Intervention de Laurent Desgeorge

Réunion du mercredi 29 novembre 2017 à 17h05
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Laurent Desgeorge, délégué syndical central CFDT d'Alstom Transport et secrétaire de l'inter-CFDT Alstom :

Beaucoup a déjà été dit par mes collègues et je ne ferai pas un exposé très long. Il est désormais clair que le groupe Siemens prend la main sur le groupe Alstom ; Alstom, c'est fini si l'on attend les bras croisés !

Trois personnes ont joué un rôle très important dans le démantèlement d'Alstom depuis vingt ans. D'abord, M. Bilger a racheté à ABB les turbines à gaz GT24 et GT26 en 2000 : il en est résulté six longues années marquées par 4 milliards d'euros de pertes concernant ces turbines, ce qui a été très dur pour Alstom qui s'est retrouvé sous l'eau. Il a ensuite été très difficile pour le Gouvernement français de rétablir la situation du groupe. Avec Bouygues, Nicolas Sarkozy a monté un plan assez compliqué, qui a été accepté par la Commission européenne, mais le président Kron a poussé son cocorico un peu trop fort : le groupe a enregistré des chiffres pharaoniques entre 2009 et 2011 avant de subir une très forte dégringolade, avec une affaire de corruption qui a vraiment plombé Alstom Énergie.

D'Alstom, il reste aujourd'hui le transport, ainsi que trois grandes activités : le Grid, le Renewable, qui pourraient être rapatriés chez Alstom en totalité ou non – cela ne semble pas être l'option envisagée par l'État aujourd'hui – et la GEAST, qui travaille pour le nucléaire. L'État y est resté et a bien conscience qu'il faut faire quelque chose. Le put, c'est-à-dire la possibilité pour Alstom de revendre ses parts de JV à GE, est normalement ouvert en septembre 2019, et non 2018. C'est une contrainte pour Henri Poupart-Lafarge, notre président-directeur général, qui ne sait pas trop comment s'y prendre. L'État travaille sur la question : il va certainement essayer de capitaliser sur les 20 % restants de cette JV. Je pense qu'EDF et Areva seront de la partie pour « lâcher ce morceau », si je puis dire, vis-à-vis de Siemens : on a bien compris que l'État allemand se désengage du nucléaire, alors que la France continue quand même.

La filière ferroviaire va connaître un sérieux vague à l'âme. Les commandes tardent toujours, elles sont reculées de jour en jour et même d'année en année. Du coup, les industries françaises ont un gros souci devant elles, aussi bien dans la production d'énergie que sur la partie ferroviaire. Je précise d'ailleurs qu'il y a près de 80 000 personnes travaillant dans 184 autres sociétés dans le domaine strictement ferroviaire – il s'agit de petites et moyennes entreprises, des PME liées à de grands groupes tels que Bombardier, Alstom et Siemens. Ce montage avec Siemens conduit à un ralentissement terrible sur les commandes – et il peut être mondial. Quand on crée de grands groupes par voie de fusion, les clients deviennent tout de suite très frileux : ils attendent que l'opération soit réalisée avant de voir si les commandes peuvent être passées. Il faut donc faire très attention.

Le marché français est aujourd'hui porteur pour le ferroviaire : c'est le principal marché, même si le reste de l'Europe de l'Ouest est également porteur. Ailleurs dans le monde, on est beaucoup plus contraint à faire de la production locale, ce qui peut être une cause de difficultés pour les sites français.

Siemens a organisé un comité central d'entreprise (CCE) en France il y a deux jours. Quelques éléments ont ainsi été fournis : « L'effectif global devait en principe demeurer inchangé pour au moins quatre ans, sauf en cas d'évolution significative de l'environnement économique… » Cela veut tout dire : si l'on change quoi que ce soit dans les contrats, tout passe à la balayette, un peu comme avec GE aujourd'hui. ! « Cela s'appliquerait également aux innovations et donc aux effectifs de départements R&D » : c'est une crainte supplémentaire, la R&D peut aussi connaître un sérieux vague à l'âme. « Ils demeureraient pour au moins quatre ans aussi à un niveau comparable, voire supérieur, pour la R&D ». Je pense qu'ils ne savent trop où ils vont avec ce bateau-là, cela me semble vraiment dangereux. « Durant une période de quatre ans à compter du closing – autrement dit, en fait, dans à peu près un an – aucune rupture de contrat de travail fondée sur des motifs économiques impérieux ne serait notifiée et les sites actuels de Siemens et d'Alstom en France – là, on parle bien de nous – et en Allemagne ne feront l'objet d'aucune modification significative quant à leur scope d'activité actuel, sous réserve de conditions en matière des droits de concurrence ». Traduction : si une atteinte à la concurrence est décelée en application de la logique antitrust, des branches pourront être coupées et rachetées par d'autres groupes – italiens, anglais ou autres – donc avec tous les risques qui en découleront pour l'emploi.

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