Intervention de Jean-Claude Leclabart

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 15h00
Création d'une agence nationale pour la cohésion des territoires — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Leclabart :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 17 juillet 2017, lors de la première Conférence nationale des territoires qui s'est tenue au Sénat, le Président de la République a annoncé la création d'une agence nationale pour la cohésion des territoires. Comme son nom l'indique, celle-ci a pour philosophie de faciliter les alliances entre les territoires en favorisant une réouverture du dialogue entre métropoles, zones urbaines et zones rurales. Elle sera un outil de mobilisation des ressources et des savoir-faire afin de faciliter les projets des territoires. Ces compétences existent, mais leur utilisation n'est pas suffisamment optimisée.

L'objectif de cette agence, notamment dans les territoires ruraux et les villes moyennes, est de réunir les soutiens et les concours en matière d'ingénierie et de financement des politiques publiques, en lien avec les collectivités territoriales. Il faut un État facilitateur des divers projets émanant des acteurs de la vie publique, et c'est précisément le rôle qui incombera à l'agence : être un outil de mobilisation des ressources afin de mieux répartir les compétences en ingénierie territoriale ou encore de favoriser l'innovation.

La montée en puissance des métropoles, inscrites dans une dynamique européenne, est inéluctable. Toutefois, cela ne doit pas se faire au détriment des territoires ruraux et périphériques. Le premier défi, pour l'État, est d'y remédier au plus vite. Il est bon de le rappeler ici, M. le ministre de la cohésion des territoires a déclaré que notre pays a besoin de tous les territoires.

Les territoires ruraux, périurbains et urbains se trouvent dans une situation d'urgence qui nécessite que l'État mette à leur disposition plus de moyens. Nous sommes ainsi face à une forte demande de financements et, surtout, d'ingénierie. Les dernières élections, qu'elles soient nationales, régionales ou départementales, ont montré combien les fractures territoriales étaient devenues un débat majeur. Le Nord-Est et le Centre ont tendance à stagner par rapport au reste du pays ; les villes moyennes et les territoires peu denses se fragilisent, comme tendent à le démontrer les premières auditions de la mission d'information commune sur la préparation d'une nouvelle étape de la décentralisation, dont je suis membre et dont les rapporteurs sont Jean-François Cesarini et Guillaume Vuilletet.

On comprend, dès lors, les inquiétudes des élus, notamment ruraux, et des électeurs face au risque de relégation de certains territoires et face à la concentration des pouvoirs et des moyens dans les métropoles. La ruralité se sent abandonnée. Elle requiert une attention particulière, et elle est demandeuse de relations plus soutenues avec les grandes villes, mais aussi de moyens financiers plus conséquents. C'est à ces conditions que la ruralité comblera ses retards.

Les populations qui vivent dans les territoires ruraux ont souvent l'impression d'être les oubliées de la modernité technique et du développement économique, numérique et social. Il est bon de rappeler que, dans certains villages de la Somme et de l'Aisne, il n'y a plus, bien souvent, ni bureau de poste, ni médecin, ni infirmière, ni pharmacie et presque plus de bistrots, mais des magasins clos, des classes d'école et même des églises fermées. Sans emplois, les jeunes quittent les campagnes dès qu'ils le peuvent.

La fracture observée entre les métropoles, les villes moyennes et de petite taille et les territoires ruraux concerne plusieurs secteurs, à commencer par celui de l'emploi. Les métropoles concentrent déjà 46 % des emplois, dont 22 % pour la seule aire urbaine de Paris et 24 % pour les douze plus grandes aires urbaines de province. Et le mouvement devrait se poursuivre d'ici à 2022. Pourquoi ? Parce que les métropoles sont spécialisées dans des activités structurellement dynamiques, portées par l'économie de la connaissance et du savoir. De ce fait, les métiers les plus porteurs sont dans les grandes villes, alors que les villes moyennes et petites et les communes isolées subissent des pertes d'emplois.

S'agissant du secteur de la santé, on constate une répartition inégale des médecins sur le territoire, avec la désertification de certaines régions. Car ce n'est pas le nombre de médecins qui est en cause mais bien leur répartition : en moyenne, pour 100 000 habitants, la densité médicale en France métropolitaine est de 306 médecins ; mais certaines régions sont très en deçà, comme les Hauts-de-France – 237 médecins – le Centre-Val de Loire – 242 médecins – ou encore la Normandie – 248 médecins. À l'inverse, les plus fortes densités médicales se trouvent en Provence-Alpes-Côte d'Azur – 336 médecins – et en Île-de-France – 362 médecins.

Quant au secteur du numérique, dont je suis un ardent défenseur, le challenge à relever est majeur. En ma qualité d'ancien président de syndicat mixte départemental, je me suis fixé pour objectif, depuis six ans, de déployer dans mon département très rural – près de 800 communes pour 570 000 habitants – les meilleurs réseaux de communication électronique, en premier lieu l'internet à haut débit et maintenant à très haut débit avec la fibre.

L'utilisation du numérique irrigue désormais l'ensemble de notre vie individuelle et collective. Cette évolution a vocation à croître dans les prochaines années grâce à des applications toujours plus innovantes pour les particuliers, les entreprises et les services publics. Bénéficier de l'ensemble des avantages apportés par les technologies numériques suppose toutefois de disposer d'un accès à des réseaux de qualité.

Le développement inégal du numérique entre les territoires, en termes d'infrastructures ou d'usages, n'est guère nouveau : 7,5 millions de Français n'auraient toujours pas accès à une connexion internet de qualité, et 28 millions n'ont pas accès au très haut débit. Les technologies numériques créent des opportunités de développement pour les territoires, mais elles peuvent également être à l'origine de nouvelles disparités.

Ces constats démontrent l'urgence qu'il y a à agir. Les députés du groupe La République en marche et le Gouvernement en sont très conscients. Il est essentiel d'intensifier notre action pour réduire les inégalités entre les territoires, pour que tous les Français aient accès aux mêmes chances, aux mêmes services et aux mêmes opportunités, qu'ils vivent au coeur des métropoles ou dans les territoires ruraux, dans les quartiers périphériques ou dans une ville moyenne.

Différentes mesures ont d'ailleurs déjà été prises au cours de ces derniers mois. Première mesure : un plan d'action pour les villes moyennes. Lancé par le ministère de la cohésion des territoires, ce plan, encore en préparation, est destiné aux villes moyennes. Son objectif est de conforter l'attractivité de ces villes en donnant la priorité à la requalification des centres anciens dégradés ; il permettra de flécher, pendant cinq ans, des moyens d'ingénierie et des financements à destination de ces collectivités pour des projets structurants qui concernent principalement le logement et la revitalisation du commerce en centre-ville.

Ce plan d'action contient trois volets : la réhabilitation et la construction de logements, grâce aux financements d'Action Logement – à hauteur de 1,5 milliard d'euros – et de la Caisse des dépôts et consignations – à hauteur de 1 milliard ; la redynamisation des centres-villes et de leurs commerces ; le développement du numérique et de l'innovation.

Deuxième mesure : le doublement des maisons de santé en milieu rural. La lutte contre la désertification médicale est une priorité. Ce sont 2 000 maisons de santé pluriprofessionnelles qui seront financées, ce qui représente un doublement de leur nombre d'ici à 2022. Les implantations dans les zones sous-dotées seront encouragées.

Troisième mesure : l'accélération du plan « France très haut débit » pour 2020, grâce à l'usage d'un mix de technologies complémentaires à la fibre. Lancé en février 2013, ce plan vise à couvrir l'intégralité des territoires en très haut débit d'ici à 2022, c'est-à-dire à proposer un accès à internet performant à l'ensemble des logements, des entreprises et des administrations, tout en développant la fibre sur tous les territoires.

Quatrième mesure : la création d'une agence nationale pour la cohésion des territoires. Suite aux engagements de campagne du Président de la République, le Gouvernement a lancé en juillet dernier, au Sénat, une Conférence nationale des territoires, qui s'est déclinée en plusieurs ateliers et selon un axe principal : que tous les territoires de la République aient les mêmes chances de réussir.

À l'issue de cette conférence, le Président de la République a annoncé la création d'une agence nationale pour la cohésion des territoires. Cette agence sera un appui en ingénierie publique, indispensable dans en milieu rural et dans les territoires périphériques. L'agence doit assurer le rôle de guichet unique et de simplification de projets, à la fois pour les territoires ruraux et pour les villes moyennes en difficulté.

La prochaine Conférence nationale des territoires, qui se tiendra le 14 décembre à Cahors, devrait apporter des avancées capitales, à commencer par l'aboutissement du projet de création de l'agence. Mais, sans en attendre les conclusions, Philippe Vigier, profitant de la niche parlementaire de son groupe, a tenté de forcer le pas en déposant cette proposition de loi.

Ce texte vise effectivement à créer une agence nationale qui aurait pour mission de contribuer au développement harmonieux des territoires. Mais, sur le fond et sur la forme, il me laisse perplexe et dubitatif. Le fonctionnement de l'agence est en effet renvoyé à un décret, et son budget repose sur la seule augmentation de la fiscalité du tabac.

Permettez-moi aussi, mes chers collègues, de vous apporter quelques éléments factuels susceptibles d'éclairer la situation à laquelle nous devons répondre. Concernant l'article 1er, le législateur peut créer un nouvel établissement public mais, si celui-ci ne se rattache pas à une catégorie préexistante, comme cela semble le cas, il doit en fixer les règles constitutives, c'est-à-dire les missions, la catégorie de collectivité de rattachement, les catégories de ressources, les organes dirigeants et leur structure. Or la proposition de loi ne fixe aucune de ces règles, ce qui fait peser sur elle un risque d'inconstitutionnalité.

Concernant l'article 2, quand bien même on déciderait de rattacher l'agence à une catégorie préexistante, à savoir l'ANRU, de sorte qu'il serait possible, pour le législateur, de se référer au décret en Conseil d'État, …

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