Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 18 décembre 2017 à 16h00
Accord entre la france et la suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de bâle-mulhouse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Je vous félicite, monsieur le rapporteur et madame la présidente de la commission, pour la qualité de vos interventions qui avaient le mérite de la franchise.

Pour le cas où quelques-uns ici auraient perdu tout le sel de cette affaire, je voudrais en rappeler le point de départ. Depuis 1947, sur le territoire de la République française, sont installés des gens, qui ne paient aucun impôt d'aucune sorte, et ne respectent ni le droit fiscal ni le droit social, et, pourtant, chacun se tient à sa place. J'entends parfaitement que localement, nos compatriotes y trouvent leur compte – notamment en raison de l'activité économique. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que nous sommes les porteurs de l'intérêt général et de la loi qui est aussi une et indivisible que la République elle-même.

Nous sommes passés d'une situation dans laquelle personne ne payait rien à un accord qui apporte les améliorations suivantes. D'abord, il semble excessif pour la Suisse de payer la TVA au taux français : dans le secteur suisse, ce sera donc le taux suisse qui s'appliquera – 8 % au lieu de 20 %. Il ne faut pas s'étonner que, dans le passé, 90 % du trafic ait été effectué sous droits de trafic suisses et non français.

Ensuite, les entreprises qui assurent ces 90 % de trafic sont exonérées de la taxe de l'aviation civile alors que l'État français assure toutes les missions régaliennes pour cet aéroport. L'accord prévoit également de les exonérer de taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite taxe Chirac – cette taxe tombe sous le sens de quiconque possède un minimum de sentiment humain, mais pas pour eux. Cette taxe permet de financer la lutte contre le sida au plan mondial. C'est une excellente idée que nous devons au président Chirac.

Enfin, les entreprises ne paieront pas non plus la contribution économique territoriale. Nos compatriotes sont priés de croire que, quelle que soit l'activité économique à l'avenir, une recette de 3,2 millions sera versée : je n'en crois pas un mot !

J'ai saisi l'occasion de cette étrange convention – vous avez rappelé qu'elle doit sa signature à un contrôle fiscal sans lequel chacun serait resté bien tranquillement à sa place sans être embêté par quiconque – pour pouvoir dire du haut de la tribune de l'Assemblée nationale française que plusieurs collègues – au minimum ceux de La France insoumise, et sans doute bien d'autres sur tous les bancs, y compris ceux qui resteront muets – jugent cette situation parfaitement anormale et considèrent que la relation fiscale avec la Suisse doit changer. Puissent les dirigeants suisses entendre la voix des Français dès lors qu'elle est portée avec bonhomie, tranquillité et patience – cela dure depuis soixante ans, je doute qu'on laisse durer les choses ainsi sur d'autres sujets.

La Suisse est considérée par les gens honnêtes et par les organisations non gouvernementales spécialisées comme un paradis fiscal dont nous sommes parmi les premières victimes. Oxfam la classe ainsi au quatrième rang des pires paradis fiscaux du monde. Nous, Français, avons notre mot à dire sur le sujet !

La Suisse offre certainement une qualité de l'air particulière, puisque la moitié des milliardaires français y sont installés, ce qui leur permet d'échapper à l'impôt français. On estime que 25 % des fortunes mondiales sont domiciliées en Suisse pour l'unique raison que cela permet à leurs propriétaires de se soustraire à l'imposition dans leur propre pays. C'est inadmissible. Aussi peut-on considérer la Suisse comme un centre international de blanchiment.

Encore une fois, ce n'est pas moi qui vais parler mais les rapports internationaux. Il y a en Suisse 245 entrepôts douaniers et vingt ports francs, qui sont des zones de non-droit total. Personne ne sait ce qu'ils renferment et nul ne nous dit où l'on en est. La Suisse ne pratique pas l'échange automatique d'informations fiscales. Elle s'est engagée à le faire en 2018, mais ses engagements sont si nombreux que je me demande si elle compte réellement tenir parole. En tout cas, il faut qu'elle entende, depuis la tribune de l'Assemblée nationale française, qu'il y a des parlementaires qui s'intéressent de près au sujet.

Nous avons en effet des questions à poser. Sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse, je crois que tout a été dit. Je n'ai rien à ajouter qui puisse contrarier mes collègues intéressés à la situation locale, quoique je leur demande encore une fois d'y réfléchir. Mais, aux Suisses, nous avons le devoir de demander des comptes. D'ailleurs, nous ne nous en sommes pas privés.

J'ai trouvé dans La Tribune de Genève l'écho d'une rencontre, en octobre 2016, au cours de laquelle le ministre des finances de l'époque – ce n'était donc pas moi, Jean-Luc Mélenchon, député de La France insoumise, que vous pourriez soupçonner de manquer d'objectivité, mais Michel Sapin – appelait l'attention de ses homologues sur le très grand port franc de Genève, qui est, à portée de route de la France, l'équivalent de la caverne d'Ali Baba.

Le ministre français a d'ailleurs affirmé en avoir parlé avec le conseiller fédéral Ueli Maurer, présent également aux États-Unis pour l'assemblée annuelle du Fonds monétaire international. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous instruire des suites de cet échange ? Depuis que vous êtes en fonction, les Suisses se sont-ils rapprochés de vous en vous rappelant ce qu'ils ont répondu à M. Sapin et ce qu'ils ont à vous dire à vous, pour que cesse ce scandale ?

Le gouvernement français d'alors, comme, j'imagine, le gouvernement actuel voulait connaître l'identité des propriétaires des oeuvres d'art déposées dans ces ports francs, entrepôts exemptés de droits de douane et de TVA. N'est-ce pas magnifique ?

Pour ceux qui n'auraient pas vraiment compris le poids de l'intérêt moral qu'il y a à ne pas permettre l'évasion fiscale, le ministre français avait fait valoir la menace du terrorisme. À l'époque, il y avait un doute sur la question. Chacun croyait que les puissants et les importants étaient tous loyaux, à l'instar de M. Lafarge, dont nul voulait admettre que son entreprise rémunérait Daech pour pouvoir continuer à faire du ciment.

En 2016, le ministre français a donc demandé à son homologue s'il se rendait compte que les entrepôts genevois contenaient des oeuvres d'art volées en Irak et en Syrie, afin de permettre des trafics qui financeront nos ennemis. A-t-on reçu la réponse des dirigeants suisses ? Ceux-ci ont-ils pris la mesure du risque qu'une telle situation nous fait courir ? Vous ont-ils fait savoir quelque chose ? Rien ne nous a été dit, ce qui est fort dommage.

Deux parlementaires, l'un ancien député, l'autre sénateur actuel, Alain et Éric Bocquet, ont rédigé une étude dont l'honnêteté a été unanimement saluée. Ils montrent comment ces entrepôts servent à faire circuler des sommes qui voyageaient autrefois dans des valises de billets.

Tout cela est intolérable, surtout si l'on considère l'âpreté de la négociation qu'il a fallu mener. Car enfin, monsieur le secrétaire d'État, je suis persuadé que vous-même comme votre prédécesseur, ainsi que le personnel qui vous entoure, avez fait pour le mieux, en tenant compte d'une situation locale qui nous intéresse tous, mais vous avez dû discuter avec des gens qui trouvent insupportable de payer une malheureuse taxe sur un billet d'avion pour concourir à un fonds mondial pour la lutte contre le sida. Oui, même cette taxe, ils n'en veulent pas !

Nous sommes donc fondés à penser que ces gens sont moralement suspects, et cela de toutes les façons possibles à nos yeux. M. Jean Ziegler, député suisse ayant le défaut d'être socialiste, ce qui malgré tout ne me semble pas insurmontable, …

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