Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du mardi 12 décembre 2017 à 21h30
Orientation et réussite des étudiants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Madame le ministre, monsieur le rapporteur, vous nous présentez un projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants. Joli titre, belle intention, qui appellent de notre part plusieurs observations. Le groupe Les Républicains pense qu'il faut relever le défi de l'enseignement supérieur et de la recherche par un acte II de l'autonomie.

Nous estimons que le mouvement de profonde réforme engagé entre 2007 et 2012 à l'initiative de Nicolas Sarkozy et de Valérie Pécresse demande à être poursuivi et approfondi, alors qu'il a pour partie été interrompu et même, à certains égards, remis en cause, au moment même où à l'étranger, du moins dans de nombreux pays, les événements s'accéléraient.

Ce qui se joue en réalité, nous le savons tous, c'est le maintien de la France en première division universitaire. Selon nous, plusieurs principes devraient guider toute réforme de l'enseignement supérieur, au premier rang desquels la confiance. Je veux parler de la confiance faite aux universitaires, indispensable pour passer à l'acte II de l'autonomie des universités, que nous appelons de nos voeux.

Au nom de ce principe, nous estimons que les universités, véritablement autonomes, doivent avoir le droit et la liberté de déterminer les conditions d'accès aux formations qu'elles dispensent. Nous pensons qu'il faut en finir avec le déni et la sélection par l'échec. Oui, par l'échec : les chiffres sont frappants, presque trop. Le taux de réussite en licence en trois ans atteint à peine 30 % avec des écarts flagrants selon les baccalauréats obtenus. Il est de 34,7 % pour les bacheliers généraux, de 9,2 % pour les bacheliers technologiques et de 3,7 % pour les bacheliers professionnels. Comment rester insensible face à ce constat ?

Un tiers seulement des étudiants présents à l'université a réellement choisi cette filière. Les autres, c'est-à-dire l'immense majorité, s'y retrouvent « faute de mieux », parce qu'ils n'ont pas été admis dans une section de technicien supérieur, en institut universitaire de technologie ou en classe préparatoire aux grandes écoles. Pour beaucoup, l'échec est donc prévisible dès la première année. Quel gâchis ! Quel énorme gâchis humain !

Compte tenu de la nécessité de confier aux établissements d'enseignement supérieur – à tous les établissements d'enseignement supérieur – la faculté d'organiser librement leur procédure d'admission, votre projet de loi, le premier du quinquennat consacré à l'enseignement supérieur, nous semble une occasion manquée.

Vous manquez cette occasion historique essentiellement pour deux raisons.

La première, c'est qu'en réalité, une large majorité d'étudiants de l'enseignement supérieur étudie déjà dans des filières sélectives – ce qui n'a néanmoins pas déclenché de nouveaux Mai 68. Une part importante de l'enseignement supérieur, y compris public, est sélective : classes préparatoires aux grandes écoles, IUT, sections de technicien supérieur, grands établissements, petites, moyennes, grandes écoles et même universités pour certaines formations de licence, à tel point que 56 % des bacheliers inscrits en 2016-2017 ont intégré une filière sélective.

La deuxième raison pour laquelle il nous semble que vous manquez une occasion historique est que, fait sans précédent, on constate une véritable évolution de l'opinion publique française, qui se montre massivement – bien plus que par le passé, si l'on en croit plusieurs enquêtes d'opinion – favorable à l'instauration d'une forme de sélection.

Selon un récent sondage IPSOS paru dans L'Obs, 66 % des Français sont favorables à une forme de sélection. L'ensemble de la population se retrouve sur cette position, y compris les jeunes de 16 à 24 ans, premiers concernés par la mesure, qui l'approuvent à 65 %, contre 43 % il y a dix ans. Tout se passe comme si les Français avaient compris que sélection pouvait rimer, et rimait souvent, avec qualité.

Les timides « prérequis » envisagés dans un premier temps et devenus depuis les euphémiques « attendus » ne répondent pas à cette attente, loin s'en faut. Ni le premier mot ni le second ne figurent dans le texte du projet de loi. Tout au plus retrouve-t-on le terme « attendus » dans l'exposé des motifs, s'agissant de la procédure nationale de pré-inscription, qui sera proposée tout au long de l'année de terminale.

Depuis très peu de temps, la représentation nationale en sait un peu plus sur le cadre national dans lequel doivent s'insérer lesdits attendus, grâce à un texte, que j'ai lu et que j'ai trouvé vraiment très général, car, s'il contient quelques belles formules, il manque à bien des égards de consistance. Le flou qui s'attache à ce qui pourrait constituer de véritables attendus ne nous inspire guère de confiance, pas plus d'ailleurs que l'article 1er du projet de loi, qui s'apparente à une usine à gaz.

Nous ne sommes pas sûrs – c'est le moins qu'on puisse dire – que le système complexe et un brin bureaucratique que vous proposez soit en mesure d'apporter de réelles solutions aux problèmes d'orientation. Nous ne sommes pas convaincus que le « oui si » puisse fonctionner, dès la prochaine rentrée universitaire, et nous déplorons de n'avoir pas obtenu de réponse satisfaisante quant au « oui, malgré tout ». Pour être tout à fait sincères, nous ne sommes pas plus convaincus par les règles que vous avez décrites comme « claires et justes » dans le cas où il n'y aurait pas de places disponibles à proposer aux candidats. Voilà pourquoi nous estimons que le projet de loi que vous présentez aujourd'hui constitue une occasion manquée.

C'est un fait : toutes nos vies sont marquées par des processus de choix, de sélection. Pourquoi donc avoir à ce point-là esquivé, occulté le débat, escamoté les mots de « libre choix » par les universités de celles et ceux qui peuvent prétendre accéder à une formation et avoir de vraies chances de réussite et d'épanouissement professionnel ? Pourquoi refuser la mise en place de toute forme, de toute amorce même de sélection ? Est-il réaliste de fermer les yeux en espérant que le vent de la compétition internationale épargnera les universités françaises ?

En commission des affaires culturelles, madame le ministre, j'avais dit : « Peut mieux faire ». Telle est toujours, peu ou prou, notre position : nous restons dubitatifs et avons du mal à adhérer à une chronologie qui ne nous semble pas être la plus rationnelle – celle qui consiste à présenter ce texte suivant la procédure accélérée, pour répondre à une urgence. Nous avons bien compris qu'en 2018 se profilera à l'horizon une grande réforme du lycée et du baccalauréat, qui s'accompagnera certainement d'une grande réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Aussi avons-nous du mal à adhérer à une démarche consistant à réformer l'accès à l'enseignement supérieur sans avoir préalablement posé les bases d'une véritable réforme du lycée et du baccalauréat.

Comme nous l'avons dit en commission, nous souscrivons au constat que le tirage au sort présente un caractère terriblement injuste, arbitraire et cruel, et que le discrédit qui s'est de facto attaché à la plate-forme APB ne pouvait pas rester sans réponse. Puis est venue l'injonction de la CNIL – tout cela a déjà été précisé.

Vous ne vous limitez cependant pas à abroger le tirage au sort ou à refondre la plate-forme APB. Vous bâtissez tout un nouveau système et nous restons très circonspects quant à la faisabilité pratique et au caractère opérationnel des mesures que vous proposez.

Pour ce qui est de la nouvelle plate-forme que la représentation nationale commence à entr'apercevoir – même si nous ne connaissons pas encore tout ce qui est envisagé – , nous craignons fortement que les nouvelles procédures n'aboutissent à des files d'attente et à un net allongement des délais, ce qui se traduira par un stress supplémentaire au moment de la préparation du baccalauréat pour les lycéens et leurs familles, c'est-à-dire dans une période de tension et de calculs stratégiques sur les bons choix à faire.

Nous avons du mal, je le répète, et même si cela a déjà été dit, à comprendre véritablement pourquoi vous refusez la hiérarchisation des voeux : en quoi ce refus serait-il nécessairement synonyme de progrès et d'une plus grande facilité pour les futurs bacheliers et leurs familles ?

Je conclurai en soulignant que nous abordons cette discussion parlementaire dans un esprit à la fois optimiste et offensif. Nos amendements n'ont pas eu l'heur de vous plaire et n'ont pas été retenus, mais nous souhaitons, parce que nous aimons l'université, apporter notre contribution à la construction d'une université d'excellence. Nous savons que c'est là une question majeure pour les lycéens et pour leurs familles et nous espérons que vous accorderez une attention bienveillante et une écoute attentive à nos propositions.

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