Intervention de Nicolas Hulot

Séance en hémicycle du vendredi 1er décembre 2017 à 9h30
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Présentation

Nicolas Hulot, ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, chacun d'entre vous a probablement encore à l'esprit ce que la communauté scientifique nous a annoncé une fois de plus pendant la COP 23, et qui venait malheureusement confirmer d'autres rapports : en matière de lutte contre le changement climatique, la fenêtre d'opportunité se réduit et le seuil de l'irréversible se rapproche.

Je le reconnais, on finit même par s'habituer un peu à ce type de messages. Mais nous devons nous garder – moi le premier – de cette tentation terrible, celle de la résignation. Pour voir les choses sous un jour positif, disons que les scientifiques nous ont rappelé que, sans mesure supplémentaire face au dérèglement climatique, nous nous exposons à un risque majeur de déstabilisation des écosystèmes, qui sont tout simplement – chacun le sait, mais on finit aussi par l'oublier – le substrat de notre vie sur cette minuscule et précieuse planète.

Il n'est donc plus temps de tergiverser : il faut maintenant amorcer l'impérieux mouvement de décrue des énergies fossiles. Le texte qui nous réunit aujourd'hui propose simplement de larguer les amarres qui nous attachent à un monde crépusculaire, celui des énergies fossiles. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet, car je sais que, pour la plupart d'entre vous, je n'ai pas besoin de vous convaincre. Mais il était important de rappeler cette parole de la science, car la science doit être le pilier de nos réflexions et plus encore, aujourd'hui et demain, de notre action.

Le projet de loi qui doit mettre fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures, conventionnels et non conventionnels, revient devant vous après, malheureusement, l'échec de la commission mixte paritaire. En effet, le texte voté par le Sénat en première lecture contenait beaucoup trop de dispositions qui dénaturaient son objectif pour qu'il soit possible de trouver un compromis, malgré de nombreuses améliorations, dont je prends acte.

Laissez-moi vous dire rapidement combien j'ai apprécié le travail accompli par votre assemblée pour améliorer le texte, notamment en encadrant le droit de suite afin de matérialiser la fin de l'immense majorité de la production d'hydrocarbures en France d'ici à 2040. Je sais aussi qu'ensemble nous avons amélioré le texte pour bien identifier – ce n'était pas simple – ce que l'on appelle les hydrocarbures non conventionnels.

Ce texte, même s'il n'est pas encore adopté, donne à notre pays, je l'ai vu, une vraie crédibilité sur la scène internationale en matière de lutte contre le changement climatique. Cette crédibilité n'est jamais acquise. Nous en avons obtenu une part grâce à notre contribution à l'accord de Paris, mais elle peut s'effriter si nous ne sommes pas à la hauteur maintenant qu'il s'agit de mettre cet accord en oeuvre. Or nous en avons bien besoin pour entraîner d'autres pays dans notre dynamique et les associer à notre exigence.

Le texte matérialise en effet notre engagement et notre détermination à atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, que je me suis fixé, et qui rehausse les engagements que nous avons contractés lors de l'accord de Paris : la neutralité carbone à l'horizon 2050. C'est le seul qui soit à la hauteur des exigences que la science nous impose.

Grâce au travail effectué ensemble, le texte permet de programmer une transition douce – certains la considèrent comme brutale, mais elle ne le sera que si nous tardons à la planifier et à l'organiser – , sereine et irréversible pour les entreprises comme pour les territoires et les salariés concernés.

C'est justement parce que ce texte est fort, parce qu'il exprime une vision et qu'il la traduit en actes que nous ne pouvons pas nous satisfaire de la version issue du Sénat. En effet, je suis convaincu qu'en matière de transition écologique la parole de l'État doit être forte, claire, sans hésitation et sans ambiguïté. C'est encore plus vrai de la loi, qui doit définir un cadre clair pour que chacun puisse s'y retrouver.

Je l'ai déjà dit, ne faisant que répéter ce que dit la science, mais certains – pas ici – s'obstinent à ne pas l'entendre : nous devons laisser derrière nous, ou plutôt sous nos pieds, dans le sous-sol, 80 % des réserves d'hydrocarbures pour avoir une chance – ce n'est pas assuré – de rester en dessous de deux degrés centigrades de réchauffement. Cela ne souffre aucune ambiguïté, aucun débat.

Pourtant, certaines modifications introduites par le Sénat, et sur lesquelles le travail en commission a permis de revenir, étaient, c'est le moins que l'on puisse dire, de nature à laisser planer le doute sur notre détermination à lutter contre le réchauffement de la planète. Sur les usages non énergétiques, autrement dit dans l'industrie du plastique, des hydrocarbures, sur les permis en cours, sur l'outre-mer – qui, je le rappelle, fait partie des régions les plus exposées aux conséquences du dérèglement climatique – ou sur la question de la recherche, ces modifications me semblaient dénaturer le texte en y introduisant des doutes qui compromettent l'irréversibilité que le Gouvernement cherche à imprimer à la lutte contre le changement climatique.

Tout d'abord, concernant l'utilisation des hydrocarbures non pour l'énergie, mais pour l'industrie, en particulier la pétrochimie, la logique qui a été à l'oeuvre au Sénat est à mes yeux contraire à l'esprit du projet de loi, qui vise justement à inscrire dans le droit la sortie de la production et de la consommation des énergies fossiles.

Je ne vois pas, en effet, comment on pourrait faire la différence entre les hydrocarbures employés à un usage non énergétique et ceux qui seront destinés à un usage énergétique. C'est bien le signal d'une transformation que nous voulons donner, y compris à certains secteurs, comme la chimie ou les plastiques, qui doivent eux aussi apprendre à se passer des énergies fossiles. Je le rappelle ici : le Gouvernement a notamment pour objectif que 100 % des plastiques soient recyclés d'ici à 2022, alors même que cette industrie produit des déchets que l'on ne sait pas recycler et que l'on retrouve partout dans nos océans, au point de former le continent de plastique que vous connaissez.

Les amendements adoptés au Sénat en ce sens brouillent donc les pistes en ne donnant pas les bons signaux aux acteurs économiques. Pourtant, c'est essentiel de le garder à l'esprit, nous avons tous les champions de la chimie verte, qui innovent et cherchent à trouver des substituts, notamment d'origine végétale, et auxquels il faut donner un horizon dégagé et clair. Mieux vaut privilégier une logique d'économie circulaire qui favorisera la compétitivité de nos entreprises.

J'en viens à la question, qui a été abordée tant à l'Assemblée qu'au Sénat, de la recherche et de la connaissance géologique de notre sous-sol. Elle est essentielle et j'en partage l'esprit. Mais le Sénat a introduit des amendements visant à maintenir la possibilité de donner des permis pour la recherche d'hydrocarbures. Or je ne comprends pas que nous accordions des permis de recherche s'il n'existe pas de droit de suite, car je ne vois pas quelle en serait la logique économique. Personne ne va en effet investir dans la recherche s'il n'existe pas ensuite de droit d'exploration. Cela aurait en outre pour conséquence de fragiliser la loi, car les acteurs économiques pourraient nous mettre sous pression pour nous demander des droits de suite, même si ce n'est pas possible.

Quant au fond, nous sommes confrontés à deux défis. Le premier est la connaissance de notre sous-sol, dont certains imaginent qu'elle sera perdue sans la recherche d'hydrocarbures. C'est faux : nous allons continuer de chercher à comprendre notre sous-sol, car nous en avons besoin, notamment pour bien saisir son potentiel en matière de géothermie, mais aussi dans d'autres domaines. Ensuite, certains s'alarment de la perte de compétence des ingénieurs et géologues français. Je peux le comprendre, mais ne soyons pas naïfs : cela fait des années que c'est ailleurs, sur les grands gisements, que se construit cette expertise, et sûrement pas en France. Je rappelle que 80 % de l'activité des entreprises du secteur sont localisés à l'étranger.

En ce qui concerne les demandes de permis en cours, c'est-à-dire les permis qui ont déjà été demandés, mais à propos desquels aucune réponse n'a encore été donnée, certains proposent, si vous me permettez l'expression, de ramer à contre-courant. L'objectif de l'accord de Paris est bien de sortir des énergies fossiles si l'on veut atteindre la fameuse neutralité carbone et essayer de contenir le réchauffement climatique en dessous de deux degrés centigrades.

Les permis en cours d'examen ne bénéficient pas du droit de suite, car ils n'ont pas été accordés. C'est tout l'intérêt du projet de loi que de donner les bons signaux et de clarifier la situation. Pourquoi donc accorder des permis alors que nous savons qu'il va falloir se passer des énergies fossiles ? Vis-à-vis du principe de cohérence que j'essaie de garder à l'esprit, très sincèrement, je ne m'y retrouve pas. Ce serait finalement une sorte de mensonge aux acteurs économiques ; ce serait dépourvu de toute logique. Or on ne peut pas se permettre, si l'on est responsable – et nous le sommes – , de donner des signaux contraires aux politiques que l'on veut mener.

En résumé, pour le Gouvernement, il existe deux cas : celui des permis déjà accordés, que nous avons bien identifiés, qui bénéficient d'un droit de suite et pourront en faire usage puisque nous ne sommes évidemment pas revenus sur ce droit de suite ; celui des permis non accordés, qui seront refusés.

Il en va de même s'agissant de l'outre-mer : le Gouvernement a choisi la cohérence ; la lutte contre le dérèglement climatique ne se limite pas à la métropole.

Au-delà de ces éléments, que vous avez contribué les uns et les autres à faire évoluer pour restituer au projet de loi son ambition initiale, le Sénat a néanmoins permis de progresser, y compris sur un sujet important et urgent, le stockage du gaz, en intégrant dans le texte les principales dispositions qui évitent le recours à une ordonnance.

Je compte sur vous pour reprendre le texte, lui rendre son souffle et sa pertinence, et pour ne pas donner un signe de faiblesse en cette période de léthargie que j'ai pu observer à la COP 23. En effet, je l'ai dit en commençant, je sens, comme par une tragique intuition, la tentation de se dire que l'on a perdu la bataille. Je crois que l'on n'en mesure pas les conséquences.

J'étais hier à Genève, au siège de l'Organisation internationale pour les migrations. Aujourd'hui, les déplacés climatiques sont deux fois plus nombreux que ceux liés aux conflits. On est déjà dans le dur ! Nous ne pouvons pas faiblir. Je vous demande simplement de m'aider à planter un arbre essentiel, …

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