Intervention de Marie-Pierre Rixain

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 15h00
Résidence de l'enfant en cas de séparation des parents — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Pierre Rixain, présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui toutes et tous réunis pour examiner une proposition de loi qui pose le principe de la double résidence de l'enfant, en cas de séparation des parents, sans que cela implique nécessairement un partage égal du temps passé chez chacun d'eux.

Je vous le dis clairement, je ne souhaite pas, ici et maintenant, ouvrir une polémique qui n'aurait qu'un effet contre-productif pour nous tous. Je me devais, toutefois, madame la ministre, mes chers collègues, de m'exprimer sur ce texte, parce que, en ma qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes de cette assemblée, les considérations auxquelles elle m'oblige ne me quittent jamais, même si la délégation n'a pas été saisie du texte.

De tous les liens du droit, les liens familiaux sont sans doute les plus importants, et ce, qu'elles qu'en soient la composition et la configuration. L'intérêt supérieur de l'enfant doit être l'objectif qui préside à l'élaboration de la règle de droit. Et c'est cet objectif commun qui doit nous animer.

Mais, au-delà de l'intérêt de l'enfant, ce texte porte aussi des enjeux d'égalité entre les femmes et les hommes. Comme l'écrivait Françoise Héritier : « Il reste deux bastions à conquérir : celui des esprits et celui de la sphère domestique. Le futur grand combat qui devra être mené doit porter non seulement sur le partage réel des tâches domestiques et parentales, mais aussi sur l'éducation et la culture transmises à nos enfants, qui justifient l'inégalité en ces domaines. »

Aujourd'hui encore, le partage des tâches domestiques et parentales reste inégalitaire en France. Elles sont respectivement effectuées à 71 % et à 65 % par les femmes. Par répercussion, l'augmentation des séparations cumulée aux inégalités de carrière et aux plus faibles salaires des femmes engendrent la précarité des mères seules et des familles monoparentales.

Aussi, dans ce contexte, favoriser l'implication des pères dans l'éducation quotidienne des enfants, est un premier pas en matière d'égalité des fonctions parentales et donc, in fine, en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

Sur la base de quels principes d'instinct maternel ou de naturalisme devrions-nous poser que l'enfant aurait plus besoin de l'un de ses parents ? Dans le même temps, être père ne peut plus être « où je veux et si je veux ». Les pères doivent s'engager dans les soins donnés aux enfants dès leur naissance et partager, séparés ou non, toutes les charges liées à la parentalité. C'est la réflexion que propose ce texte, et je constate que le débat existe et à quel point il est nécessaire.

Une société égalitaire doit promouvoir la libération des femmes du carcan du foyer dans lequel elles ont été autrefois strictement enfermées. Favoriser l'égale implication des femmes et des hommes dans l'éducation des enfants, c'est faire progresser toute la société. Ainsi, il serait bon de ne pas restreindre ce débat à une lecture trop simpliste de ce texte – les droits des pères contre ceux des mères – , mais, à l'inverse, d'envisager très largement les enjeux transversaux qui s'y attachent.

Cette proposition de loi, telle que modifiée en commission des lois, permet de poser le principe de la double résidence de l'enfant, en sortant de l'actuel choix binaire entre résidence alternée et résidence au domicile de l'un des parents, tout en soulignant qu'elle n'implique pas nécessairement un partage égalitaire du temps passé par l'enfant chez chacun de ses parents. Il s'agit d'impulser un changement des pratiques et des mentalités dans l'éducation des enfants, afin que les pères, encore insuffisamment investis, puissent prendre toute leur part de responsabilité dans l'éducation des enfants.

Néanmoins, il est absolument nécessaire d'exclure de ce dispositif les situations de pressions ou de violences intrafamiliales. Comme le rappellent Ernestine Ronai et Édouard Durand, « la violence dans le couple se heurte aux fondamentaux de la coparentalité ». On estime chaque année que 223 000 femmes sont victimes de violences conjugales et que 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré être victime de violence de la part de son conjoint ou de son ancien conjoint ; 42 % de ces enfants ont moins de six ans.

Or cette proposition de loi ne mentionne pas expressément les pressions ou les violences physiques ou psychologiques que l'un des parents exerce sur l'autre ou sur l'enfant comme l'un des éléments que le juge doit prendre en compte pour déroger à la résidence des enfants au domicile des deux parents, qui s'exerce dans un esprit de coparentalité.

Rappelons-le : un mari violent ne saurait être un bon père, le continuum des violences familiales et intraconjugales a été longuement démontré. Les enfants sont des témoins des violences conjugales, quand ils n'en sont pas directement les victimes. La protection contre les violences exercées tant sur l'un des parents que sur l'enfant, devrait figurer explicitement dans ce texte.

Enfin, je souhaite évoquer un dernier point sur lequel je serai particulièrement attentive : l'impact économique de cette disposition pour les familles monoparentales. Jusqu'à aujourd'hui, en cas de résidence alternée, avec ou sans partage égal du temps, les droits aux prestations sociales sont partagés entre les deux parents au prorata du temps que l'enfant passe chez chacun d'eux. Il ne faut pas amoindrir la part des aides sociales qui devrait revenir au parent le plus démuni, qui est encore, bien trop souvent, la mère.

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