Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du mercredi 19 juillet 2017 à 15h00
Modernisation du système de santé – profession de physicien médical et qualifications professionnelles dans le domaine de la santé – fonctionnement des ordres des professions de santé — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Permettez-moi tout d'abord de regretter que ce débat intervienne aujourd'hui dans l'urgence, même si je reconnais le caractère un peu particulier de la situation que vous avez évoquée, madame la ministre. Ces ordonnances ont été prises sur le fondement de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dont l'élaboration avait été marquée par l'absence de concertation avec les professionnels, pourtant artisans et garants de l'excellence de notre système de santé. En première ligne face aux défis qui doivent être surmontés pour continuer à offrir le même niveau de protection, ils sont également celles et ceux dont les compétences, mais aussi l'humanité et l'écoute sont indispensables aux personnes malades et à leurs proches.

Le recours aux ordonnances fait écho à l'absence de concertation et de dialogue qui avait caractérisé l'élaboration de cette loi. Il prive surtout l'Assemblée nationale d'un débat absolument nécessaire sur la qualité et la sécurité des soins, qui est une préoccupation quotidienne des Françaises et des Français. En effet, la première des ordonnances a pour objet de mettre notre droit en cohérence avec les dispositions de la loi de janvier 2016. En particulier, des articles du code de la santé publique, du code de la sécurité sociale, du code de l'éducation et du code général des impôts sont modifiés pour tenir compte de la réintroduction, par la loi, du service public hospitalier. Il s'agit là d'une clarification du droit, censée rendre la loi plus intelligible et efficace – objectifs auxquels nous ne pouvons que souscrire.

Cela dit, nous souhaitons souligner que nous désirons aller plus loin que la notion de « service public hospitalier », qui est au coeur de cette ordonnance. En effet, pour qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle, nos hôpitaux doivent inscrire leur action dans une démarche concertée avec l'ensemble des acteurs de santé du territoire. Cette démarche partagée doit notamment mettre l'accent sur la prévention et la lutte contre les déserts médicaux. Nous prônons par conséquent une logique de décloisonnement entre public et privé, dans le seul but de répondre à l'intérêt du patient, qui doit être l'axe autour duquel gravite notre système de soins.

La deuxième ordonnance définit le rôle et les missions des physiciens médicaux, les conditions d'exercice de cette profession et les conditions d'enregistrement des diplômes. Elle précise les modalités de la libre prestation de service et de la liberté d'établissement des physiciens médicaux diplômés d'un autre État membre de l'Union européenne. Enfin, elle définit les sanctions relatives à l'exercice illégal de cette profession. Il s'agit d'un enjeu majeur dans le cadre de la lutte contre le cancer ; il convient de souligner à cet égard que la pleine reconnaissance de la profession de radiophysicien en tant que profession de santé est l'un des objectifs du plan cancer 2014-2019.

Elle vise également à transposer dans notre droit interne de nouveaux mécanismes communs relatifs à la procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles, ainsi que des dispositions relatives à la libre prestation de service et à la liberté d'établissement. Cette transposition s'effectue à marche forcée puisque, depuis le 18 janvier 2016 – date à laquelle la directive aurait normalement dû être transposée – , la France s'est exposée à deux avis motivés de la Commission européenne pour défaut de transposition. Ce manquement à ses obligations constitue la dernière étape avant une saisine de la Cour de justice de l'Union européenne.

Cela dit, notre groupe souhaite relayer les inquiétudes légitimes des professionnels de santé quant à l'application du mécanisme d'accès partiel. Ces dispositions auront des conséquences directes, concrètes, sur l'organisation de notre système de soins : ainsi, avec l'accès partiel, une personne ne détenant pas le niveau de formation requis pour exercer pleinement une profession de santé en France pourra néanmoins s'installer sur le territoire national pour n'exercer que la partie de celle-ci pour laquelle elle est qualifiée.

Il y a là, selon nous, un véritable risque de dépréciation de la qualité et de la sécurité des soins, qui risque de plonger les patientes et les patients dans la méfiance et la confusion. Il y a aussi un risque de segmentation des professions de santé, avec la création de sous-professions – sous-sage-femmes, sous-kinésithérapeutes, sous-infirmières, etc.

Comme vous j'ai été très marquée par le témoignage de la représentante du Conseil de l'ordre des sages-femmes, que nous aurions peut-être dû faire venir ici, afin que vous entendiez de sa bouche le récit de l'accouchement fait par une sage-femme croate. Ce récit a achevé de me convaincre quant aux risques que l'accès partiel nous ferait courir à tous, et à la responsabilité dont nous nous chargerions, collectivement, en l'autorisant.

Supposons, madame la ministre, que je me rende chez un masseur-kinésithérapeute polonais – je dis polonais pour varier les exemples – , exerçant en France sous le régime de l'accès partiel. Qui me garantira qu'il est en mesure d'assurer la rééducation dont j'ai besoin ?

Au surplus, la directive précise qu'en cas de raisons impérieuses d'intérêt général, un État membre devrait être en mesure de refuser l'accès partiel. Cela peut être le cas, en particulier, pour les professions de santé, si elles ont des implications en matière de santé publique ou de sécurité des patients. Il nous paraît dès lors inutile, voire dangereux, de transposer la directive à la lettre, alors même qu'elle mentionne explicitement la possibilité de ne pas autoriser l'accès partiel aux professions de santé.

La France a choisi de transposer cette directive à la lettre, par un régime d'autorisation encadrée, sauf exception. Mais, comme l'ont déjà fait remarquer plusieurs orateurs, d'autres pays ont interprété différemment le droit européen : ainsi, l'Allemagne a opté pour un régime d'interdiction, sauf exception.

Il faut en outre tenir compte de la question du remboursement, par la Sécurité sociale, des actes pratiqués dans ces conditions.

Aussi, afin de maintenir l'excellence de notre système de santé, nous défendrons un amendement visant à supprimer l'accès partiel pour les professions de santé. Notre groupe appelle de ses voeux la tenue d'une véritable concertation avec les professions de santé concernées, afin que les règles qui seront définies pour le futur permettent de garantir la qualité et la sécurité des soins des Françaises et des Français. Il ne s'agit aucunement, je le précise, de remettre en cause les principes du droit européen sur ce sujet.

Enfin, la dernière ordonnance, relative au fonctionnement des ordres des professions de santé, comprend des mesures destinées à renforcer l'échelon régional et à accroître le contrôle, par le conseil national, des missions de service public exercées par les organes régionaux. Elle rend également applicables aux conseils nationaux de tous les ordres les principes de la réglementation des marchés publics. Enfin, elle révise la composition, le mode de désignation et le régime indemnitaire des présidents et des membres des instances disciplinaires des ordres, afin de mieux répondre aux exigences d'indépendance et d'impartialité.

Une nouvelle fois, nous ne pouvons que déplorer l'absence d'une véritable concertation. Lors de leur audition, les représentants des ordres ont eux-mêmes regretté l'absence d'échanges portant sur les modalités de mise en oeuvre d'évolutions organisationnelles importantes. Cela a d'ailleurs plongé notre rapporteur, M. Mesnier, dans une stupéfaction éloquente. Je tiens à le saluer pour son écoute, et pour la décision de reporter d'un an l'entrée en vigueur des nouvelles règles de certification ou d'application des marchés publics, afin de laisser aux ordres le temps de s'y préparer. Il s'agit là d'un signal encourageant, dans la perspective d'un dialogue plus souple et plus constructif avec les ordres, dont il faut soutenir la volonté et la capacité d'adaptation.

Mais à ce sujet, encore une fois, nous allons très vite : nous allons ratifier une seconde ordonnance alors que la première n'est pas encore mise en oeuvre. Pour tous les professionnels de santé – et je sais qu'il y en a beaucoup dans cette salle – un chevauchement d'ordonnances n'est jamais très bon signe.

Madame la ministre, hier, en commission, vous nous avez présenté votre feuille de route. Elle est volontariste, courageuse et ambitieuse sur le fond : notre groupe est prêt à travailler avec vous sur tous les sujets que vous avez évoqués. Les propositions que vous avez formulées à propos de la méthode de travail, en parlant de co-construction, de simplification, d'expérimentation et de confiance, ont elles aussi retenu toute notre attention. Nous sommes vraiment dans cet état d'esprit, pour travailler avec vous.

Mais nous regrettons vivement qu'aujourd'hui vos premiers projets de loi nous soient présentés dans l'urgence. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. En outre aucune concertation n'a eu lieu – cela a été dit à plusieurs reprises en commission. Prenons le temps de rouvrir les discussions avec les professionnels de santé sur ces sujets, notamment l'accès partiel. Ces ordonnances risquent d'entamer la confiance dont vous bénéficiez ; en tant que députée constructive, je ne peux que le déplorer. Certes, vous nous avez assurés de votre vigilance et de votre prudence à propos de l'accès partiel mais, en l'état, nous ne pourrons pas voter ces projets de loi.

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