Intervention de Florent Boudié

Séance en hémicycle du jeudi 7 décembre 2017 à 21h30
Bonne application du régime d'asile européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorent Boudié :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, poussés par les conflits afghan, irakien et syrien, par les troubles en Érythrée, en Somalie ou au Soudan, des familles entières, des adultes isolés, des mineurs non accompagnés fuient leur pays d'origine pour atteindre notre continent.

Contrairement à l'image construite dans l'imaginaire collectif, contrairement aux idées répandues par les courants populistes, l'Europe est loin d'être le continent le plus exposé aux flux migratoires. En 2015, le HCR comptait 65 millions de déplacés à travers le monde et 70 millions en 2016, des chiffres jamais atteints depuis la création du Haut-Commissariat en 1950.

La Turquie a accueilli 2,5 millions de personnes en 2015 ; 1,6 million ont été accueillis au Pakistan ; 850 000 en Iran ; 650 000 en Jordanie. Si 86 % des déplacés relevant du HCR atteignent un pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, 9 % sont accueillis en Allemagne, en Chine, aux États-Unis, en France, au Japon et au Royaume-Uni, c'est-à-dire dans les pays les plus riches.

Qui plus est, cette crise migratoire, d'une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, n'est pas conjoncturelle : elle est structurelle parce qu'elle est sous-tendue par des enjeux géopolitiques, par les conséquences des conflits armés et par la traite des êtres humains. C'est un nouveau chapitre de l'histoire du monde qui s'ouvre : il s'agit d'un enjeu de civilisation auquel ni la France ni l'Europe n'étaient préparées. L'urgence est là, à l'échelle de l'Europe et même du globe – l'urgence à agir vite et à faire au mieux.

L'afflux de migrants suscite l'inquiétude de nos concitoyens et l'interrogation des responsables politiques, au-delà de tout clivage partisan. La voie est étroite entre, d'un côté, celles et ceux qui veulent élever des murs et des barrières, feignant d'ignorer qu'aucune frontière n'est infranchissable pour les désespérés – ils ne craignent plus rien parce qu'ils ont déjà subi le pire – et, de l'autre, celles et ceux qui plaident pour l'idéal d'un accueil des réfugiés sans limitation, qui ne manquerait pas de déstabiliser nos sociétés et nos démocraties.

La voie est étroite et la frontière ténue entre le respect du droit d'asile, la protection qu'il exige d'un pays comme la France, et la nécessité d'éloigner celles et ceux qui ne craignent pas pour leur vie, qui ne craignent pas pour leurs opinions, qui ne craignent pas pour leurs croyances ; celles et ceux qui ne subissent pas la menace effective d'États ou de groupes organisés et qui, déboutés du droit d'asile par l'un des États membres de l'Union européenne, en vertu du règlement Dublin, doivent être transférés dans le pays de première arrivée, avant d'être renvoyés vers leur pays d'origine. La voie est étroite et elle suppose de concilier des impératifs apparemment contradictoires : la fermeté d'un côté, la solidarité de l'autre.

Mais cette voie existe et c'est celle de la France. Conformément à ses engagements internationaux et européens, la France a pris sa part de responsabilités.

Ces dernières années, le nombre de places en centre d'accueil pour les demandeurs d'asile a été doublé. Avec le concours des collectivités locales, plus de 400 centres d'accueil et d'orientation ont été ouverts pour assurer l'accès effectif à l'asile des réfugiés à Calais et à Paris. Les moyens humains et matériels des administrations chargées de l'asile et de l'immigration ont été augmentés. De nouvelles dispositions législatives ont été introduites pour réduire la durée de traitement des demandeurs d'asile. La loi de finances pour 2018 a maintenu et même amplifié ces efforts. Le texte présenté par notre collègue Jean-Luc Warsmann, enrichi par les propositions de la majorité, tire les leçons combinées de la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour de cassation pour sécuriser l'éloignement des déboutés du droit d'asile.

Mais la lame de fond migratoire n'est pas près de s'arrêter. C'est la raison pour laquelle, vous l'avez dit, monsieur le ministre d'État, la proposition de loi que nous examinons n'est qu'une première pierre et il en faudra beaucoup d'autres, en effet, pour renforcer le dispositif français de l'asile.

Les associations qui gèrent les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile – les PADA – et les centres d'accueil pour demandeurs d'asile – les CADA – , les fonctionnaires de la police aux frontières, les agents des préfectures, les magistrats de l'ordre administratif comme de l'ordre judiciaire, tous l'expriment : le système français de l'asile est aujourd'hui saturé et dépassé, et ce, alors même que notre pays comptabilisait 85 000 demandes d'asile l'année dernière, contre 772 000 en Allemagne et 121 000 en Italie.

Au-delà du texte qui nous occupe ce soir, c'est donc toute la chaîne de l'asile qui mérite d'être réinterrogée et adaptée, d'abord à l'échelle de l'Union européenne – c'est là que réside le principal défi – mais aussi dans le cadre du futur projet de loi que le Président de la République et vous-même, monsieur le ministre d'État, proposerez à nos débats dès le printemps prochain avec un double objectif : gagner en efficacité pour tendre vers les six mois de traitement des demandes d'asile, mais aussi gagner en humanité, en capacité d'accueil et, in fine, en capacité d'intégration.

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