Intervention de Vincent Bru

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 15h00
Résidence de l'enfant en cas de séparation des parents — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Bru, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, monsieur le vice-président de la commission des lois, mes chers collègues, en guise de propos liminaire, je voudrais rappeler l'esprit dans lequel j'ai souhaité mener mes travaux de rapporteur : sans aucun a priori ni parti-pris.

La proposition de loi que nous examinons ce soir suscite les passions, voire des pressions, s'agissant d'un problème de société qui pose la question essentielle des relations entre l'enfant et ses parents. Certains estiment que nous n'allons pas assez loin ; d'autres, au contraire, que nous touchons à quelque chose d'essentiel qu'il convient de ne pas modifier.

En tout état de cause, j'espère que la discussion va permettre d'apaiser les inquiétudes qui ont pu naître dans le débat public sur certaines des dispositions proposées et que chacun est bien conscient que le seul objectif est l'intérêt de l'enfant.

Je voudrais tout d'abord souligner que la proposition de loi que nous examinons s'inscrit pour une large part dans un mouvement, lancé il y a plus de quarante ans, en faveur de l'égalité de chacun des parents en matière d'exercice de l'autorité parentale. L'égalité entre le père et la mère mariés avait été affirmée par la loi de 1970, qui a remplacé la « puissance paternelle » par l' « autorité parentale ». Puis l'égalité entre les parents séparés, qu'ils soient ou non mariés, a été affirmée par les lois de 1987 et de 1993, qui ont séparé la résidence de l'enfant de l'exercice de l'autorité parentale et généralisé l'exercice en commun de cette autorité. Le principe de coparentalité, selon lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par les deux parents, a enfin été affirmé par la loi du 4 mars 2002, qui a notamment offert le choix entre la résidence alternée et la résidence au domicile de l'un des deux parents.

La proposition de loi prolonge cette évolution en posant, à l'article 373-2-9 du code civil, le principe de la double résidence de l'enfant, sans impliquer nécessairement un partage égal du temps passé chez chacun des deux parents. Elle consacre ainsi le droit de l'enfant à maintenir le lien avec ses deux parents.

Je souhaiterais ensuite souligner que cette proposition de loi est discutée au moment où notre société connaît de profondes mutations. Les séparations parentales concernent ainsi de plus en plus de familles : un couple sur trois se sépare avec, dans la moitié des cas, un enfant à charge. Par ailleurs, l'évolution des modes de vie familiaux témoigne de la volonté croissante de chacun des parents de s'investir davantage dans la relation avec son enfant. Aussi, en posant le principe de la double résidence de l'enfant en cas de séparation des parents, sans obliger à une répartition égale du temps entre les deux domiciles, la réforme proposée poursuit un triple objectif.

Premier objectif : préserver l'intérêt de l'enfant, en consacrant son droit à maintenir le lien avec les deux parents. La préservation des liens avec chaque parent est en effet essentielle à l'enfant. De nombreux pédopsychiatres, psychologues et professeurs de sciences de l'éducation ont souligné, au cours de nos auditions, la nécessaire présence des deux parents au quotidien, afin de préserver l'équilibre de l'enfant. L'enfant doit se sentir chez lui aussi bien chez son père que chez sa mère. En posant le principe de la double résidence, la proposition de loi permet donc d'appliquer pleinement la Convention internationale des droits de l'enfant, adoptée en 1989 et ratifiée par la France en 1990, qui reconnaît le droit des enfants à être élevés par leurs parents de manière à favoriser leur développement.

Deuxième objectif : mieux traduire la symbolique de l'égalité des parents. La réforme proposée s'inscrit dans la continuité de la loi de 2002, qui, je le rappelle, pose le principe de la coparentalité, en vertu duquel il ne faut pas qu'un parent se considère comme supérieur à l'autre, ou exclue l'autre. La double résidence permet en effet aux parents de prendre conscience qu'ils ont la même responsabilité et les mêmes devoirs vis-à-vis de leur enfant ; elle confirme l'égalité de chacun des parents quant à leurs droits et à leurs devoirs. Le partage de l'hébergement de l'enfant est de nature à favoriser une prise en charge plus égalitaire de celui-ci et un réel maintien de ses liens avec ses deux parents. Aux termes de l'article 373-2, alinéa 2, du code civil, « Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent. »

Troisième objectif : faire évoluer la perception du rôle social de chacun des parents. Malgré une augmentation constante, quoique lente, des hypothèses de résidence alternée – 17 % des décisions de justice – et de résidence chez le père – 12 % des décisions de justice – , la charge quotidienne des enfants pèse encore très majoritairement sur les femmes. Certains choix, comme le fait, pour la mère, de renoncer à la demande de la garde majoritaire, sont encore difficiles à assumer ou à faire accepter par la société. Aussi, en posant le principe de la double résidence, la proposition de loi a pour objectif de faire évoluer la perception du rôle social de chacun des parents.

Avant d'en venir plus précisément au dispositif proposé, je voudrais rappeler que l'on souhaite faire disparaître l'actuel choix binaire entre résidence alternée et résidence au domicile de l'un des parents, au profit du principe selon lequel la résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents, sans toutefois imposer une répartition égale du temps de présence chez chacun d'eux.

Plusieurs améliorations ont été apportées au texte initial par la commission des lois, en particulier à l'initiative de Caroline Abadie – que je remercie pour sa très grande implication lors des auditions et des travaux de la commission – , mais aussi sur ma proposition. Elles ont pour objet, d'une part, de laisser une plus grande liberté au juge dans sa décision et, ainsi, de permettre une appréciation au cas par cas dans l'intérêt de l'enfant ; et, d'autre part, de présenter les garanties nécessaires en cas de violences exercées par l'un des parents sur la personne de l'enfant ou de l'autre parent – on vise ici, en particulier, la violence faite à la mère.

La commission des lois a tout d'abord modifié la rédaction de l'article 373-2-9 du code civil : elle a ainsi prévu que la résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents selon des modalités de « fréquence et de durée » déterminées par accord entre les parents ou par le juge. Il s'agit de poser le principe de la double résidence, qui n'implique pas nécessairement, je le répète, un partage égalitaire.

La commission a également défini les exceptions à ce principe. À titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents. Dans ce cas, il statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent. Lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, ce droit de visite peut, par décision spécialement motivée du juge, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.

La commission a, en outre, introduit des dispositions pour lutter contre le comportement violent de l'un des parents. Dans cet objectif, elle a maintenu les dispositions de l'actuel alinéa 4 de l'article 373-2-9 du code civil, qui visent à encadrer la remise de l'enfant, communément appelée « passage de bras », lorsque l'un des parents présente un danger pour l'enfant ou, surtout, pour l'autre parent – on vise ici évidemment le cas de violences faites à la mère.

La commission a par ailleurs utilement précisé, à l'article 373-2-1 du code civil, relatif à l'exercice unilatéral de l'autorité parentale, que, lorsque le juge confie l'exercice de l'autorité parentale à l'un des parents, il fixe la résidence de l'enfant au domicile de ce parent.

Afin de permettre aux parents d'adopter la nouvelle terminologie issue de la proposition de loi dans leurs conventions et pour permettre aux juges de tenir compte, dans leurs décisions, de la nouvelle rédaction de l'article 373-2-9 du code civil, la commission a également prévu une date d'entrée en vigueur différée de la loi, qui pourrait être fixée au 1er janvier 2019.

Tirant les conclusions de ses travaux, la commission des lois a enfin clarifié l'intitulé de la proposition de loi, l'expression « garde alternée » étant rayée du code civil depuis la loi du 22 juillet 1987 sur l'exercice de l'autorité parentale. Aussi a-t-elle fait le choix de la qualifier de proposition de loi « relative à la résidence de l'enfant en cas de séparation des parents ».

Pour conclure, je vous invite évidemment à adopter cette proposition de loi qui, loin de bouleverser le droit actuel, apporte une contribution intéressante au principe de coparentalité dans l'intérêt de l'enfant.

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