Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du mardi 12 décembre 2017 à 15h00
Orientation et réussite des étudiants — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Car tout le monde le sait bien ici, la sélection à l'université ne fait que prolonger et conforter une discrimination sociale déjà existante dans l'enseignement primaire, puis secondaire. L'école échoue, en effet, à rompre avec les déterminismes socio-économiques et culturels. Et il me semble important de préciser que c'est le système scolaire qui échoue, non les jeunes ou les enseignants ! Quelques chiffres illustrent ce constat : en bout de course, 12,7 % d'enfants d'ouvriers étudient en licence et à peine 6 % atteignent le doctorat. Certes, cela ne date pas d'aujourd'hui, mais cette loi va relayer, conforter voire amplifier cette discrimination sociale dans l'enseignement supérieur. Je dirais même plus : elle grave cet état de fait dans le marbre. Car ce qui est certain, c'est que ce sont les lycéens des classes populaires qui, une fois de plus, seront touchés.

Provenant de lycées peu prestigieux, ils vont être les premiers à subir le « non » dans les filières sélectives, ne disposant pas d'un environnement familial ou personnel sachant construire le dossier adapté aux attendus des universités. Ils seront encore les premiers à voir leur dossier tamponné d'un « oui, mais » dans les filières non sélectives, ce qui les fera entrer dans une sorte de cursus low cost. Et qu'en sera-t-il quand il n'y aura plus qu'un bac au lycée, comme vous le préparez avec la réforme du baccalauréat ?

Aussi, nous sommes persuadés qu'au lieu de remettre à niveau les lycéens, ces dispositifs d'accompagnement risquent d'en décourager plus d'un. Quant à ceux qui sont obligés de travailler pour assurer leur quotidien, ces parcours personnalisés ont de fortes chances de les conduire vers une licence en quatre ou cinq ans. À raison de 10 000 euros le coût de l'année universitaire, les étudiants les plus défavorisés seront forcément enclins, si ce n'est contraints, à s'arrêter en licence. Voilà pour la sélection qui n'ose jamais dire son nom.

Quant aux articles concernant le basculement de la sécurité sociale étudiante vers un régime général et la mise en oeuvre de la contribution sociale étudiante, ils suscitent en nous plusieurs réflexions : une remarque positive et trois interrogations.

Nous sommes favorables au fait que les étudiants de moins de vingt ans puissent disposer d'un régime de sécurité sociale autonome de celui de leurs parents. Nous sommes conscients que cette autonomie administrative permet une émancipation de la tutelle parentale. En revanche, nous doutons que cette mesure, couplée à celle de la contribution sociale étudiante, produise pour tous l'effet annoncé d'un gain de pouvoir d'achat.

Pour rappel, les étudiants de moins de vingt ans n'avaient déjà pas à cotiser au régime général de la Sécurité sociale. Quant aux doctorants, souvent salariés, ils sont déjà pris en charge par le régime général. Par conséquent, alors que ces jeunes étaient jusqu'alors exonérés, ils auront maintenant à payer cette fameuse contribution. Quid du gain de pouvoir d'achat pour ces étudiants ?

Par ailleurs, nous restons circonspects quant à la qualité des actions de prévention qui seront mises en place par le régime général. À ce jour, rien ne nous garantit la mise en place de cette expertise qu'avaient acquise les mutuelles étudiantes. De la même manière, nous resterons vigilants sur la reprise totale des personnels qui géraient le régime étudiant, n'ayant à ce jour guère plus de certitude que vos engagements en la matière.

Enfin, nous restons perplexes quant à la différence de prix de la contribution sociale entre les licences, les masters et les doctorats. Pourquoi le fixer respectivement à 60, 120 et 150 euros ? Quelle comptabilité compliquée derrière cette mesure !

Quoi qu'il en soit, il nous semble que ce serait à l'État de financer la mise en place d'actions dédiées aux activités sportives et culturelles, que l'État devrait être le véritable garant d'une égalité d'accès à l'ensemble des services publics au sein de l'université.

Madame la ministre, chers collègues, pour clore ce premier axe de mon exposé, je voudrais vous assurer avoir bien compris que tout le monde aura une place au chaud à l'université, du moins je l'espère, car j'ai appris ce matin même que l'université de Picardie réduisait son offre de formation de 25 %, et que les universités de Paris 8 et de Toulouse actaient la perte de postes et de moyens. La liste s'allonge chaque jour.

J'ai cependant bien compris également que tous les jeunes, dans leur diversité, comme vous le dites vous-même, n'auront pas accès à la formation de leur choix. Ceux qui en seront exclus ou qui seront découragés dans leur poursuite d'études, ce seront les jeunes issus des classes populaires. Quant à l'année sabbatique qui leur est proposée dans ce projet de loi, ce sera là encore à géométrie variable, avec néanmoins une constante : pas pour les plus défavorisés.

J'en viens maintenant à la deuxième raison de dire non à cette loi : sa faisabilité à moyens quasiment constants.

Non, madame la ministre, je n'ai pas oublié les 15 ou 20 millions d'euros supplémentaires que vous avez négociés avec Bercy pour la mise en oeuvre de ce projet de loi. Toutefois, en refaisant le calcul, je me suis rendu compte que cette obole serait tout simplement insuffisante, voire ridicule. Laissez-moi vous en faire la démonstration.

Lors de l'étude du projet de loi de finances pour 2017, je notai que seuls 194 millions d'euros sur la hausse de 700 millions d'euros octroyée étaient destinés à l'enseignement supérieur. J'entendis également que cette hausse allait couvrir le fameux GVT – le glissement vieillesse technicité – , qui a mis au bord de la faillite un bon nombre d'universités. Mais pensez-vous vraiment que cette augmentation permettra d'accueillir en masse les étudiants supplémentaires, d'ouvrir les classes nécessaires et de recruter un nombre suffisant d'enseignants ?

Pour ma part, je pense, comme bon nombre de personnes concernées, que c'est insuffisant, et je crains déjà, car elle est connue d'avance, la recette que vous allez appliquer : des cours en amphithéâtre bondés à la place de travaux dirigés, au cours desquels les enseignants peuvent justement prendre le temps d'accompagner les étudiants ; des QCM, comme me le signalait dernièrement un étudiant en économie, à la place des dissertations, commentaires ou exposés. Ici, pas besoin de remise à niveau. La recette inclut aussi l'appel à des vacataires payés 30 euros de l'heure, et parfois rétribués un an après la prestation réalisée.

Enfin, dernier ingrédient magique de nos recettes, …

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