Intervention de Jean-Michel Blanquer

Séance en hémicycle du jeudi 8 avril 2021 à 9h00
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales — Présentation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

Notre nation est plus que la somme de ses parties : c'est tout l'esprit et toute l'ambition de son universalisme, c'est tout son idéal que de transcender les particularismes des appartenances singulières, pour les unir dans une communauté de destin et d'inspiration.

Cette dynamique ne vise donc pas un effacement : elle est un enrichissement. Cette coexistence n'est pas une subordination : elle est une concorde et une chance. Il ne s'agit donc pas d'opposer les appartenances et les territoires. Bien au contraire, il s'agit de reconnaître, dans le creuset français, les différentes dimensions de la personne et du citoyen qui lui permettront tout à la fois de trouver ses racines dans son territoire local, dans sa langue régionale, et de s'accomplir dans le projet national que nous portons tous en tant que Français. C'est toute l'ambition de notre république que de constituer du commun à partir de nos différences et de notre diversité, et nous savons tous combien cette ambition revêt aujourd'hui une importance primordiale : le creuset républicain, ce n'est pas un vain mot.

« L'exclusive fatalité, l'unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul », a écrit Claude Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale. En tant que Français, nous avons l'immense chance de ne pas être seuls, de bénéficier de la richesse de nombreuses cultures et de langues diverses sur notre territoire, et l'honneur d'être unis par la même inspiration. Nous sommes parvenus à associer et unir l'un et le multiple. Notre école n'a pas d'autre objectif que de garantir ce double accomplissement, en proposant un enseignement du français et, pour ceux qui le souhaitent, d'une langue régionale. Elle permet ainsi à chaque enfant d'étendre ses racines et de déployer ses ailes : étendre ses racines par la transmission des savoirs des siècles passés – et donc, éventuellement par une langue régionale ; déployer ses ailes en ouvrant son horizon de connaissances à l'universel et à l'avenir.

Comment soutenir cette double dynamique ? Je souhaiterais préciser les principes qui guident ma politique éducative pour l'enseignement des langues régionales, et qui sont lisibles dans ce que nous avons déjà accompli depuis 2017. Le premier de ces principes est la reconnaissance d'un patrimoine divers, qui suppose un enseignement de langues régionales bien représentées, parce que les langues de nos régions figurent parmi les trésors culturels que compte notre pays et parce qu'elles contribuent à notre accomplissement intellectuel et sensible d'êtres humains.

La liste de ces langues figure dans la circulaire du 12 avril 2017 relative à l'enseignement des langues et cultures régionales, et elle n'est pas figée. Lors de l'examen de l'article 2 quater, nous évoquerons la situation des langues à Mayotte. Il me paraît à la fois légitime et opportun d'oeuvrer à leur reconnaissance, d'autant que des expérimentations sont d'ores et déjà conduites par l'académie de Mayotte, en ayant recours au shimaoré et au kibushi, dans le cadre d'un bilinguisme transitoire pour aider les élèves à accéder à leur langue de scolarisation, le français.

Celui qui vous parle a exercé des responsabilités outre-mer, notamment en Guyane, en y favorisant les langues régionales, qu'il s'agisse des langues amérindiennes ou bushinengués. Il est évident que nous devons faire droit à ces langues diverses. S'agissant de Mayotte, si le projet doit évidemment être instruit et sans doute développé, ce serait une belle initiative, alors que nous venons de célébrer le dixième anniversaire de la départementalisation de l'archipel et que, depuis le 1er janvier 2020, il est devenu un rectorat et une région académique de plein exercice.

Le deuxième principe sur lequel j'entends fonder la politique éducative pour les langues régionales consiste en un juste respect de la mesure et de l'équilibre. Ce sont ces exigences qui conduisent l'éducation nationale à soutenir le modèle de l'enseignement bilingue en langue régionale à parité horaire, dans les écoles et les sections langues régionales des collèges et des lycées. Dépasser cette parité conduirait à remettre en question l'article 2 de la Constitution et, partant, l'harmonie trouvée entre le niveau régional et l'échelon national.

On ne saurait prétendre que l'école est le creuset français et soutenir l'idée que l'apprentissage de notre langue commune serait supplanté par une autre langue. Dans ce domaine, je me tiendrai au strict respect de la loi. Le sujet a été éclairé, en 2002, par un avis du Conseil d'État, auquel je me tiendrai d'autant plus que je suis convaincu que les premières années d'apprentissage du français sont absolument déterminantes pour l'acquisition des structures fondamentales de la syntaxe et pour le développement du bagage lexical dont on sait qu'il est l'une des premières conditions des apprentissages.

C'est cette même conviction qui m'a conduit à porter l'abaissement de l'instruction obligatoire à l'âge de 3 ans, car la maternelle doit être, plus encore que les autres, l'école du langage et de la découverte de la langue française. C'est pourquoi j'émettrai un avis défavorable sur l'article 2 ter de la proposition de loi, qui préconise le développement d'un « enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice de l'objectif d'une bonne connaissance de la langue française », mais qui ne définit pas les modalités permettant de tenir cet objectif, alors que l'enseignement ne serait plus dispensé qu'en langue régionale.

J'entends parfois que des expérimentations ont été menées en ce domaine, qui, parfois, durent sans relever du cadre procédural d'une expérimentation. Je n'entends pas revenir sur l'existant. J'ai, par exemple, beaucoup salué le travail accompli par Diwan, qui correspond à mes yeux au cadre républicain, mais l'implantation d'un enseignement immersif ne peut être que l'exception : il ne saurait constituer la solution générale parce qu'il pourrait rompre avec la finalité bien comprise du bilinguisme, celle d'un enseignement conjoint du français et d'une langue régionale.

Les études scientifiques le montrent : il ne peut y avoir de pleine efficacité d'apprentissage des langues si l'on ne garantit pas leur concomitance et leur résonance. C'est tout l'apport du bilinguisme et du plurilinguisme, d'un point de vue cognitif et culturel, que de développer ainsi, par la confrontation et la diversité des langues, les facultés intellectuelles des élèves et d'étendre leurs possibilités de comprendre le monde en appréhendant d'autres manières de le dire ou de pouvoir le dire. Il serait paradoxal de contester ce qu'on appelle parfois le monopole du français pour vouloir lui substituer un autre monopole.

J'ajoute qu'un risque social existe derrière l'immersion : on m'objecte parfois que les élèves qui pratiquent un enseignement immersif parlent parfaitement le français par ailleurs.

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