Commission des affaires étrangères

Réunion du 1er février 2017 à 9h45

Résumé de la réunion

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  • AFD
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La réunion

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Jean-Marie le Guen, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

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Mes chers collègues,nous accueillons aujourd'huiM. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie. Je précise que cette audition est fermée à la presse.

Monsieur le secrétaire d'État, vous nous exposerez, au cours de cette première audition, les priorités de votre action. Vous connaissez bien cette Commission à laquelle vous avez appartenu, et vous savez que nous travaillons beaucoup sur les questions de développement.

L'effort français en faveur de l'aide au développement s'est éloigné, ces dernières années, de l'objectif de 0,7 % du produit intérieur brut. Il a cependant été stabilisé en 2016, grâce à des amendements provenant de cette Commission. Conformément aux engagements pris par la France en 2015, qui prévoyaient une hausse du financement de 4 milliards d'euros d'ici à 2020, dont la moitié en faveur du climat, une trajectoire croissante est prévue dans le budget 2017, ainsi qu'une augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières et l'élargissement de son assiette. La France demeure sur le chemin de consacrer 0,7 % de son PIB à l'aide au développement d'ici à 2030.

Monsieur le secrétaire d'État, où en est-on des objectifs chiffrés fixés par le Gouvernement ? La Commission est en particulier très attentive à la répartition entre dons et prêts. La montée en puissance de l'aide s'accompagnera-t-elle d'une modification des priorités géographiques et sectorielles de l'aide au développement ?

Quant à la réforme en cours du dispositif français d'aide au développement, nous avons suivi de très près le rapprochement entre l'Agence française de développement (AFD) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous avons entendu M. Rémy Rioux en octobre 2016 ; il nous a présenté le projet de convention, qui a été signé par les deux institutions le 6 décembre 2016. Cette convention doit permettre à l'AFD d'étendre son champ d'action, mais aussi d'établir des stratégies communes aux deux institutions et de rapprocher leurs personnels. Il est clair à mes yeux que cette réforme donne à l'AFD la possibilité de se rapprocher des collectivités territoriales, dont nous connaissons le rôle en matière de coopération. Inversement, elle doit permettre à la CDC d'agir au niveau international. J'ai noté avec beaucoup d'intérêt l'annonce, à Bamako, de la création d'un fonds d'investissement pour l'Afrique. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Où en est l'application de la convention ?

Nous évoquerons certainement Expertise France, qui a signé son premier contrat d'objectifs et de moyens pour la période 2016-2018. C'est un document ambitieux, qui doit permettre à ce nouvel organisme, regroupement de plusieurs agences, de parvenir à l'indépendance financière.

Enfin, il y a la francophonie, à laquelle nous sommes tous ici extrêmement attachés.

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Jean-Marie le Guen, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés,c'est un grand plaisir pour moi de retrouver cette Commission à laquelle, comme la présidente a eu la gentillesse de le rappeler, j'ai appartenu au cours de cette législature.

Avant de répondre à ces interpellations très précises, je veux dire combien le département ministériel dont j'ai la charge est fascinant dans la période que nous vivons ; on y observe de très près la réalité de notre monde.

Vous avez en 2014 voté une loi d'orientation, et votre Commission a beaucoup fait pour augmenter les moyens de l'aide au développement ; vous avez accompagné la réforme de la politique de développement et des structures. Sur tous ces points, mon action se situe évidemment dans la continuité de celle de mes prédécesseurs. Notre effort s'accroît, notamment en direction de l'Afrique : nous serons très actifs, je vous le confirme ici, jusqu'au terme du quinquennat, pour accompagner le nouvel essor pris par notre politique de développement, grâce aux réformes de ses structures et à l'augmentation de son budget. J'essaierai aussi d'apporter ma propre pierre à l'édifice.

Je commencerai par parler de la francophonie, dont nul ne saurait surestimer l'importance non seulement affective mais aussi stratégique. Aujourd'hui, 280 millions de personnes ont la langue française en partage ; nous serons 750 millions d'ici trente ans.

Le seizième sommet de la francophonie s'est tenu, au mois de novembre dernier, à Madagascar – et il faut saluer l'effort tout à fait remarquable de ce pays qui a su organiser un sommet pleinement réussi. Un accent particulier a été mis sur la jeunesse et la prévention de la radicalisation : la francophonie est porteuse de culture et de valeurs, naturellement, mais aussi d'une réflexion plus politique. La famille francophone se regroupe pour peser dans le monde aujourd'hui.

Tout au long de l'année 2017 aura lieu le « Grand Tour » de la francophonie, dont mon prédécesseur André Vallini avait engagé l'organisation. Il s'agira d'une série de grandes manifestations culturelles, artistiques, sportives… La francophonie sera ainsi célébrée par plusieurs dizaines de millions de personnes.

Il est également important de favoriser – Michaëlle Jean, secrétaire générale de l'Organisation internationale de la francophonie, y tient particulièrement – l'apprentissage du français et surtout la formation d'enseignants de français mais aussi en français, notamment africains. C'est un défi considérable que nous devons relever, et j'y serai très attentif.

J'en viens maintenant à la politique de développement et de solidarité internationale. Nous avons rénové la politique française de développement grâce à la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI). Elle fixe nos priorités sectorielles : la promotion des droits de l'Homme, le développement économique durable, le développement humain, la préservation de l'environnement, l'État de droit et le travail décent. Ce faisant, elle propose, comme le fait traditionnellement la France, une vision globale de ces enjeux, à l'image d'ailleurs des Objectifs de développement durable que nous nous sommes fixés pour 2030.

Il faut aussi insister sur la part croissante prise par la société civile, de plus en plus systématiquement associée à nos actions. Le LOPDSI a ainsi fixé un cadre de travail permanent avec les représentants de la société civile dans toute leur diversité : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale. La grande diversité de la société civile internationale est mise en lumière par l'organisation de la version internationale du concours « La France s'engage au Sud », lancée en 2015, et qui a connu sa deuxième édition en 2016.

Je veux souligner ici que la hausse du budget de l'aide publique au développement est le résultat d'un travail parlementaire : vous avez été très en pointe sur ce sujet, et je le sais d'autant mieux que j'étais alors secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Dans la loi de finances initiale pour 2017, les crédits budgétaires de la mission « Aide publique au développement » sont en augmentation de 97 millions d'euros. Ils sont complétés par une hausse des ressources extrabudgétaires de 268 millions d'euros, soit une augmentation totale de 365 millions d'euros. Cette hausse supérieure à 10 % est tout à fait significative, même si – soyons honnêtes – ce n'est qu'un rattrapage, car les niveaux précédents étaient insuffisants. Il faut néanmoins se féliciter de ce mouvement, en ces temps de fortes contraintes budgétaires.

Nous avons également diversifié les modes de financement, notamment grâce aux financements innovants ; vous avez rappelé, madame la présidente, la mise en place en 2012 d'une taxe sur les transactions financières (TTF), dont la France est le seul pays à consacrer une partie du produit au développement. Aujourd'hui, elle rapporte 1,1 milliard d'euros dont la moitié est affectée à l'aide publique au développement.

Enfin, nous avons engagé le rapprochement de l'AFD avec la CDC. Des appréhensions se sont fait jour, et cette réforme n'a pas été aussi complète que le souhaitaient ceux qui l'avaient imaginée. Mais son principe, celui d'un rapprochement des deux organismes, est aujourd'hui mis en oeuvre et les responsables estiment que le processus fonctionne bien.

Une convention-cadre pluriannuelle, conclue à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire de l'AFD, permettra de favoriser la mise en commun d'expertises sectorielles et l'émergence de synergies opérationnelles et stratégiques ; elle facilitera aussi la mobilité des personnels entre les deux institutions et fera converger les réseaux de l'AFD et de la CDC afin de bâtir des partenariats communs. Un fonds d'investissement commun aux deux groupes sera créé pour financer de grands projets d'infrastructures dans les pays en développement : nous disposerons ainsi d'un bras de levier financier beaucoup plus important.

Ce rapprochement de l'AFD et de la CDC ainsi que l'augmentation progressive des moyens de l'AFD d'ici 2020 font partie des vingt-quatre décisions du Comité interministériel de la coopération et du développement international (CICID) qui s'est tenu le 30 novembre 2016. Le CICID a fixé de nouvelles orientations stratégiques à la politique française de développement, l'adaptant à l'Agenda 2030 pour le développement durable que je citais tout à l'heure. Il a également pris acte de la modernisation du dispositif français, à travers notamment la création d'Expertise France.

S'agissant d'Expertise France, issue du rapprochement de six opérateurs préexistants, cette nouvelle agence me semble aujourd'hui bien partie. Son budget est aujourd'hui de 133 millions d'euros, dont 127 millions de chiffre d'affaires ; il est encore en déficit de 5,3 millions d'euros, mais ce chiffre est conforme à la trajectoire financière fixée. Les crédits alloués à Expertise France en loi de finances initiale se montaient à 12,7 millions d'euros – soit 8,6 millions d'euros en transferts d'expertise technique, 3,4 millions correspondant aux crédits de l'ancien groupement d'intérêt public « Ensemble pour une solidarité thérapeutique en réseau » (GIP ESTHER) et 700 000 euros au titre de l'équilibre financier de l'opérateur.

Expertise France, vous le savez, travaille plus particulièrement sur la gouvernance démocratique, économique et financière ; sur la stabilisation des pays fragiles et la sécurité, car la prévention des conflits est aujourd'hui au coeur de notre politique de développement ; sur la lutte contre le dérèglement climatique et sur le développement urbain ; sur la santé, la protection sociale et l'emploi.

Nous espérons qu'Expertise France atteindra l'équilibre financier en 2020 ; d'ici là, nous continuerons à accompagner l'opérateur par une subvention de transformation. Un travail interne de restructuration est également indispensable.

Je voudrais insister sur le bilan positif de notre politique de développement en Afrique. J'ai été particulièrement impressionné par la réussite du vingt-septième sommet Afrique-France qui s'est tenu à Bamako en janvier. Le Président de la République français peut se prévaloir de ce succès, et je souligne qu'il a été notamment remercié par le président du pays hôte, qui a salué la France comme un partenaire « sincère et loyal ». Ce sommet a rassemblé bien au-delà de l'Afrique francophone et de nos partenaires traditionnels : plus de trente-quatre chefs d'État ou de gouvernement y ont participé. J'ai entendu, y compris de responsables qui n'ont pas l'habitude de nous adresser beaucoup de louanges, une véritable demande de France. Les rapports entre l'Afrique et la France ont légitimement suscité bien des discussions ces dernières années ; mais j'ai le sentiment que nous devons avoir la force morale de dépasser ces débats : aujourd'hui, nos liens sont puissants, et essentiels pour les uns comme pour les autres.

Notre but premier n'est pas d'exercer une influence mais d'être un partenaire, je reprends une fois encore ces mots du président Ibrahim Boubacar Keïta, « sincère et loyal » dans le développement du continent africain.

J'ai ressenti à Bamako une réelle préoccupation des dirigeants africains vis-à-vis du radicalisme et de l'extrémisme violent. Il existe aujourd'hui une prise de conscience générale des risques encourus partout sur le continent.

Les économies du continent ont un potentiel de croissance remarquable, et notre politique de développement vise, avec les États eux-mêmes et les organisations africaines, à mieux former la jeunesse ; le développement du numérique est en ce sens crucial. BPI France et l'AFD avaient ainsi invité à Bamako les lauréats du Startup Challenge Digital Africa, concours d'innovation en faveur du développement de start-up numériques en Afrique. Les résultats sont tout à fait impressionnants. Il y a là un dynamisme et une modernisation extraordinaires, parfois bien supérieurs à ceux des pays développés, par exemple dans le domaine financier.

La France a tenu les promesses de formation de militaires africains et de financements du développement qu'elle avait faites en 2013.

J'accorde une grande importance au continuum entre sécurité et développement. Chacun est aujourd'hui conscient de la nécessité d'un rapprochement de ces deux secteurs, dont les cultures étaient naguère encore très différentes. J'y reviendrai.

Ce sommet a par ailleurs été l'occasion d'annonces nouvelles par le Président de la République. Plus de 25 000 soldats africains seront ainsi formés au cours des trois prochaines années et nous apporterons notre soutien à un projet d'école internationale de la cybersécurité en Afrique. Nous allons mobiliser 23 milliards d'euros pour l'Afrique au cours des cinq prochaines années. Un fonds d'investissement franco-africain sera lancé, comme vous l'avez souligné, madame la présidente. Malheureusement, je n'ai pas d'informations nouvelles à vous apporter sur ce point. La notion de fonds dédié se développe fortement ; elle n'a pas encore produit tous ses fruits, mais la démarche est intéressante. Jean-Louis Borloo a ainsi été un propagandiste actif en faveur de l'électrification de l'Afrique. Dans le cadre de la COP21, il y a également une forte mobilisation, dans une logique de partenariat entre public et privé. Je rappelle également l'accord entre la France et la Chine pour créer un fonds commun d'investissement, géré par CDC International Capital, et qui investira notamment en Afrique. Je ne cite là que quelques initiatives, mais il existe une mobilisation internationale visible pour agir dans une nouvelle logique de partenariat public-privé.

Nous allons pérenniser le principe d'une journée « Afrique numérique ».

Enfin, la France participera au financement de l'Initiative africaine pour les énergies renouvelables, à hauteur de 20 %.

Je vous indique également que je me suis entretenu la semaine dernière avec le nouveau Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.

Les annonces de l'administration Trump ont provoqué une certaine sidération, puisqu'il est question de réduire la contribution financière américaine à l'ONU de 40 %. S'agissant des questions de santé sexuelle et reproductive, en particulier, j'ai déjà eu des contacts avec les gouvernements néerlandais et suédois… Ils souhaitent se mobiliser pour que ces actions cruciales ne soient victimes de ces coupes.

Ces décisions auraient plus généralement de graves conséquences pour le financement des opérations de maintien de la paix en Afrique, au Liban… Les États-Unis financent aujourd'hui à hauteur de 28 % les opérations de maintien de la paix. Or ces opérations doivent être maintenues.

J'ai ressenti, chez tous mes interlocuteurs, une grande inquiétude et une forte demande de France et d'Europe – demande de soutien financier, certes, mais surtout de parole politique. Je souligne d'ailleurs qu'il existe aussi une demande de Chine : si les États-Unis mettent leurs menaces à exécution, une partie considérable des organisations internationales se tourneront vers ce pays. Aujourd'hui, la France est bien plus présente aux Nations Unies que la Chine ; mais celle-ci s'implique de plus en plus. Et l'on peut très bien imaginer un basculement du centre de gravité de l'ONU.

J'évoquais mes priorités pour ce ministère. J'ai déjà insisté sur l'importance d'un continuum entre sécurité et développement. C'est d'ailleurs une préoccupation que je partage avec Antonio Guterres, qui souhaite réformer assez profondément le fonctionnement de l'ONU, afin d'alléger la bureaucratie et de réduire les coûts mais aussi de favoriser de meilleurs échanges au sein de l'organisation ; il envisage notamment de rapprocher la direction des affaires politiques avec celle de l'organisation du maintien de la paix. L'ONU doit être, selon lui, beaucoup plus engagée dans la prévention des crises, mais aussi des risques de rechute.

L'AFD joue pleinement son rôle dans cet établissement d'une meilleure articulation entre les actions humanitaires d'urgence et celles qui relèvent plus habituellement de la politique de développement, notamment grâce à sa « facilité de lutte contre les vulnérabilités et de réponse aux crises », dont la création a été décidée lors du CICID de novembre 2016 et qui est dotée de 100 millions d'euros par an.

Je pense principalement à quatre chantiers prioritaires que la facilité pourrait appuyer : la République centrafricaine, le lac Tchad – projet transfrontalier –, la Syrie et le Liban, et enfin le Sahel.

La Commission européenne a déjà commencé à faire évoluer ses procédures et dispositifs, avec notamment la création de fonds fiduciaires. Le fonds fiduciaire d'urgence créé lors du sommet de La Valette répond à cette même logique de travail à la fois sur la sécurité et sur le développement.

J'accorde également une grande importance à l'amélioration de la santé sexuelle et reproductive. Cela fait partie de nos valeurs, bien sûr, mais c'est aussi un objectif stratégique. Vous connaissez parfaitement les enjeux démographiques contemporains, mais aussi les problèmes de mortalité maternelle et infantile. Mais je veux signaler ici que le président du Niger, Mahamadou Issoufou, ainsi que celui du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, sont conscients de la nécessité d'une maîtrise démographique. Le retour de la volonté d'agir en ce domaine est essentiel.

Je voudrais enfin aborder la question de la recherche, que j'estime absolument fondamentale. J'en ai d'ailleurs récemment débattu avec le professeur Jean-Paul Moatti, président-directeur général de l'Institut de recherche sur le développement (IRD). La recherche, que ce soit dans les domaines de l'agriculture, de l'énergie, de la société doit trouver une place plus importante dans les politiques publiques : lorsqu'une politique publique – sur les questions d'énergie, de sécurité ou de défense… – est mise en place, elle doit systématiquement prévoir un budget destiné à la recherche. Il faut avoir le courage politique de dire qu'il faut toujours prélever un pourcentage, certes minime, de ces flux pour financer la recherche.

J'ajoute que, si la recherche est intéressante en soi, lui apporter plus de financements permettra aussi le développement d'un écosystème de recherche en Afrique. Nous soutenons également la création d'un Erasmus euro-africain. M. Moatti, mais aussi les chercheurs de l'institut hospitalo- universitaire (IHU) Méditerranée Infection, installé à Marseille, ont souligné au cours de nos discussions l'importance pour eux de travailler avec des chercheurs africains talentueux, sur les maladies tropicales par exemple. Pour des raisons évidentes, ces chercheurs s'installent souvent en Europe. Il faudrait éviter cette fuite des cerveaux, et pour cela ouvrir de véritables perspectives à l'enseignement et à la recherche en Afrique.

L'année 2017 est un peu particulière, mais la continuité de l'État doit être assurée. Au mois de juillet, se réunira, à Hambourg, un G20 à l'ordre du jour duquel l'Allemagne souhaite inscrire l'Afrique. Il nous faut donc travailler dès maintenant avec nos amis Allemands afin d'aboutir à une convergence de vues sur les politiques à mettre en oeuvre en faveur de ce continent. Par ailleurs, le G7 qui se tiendra en mai en Italie aura notamment pour thème la problématique des migrations, qui est directement liée aux politiques de développement. Enfin, nous devons préparer dès aujourd'hui le sommet Union européenne-Afrique qui se tiendra à l'automne prochain en Côte d'Ivoire. Je serai d'ailleurs à Bruxelles vendredi prochain, pour sensibiliser la Commission européenne aux idées françaises sur ce sujet. Je précise, à ce propos, que les discussions sur l'après Cotonou, c'est-à-dire le fameux accord avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), ont débuté. Là encore, même si les négociations doivent aboutir en 2018 en vue d'une application en 2020, un travail de préparation et de conviction est nécessaire, car nos positions – souvent partagées par nos amis africains – sont sensiblement différentes, actuellement en tout cas, de celles de l'Allemagne notamment.

Voilà rappelés, à la fois trop longuement et trop superficiellement, les principaux éléments de la politique que je souhaite mettre en oeuvre en matière de développement et de francophonie.

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Certes, votre exposé a été long, mais il était important de bien situer notre politique d'aide au développement dans l'ensemble de la politique africaine de la France. À l'évidence, le continent africain a aujourd'hui, pour la France et pour l'Europe tout entière, une importance stratégique beaucoup plus grande que par le passé, tant il est vrai que nous ne pouvons plus dissocier nos intérêts intérieurs, en matière de sécurité ou de développement économique, de notre politique extérieure. Par ailleurs, l'élection de M. Trump suscite de grandes interrogations sur plusieurs programmes, qu'il s'agisse de la santé, du Programme alimentaire mondiale ou du Haut-commissariat aux réfugiés.

Il était également important que vous rappeliez les principales échéances. Le G20 qui se tiendra début juillet à Hambourg sous la présidence de l'Allemagne sera la démonstration éclatante que celle-ci a bien compris, depuis plusieurs années, qu'elle devait s'intéresser à l'Afrique. De ce fait, elle est, pour nous, après la Chine, un concurrent supplémentaire sur le continent. Nous ferions donc bien de nous poser en leader, car nous ne sommes plus seuls en Afrique, même si nous y avons des points d'appui très importants.

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Monsieur le secrétaire d'État, vous avez rappelé l'augmentation substantielle du budget de l'AFD en 2017, qui permettra à l'agence de réaliser des investissements cette année. Mais nous avons dû batailler ferme pour obtenir cette augmentation, notamment pour protéger la part de la Taxe sur les transactions financières dédiée à l'AFD. Peut-être conviendrait-il, afin d'éviter que ce type de situation ne se renouvelle chaque année, d'élaborer avec l'AFD une sorte de contrat de plan qui lui permette de mener une politique d'investissement pluriannuelle, essentielle aux opérations de plus grande envergure dans lesquelles elle va se lancer.

Par ailleurs, son directeur général, Rémy Rioux, nous a fait part de ses préoccupations à son retour de Londres, préoccupations qui sont liées au retrait sensible du gouvernement britannique de l'aide bilatérale mais aussi multilatérale au développement. Quelles peuvent être les conséquences du « Brexit » dans ce domaine ? N'est-ce pas l'occasion de réorienter les fonds européens, notamment la manière dont ils sont définis, afin d'obtenir une plus grande souplesse, comme le réclame l'AFD ?

Enfin, les déclarations de Trump sont très inquiétantes. Ainsi, lorsque nous l'avons auditionné, le Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies, Filippo Grandi, a indiqué que la situation risquait d'être dramatique, puisque 40 % de son budget proviennent des États-Unis. Il a souhaité, du reste, que des opérateurs européens tels que l'AFD s'intéressent aux 65 millions de réfugiés et déplacés. L'absence d'intervention, notamment en matière d'éducation, pourrait favoriser la création d'un terreau propice au développement du radicalisme et du terrorisme.

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Monsieur le secrétaire d'État, je serai bref, car la mission d'information sur l'aide publique au développement, que je préside et dont M. Marsac est le rapporteur, vous auditionnera tout à l'heure. Je ferai simplement deux remarques. Tout d'abord, j'ai l'honneur, avec François Loncle, de siéger au conseil d'administration d'Expertise France, et je veux témoigner du travail qui s'y fait, qui mérite toute notre attention. Ensuite, j'aurais souhaité que vous mentionniez l'Assemblée parlementaire de la francophonie, où la délégation française travaille assidûment.

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Le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dont je rappelle qu'il est abondé notamment par le produit de la taxe sur les transactions financières atteindra plus d'un milliard d'euros cette année. Or, des questions se posent sur les modalités de gestion de ce fonds, sa transparence et ses comptes rendus d'intervention. De manière générale, les systèmes de financement de l'aide au développement sont complexes, si bien que les parlementaires ont rencontré, à plusieurs reprises, des difficultés pour suivre l'évolution de l'ensemble des dossiers.

Par ailleurs, il semble que les discussions qui se déroulent au plan européen sur la taxe sur les transactions financières rencontrent des blocages, qui témoignent de la fragilité de ces ressources nouvelles. Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est exactement ?

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Monsieur le secrétaire d'État, à Lomé, fin octobre, M. Valls, alors Premier ministre, a évoqué pour la première fois le concept d'un Erasmus Afrique. Cette annonce tombait bien puisque les Français avaient pris l'initiative de réunir, lors de cette visite, l'ensemble des pays de l'Afrique subsaharienne francophone sur le thème de la réciprocité dans le cadre du volontariat. Au cours des trois dernières décennies, la coopération française a marqué un recul, de sorte que tous nos interlocuteurs africains se plaignent non seulement de l'absence d'une expertise française dans leur pays, mais aussi du fait que, Campus France étant devenue une institution très élitiste, seuls les jeunes appartenant à l'élite de ces pays peuvent venir faire leurs études en France. De fait, la masse des étudiants africains se répartit entre les pays arabophones, les États-Unis et le Canada, voire la Chine. Une telle situation risque de faire reculer la francophonie.

On nous dit que tout cela va changer mais, lors de la discussion du dernier texte touchant à ces questions, le projet de loi « Égalité et citoyenneté », tous les amendements élaborés par l'association France Volontaires ont été repoussés par le Gouvernement. Actuellement, rien n'est fait pour favoriser la réciprocité, notamment pour faire progresser le dossier du visa « volontariat », qui serait spécifiquement destiné aux jeunes Africains désireux d'exercer leur engagement citoyen dans notre pays, dans le cadre d'une réciprocité. Pourriez-vous nous dire où en est ce projet qui relève du ministère de l'intérieur et du ministère des affaires étrangères ? Par ailleurs, j'ai reçu, il y a quelques jours, une note d'intention, rédigée par des Africains et des Français, sur la création d'un fonds dédié destiné à financer le volontariat de réciprocité. Quelle est la position de l'actuel Premier ministre et de son gouvernement sur ce sujet ?

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Monsieur le secrétaire d'État, les politiques de santé constituent l'un des piliers du développement. À cet égard, je regrette que le mandat de notre ambassadrice chargée de la lutte contre le VIH-Sida et les maladies transmissibles, notamment la tuberculose, ne soit pas étendu à la santé mondiale. Notre approche reste en effet extrêmement cloisonnée alors que, pour être efficace, elle devrait être globale et intégrée. La lutte contre la tuberculose, par exemple, exige des infrastructures efficaces pour assurer l'approvisionnement en médicaments et des gouvernances sanitaires coordonnées. Pensez-vous que l'extension du mandat de notre ambassadrice, qui améliorerait la visibilité de notre pays et témoignerait de sa volonté de défendre la santé dans les pays en développement, puisse intervenir avant la fin du quinquennat ?

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Lors du dernier débat budgétaire, il avait été convenu, dans le cadre d'un accord prévoyant que l'application de la TTF serait effective au plan européen à compter du 1er janvier 2018, que des négociations seraient engagées avec nos partenaires européens sur ce sujet. Pourriez-vous nous indiquer si ces négociations sont en cours et leur degré d'avancement ? Si, par malheur, ces négociations n'aboutissaient pas, quelle serait l'attitude de la France ?

Par ailleurs, nous constatons, notamment en Afrique de l'Est, la pénétration d'un islam qui n'a rien à voir avec celui qui est traditionnellement pratiqué dans cette partie du continent mais qui se développe à la faveur du financement de mosquées que l'on a vu pousser du Sahel à la région des Grands lacs et qui change entièrement la configuration politique des pays concernés. Le financement de ces mosquées – dont on sait qu'il provient, encore et toujours, des pays du Golfe notamment – est donc une question essentielle. La France mène-t-elle une action pour tenter de répondre à ces difficultés face auxquelles les dirigeants africains paraissent désarmés ?

S'agissant du développement, nous savons que les infrastructures, qu'il s'agisse de ports en eaux profondes, de voies ferrées ou d'infrastructures routières, sont indispensables pour irriguer ce continent en plein devenir au plan économique. Quelles sont, selon vous, celles qu'il convient de développer – nous savons que certains groupes français sont très actifs dans le secteur ferroviaire ? Des financements croisés, publics et privés, doivent accompagner ce type d'initiatives, qui se limitent parfois à une sous-région alors que, pour reconstruire des filières économiques, il est nécessaire de développer des infrastructures significatives qui traversent le continent.

Enfin – et c'est le point le plus sensible, car il s'agit d'une tradition de notre politique étrangère en Afrique –, je souhaiterais évoquer le lien entre développement et démocratie. Force est de constater, hélas ! à la lumière d'évolutions, voire d'élections récentes, que nous avons parfois condamnées, que la démocratie n'a pas fait de grands pas ces dernières années dans certains pays du continent. Certes, nous avons condamné, au plan politique et philosophique, certains dévoiements, mais les résultats mal acquis perdurent et certains nous reprochent parfois de ne pas être à la hauteur des valeurs que notre pays est censé incarner. Je souhaiterais donc savoir s'il existe une volonté renouvelée de notre pays d'agir sur le lien entre démocratie et développement.

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M. le secrétaire d'État, vous avez évoqué le prochain sommet Europe-Afrique. À ce propos, nous savons que la Chancelière s'intéresse de plus en plus à l'Afrique, comme en témoignent sa récente tournée au Mali, au Niger et en Éthiopie et ses rencontres avec les présidents tchadien et nigérien. Le budget que l'Allemagne consacre à l'aide au développement s'élevait en 2015 à 17,8 milliards de dollars et il devrait augmenter d'ici à 2019. Compte tenu de notre connaissance plus fine des pays africains, l'Allemagne souhaite coopérer avec la France dans ce domaine. Pouvez-vous nous donner des éléments concrets concernant la stratégie à adopter dans le cadre de cette coopération ?

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Jean-Marie le Guen, secrétaire d'état auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie

Monsieur Destot, la question de la vision stratégique de l'AFD est importante, et nous partageons vos préoccupations. C'est pourquoi nous sommes en train de discuter avec l'agence du prochain Contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui fixera le cadre stratégique et décrira les moyens que l'État s'engage à lui consacrer pour les trois ou quatre années à venir. À cet égard, les financements innovants tels que le produit de la TTF devraient être plus durables qu'un financement budgétaire. Toutefois, nous devons, comme l'a indiqué Jean-René Marsac, parvenir à stabiliser la légitimité de cette innovation pour que la France ne soit pas la seule à prendre une telle mesure. Or, il ne faut pas se raconter d'histoires, le débat se poursuit au plan européen et son résultat n'est pas encore complètement acquis. Les négociations se sont cependant accélérées à la fin de l'année dernière, et cette proposition semble susciter l'intérêt des Allemands, ce qui n'est pas rien. Au total, dix pays européens soutiennent ce projet dans le cadre d'une coopération renforcée. Au cours du second semestre de cette année, l'Allemagne et la France auront sans doute des discussions intenses dont j'imagine qu'elles porteront non seulement sur l'avenir de l'Union européenne et de la zone euro, mais certainement aussi sur l'Afrique et le développement, de sorte qu'elles devraient inclure cette question. Du reste, si nos amis allemands ont inscrit l'Afrique à l'ordre du jour du prochain G20, c'est sans doute pour avancer sur ce terrain-là.

Par ailleurs, la question se pose d'un allongement d'un an de la durée du COM de l'AFD ; j'y suis plutôt favorable.

La Grande-Bretagne est évidemment un sujet de préoccupation majeur. J'ai reçu son ambassadeur, et je dois dire que j'ai perçu une grande hésitation. Alors que les Britanniques étaient, pour des raisons que l'on peut comprendre, les champions du multilatéral, le gouvernement conservateur actuel souhaite insister désormais sur le bilatéral. Toutefois, leur administration n'est pas pleinement adaptée à cette nouvelle orientation : ils n'ont pas l'équivalent de notre AFD avec son réseau d'agences à l'étranger. J'ajoute que cette question s'inscrit dans la problématique du « post-Brexit ». Les discussions qui auront lieu entre l'Union européenne, et singulièrement la France, et la Grande-Bretagne porteront sur les questions de défense et de coopération, donc sur la manière dont nous pouvons travailler avec les Britanniques pour les aider dans ce domaine. En tout état de cause, c'est un véritable défi.

Pardonnez-moi, monsieur Schneider, de ne pas avoir évoqué l'Assemblée parlementaire de la francophonie qui, c'est vrai, joue un rôle majeur et contribue à donner à la francophonie la dimension politique que j'évoquais tout à l'heure.

S'agissant de la définition de l'orientation des fonds européens, je rappelle que la France a été à l'initiative de la mise en place du fonds Bêkou, consacré à la RCA, qui permet une certaine flexibilité.

Il est vrai, monsieur Lesterlin, que le nombre d'étudiants africains accueillis en France a été limité ces dernières années ; nous ne faisons pas tout ce qu'il faudrait en la matière. Mais les Africains souhaitent développer une offre universitaire propre, et il faut que nous y soyons attentifs. Je rappelle, en outre, que la France demeure l'un des pays qui accueillent le plus d'étudiants étrangers. En tout état de cause, nous devons penser désormais, dans le cadre du monde nouveau qui est le nôtre, à l'enseignement numérique. À cet égard, outre le plan numérique national, un plan numérique spécifique concernera l'OIF.

Dans certains domaines, la France est très en retard. Dans celui de la santé, par exemple, que je connais un peu, les Américains ont mis en oeuvre des programmes, notamment MediPlus, en langue anglaise et en langue espagnole, qui permettent à tous d'avoir accès à une gigantesque bibliothèque médicale interactive comprenant notamment des éléments de diagnostic et de thérapeutique. Je m'efforce donc de mobiliser des universitaires pour que nous nous dotions d'un outil analogue, lequel ne nécessiterait pas, d'ailleurs, des investissements colossaux.

Sur la question des visas, je vous donnerai une réponse précise ultérieurement.

À propos de la santé, Mme Guittet m'a interrogé sur l'extension éventuelle du mandat de Mme Boccoz. Une réflexion interministérielle est actuellement menée sur la santé mondiale, et je souhaite consacrer à ce dossier une attention particulière. Il me semble en effet que, depuis quarante ans, la France a déserté l'offre de santé au plan mondial. Elle a certes mené des actions d'aide au développement, mais sa politique de santé n'est pas suffisamment tournée vers l'international. Or, il est impératif qu'elle ne se limite pas aux frontières de l'Hexagone ; nous avons vocation à être un repère et un acteur mondial dans ce secteur, qu'il s'agisse de la santé publique ou de l'offre de soins. Une révolution psychologique est donc nécessaire. Nous y travaillons, et une stratégie « Santé mondiale » devrait être publiée, qui peut aller dans le sens des préconisations de Mme Guittet s'agissant du mandat de Mme Boccoz, qui est une excellente ambassadrice. Il est vrai qu'il nous faut avoir une vision beaucoup plus large.

Sur le plan budgétaire, dorénavant, l'AFD financera le bilatéral et le FSD le multilatéral, en se concentrant principalement sur le climat, l'éducation et la santé. Cette séparation améliorera la visibilité du dispositif et le simplifiera. Un décret d'application relatif à ce fonds, publié le 5 décembre dernier, permet de renforcer la transparence et le pilotage des ressources extrabudgétaires.

Seybah Dagoma m'a interrogé sur notre coopération avec l'Allemagne. Il faudrait que nous ayons une discussion beaucoup plus large sur le sujet. Lorsque j'étais député, je présidais le groupe d'amitié avec la Chine et j'ai été de ceux qui ont souhaité une harmonisation des politiques française et chinoise en Afrique, fondée sur la création d'un fonds, qui existe désormais, et la possibilité de réaliser une véritable coordination stratégique. Ce que je dis à propos de la Chine est, d'une certaine manière, également valable pour l'Allemagne, dont nous sommes évidemment plus proches. En effet, si celle-ci doit intervenir fortement en Afrique, il faut savoir si nous l'envisageons de manière positive ou si nous avons peur d'être concurrencés à certains égards.

Pour ma part, je pense que la stratégie de la France doit être concentrée sur le développement de l'Afrique, indépendamment de la part qu'elle y prend. Non pas par générosité ou par souci humanitaire, mais parce que cette question est éminemment stratégique pour notre pays. Si nous ne parvenons pas à soutenir le développement de l'Afrique et donc à stabiliser les populations, nous connaîtrons des drames terribles dans les années qui viennent. Je ne néglige pas pour autant les intérêts de la France : plus l'Afrique se développera, plus la part de la France augmentera.

Philippe Baumel a évoqué les infrastructures de transport. Il existe un projet français de boucle ferroviaire dans une partie de l'Afrique. Or, ce projet risque d'être fragilisé, pour ne pas dire bloqué, parce qu'un pays, pour des raisons diverses, ne souhaite pas le soutenir. Peut-être adopte-t-il cette position parce que d'autres pays lui ont suggéré que d'autres solutions existaient. Je ne veux pas présupposer que nous avons toujours raison. En tout état de cause, ne pas être capable de faire converger des initiatives est une erreur.

Je prends un second exemple, celui du projet de ligne ferroviaire reliant Addis-Abeba et Djibouti. Il y a une dizaine d'années, ces deux pays se sont adressés à la France pour nous soumettre ce projet en nous expliquant qu'il permettrait que les exportations de l'Éthiopie, pour des raisons politiques et géographiques que vous connaissez, se fassent à partir de Djibouti, qui pourrait ainsi développer son port. Nous leur avons d'abord répondu que nous étions très intéressés, pour finir par leur annoncer, deux ou trois ans plus tard, que nous ne pouvions pas les aider. Mais nous leur avons dit que nous allions solliciter l'Union européenne. Ils ont attendu six ans de plus, pour se voir opposer un nouveau refus. In fine, ce sont les Chinois qui ont construit cette ligne ferroviaire, stratégique pour ces deux pays. Or, Djibouti est un pays francophone et francophile, et il est essentiel à notre présence dans l'Est de l'Afrique. J'entends d'ailleurs dire qu'il est scandaleux que ce pays ait fait le choix de la Chine. Mais c'est nous qui – peut-être pour de bonnes raisons – n'avons pas donné suite à leur demande. Il aurait été encore plus intéressant de vérifier que les prêts consentis à Djibouti pour réaliser cette opération lui ont été accordés dans des conditions favorables. Le développement de l'Éthiopie, qui passe par sa capacité d'exportation, est stratégique, y compris pour nous, de même que le développement de l'activité du port de Djibouti.

Si nous ne sommes pas capables de mener des politiques de coopération coordonnées, nous y perdons tous. Je reconnais que cette position peut paraître naïve à certains, qui estiment qu'un tel raisonnement conduirait à faire de la place à d'autres. Je ne le crois pas. Je sais, pour en avoir discuté avec eux, que les chefs des entreprises les plus importantes intervenant en Afrique y sont favorables. Nous avons intérêt à accepter la présence des uns et des autres sur le continent.

D'aucuns ont dit, après la tournée de Mme Merkel en Afrique, que l'Allemagne venait nous tailler des croupières. C'est, au contraire, une très bonne nouvelle, pour l'Afrique et pour la France, car elle nous aidera à régler les problèmes que nous ne pourrons pas régler seuls. Nous voulons travailler avec l'Allemagne. Certes, sur le post-Cotonou, leur approche n'est pas exactement la même que la nôtre, mais j'ai confiance. Je crois que, la connaissance de ces questions par les Allemands s'améliorant au fil du temps, ils comprendront que les accords ACP ne sont pas « postcoloniaux » mais qu'ils ont vocation à traiter la question stratégique de l'Afrique.

On dit souvent que la France est arrogante, mais il m'arrive de penser que d'autres le sont aussi. Nous devons, les uns et les autres, mettre notre arrogance de côté et travailler ensemble. J'ai d'ailleurs prévu de rencontrer mon homologue allemand à Berlin, mais ce n'est pas simple, tant l'organisation politique allemande semble complexe.

J'espère avoir répondu à vos questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup, monsieur le secrétaire d'État, pour avoir non seulement répondu aux questions qui vous ont été posées, mais aussi appelé notre attention sur des points stratégiques. Je partage entièrement votre diagnostic : aucun autre enjeu stratégique n'est pour nous plus important que l'Afrique. La France se doit donc d'entraîner les pays européens, et pas seulement l'Allemagne – mais c'est en train de se faire – pour des raisons liées à la sécurité et à la maîtrise des migrations. Et nous avons intérêt à trouver un terrain d'entente avec les gros investisseurs, en particulier les Chinois, qui peuvent être à la fois plus rapides et moins chers que nous. Sinon, je crains que nous ne soyons perdants.

Mon seul regret est que, la fin de la législature approchant, nous n'aurons peut-être pas d'autres occasions de vous entendre. Mais qui sait ? Après tout, la Commission des affaires étrangères continuera à travailler jusqu'au mois de juin.

La séance est levée à onze heures et quinze minutes