Intervention de Olivia Gregoire

Séance en hémicycle du vendredi 2 avril 2021 à 21h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Article 15

Olivia Gregoire, secrétaire d'état chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable :

Le sujet est important : si vous m'y autorisez, je prendrai également le temps d'une explication générale, quitte à me répéter. Nous sommes d'accord sur le fond, non sur la forme. Pour le dire très clairement, il n'a pas été question une seule seconde de négliger le pilier social du développement durable. Ce projet de loi ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt de l'action gouvernementale en la matière. L'inclusion de publics éloignés de l'emploi mobilise les structures de l'insertion par l'activité économique (IAE), les entreprises adaptées, les établissements ou services d'aide par le travail (ESAT), les chantiers d'insertion ; elle constitue une priorité du Gouvernement, à laquelle nous sommes plusieurs ministres ou secrétaires d'État à travailler de concert. Il est manifeste que les marchés publics représentent un levier considérable pour transformer cette priorité en réalité.

Nous avons les outils nécessaires à cela. Vous connaissez le principal, monsieur Baichère : c'est le PNAAPD, dont la version 2021-2025, achevée il y a quelques jours, sera consultable en ligne dès la semaine prochaine. Il comprend un volet social important. Je me permets de vous le citer en avant-première : l'un de ses objectifs – l'objectif 3 – est d'« accélérer la prise en compte des considérations sociales et environnementales » afin que, « d'ici à 2025, 30 % des marchés notifiés au cours de l'année comprennent au moins une considération sociale ».

Il y est également écrit noir sur blanc que « la dimension sociale est entendue au sens large, comme par exemple l'insertion des publics éloignés de l'emploi, la lutte contre les discriminations, notamment la promotion de l'égalité femmes-hommes, le respect des exigences éthiques ou équitables, la performance dans la protection ou la formation des salariés ». En outre, « sur la base de la définition du besoin, qui doit obligatoirement prendre en compte des objectifs de développement durable, l'intégration de considérations sociales dans un marché public peut être réalisée par les différents outils juridiques que sont l'objet du marché, une clause du marché, un marché réservé ou un critère d'attribution ».

Une fois établi cet objectif de 30 % de marchés incluant une dimension sociale, il existe deux outils réglementaires importants visant à guider les acheteurs dans la rédaction du cahier des charges de leur appel d'offres, le PNAAPD étant le premier. Vous me connaissez : je n'ai pas changé. L'objectif de 25 % du précédent PNAAPD n'ayant pas été atteint, nous avons voulu savoir pourquoi et comment faire en sorte que les suivants le soient. Nous nous sommes penchés sur ce point pendant des jours, voire des semaines, ce qui me donne l'occasion de remercier les services concernés, notamment la direction des affaires juridiques de Bercy, avec laquelle nous avons travaillé d'arrache-pied, et le commissariat général au développement durable.

De tout cela, il ressort des informations que je souhaite partager avec vous – avec M. Viry, M. Baichère et l'ensemble des parlementaires mobilisés à ce sujet. Tout d'abord, dans le cadre du PNAAPD 2021-2025, cet objectif sera piloté beaucoup plus étroitement qu'il ne l'était jusqu'ici. Nous allons créer une instance de suivi, un suivi statistique des marchés clausés, des indicateurs qualitatifs. Cendra Motin l'a indiqué : nous développerons les actions de sensibilisation des plateformes d'acheteurs publics, notamment du réseau des administrations publiques intégrant le développement durable (RAPIDD).

Par ailleurs, le second outil permettant aux acheteurs publics de façonner leurs appels d'offres, à savoir le cahier des clauses administratives générales qui vient d'être publié, incite à la prise en considération systématique des clauses sociales lorsque celles-ci ont un lien avec l'objet du marché. Pour chaque type de marché – prestations intellectuelles, travaux, maîtrise d'oeuvre – , une clause sociale et une clause environnementale sont systématiquement proposées.

Certes, ces deux documents sont de nature réglementaire et non législative, mais nous ne les avons pas rédigés dans notre coin. Ils ont été coconstruits avec des parties prenantes, en l'occurrence plus de 200 personnalités représentant les acheteurs publics – État, collectivités territoriales, hôpitaux – , les entreprises et les fédérations professionnelles. Des experts juridiques et financiers ont été associés à l'élaboration du cahier des clauses administratives générales, auquel 99 % des collectivités ont recours pour bâtir leurs appels d'offres – j'ai vérifié l'information entre la commission et la séance. Cette proportion tombe à 70 % au ministère des armées, les marchés de défense et de sécurité étant spécifiques – nous avons déjà évoqué le sujet en commission.

Il a fallu batailler, précisément, pour que la clause sociale figure en toutes lettres dans ce cahier ; de même pour la faire inclure dans le PNAAPD, avec une gouvernance renforcée. Cendra Motin l'a évoqué, je le dirai clairement : cela n'aurait pas eu lieu sans l'action conjuguée de plusieurs membres du Gouvernement. Agnès Pannier-Runacher, Élisabeth Borne, Sophie Cluzel, Brigitte Klinkert ont également lutté dans ce but et pourraient aussi bien que moi se trouver ce soir devant vous.

En raison de l'importance de ce sujet, encore une fois, je tiens à prendre le temps qu'il faut pour le traiter. Avant-hier, le médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, m'a remis un autre rapport, que j'avais également demandé, en vue de moderniser le label RFAR – relations fournisseurs et achats responsables. L'un des piliers de ce label est l'évaluation concrète engagée par l'organisation afin d'intégrer des enjeux sociaux dans sa politique d'achat. La labellisation d'organisations publiques, en particulier des ministères, constitue pour les prochains mois un objectif très important, que je stabiliserai dans les semaines à venir en fonction de ce rapport.

Dans ce cadre, nous fixerons aux ministères des objectifs sociaux. Enfin, la mission parlementaire consacrée aux achats publics durables comportera un volet social de nature à garantir que les préoccupations fortes, légitimes, exprimées dans ces amendements, seront bien prises en considération. Cette mission a été confiée à la sénatrice Nadège Havet et à la députée Sophie Beaudouin-Hubière. Vous savez avec quelle ardeur elles y travaillent : ce soir même, elles sont en train de mener des consultations pour leur rapport.

Pour résumer, nous avons deux documents sur la table : un label, qui sera refondu, modernisé et renforcé, et une mission parlementaire, qui s'achèvera dans les prochaines semaines. Munis de ces outils, nous souhaitons tous progresser sur ces sujets : encore faut-il avancer dans la bonne direction. Même si je comprends que cela puisse en agacer certains, mes fonctions m'imposent de considérer la nature juridique de ce que nous nous apprêtons à écrire. On ne peut exposer les marchés, les acheteurs et les soumissionnaires à un risque juridique qui leur porterait préjudice : véritablement, c'est là ce qui motivera mon avis défavorable. Vous remarquerez que je n'ai pas commencé par vous parler de droit et en droit : reste que les bonnes intentions du législateur ne doivent pas être de celles dont l'enfer est pavé. En l'état, il m'est impossible de donner un avis favorable à ces amendements, qui n'apportent pas une garantie juridique suffisante.

Comme l'a rappelé Cendra Motin, le droit de la commande publique se doit de préserver plusieurs principes, dont certains sont protégés par le droit de l'Union européenne. Une première série d'amendements prévoit ainsi de rendre obligatoire la présence d'un critère social dans les marchés publics ou dans les concessions. Or, en vertu d'un principe fondamental du droit européen, les conditions d'exécution doivent nécessairement avoir un lien avec l'objet du marché : l'absence de ce lien est régulièrement censurée par le juge européen.

Cela peu donner l'impression, parfois agaçante, que le droit bloque l'initiative politique. Mais il n'en est rien, comme le démontre l'article 15 : nous avons besoin d'un droit rigoureux, ainsi que de conditions juridiques stables. Les clauses sociales ne peuvent pas être généralisées à tous les marchés, car cela risquerait de les fragiliser.

D'autres amendements proposent de privilégier les entreprises titulaires de l'agrément entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS) dans la commande publique. Je connais bien ces entreprises qui interviennent dans le champ de l'économie sociale et solidaire, le portefeuille dont j'ai l'honneur d'avoir la charge. Or il en va de même des ESUS : l'intégration de clauses les concernant ne peut pas se faire à tout prix ni dans n'importe quelles conditions. Il existe déjà, cela a été dit, des dispositifs de marchés réservés pour les structures d'insertion, dont l'importance a augmenté dans la loi ASAP. J'ajouterai que, dans le cadre des procédures concurrentielles, nous n'avons pas le droit de privilégier un type de structure au détriment d'un autre.

Je tiens néanmoins à vous rassurer : une très grande majorité des 1 800 entreprises ESUS qui existent aujourd'hui sont des PME. Elles disposeront donc déjà de fait du régime dérogatoire.

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