Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du vendredi 15 décembre 2017 à 9h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, chers collègues, ce projet de loi de finances, le premier de ce Gouvernement qui s'est réclamé d'un nouveau monde, revient aujourd'hui devant notre assemblée.

Il ne nous satisfait pas – personne n'en sera surpris – , qu'il s'agisse de son contenu global ou des réponses qui ont pu être apportées aux différentes propositions que nous, députés insulaires de la majorité territoriale actuelle, avons formulées depuis le mois d'octobre.

J'ai tendance à penser – mais je sais que je ne suis pas le seul dans cette assemblée – qu'au fond, ce premier budget peut se résumer ainsi : plus on est privilégié économiquement, socialement et territorialement, plus on est aidé, et plus on est défavorisé et contraint au départ, et plus on doit essayer de surnager avec des poids attachés aux chevilles !

Hausse de la CSG pour les retraités, baisse incompréhensible des APL, qui déstabilise toutes nos politiques locales du logement social, fin brutale des contrats aidés dans nos collectivités – toutes les personnes concernées sont désormais au chômage ou au RSA – , et j'en passe.

On m'a également alerté sur la non compensation du CITS – le crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires – pour les services d'aide à la personne ou d'hospitalisation à domicile, qui jouent pourtant un rôle essentiel en milieu rural.

La suppression de la taxe d'habitation met à mal la démocratie locale comme les recettes futures des petites collectivités. La suppression du PTZ pour les zones rurales n'arrangera rien.

Mais ce qui nous préoccupe au plus haut point dans ce budget est la faible considération qu'il témoigne à l'égard des territoires en général, et des territoires ruraux, montagneux, insulaires et urbains défavorisés en particulier.

La territorialité ne semble pas être une notion que vous intégrez dans vos politiques : c'est à croire que le mot territoire ne fait pas partie du vocabulaire, voire qu'il est un gros mot. Le manque d'ancrage local est ici, pour nous, le péché originel.

Le président Macron nous a parlé de pacte girondin. Si nous avons pu y croire un temps, il n'a été au final qu'un écran de fumée. Il s'avère même, ici, une imposture.

C'est une imposture dans la méthode, puisque l'on revient sur trente-cinq ans de décentralisation en faisant preuve d'un jacobinisme jamais égalé jusqu'à ce jour, puisque la discussion politique est mise à mal et que la technostructure prend systématiquement le dessus.

Vous parlez d'expérimentation territoriale, mais c'est une expérimentation éventuelle, vue et autorisée depuis Paris, susceptible de faire l'objet d'adaptations une fois passé le prisme des préfets : je crains donc que votre contractualisation entre l'État et les collectivités ne soit envisagée que sous l'angle du renforcement de la tutelle.

J'en veux pour preuve les coupes sombres faites en catimini, cet été, au sein des crédits en faveur de la ruralité et du soutien à l'investissement local.

Il ne faut pas oublier non plus l'effet ciseaux – actuel et à venir – mortifère qui sera provoqué par l'effet conjugué des baisses de dotations et des transferts – légitimes – de compétences, notamment économiques, opérés depuis des années au bénéfice des territoires.

La modernité consiste aujourd'hui, pour éviter cet effet ciseaux, à aller plus loin dans les transferts de fiscalité au profit de nos collectivités. C'est particulièrement vrai si l'on considère un territoire comme la Corse – je vais en étonner plus d'un – dont les recettes fiscales au profit de l'État ont augmenté de 98 % en douze ans, la seule TVA ayant connu, au cours de la même période, une croissance de 79 % contre 32 % en moyenne pour les régions françaises.

Nous avons conscience que cela implique un changement profond du budget de l'État. Si l'on veut cependant respecter la volonté de respiration démocratique des territoires et des régions, et être en conformité avec la logique d'efficacité économique, créatrice d'emplois, qui se base aujourd'hui sur une gouvernance de proximité, il faut changer de logiciel.

En ce qui concerne la Corse, vous avez d'ailleurs, monsieur le ministre, absolument tout refusé. Vous avez interprété le droit comme vous le souhaitiez, en sortant la dotation de continuité territoriale de la dotation générale de décentralisation – la DGD – lors du transfert de la TVA, alors que le code général des collectivités territoriales lui-même incluait clairement cette dotation de continuité en son sein. À croire que vous voulez tuer dans l'oeuf la future collectivité unique de Corse !

Plus grave, en rejetant nos amendements visant à rendre plus attractifs les fonds d'investissement de proximité corses – les FIP – qui interviennent malheureusement en lieu et place, et non en complément des banques dans les projets entrepreneuriaux menés dans l'île, vous avez montré votre incompréhension de la spécificité insulaire.

Par ce refus, vous portez un coup à la volonté des Corses de sortir de la prédominance de la fonction publique comme de la dépendance aux subventions, pourtant dénoncée à longueur de temps dans les médias.

En effet, contrairement à ce qui se passe dans les autres régions françaises, les banques et assurances disposent en Corse de 10 milliards d'euros d'épargne et ne réinjectent dans l'économie locale que 7 milliards d'euros : 3 milliards d'euros fuient donc le territoire. Les banques installées dans l'île ne sont à ce jour pas très portées sur l'effort de construction d'une économie productive locale.

Or l'attractivité fiscale des FIP palliait, ou atténuait, cette carence structurelle. Encore une fois, il eût fallu que vous soyez à l'écoute des véritables spécificités de ce territoire pour comprendre ce phénomène clair et simple.

Votre refus de porter à 50 % le crédit d'impôt recherche innovation dans l'île a également illustré cette attitude, alors même que les très petites entreprises corses ont, dans ce domaine, des dépenses inférieures à celles de leur homologues ultramarines.

Il est plus que temps, à l'instar de ce que demande l'Association des régions de France, qu'un vrai dialogue sans tabou s'ouvre sur l'avenir de l'île. Il doit d'ailleurs en être de même entre Paris et l'ensemble des régions.

C'est pourquoi, et vous n'en serez pas surpris, nous ne voterons définitivement pas ce budget, car il est profondément injuste, technocrate et jacobin.

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