jeunes et aide à l'embauche au premier salarié dans les très petites entreprises. Aucun n'est complètement spécifique aux outre-mer, mais leur application dans nos territoires tient compte de leurs besoins particuliers et leur efficacité est fortement déterminée par la prise en compte de ces besoins. Je rappelle aussi, pour mémoire, la contribution indirecte de la défiscalisation et de diverses autres aides aux entreprises à la sauvegarde de l'emploi.

J'insiste sur la nécessité d'assurer le relais de dispositifs essentiellement conjoncturels par une attention soutenue aux actions de formation, qu'il s'agisse de la lutte contre le décrochage scolaire pendant la période de la formation initiale, ou de la recherche d'une adaptation optimale des outils de formation professionnelle disponibles aux besoins effectifs de l'économie dans chaque territoire.

Cette adaptation suppose notamment que l'accès aux offres de formation professionnelle ne soit plus, pour les demandeurs déterminés et de bonne volonté, un parcours du combattant. Il faut en particulier que des échanges d'informations interviennent entre organismes prescripteurs, à partir des données détenues par Pôle emploi, dont le contenu de la mission pourrait être utilement redéfini.

Je souhaite notamment que le rôle de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) comme outil au service de la formation par la mobilité soit reconnu et, si nécessaire, encore accru. Je salue également le rôle éminent du service militaire adapté (SMA) et des écoles de la deuxième chance dans l'amélioration des connaissances personnelles et professionnelles des jeunes en quête de formation.

L'accès des demandeurs à l'intégralité des offres de formation nécessite une information complète, universelle et systématique via un guichet unique numérique dédié, et cet accès prend tout son sens à la lumière de l'organisation, que nous préconisons, d'un service de proximité. L'organisation d'un tel service nécessite des moyens financiers supplémentaires.

Voici les propositions qui découlent de l'analyse que je viens de présenter.

Les propositions 1 et 2 tendent à inclure expressément les outre-mer dans le processus de refondation du droit du travail autour de 61 principes essentiels énumérés à l'article 1er du projet de loi, que ce soit par la composition de la commission de réflexion ad hoc ou l'association des syndicats ultramarins. Cela dit, Christophe Sirugue, rapporteur du projet de loi, a déposé un amendement visant à supprimer l'énumération de ces principes, et il reste à savoir quel sort lui sera réservé.

La proposition 3 crée des critères de représentativité propres aux organisations patronales et syndicales exerçant leur activité dans un département d'outre-mer particulier.

Les propositions 4, 5 et 6 reprennent les trois aspects de la substitution d'un nouveau régime de la négociation collective dans les outre-mer au système restrictif fondé sur la loi Perben de 1994.

La proposition 7 a trait à l'organisation de l'information systématique des syndicats et des salariés sur l'état des conventions collectives applicables dans chaque département d'outre-mer ; la proposition 8 envisage les modalités d'information réciproque des partenaires sociaux nationaux et ultramarins à l'occasion de la négociation des conventions collectives nationales.

La proposition 9 vise à la création d'instances paritaires de négociation collective dans les territoires d'outre-mer.

La proposition 10 concerne la formation indispensable des représentants des salariés au dialogue social et à la négociation des conventions et accords collectifs de travail.

La proposition 11 tend à permettre la nomination d'élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer aux fins d'animer la négociation collective dans les entreprises à faible effectif salarié, en leur accordant les mêmes protections juridiques qu'aux délégués syndicaux.

La proposition 12 consiste à définir la place des accords collectifs conclus dans chaque territoire, entre les conventions collectives nationales, qu'ils priment, et les accords de groupe ou d'entreprise, qui l'emportent sur eux.

La proposition 13 suggère de développer et simplifier, par la mise en place d'un « guichet unique » en ligne, l'accès des demandeurs de formation en outre-mer aux offres de formation disponibles.

La proposition 14 demande que soit adapté aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la Garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation.

La proposition 15 crée un droit opposable à la formation pour les demandeurs d'emploi de longue durée.

La proposition 16 demande de favoriser l'ouverture, dans le cadre des négociations collectives entre partenaires sociaux locaux, de discussions sur la définition spécifique du travail saisonnier dans les outre-mer.

Enfin, par la proposition 17, je propose d'inscrire dans la loi la date du 1er janvier 2018 comme date d'entrée en vigueur du code du travail national dans le département de Mayotte.

J'ai rencontré tout à l'heure les ministres du travail et de l'outre-mer, ainsi que la secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle, qui vont nous accompagner dans le processus de rédaction d'un amendement relatif à la représentativité des syndicats en outre-mer. D'autre part, le Gouvernement envisage d'accorder, à titre expérimental, un droit opposable à la formation, notamment pour les chômeurs de longue durée, c'est-à-dire inscrits depuis plus de trois ans – c'est notre proposition 15.

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Comment se fait-il que, dans votre rapport écrit, la proposition 15 concerne les chômeurs inscrits depuis plus de deux ans ?

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Ce point pourra être modifié par amendement. J'ai retenu la durée de deux ans dans mon rapport au vu des chiffres pour La Réunion : on y compte environ 40 000 personnes au chômage depuis deux ans, dont 50 % ne sont pas formés.

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J'ai déposé quatre amendements.

Le premier vise à ce que la commission d'experts et de praticiens des relations sociales créée par l'article 1er comprenne des partenaires sociaux des outre-mer, car ils sont souvent oubliés – c'est le sens des propositions 1 et 2.

Deux autres amendements ont trait à l'inversion de la loi Perben et à la représentativité dans les outre-mer. Ils ont été retirés afin que nous rediscutions de leur contenu avec les ministres.

Enfin, le quatrième amendement porte sur le droit opposable à la formation ; il va également être retiré.

D'autres amendements seront déposés en séance dans le cadre de l'article 88.

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Ce rapport, rédigé dans un délai très court, nous est précieux en ce qu'il constitue un instantané de la situation dans les cinq départements d'outre-mer, où le dialogue social n'est pas chose facile pour des raisons culturelles, mais aussi du fait d'un cadre légal souvent inadapté. Le taux de chômage dans les outre-mer est globalement deux fois plus élevé qu'en métropole. L'accompagnement des demandeurs d'emploi constitue une importante problématique pour nos territoires et, de ce point de vue, l'expérimentation relative aux chômeurs de longue durée est susceptible de répondre aux attentes des ultramarins.

Les particularités de l'outre-mer ne sont pas toujours prises en compte aussi finement qu'il le faudrait pour que les dispositifs s'appliquant à nos territoires constituent des outils vraiment pertinents et efficaces. Il me semble, en particulier, qu'il conviendrait de procéder systématiquement à des études d'impact pour permettre à ces dispositifs de gagner en efficacité. Bien souvent, ce ne sont pas les crédits qui font défaut : il faudrait simplement apporter un plus grand soin à la mise en oeuvre des mesures dont nous bénéficions.

Alors même que nous devons faire face à des difficultés particulières, et au fait que chacun de nos territoires présente des problématiques spécifiques, nous ne disposons souvent que d'un délai très court pour examiner les textes nous concernant. Outre-mer habitent 1,5 million de Français se trouvant dans une situation qui justifie que l'on prenne le temps nécessaire pour rendre plus efficaces les dispositifs s'appliquant à ces territoires.

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Je félicite Mme Orphé pour son rapport qui dresse un constat fidèle de la situation en outre-mer. Ce rapport met en évidence une inadéquation du dispositif dérogatoire, notamment en ce qui concerne les jeunes. En revanche, le service militaire adapté fonctionne très bien outre-mer, puisque 76 % des jeunes concernés entrent en insertion avec des emplois durables.

Cela montre bien que l'on ne peut pratiquer l'insertion à marche forcée : cette démarche ne peut s'accomplir qu'en recueillant la volonté de la personne concernée et en tenant compte de la structure du travail spécifique aux départements d'outre-mer. En Guadeloupe, un département que je connais, les petits boulots – ceux de pompiste ou de porteur, par exemple –, qui peuvent tout à fait fournir les revenus nécessaires au fonctionnement d'une famille, ont été préservés jusqu'à présent et doivent continuer à l'être : il ne faut pas tout bouleverser en cherchant à appliquer sans discernement des recettes qui ne seraient pas efficaces.

Les territoires d'outre-mer sont également marqués par une importance particulière du travail saisonnier dans les domaines de l'agriculture et du tourisme. S'il faut une définition du travail saisonnier, comme vous l'indiquez, il faut aussi mettre en place des formations professionnelles débouchant sur des diplômes, car ce sont les seules qui permettent d'accéder à des emplois stables. En effet, le tourisme représente à la fois un important vivier d'emplois et, pour les personnes concernées, un moyen d'accroître leurs compétences et, à partir d'une formation initiale qualifiante, de devenir progressivement de vrais professionnels – ce qu'ils ne pourront pas faire en passant continuellement d'un emploi saisonnier à un autre.

Vous dites qu'il y a peu de dialogue social en outre-mer, mais votre proposition ne me semble pas très rassurante sur ce point, en situant la négociation prioritairement au niveau des entreprises. La faiblesse en nombre et en formation de la représentation syndicale dans les départements d'outre-mer risque de déséquilibrer encore plus la négociation collective, d'où l'extrême importance de vos propositions relatives à la formation des représentants des salariés – c'est la proposition 10 – et à la nomination d'élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer – c'est la proposition 11.

Pour ce qui est du temps partiel, le projet de loi prévoit une réduction du délai de prévenance, qui aura vocation à s'appliquer aux nombreuses femmes travaillant dans la grande distribution. Or, en outre-mer – je me réfère à nouveau à l'exemple de la Guadeloupe –, la grande distribution est une activité souvent exercée en situation de quasi-monopole, ce qui risque d'aggraver la situation de précarité des salariés concernés, qui sont en grande partie des femmes. Si la loi passe en l'état, nous devrons être très attentifs à ce problème.

Enfin, pour améliorer la situation de l'emploi, il nous faut lutter contre l'économie souterraine, que ce soit en outre-mer ou en métropole. Chacun sait que des jeunes travaillant au noir ou se livrant à des trafics peuvent gagner plus en quelques jours que leurs parents en un mois de travail : il y a là un vrai problème que nous devons combattre sans relâche.

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Je m'associe aux félicitations qui ont été adressées à Monique Orphé pour la qualité et la rapidité de son travail : il n'est jamais simple de s'adapter à une réglementation à la fois en gestation et en mouvement.

Pouvez-vous nous donner des explications plus détaillées au sujet de votre proposition 14, relative à l'adaptation aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins du dispositif pérennisé de la Garantie jeunes ?

Par ailleurs, pour ce qui est de la proposition 15, je suis tout à fait d'accord sur le rôle très positif du service militaire adapté et des écoles de la deuxième chance qui, sur la base du volontariat, apportent une réelle plus-value en matière de formation – à tel point que ces dispositifs ont été accaparés en métropole, où l'on en attend beaucoup.

En revanche, je suis plus réservé en ce qui concerne les droits opposables, car l'expérience a montré que la mise en oeuvre de tels droits n'était jamais facile et que, plus on crée de droits opposables, plus les chances qu'ils soient appliqués se réduisent. À mon sens, en préalable à une telle démarche, il convient de définir quel sera le réceptacle de la formation, car il faut éviter de créer un droit opposable sans que soit disponible une formation correspondante.

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Le service militaire adapté, qui est effectivement né en outre-mer en 1961 et n'a été étendu qu'à deux départements de métropole à titre expérimental, à la demande du Président de la République, présente un taux de réussite de 70 %. Le général de Revel, que j'ai rencontré, m'a expliqué que ce taux impressionnant n'était possible que grâce à l'accompagnement individualisé des jeunes. Il souhaite d'une part que ce dispositif reste attaché au ministère des outre-mer, même lorsqu'il sera étendu à d'autres départements de métropole, d'autre part que le niveau d'encadrement reste élevé : si le dispositif fonctionne si bien, cela s'explique en grande partie – comme pour la Garantie jeunes – par le fait que des moyens exceptionnels ont été déployés. J'ai donc l'intention d'interpeller la ministre du travail sur ce point.

On assiste aujourd'hui à une sorte de compétition entre les différents dispositifs proposés aux jeunes ultramarins – SMA, Garantie jeunes, service civique – ce qui fait que le SMA peut sembler moins attractif. Nous devons veiller à bien orienter les jeunes afin que chacun bénéficie du dispositif qui lui correspond le mieux.

Pour ce qui est des emplois saisonniers, nous avons été alertés, notamment par la CGT, sur la particularité qu'ils présentent outre-mer : alors qu'en métropole, certaines personnes peuvent enchaîner les emplois saisonniers quasiment toute l'année, chez nous, les saisonniers ne trouvent du travail que durant une partie de l'année, et sont au chômage le reste du temps. La culture de la canne à sucre fournit en général six mois de travail par an, mais dans d'autres secteurs, la période de travail ne dure que deux mois. Nous demandons donc qu'une réflexion soit engagée sur ce point – c'est la proposition 16.

Pour améliorer la qualité du dialogue social outre-mer, dont chacun s'accorde à reconnaître la piètre qualité, il conviendrait de renforcer la formation dans ce domaine. Certes, des outils sont d'ores et déjà à disposition : ainsi le crédit d'heures est-il plus élevé outre-mer, afin de permettre aux salariés de mieux négocier. La CFDT a demandé que les salariés, notamment du public, soient formés au dialogue social, et à ce que la présence des salariés du privé dans les négociations soir renforcée. En effet, à l'heure actuelle, les salariés du privé sont souvent représentés par les salariés du public – du moins est-ce le cas à La Réunion –, ce qui s'explique par le fait que les chefs d'entreprise sont réticents à libérer leurs employés en raison de la difficulté à les remplacer. Nous réfléchissons à des amendements en ce sens, visant à ce qu'il soit tenu compte de nos spécificités en la matière.

La délégation aux droits des femmes s'est saisie de la question du temps partiel et de la réduction du délai de prévenance, et proposera des amendements à ce sujet, notamment afin de répondre à la problématique des femmes travaillant dans la grande distribution.

Notre proposition 14 vise à adapter aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation. La garantie jeunes a bien fonctionné en outre-mer, mais on a constaté que le dispositif avait été quelque peu détourné de sa cible initiale, à savoir les jeunes très éloignés de l'emploi : actuellement, il est mis à profit par des jeunes ayant un diplôme et ayant parfois même bénéficié d'une formation SMA. Nous souhaitons que le dispositif soit recentré sur le public auquel il était destiné, que la formation proposée soit plus adaptée aux secteurs créateurs d'emploi en outre-mer – actuellement, les jeunes bénéficient souvent de formations ne correspondant pas à notre tissu économique, principalement constitué de très petites entreprises –, et que l'accent soit mis sur la formation en mobilité.

La création d'un droit opposable à la formation, qui fait l'objet de notre proposition 15, constitue un projet très lourd, comme l'a souligné le ministère du travail. Cela dit, la situation de l'emploi dans les outre-mer – un taux de chômage de 30 %, et même 60 % chez les jeunes, et 100 000 personnes au RSA – est hors norme par rapport à la métropole, ce qui, à mon sens, justifie que des mesures exceptionnelles soient adoptées. Les demandeurs d'emploi sont insuffisamment formés : non seulement ils n'ont pas de diplôme, mais nombre d'entre eux sont en situation d'illettrisme. Très souvent, Pôle emploi n'a pas les moyens d'accompagner ces personnes, en raison d'un taux d'encadrement insuffisant. Quant au conseil régional, chargé de la formation professionnelle et de l'emploi, il propose plus fréquemment des formations aux salariés qu'aux chômeurs.

Si je demande la création d'un droit opposable à la formation pour les chômeurs de longue durée, c'est pour éviter qu'ils ne se trouvent déconnectés de la réalité et ne perdent leur dignité, mais aussi pour obliger l'État et la région à ouvrir les yeux sur ceux que l'on a laissés au bord du chemin, que je considère un peu comme les oubliés de la République : ces personnes veulent travailler et souhaitent pour cela bénéficier d'une formation et d'un accompagnement social, mais on ne s'occupe pas d'elles et on ne leur propose rien – dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner ensuite d'avoir un taux si important de bénéficiaires du RSA. Ma demande porte sur la mise en place d'une expérimentation dans les territoires ultramarins, suivie d'une évaluation de ses effets.

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En début d'année, le Président de la République a dit vouloir faire de la formation professionnelle une priorité. Qu'est-il fait dans ce domaine actuellement ?

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La secrétaire d'État chargée de la formation professionnelle m'a dit que, sur les 500 000 formations supplémentaires qui vont être proposées aux personnes en recherche d'emploi, la situation exceptionnelle des outre-mer leur donnerait un droit de tirage. Ainsi le nombre de formations professionnelles va-t-il doubler pour la Réunion, passant de 6 000 à 12 000 – ce qui, à mon avis, sera encore insuffisant. Ce que je souhaite éviter, c'est qu'une personne au chômage depuis deux ou trois ans ne puisse pas accéder à une formation parce que l'État et la région ne disposent pas de suffisamment de moyens.

La Délégation, à l'unanimité, adopte les propositions présentées par la rapporteure et autorise la publication du rapport d'information.

La séance est levée à 18 heures.