Intervention de Bruno Fuchs

Séance en hémicycle du lundi 18 décembre 2017 à 16h00
Accord entre la france et la suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de bâle-mulhouse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Fuchs, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, chers collègues, l'accord du 23 mars 2017 entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse vise enfin à mettre un terme à une situation de vide juridique et fiscal, qui perdure depuis près de soixante-dix ans, ce qui ne manquera pas de vous surprendre.

C'est en effet en 1949, qu'avait été prévu un accord franco-suisse sur la fiscalité de l'aéroport de Bâle-Mulhouse, mais ce n'est qu'en 2017, c'est-à-dire aujourd'hui, qu'il voit le jour. Cet accord est sans équivalent, car il s'applique à une institution binationale également très originale, l'aéroport de Bâle-Mulhouse.

Pour en comprendre toutes les subtilités, toutes les singularités et toute la portée, il me faut ici faire un peu d'histoire. C'est en 1946 que la France et la Suisse décident de la construction d'un aéroport localisé, en territoire français, dans le Haut-Rhin, sur les communes de Blotzheim, Hésingue et Saint-Louis – je salue Jean-Luc Reitzer, député de cette circonscription.

En 1949, la France et la Suisse signent une convention bilatérale qui fixe les grandes lignes de son statut. Le principe général posé dans ce texte est que la loi française s'applique dans l'aéroport, sauf deux dérogations majeures prévues par la convention elle-même.

La première est que chacun des deux pays dispose dans l'aéroport d'un secteur douanier et policier où ses agents appliquent sa réglementation et sont seuls compétents pour les contrôles sanitaires, douaniers et policiers. Une partie de l'aéroport forme donc ce que l'on appelle le secteur suisse, relié à la frontière suisse par une route afin que l'on puisse y accéder directement depuis la Suisse sans passer les douanes et la police des frontières.

La seconde concerne les droits de trafic, c'est-à-dire le pavillon national sous lequel se font les vols. Ces droits peuvent être octroyés aux compagnies aériennes par chacun des deux pays. L'aéroport, quant à lui, est administré par un établissement public binational.

Il s'agit là d'une institution tout à fait originale, puisque aucun autre aéroport ne relève d'un régime binational comparable.

Ce régime très particulier n'a pas empêché le développement de l'aéroport, et de la zone territoriale qui l'entoure. Il dessert une agglomération transfrontalière trinationale très dynamique, celle de Bâle, et au-delà, une région européenne densément peuplée et très prospère – 3,2 millions de personnes résident à moins d'une heure de voiture de l'aéroport, et le PIB moyen par habitant est proche de 40 000 euros.

Il faut ajouter à ce panorama la présence d'une soixantaine de compagnies aériennes et plus d'une centaine de destinations desservies. Le site de l'aéroport représente près de 6 400 emplois directs.

J'en viens maintenant à l'accord lui-même. Une annexe de la convention de 1949 prévoyait la rédaction d'un accord entre les deux pays pour fixer les règles fiscales applicables à l'aéroport et aux entreprises. Or cet accord n'a jamais été signé, ou plutôt il l'a été en 2017 – c'est le texte que nous examinons.

Pendant soixante-dix ans, l'incertitude fiscale a régné et les acteurs locaux ont pu prospérer au gré de leurs intérêts.

Deux thèses s'affrontaient. Selon la première – française – , le droit fiscal français s'appliquait à l'aéroport, car il était situé intégralement sur le territoire français. À l'inverse, on pouvait soutenir que la fiscalité suisse s'appliquait du côté suisse, en s'appuyant sur une lacune fiscale.

En pratique, le contrôle des entreprises situées dans le secteur douanier suisse de l'aéroport, administré par les Suisses, n'était pas aisé. Certaines sociétés suisses, installées sur le territoire français, en profitaient pour ne pas payer d'impôt du tout.

L'incertitude a conduit à un non-assujettissement assez général aux impôts français non seulement des entreprises du secteur suisse, mais également de l'établissement public binational, gestionnaire de l'aéroport, qui n'a commencé à payer l'impôt sur les sociétés qu'en 2015 !

Autre source d'étonnement, les taxes aéronautiques qui apparaissent sur nos billets d'avion, ne sont pas appliquées aux compagnies aériennes opérant à Bâle-Mulhouse sous droits de trafic suisses.

Le résultat n'est pas surprenant : 90 % des vols à Bâle-Mulhouse sont opérés sous droits de trafic suisses. Et sur les 6 400 emplois du site, 4 900 relèvent des entreprises du secteur suisse. C'est ce secteur qui prospère particulièrement, au détriment du secteur français.

À la suite d'un contrôle fiscal, le Conseil d'État confirme en 2009 que le droit fiscal français s'applique bien dans le secteur suisse.

En 2013, la Direction générale de l'aviation civile – DGAC – a alors essayé d'imposer la fiscalité aéronautique française aux vols sous droits de trafic suisse, mais elle a dû faire machine arrière face au tollé suscité par son initiative.

Ce qui était pour les entreprises une lacune juridique s'est transformé en risque fiscal avéré et, de fait, la majorité d'entre elles se sont alors mises en règle avec le fisc français. D'autres ont menacé de partir. D'autres encore, comme EasyJet, qui est la principale compagnie à Bâle-Mulhouse, ont suspendu leurs investissements dans l'attente d'une clarification des règles fiscales.

L'accord mêle donc les fiscalités française et suisse, la seconde étant en général plus légère. Sur les bases fiscales actuelles, il garantit 15 à 20 millions d'euros de ressources supplémentaires dans l'ensemble de nos caisses publiques. Il vise enfin à éviter les doubles impositions.

Les grandes lignes du compromis sont les suivantes : l'établissement public binational gestionnaire de l'aéroport paiera désormais l'impôt français sur les sociétés, le produit étant toutefois partagé à parts égales avec la Suisse.

S'agissant de la fiscalité aéronautique, les vols commerciaux sous droits de trafic suisses sont exonérés de taxe de l'aviation civile, mais ils sont soumis en contrepartie à une contribution spécifique de 1,73 euro par passager, qui est moins lourde que la taxe de droit commun.

Pour ce qui est enfin des entreprises du secteur suisse de l'aéroport, elles seront assujetties à l'impôt français sur les sociétés, mais à la TVA suisse, dont les taux sont plus faibles qu'en France.

Enfin, concernant les impôts locaux, c'est-à-dire la question la plus intéressante et la plus délicate de cet accord, les entreprises du secteur suisse seront assujetties à l'impôt sur le capital du canton de Bâle-Ville et seront, en conséquence, exonérées de contribution économique territoriale au bénéfice des collectivités françaises.

Cette exonération entraîne une perte de recettes significative pour les collectivités concernées, car, malgré les contestations sur le droit applicable, la collecte était assez importante ces dernières années : 3,15 millions d'euros en 2015 et 3,34 millions en 2016, tous niveaux de collectivités confondus.

L'accord prévoit, à partir de 2018 – il doit entrer en vigueur au 1er janvier – , au profit des collectivités un prélèvement annuel de 3,2 millions d'euros sur le montant de l'impôt sur les sociétés de l'aéroport, à titre de compensation.

Cette compensation n'est cependant pas parfaite, et inquiète les collectivités concernées. En effet, si l'aéroport ne versait pas d'impôt sur les sociétés ou versait moins que 3,2 millions, le versement de la compensation serait en conséquence supprimé ou réduit. Par ailleurs, ce chiffre est fixe et ne tient pas compte des perspectives de développement de l'activité de l'aéroport, et d'un évident manque à gagner, si l'activité devait se développer comme les prévisions le laissent à penser. Il est certes prévu une actualisation du montant du prélèvement, mais sans que les modalités en soient précisées. Nous recommandons donc aux parties prenantes d'engager dès la mise en oeuvre de ce texte une négociation pour clarifier les modalités d'éventuelles compensations à venir au-delà de 3,2 millions d'euros et permettre ainsi à l'aéroport de se développer dans une relation harmonieuse avec tous les acteurs territoriaux.

Ce compromis entre les fiscalités française et suisse devrait préserver l'attractivité de Bâle-Mulhouse et même la renforcer grâce à la sécurité juridique qu'il apporte, ainsi qu'à la perspective de nouveaux investissements très importants – de nombreuses compagnies, comme EasyJet ont déjà annoncé qu'elles comptaient reprendre leurs investissements.

La commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi, et je vous invite à faire de même.

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