Intervention de Alain Ramadier

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 9h30
Dons de jours de repos non pris aux aidants familiaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Ramadier :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans le contexte de restrictions budgétaires que nous connaissons depuis quelques années, l'engagement des aidants auprès de leurs proches est plus que jamais primordial.

Le travail des aidants, longtemps demeuré invisible, manifeste une solidarité de proximité d'autant plus importante qu'elle répond à de véritables enjeux de santé publique. Parce qu'elle vise à soutenir ce travail de mieux en mieux reconnu, les députés du groupe Les Républicains se félicitent de la proposition de loi déposée par notre collègue Paul Christophe.

Nous nous en félicitons pour des raisons relevant de trois catégories différentes : premièrement, d'un point de vue pragmatique, concernant les besoins concrets auxquels répondent les aidants ; deuxièmement, d'un point de vue philosophique ; troisièmement et enfin, d'un point de vue plus général, tenant compte de la nécessité de repenser la façon dont nous concevons notre système de santé.

J'en viens tout d'abord aux raisons d'ordre pragmatique. La possibilité pour des salariés de donner à leur collègue aidant, sous certaines conditions, des jours de congé, vient nous rappeler une chose fondamentale : la considération portée aux aidants dans notre pays n'est pas satisfaisante, alors même que de plus en plus de nos compatriotes sont concernés. La France est en effet engagée – comme tous les pays européens – dans un processus de transition démographique marqué par une croissance importante et continue des classes d'âge les plus élevées, ainsi que par une augmentation de la longévité des Français. Les personnes âgées de soixante ans et plus sont au nombre de 15 millions aujourd'hui ; elles seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060.

De ce fait, de plus en plus de Français sont confrontés à la dépendance d'un membre de leur famille. Ce sont ainsi près de 8,3 millions de personnes qui portent de l'attention et prodiguent des soins à l'un de leurs proches au quotidien ; près de la moitié d'entre elles, soit 4 millions d'aidants, tentent de concilier cette tâche – non sans difficultés – avec leur vie professionnelle. D'après les chiffres de la Compagnie des aidants, 12 millions de personnes, en France, seraient touchées par le handicap, et près de 15 millions seraient atteintes par une maladie chronique ; cela fait au moins autant de familles touchées par la perte d'autonomie d'un de leur proches – et donc par la perte de leur propre autonomie, chose que nous avons souvent tendance à oublier.

L'élan de solidarité dont témoignent ces aidants doit être soutenu et reconnu davantage par la société, notamment par les mesures de ce texte, qui vise à permettre aux salariés d'une entreprise de donner des jours de congé à un collègue, afin qu'il puisse rester plus longtemps auprès d'un proche handicapé, malade ou âgé.

Selon une étude nationale menée à l'initiative de l'association France Alzheimer en 2016, 90 % des salariés aidants font état de stress, d'anxiété, de fatigue et de troubles psychologiques, tandis que 72 % d'entre eux considèrent que l'accompagnement de leur proche a une incidence négative sur leur concentration et leur efficacité au travail. Cette incidence est d'autant plus négative qu'à ce rôle d'aidant s'ajoutent, bien évidemment, toutes les autres activités de leur vie de salariés et de parents. C'est ainsi que nombre de baby-boomers sont confrontés à une multiplicité éreintante de tâches et de devoirs.

Prise en étau entre l'allongement de la durée de vie de leurs parents et la prise d'autonomie de plus en plus tardive de leurs enfants, cette génération a bien du mal à trouver du temps pour elle, d'autant que le cap de la retraite ne cesse de s'éloigner. Ce phénomène est en outre appelé à s'amplifier à mesure du vieillissement de la population et du recul de l'âge de la retraite ; c'est pourquoi la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement tendait à faciliter la vie des actifs aidants, notamment en instaurant un congé de proche aidant de trois mois renouvelables.

Le présent texte s'inscrit dans la ligne de ce dispositif : c'est une bonne chose. En ouvrant une discussion législative sur la place des aidants dans notre société, il doit nous permettre de rendre plus visible le travail accompli par les aidants, ainsi que les droits qui leur ont été déjà été ouverts par le législateur.

Selon une étude de l'IFOP publiée en septembre dernier, si une écrasante majorité de Français se sentent très légitimes pour assurer ce rôle d'aidant à l'égard de leurs proches, ils ne s'en sentent pas toujours capables : une personne sur deux estime ainsi ne pas avoir les capacités requises. Ce manque d'information et de formation révèle une chose dont nous devons tous prendre conscience : notre pays a besoin d'un virage culturel. Il faut renouer avec une culture de la proximité, en favorisant les liens de solidarité concrets que d'aucuns croyaient incompatibles avec la modernité.

J'en viens ici aux raisons d'ordre philosophique qui motivent le soutien de notre groupe à cette proposition de loi. En remettant l'aidant au centre de nos échanges législatifs, nous oeuvrons à la reconnaissance des liens étroits qui donnent à la société sa cohésion d'ensemble. C'est une véritable philosophie, une vision pour l'avenir de notre pays que nous formulons ainsi. Car au fond, mes chers collègues, que recouvre cette notion d'aidant ?

Nous ne défendons pas ici une somme de mesures techniques, qui viendraient simplement acter une évolution sociétale. Ce que nous défendons ici est bien plus que cela : c'est une éthique de l'enracinement, une éthique de la sollicitude envers son prochain, envers celui qui – comme tout un chacun – peut être rattrapé par la vulnérabilité intrinsèque de la condition humaine.

Cette vulnérabilité humaine ancre chacun de nous dans un réseau de dépendances qui, de la famille à l'entreprise en passant par l'école ou l'engagement associatif, rappelle que l'homme est avant tout un animal social à qui doivent être aménagés des espaces de don, de gratuité, d'entraide, dans un monde toujours plus rythmé par les cadences de la société.

Pour soutenir les aidants, il nous faut engager ce changement culturel, en nous attaquant aux obstacles qui empêchent leur nombre de croître et leur engagement de prospérer dans les meilleures conditions. Comme le dit le président du Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, « Pour accompagner les aidants actifs, il faut leur garantir du temps ».

Depuis quelques années, les entreprises ont pris conscience de cette nécessité et opèrent un véritable tournant sociétal. Un salarié aidant est un atout pour son entreprise. On ne sort pas indemne, en effet, de cette expérience : on en sort plus riche de connaissances, d'interrogations et d'attention aux autres. De la même façon que les entreprises ont su intégrer la maternité dans leur gestion des ressources humaines, elles s'adaptent et devront continuer de s'adapter à la hausse du nombre de salariés aidants.

L'importance grandissante accordée par ces dernières à la qualité de vie au travail et à la bonne articulation de la vie privée et de la vie professionnelle a d'ailleurs déjà fait bouger les lignes : certaines entreprises mettent aujourd'hui en place des mesures pour favoriser la prise en charge de leurs salariés aidants, et ainsi éviter les syndromes d'épuisement professionnel.

Pour répondre aux attentes des aidants, il faut donc adapter leur environnement de travail et de vie. Il faut aussi – ce sera mon dernier point – prendre en compte la communauté de soin. Il est nécessaire de la réorganiser dans le cadre d'une société de l'accompagnement centrée sur la prévention. Aujourd'hui, les médecins et les personnels soignants n'ont plus le monopole des soins : le secteur associatif incluant le patient est devenu incontournable au sein de notre système de santé. Les aidants, les familles, les proches, sont eux aussi incontournables.

Redonnons du sens à notre société ! Redonnons sa place à l'humain, dans tout ce qu'il a d'authentique et de fragile ! En France, la culture de l'État-providence conduit trop souvent les services publics à agir à la place des patients, à les assister, voire à les infantiliser. À l'inverse, les aidants coopèrent avec les personnes qu'ils aident : dans ce système, chacun agit selon ses possibilités. Il faut ainsi réorganiser notre système de santé bureaucratisé autour des valeurs d'altruisme et de solidarité qu'incarnent les personnes bénévoles aussi bien que les professionnels de santé.

Cette proposition de loi de notre collègue Paul Christophe s'inscrit dans un cadre social et philosophique correspondant tout à fait aux attentes de nos concitoyens, qui sont soucieux de voir notre pays maintenir un haut niveau de solidarité entre les générations, tout en tenant compte des difficultés contemporaines à concilier la vie professionnelle et la vie familiale.

Être aidant, c'est donner de son temps aux autres, à ses proches. Cette proposition de loi visant à étendre le dispositif de dons de jours de repos non pris aux aidants familiaux tend à soutenir cette noble démarche : c'est pourquoi le groupe Les Républicains la votera.

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