Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du lundi 18 décembre 2017 à 16h00
Accord entre la france et la suisse relatif à la fiscalité applicable dans l'enceinte de l'aéroport de bâle-mulhouse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Eh oui ! Le mouvement de centralisation de la perception de l'impôt est insupportable pour la libre administration des communes. La fin de la dynamique fiscale déconnectera les collectivités locales de l'avenir économique de l'aéroport – alors même qu'une forte croissance est prévue pour ce dernier – , même si l'accord comporte une actualisation visant à tenir compte de l'inflation. Ce sont donc les entreprises suisses qui bénéficieront intégralement des fruits de la croissance.

Parlons maintenant de la modification de la fiscalité applicable au sein de l'aéroport. On peut entendre l'argument selon lequel il a fallu tout remettre à plat, depuis qu'un contrôle fiscal a révélé un vide juridique et l'a transformé en risque d'incertitude fiscale élevé pour les entreprises de droit suisse. Nous déplorons en revanche des manques à gagner face aux nombreux défis que la nation doit relever.

Même si l'application de la fiscalité française de droit commun à toutes les entreprises n'est pas pensable, il semble que la négociation penche en faveur des entreprises suisses et crée un certain manque à gagner pour le fisc français – Jean-Luc Mélenchon l'a remarqué avant moi – , alors que l'aéroport se trouve sur notre territoire.

Ainsi, l'article 2 de l'accord exonère de taxe de l'aviation civile les vols commerciaux sous droits de trafic suisses, en introduisant une contrepartie beaucoup moins lourde. Pourquoi celle-ci est-elle aussi faible ?

Dans le même aéroport, coexistent des entreprises françaises qui acquittent une taxe de 4,48 euros par passager et des entreprises suisses qui n'en paient que 1,73. Ce déséquilibre pourrait causer des dégâts au sein des entreprises de l'aéroport.

D'autre part, l'article 4 soumet les entreprises suisses au régime suisse de TVA, dont les taux sont plus faibles que les nôtres, 2,5 % et 7,7 %. Là encore, un compromis aurait pu être trouvé. Il était par exemple envisageable de répartir les points de TVA entre la France et la Suisse. Quitte à construire un dispositif original, pourquoi ne pas avoir poussé l'originalité jusqu'au bout ?

Mais le manque le plus criant de l'accord est l'absence d'échanges d'informations automatisées en matière de fiscalité. Dans le cadre international que nous connaissons en matière fiscale, la France et la Suisse sont toutes deux parties prenantes à la fameuse évolution que proposent les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – sur le BEPS, acronyme anglais désignant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Le BEPS est la référence mondiale en matière de lutte contre l'érosion fiscale, qui, rappelons-le, désigne les stratégies d'optimisation sauvage de la fiscalité par des entreprises qui exploitent les failles légales mais immorales d'un système incomplet. Le cadre inclusif rassemble plus de 100 pays et juridictions qui collaborent pour mettre en oeuvre les mesures du BEPS et lutter contre l'érosion de la base fiscale et les transferts de bénéfices.

Loin de nous l'idée de jeter la suspicion sur les personnes morales ou physiques ayant une activité notamment douanière en rapport avec l'aéroport, ni sur d'autres partenaires, mais l'accord ne fait nulle mention de l'automaticité d'échanges entre institutions fiscales. Nous rappelons que l'objectif dudit accord, voire de tous les accords, est moins d'éviter la double imposition que d'aboutir à une imposition effective.

Ce manquement étant grave, je demande au Gouvernement de s'engager aujourd'hui à lancer des négociations avec la Suisse pour intégrer dans l'avenir à l'accord l'automaticité des échanges entre institutions fiscales. Celle-ci nous permettrait de nous prémunir contre tout dysfonctionnement avant d'avoir à souffrir d'une histoire semblable à celle que la convention devait régler. La situation juridique de l'aéroport est tellement complexe qu'il nous paraît indispensable que les administrations fiscales puissent s'entendre dès à présent et agir de manière coordonnée.

Cela n'est possible qu'avec un échange d'informations effectif. N'oublions pas que le système d'évasion et d'érosion fiscale est extrêmement puissant et que, scandale après scandale, de l'Offshore Leaks aux Paradise Papers, en passant par les Swiss Leaks, la diplomatie, notamment à l'OCDE, même si elle commence à se mouvoir, le fait bien trop lentement.

Il est donc temps que la France soit à la hauteur des enjeux et que, de manière très pragmatique – n'est-ce pas votre culture, maintenant ? – , à chaque accord de ce type, elle pousse toujours l'autre partie à être la plus transparente possible en matière fiscale. La France a totalement manqué une occasion d'exercer une pression sur la Suisse pour la faire pression sur le chemin de la transparence fiscale.

Pour toutes ces raisons, il me paraît difficile de voter le traité. Les gages concernant la compensation de l'exonération de contribution économique territoriale par l'État sont absents, ce qui diminuera encore un peu plus l'autonomie fiscale des communes. De plus, un vrai doute subsiste sur la solidité fiscale de l'accord face aux fraudeurs. L'absence de la notion d'échange automatique entre les services fiscaux français et suisses est injustifiable et nourrit le doute que j'ai mentionné.

Sans échange automatique, la tentation d'utiliser les failles juridiques du régime fiscal de l'aéroport de Bâle-Mulhouse va être grande pour les trop nombreux délinquants en col blanc. D'un autre côté, il nous semble important de mettre fin à la période de forte incertitude juridique qui plane depuis plusieurs années sur cet aéroport.

Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, pour ne pas entraver la construction juridique de l'aéroport, qui, nous l'espérons, s'améliorera. Mais il faut tout de même souligner la force de l'Eurodistrict trinational de Bâle, qui est la source d'une formidable créativité politique, culturelle, urbanistique, que je soutiens pleinement. Il y a beaucoup de choses à apprendre en ce lieu. Toutefois, pour marquer notre insatisfaction à l'égard du fait que cet accord ne comporte pas d'instrument de régulation financier, nous n'émettrons pas un vote favorable.

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