Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 9h30
Dons de jours de repos non pris aux aidants familiaux — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, deux ans après l'adoption de la loi d'adaptation de la société au vieillissement, c'est avec une certaine émotion que je me présente devant vous pour défendre une proposition de loi qui me tient véritablement à coeur.

Le choix fait par le groupe UDI, Agir et indépendants de mettre en valeur la thématique des aidants dès le début de cette législature ne doit bien évidemment rien au hasard. Les aidants ont longtemps subi un niveau de reconnaissance inversement proportionnel à l'importance de leur rôle dans notre société. Pivots invisibles de notre système de protection sociale auprès des personnes en situation de handicap comme des personnes âgées en perte d'autonomie, les aidants – aidants familiaux, disait-on auparavant, proches aidants depuis la loi ASV – ne représentent pas seulement la solution d'accompagnement privilégiée par les personnes concernées, loin devant les aides professionnelles à domicile et les établissements ; il s'agit aussi d'une force de solidarité sans équivalent qui comprend aujourd'hui, d'après les associations, 11 à 13 millions de personnes. Nous devons prendre conscience de cette réalité : aujourd'hui, la moitié des actifs et un tiers des retraités sont des aidants.

Disons-le clairement : ce dévouement remarquable de nombre de nos concitoyens constitue également une chance pour notre système de protection sociale, qui, en s'appuyant sur ces bénévoles, réalise de facto des économies.

Si les aidants familiaux ne demandent naturellement pas de rémunération pour ce qu'ils font, ce rôle fondamental qu'ils exercent pour leurs proches et dans l'intérêt de ces derniers a un coût : le coût du temps pris souvent sur les congés, sur le temps libre, sur le temps familial, parfois sur le temps de travail ; le coût, trop souvent, du renoncement à tout ou partie de sa carrière, voire à toute activité professionnelle, d'autant que beaucoup d'entreprises sont insuffisamment sensibilisées à ces problématiques ; le coût enfin, plusieurs études l'ont démontré, d'une fragilisation de sa propre santé lorsque l'effort se révèle trop lourd.

J'insiste sur l'importance de ces sacrifices pour la génération que les associations que j'ai rencontrées appellent « génération pivot » : ces femmes et ces hommes qui auront probablement à s'occuper à la fois de leurs parents et de leurs enfants.

Compte tenu de cette situation, notre société se doit, faute de pouvoir rendre aux aidants tout ce qu'ils apportent, de reconnaître leur action, de faciliter leur quotidien et de les accompagner autant que possible.

La reconnaissance existe depuis longtemps pour les aidants familiaux des personnes en situation de handicap. Ils bénéficient en effet de droits sociaux, notamment à la retraite, ce que l'ordre établi propose depuis 1975, et peuvent également se voir reverser la prestation de compensation du handicap de la personne aidée sans être nécessairement employés par elle. Quant aux aidants des personnes âgées en perte d'autonomie, ils relèvent aujourd'hui de la catégorie de proche aidant inscrite dans la loi ASV et qui dépasse le seul cadre familial.

En matière d'accompagnement, des actions d'information et de formation, financées notamment par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, sont menées depuis plusieurs années. Nonobstant ces efforts, et sans négliger le rôle joué par les associations, les centres locaux d'information et de coordination – CLIC – et les centres communaux d'action sociale – CCAS – , je m'empresse de constater la faiblesse et l'insuffisance de ces dispositifs, à propos desquels il faudra apporter des solutions nouvelles. Nous devrons ainsi inventer des outils de communication plus efficaces et mieux partagés. Nous devrons vraisemblablement aussi donner aux aidants des interlocuteurs privilégiés pour répondre à leurs questions et communiquer sur les dispositifs existants. La formation des aidants en est probablement encore à ses balbutiements ; nous devrons intégrer à notre réflexion non seulement la formation qui permet d'être un bon aidant, mais aussi celle qui facilite le retour vers la vie professionnelle des aidants qui l'ont totalement ou partiellement quittée.

Sans méconnaître l'importance de ces deux premiers aspects, je souhaite insister aujourd'hui sur le troisième : nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faciliter la vie des aidants – on parle parfois d'« aide aux aidants » – , car il s'agit d'un enjeu essentiel pour l'avenir de notre politique en matière de dépendance. Abstraction faite de la question de savoir si nous reconnaissons suffisamment les aidants, ou encore s'ils ont à leur disposition les outils leur permettant de connaître et d'accomplir leur mission, il nous faut nous interroger sur la difficulté d'être un aidant aujourd'hui au quotidien.

La situation présente des aidants est en effet cruciale parce qu'elle détermine très largement qui et surtout combien seront les aidants demain. Les études sont très claires : les personnes qui ont été aidantes ou qui ont vu des proches l'être renoncent souvent à le devenir ou à le redevenir elles-mêmes, parce qu'elles ont conscience des difficultés que cela implique. Tous les pouvoirs publics doivent donc mesurer l'urgence de limiter ces difficultés autant que possible, afin de ne pas se retrouver face à une génération d'aidants inquiets et désemparés qui renoncera à ce choix d'accompagnement au profit de solutions plus coûteuses.

Le constat de cet objectif partagé étant dressé, il convenait de s'interroger sur les moyens d'y parvenir. Nous aurions pu choisir une solution maximaliste, consistant à intégrer au texte l'ensemble des propositions dont nous avons entendu parler : l'assouplissement des conditions permettant de bénéficier du droit au répit ou du congé de proche aidant, l'indemnisation de ces dispositifs, l'ouverture de droits à la retraite pour les aidants de personnes âgées en perte d'autonomie, la création de droits au chômage ou à la formation, ou encore la création d'un cinquième risque pour le régime de sécurité sociale. Je connais évidemment très bien toutes ces questions qui feront, je l'espère, l'objet de débats dans les semaines à venir. De ce point de vue, je me félicite des annonces faites par madame la ministre en vue de mettre à l'étude un certain nombre de propositions.

Le texte que nous discutons aujourd'hui vous en formule une en particulier, en attendant cette approche plus globale. Il s'agit de donner un cadre juridique au don de jours de repos au profit d'aidants de personnes âgées atteintes d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité. Ce cadre s'inspire déjà très largement de la proposition de loi, adoptée en 2014 par le Parlement, sur le don de jours de repos au parent d'un enfant gravement malade.

Je voudrais, à ce stade, insister sur la pertinence du choix consistant à amorcer par la thématique du don de jours de repos ce que j'espère être un cycle rapide et complet de progrès.

La première raison est que ce sujet, s'il ne fait pas consensus, comme l'ont montré nos débats en commission, réunit très largement notre assemblée, ce dont témoigne la diversité des signataires de la proposition de loi. Il était en effet important que l'un des premiers signaux envoyés aux aidants leur rappelle qu'ils sont au coeur de nos préoccupations, bien au-delà des clivages partisans et des appartenances politiques. On observe parfois une forme d'incrédulité des premiers concernés quant à notre capacité à améliorer leur situation, et nous devons leur permettre de surmonter ces doutes en nous montrant à la fois déterminés et constructifs pour avancer pas à pas sur ces sujets.

À cet égard, l'examen de notre proposition de loi s'inscrit dans le sillage des annonces du Gouvernement et des préconisations du rapport d'information de mes collègues Agnès Firmin le Bodo et Charlotte Lecocq sur la mise en application de la loi ASV, et devrait préfigurer les travaux qui seront conduits par mon collègue Pierre Dharréville en tant que rapporteur d'une « mission flash » de la commission des affaires sociales sur le sujet.

La deuxième raison tient au rôle très important que l'entreprise me semble devoir jouer dans les progrès que nous sommes susceptibles d'accomplir en ce domaine. Des avancées ont été matérialisées par des dispositifs rénovés dans le code du travail, comme le congé de proche aidant ; mais nous devons constater que l'ensemble est encore insuffisant.

Si nous adoptons cette proposition de loi, nous enverrons un message clair aux directions des ressources humaines de l'ensemble du pays : tout salarié, ou tout employeur, d'ailleurs, est ou sera aidant à un moment de sa vie, et il faut soutenir toutes les initiatives de solidarité grâce auxquelles ceux qui en ont le plus besoin peuvent bénéficier des congés disponibles.

Permettez-moi de revenir à la philosophie du dispositif, en anticipant un peu sur certains reproches qui lui sont faits. Le don de jours de congé, tel qu'il est proposé dans le texte, n'enlève rien à aucun salarié. Il s'agit d'un dispositif supplémentaire qui peut se combiner ou non au congé de proche aidant. Il possède son intérêt propre : aujourd'hui, le congé de proche aidant n'est ni rémunéré ni indemnisé, ce que l'on peut regretter ; de fait, beaucoup de personnes ne peuvent se permettre de le prendre. Je crois qu'il nous faut faire confiance aux aidants pour utiliser ces possibilités à bon escient, d'une part, et à la sincérité d'un acte qui repose d'abord sur un élan de solidarité, d'autre part.

La troisième raison, qui n'est pas la moindre, est l'approbation suscitée par le dispositif chez l'immense majorité des associations que j'ai rencontrées.

J'ai parfaitement conscience du fait que le texte ne va pas résoudre tous les problèmes que connaissent les aidants aujourd'hui ; tel n'est d'ailleurs pas son objectif, vous l'aurez compris. Loin d'être un point final, il constitue l'entrée en matière à la fois la plus rassembleuse et la plus pertinente pour que l'Assemblée nationale se saisisse pleinement de ce beau sujet où il est question de dévouement, de famille, d'amitié et de solidarité.

Au cours de la précédente législature, la loi ASV a apporté dans un climat consensuel plusieurs réponses qui se révèlent aujourd'hui insuffisantes. Dans L'Art poétique, Nicolas Boileau nous donnait cet éclairant conseil : « Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.