Intervention de Sébastien Huyghe

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous le savez, notre droit – le droit continental – est confronté au défi de l'influence grandissante du droit anglo-saxon. Il est temps que nous en prenions la mesure et que nous luttions contre la pénétration de la common law dans notre système juridique. Au cours de ces dernières années, cette dernière s'est hélas progressivement immiscé dans notre droit, sans que notre assemblée parfois n'en prenne la pleine mesure. Le droit continental a inspiré la construction de multiples droits en Europe et dans le monde, et il est impensable que la France, qui en est en quelque sorte le berceau, soit à l'origine de sa déconstruction. Nous devons donc lutter contre cette acculturation qui ne peut s'opérer qu'au détriment de nos intérêts. Dans une période où la concurrence s'est accrue entre les deux grands systèmes de droit, où en particulier le droit anglo-saxon est activement promu, l'influence de la tradition civiliste et ses atouts doivent être développés et mis en avant – en particulier, en rappelant inlassablement que notre droit continental est beaucoup plus protecteur des citoyens que ne l'est le droit anglo-saxon.

Nous devons ensuite et surtout adapter notre droit aux nécessités du temps, sans pour autant renoncer à ce qui fait sa force. Vous le savez, notre système de droit continental repose sur trois piliers essentiels : la loi, votée par le Parlement, le juge qui tanche les conflits entre les parties, et l'acte authentique qui, par le sceau de l'État, scelle l'accord entre elles. Si l'un de ces piliers devait être fragilisé, c'est tout notre système qui pourrait vaciller. Personne ne doute plus à présent que le droit en règle générale, et celui des contrats en particulier, est un instrument indispensable à la puissance et à la compétitivité d'une nation. Le monde des affaires a désormais largement recours à ce que nous appelons l'élection de juridiction, connue sous le terme anglais forum shopping. Cette démarche conduit de grandes entreprises à analyser les systèmes juridiques nationaux avant de s'implanter sur un territoire ou d'y développer une activité. L'objectif est bien entendu d'en déterminer la fiabilité et donc l'aptitude à répondre aux nécessités juridiques des grands groupes. Il est donc crucial que notre droit soit plus attractif pour rassurer le monde des affaires et proposer à nos entreprises un environnement juridique propice à leurs activités, mais également pour attirer des sociétés étrangères.

Durant plus de deux siècles, le droit français des obligations s'est imposé comme une référence pour de nombreux pays à travers le monde. Mais les temps changent, et pour conserver notre attractivité, nous devons nous adapter. L'état des lieux était loin d'être satisfaisant : notre droit des obligations ne correspondait plus à la réalité économique du XXIe siècle. Il apparaissait dépassé par les besoins et les pratiques des affaires. Nous avons fondé notre système sur la solidité, qui n'est pas toujours synonyme de réactivité, d'efficacité non plus que de flexibilité, qui sont devenues des impératifs de nos sociétés modernes.

Deux siècles après sa rédaction, la seule lecture du code civil ne permet plus de comprendre notre droit positif, tant la jurisprudence a dû s'efforcer d'interpréter les règles légales pour les adapter aux évolutions du monde. Consensualiste par essence, le contrat de droit français a subi l'immixtion de plus en plus fréquente des magistrats, non plus pour interpréter les textes en fonction des situations, mais pour les adapter aux besoins pratiques. Aujourd'hui, la réforme de notre droit des contrats est donc suivie avec attention tant par les professions juridiques que par les entreprises, qui en attendent des évolutions tangibles. Ce sont en effet les entreprises qui doivent composer avec des règles bicentenaires, rendues évolutives par une jurisprudence qui ne cesse de fluctuer, source donc d'insécurité juridique. Il est urgent de repositionner notre droit dans l'économie réelle, d'offrir aux consommateurs une plus grande sécurité, et aux entreprises une meilleure compétitivité. Nous participerons ainsi à faire de la France une terre d'investissement plus attractive pour les entreprises.

Dans le contexte du Brexit, cet impératif est encore plus pressant. Alors que certains sièges sociaux londoniens pourraient envisager un changement de localisation, notre devoir est de les inciter à traverser la Manche en rendant notre droit plus attrayant et plus compétitif.

L'ordonnance que ce projet de loi vise à ratifier poursuit plusieurs objectifs. En premier lieu, elle vise à améliorer l'accessibilité et la lisibilité du droit des contrats, du régime des obligations et de la preuve. Cette modification est nécessaire afin que le code civil reflète de nouveau l'état réel du droit positif, qui a évolué depuis 1804 sous l'effet de la jurisprudence et de la doctrine, et ne correspond plus, pour une large part, aux règles écrites.

Ce texte a par ailleurs pour objet de simplifier et de clarifier la présentation et la rédaction des dispositions du code civil relatives à ces mêmes domaines. Cela permettra de les rendre plus compréhensibles pour le plus grand nombre, notamment grâce à un effort de définition et de simplification du vocabulaire.

Pour ce qui concerne l'attractivité de notre droit, je relève que cette ordonnance s'inspire des projets européens d'harmonisation du droit et permet de rapprocher la législation française d'autres droits nationaux. À titre d'exemple, la suppression formelle de la notion de cause, dont les fonctions sont désormais assurées par des dispositions expressément énoncées, est positive.

Ce texte permet donc de renforcer l'efficacité économique de notre droit civil en introduisant un certain nombre de solutions nouvelles. Nous aurions toutefois pu aller plus loin.

Nous regrettons, à ce titre, que certaines avancées introduites par le Sénat aient été supprimées par la commission des lois de notre assemblée. C'est le cas notamment de la disposition relative à la caducité de l'offre contractuelle en cas de décès de son destinataire, comme c'est déjà le cas lors du décès de l'auteur de l'offre.

Je dois également évoquer la fixation, à l'initiative du Sénat, d'un délai de deux mois au cours duquel le bénéficiaire du pacte doit en confirmer l'existence et son intention de s'en prévaloir. Cette mesure a été supprimée en commission alors qu'elle permettait de lutter contre l'insécurité juridique.

La commission est aussi revenue sur la suppression du pouvoir de révision du contrat confié au juge en cas de changement imprévisible de circonstances pendant l'exécution du contrat. Ce choix porte atteinte au principe de la force obligatoire du contrat qui fait loi entre les parties : nous le regrettons.

Il nous semble également indispensable d'exclure la mention de la valeur du champ de la réticence dolosive, pour des raisons que j'évoquerai un peu plus tard en défendant un amendement.

Enfin, nous ne pouvons que déplorer le recours à la procédure des ordonnances pour cette réforme, d'autant que la ratification intervient plus que tardivement – mais je suis bien conscient, madame la ministre, que ce reproche ne doit pas vous être adressé, non plus qu'à l'actuelle majorité.

Pour conclure, le groupe Les Républicains estime que ce texte va dans le bon sens, en contribuant notamment à simplifier et à réactualiser notre droit sur la base de la jurisprudence et de la doctrine. Notre groupe, dans un esprit de responsabilité, soutiendra son adoption et proposera à notre assemblée des amendements visant à l'améliorer.

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