Intervention de Nicolas Hulot

Séance en hémicycle du mardi 19 décembre 2017 à 15h00
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Présentation

Nicolas Hulot, ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission du développement durable, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi mettant fin à la recherche et – mécaniquement – à l'exploitation des hydrocarbures revient pour la dernière fois devant vous, dans la rédaction que vous avez adoptée il y a quelques jours.

Si rien n'a changé dans ce projet de loi, d'autres évolutions notables ont eu lieu, qui n'ont pu vous échapper : elles confortent l'esprit de ce texte, valident son intention et confirment sa pertinence.

Le 12 décembre, lors du One Planet Summit, la Banque mondiale a annoncé qu'elle mettait fin au financement de la production d'hydrocarbures à compter de l'année 2019. Il était temps, me direz-vous. Mais cela n'aurait pas été possible sans l'accord de Paris et sans notre détermination commune à mettre en oeuvre cet accord indispensable pour protéger notre climat. S'il a été difficile d'obtenir la signature de cet accord, il s'avère que sa mise en oeuvre, qui tarde un peu, l'est tout autant.

Je me rappelle que certains d'entre vous, de même que certains sénateurs, m'avaient légitimement interrogé, lors de l'examen de ce texte en première lecture, sur notre capacité à entraîner d'autres États vers la fin de l'exportation et de l'exploitation des hydrocarbures. Certains avaient émis de vrais doutes, car ils pensaient que ce projet de loi nous priverait de marges de manoeuvre et que nous étions totalement isolés dans notre démarche.

Je leur réponds, avec prudence, que cette décision de la Banque mondiale – qui n'est qu'une parmi bien d'autres prises lors de ce sommet – prouve que, lorsque la France montre la voie, elle est écoutée et suivie. Elle montre aussi que la cohérence paye, et qu'aujourd'hui l'immense majorité des acteurs s'engagent sur le chemin de la sortie des énergies fossiles. Nous avons irréversiblement largué les amarres avec l'ancien monde énergétique ; la seule question est de savoir à quelle vitesse nous allons nous en éloigner.

Dans la dynamique de ce même sommet, auquel certains d'entre vous ont participé, nous avons lancé la coalition vers la neutralité carbone, qui regroupe d'ores et déjà seize pays et trente-deux villes de grande importance. Ces pays et ces villes se sont engagés à publier rapidement une trajectoire vers la neutralité carbone à l'horizon de la moitié du XIXe siècle. Que disent ces pays, ces villes, dont la liste s'allonge chaque jour ? Simplement qu'autour de 2050, ils auront ramené leurs émissions aussi bas que possible. Je ne dis pas qu'ils n'émettront plus de gaz à effet de serre, mais ils se sont engagés, simultanément, à restaurer les écosystèmes pour que le bilan définitif de ces émissions soit neutre, voire – comme je le souhaite – négatif.

Cela veut dire, très concrètement, que ces territoires, ces États, s'engagent résolument vers la fin des énergies fossiles, qui sont définitivement incompatibles avec nos objectifs climatiques. Il n'est plus besoin de le rappeler ici : l'aboutissement de ce texte montre que vous l'avez bien compris. De ce point de vue, même s'il n'y a pas eu d'accord entre les deux assemblées de notre Parlement, il y a bel et bien une union sacrée quant au diagnostic et quant à l'objectif. Des divergences sont apparues sur la manière d'atteindre cet objectif, mais personne ne le remet en cause. Personne ne nie la nécessité de nous organiser pour sortir irréversiblement des énergies fossiles. Chacun l'a compris : si nous voulons maintenir le réchauffement climatique aussi bas que possible, et en tout cas en dessous de 2° C, cet objectif est incontournable.

Mais pour cela, mesdames et messieurs les députés, nous ne sommes pas seuls à être ambitieux ; chacun prend des initiatives qui, je l'espère, auront de l'influence et emporteront, par contagion, l'adhésion des autres États ou, le cas échéant, d'autres villes. C'est ainsi que nous avons contribué à créer une dynamique qui s'amplifie : au-delà de la production d'énergies fossiles, de plus en plus d'acteurs s'engagent pour réduire la consommation de pétrole, de gaz et de charbon en raison, non seulement de leurs conséquences avérées sur notre climat, mais aussi de leur contribution importante à la dégradation de qualité de l'air, dont plus personne ne peut ignorer les conséquences sanitaires.

Toujours dans cette dynamique, avec la même exigence et le même souci de cohérence, la France a rejoint, lors de la COP23, la coalition pour la sortie du charbon, qui rassemble cinquante acteurs : des États, des villes, des entreprises et des investisseurs qui se désengagent – progressivement mais assez rapidement – du charbon. En France, vous l'aurez peut-être noté, EDF et Engie ont récemment rejoint ce groupe d'acteurs. Parallèlement, de nombreuses villes comme Paris – dont je salue la maire, Anne Hidalgo, pour son travail – , Los Angeles, Mexico, Londres mais aussi Quito et Cape Town ont déclaré s'engager à développer des zones « zéro émission » et à ne plus acheter, à compter de 2025, que des bus « zéro émission ». Je remercie donc votre assemblée d'avoir contribué à écrire la première page de la fin des énergies fossiles.

Mesdames, messieurs les députés, je tiens à saluer, et je le dis le plus sincèrement possible, le travail qui a été fait sur vos bancs, tant par la majorité que par l'opposition. Je sais bien que le texte n'est pas parfait – la perfection est-elle au demeurant de ce monde ? – , mais c'est une avancée, un signal, un axe, un principe de cohérence si important pour emmener l'ensemble des acteurs de la société. Certes, parfois j'aurais aimé aller plus loin dans ce texte, mais nous avons voulu ne pas le fragiliser juridiquement et respecter le cadre constitutionnel. Ce texte a le grand mérite de la clarté et de fixer une trajectoire sur laquelle se grefferont bien entendu d'autres articulations, d'autres plans et, je l'espère, d'autres mécaniques.

Certains bien sûr s'inquiètent, légitimement, des conséquences de ce projet de loi sur l'emploi, sur les territoires et sur l'économie. Qu'ils ne doutent pas que le Gouvernement partage leur inquiétude. Si nous ne parvenons pas à rassurer socialement ceux qui sont concernés par la transition énergétique et écologique, nous serons à juste titre entravés dans la réalisation de cette ambition et de ses objectifs. Mais je garde tout de même à l'esprit que cette loi, progressive et irréversible, n'est pas brutale : elle devrait surtout permettre, si nous additionnons nos intelligences, nos volontés et nos créativités à l'échelle de l'État et des territoires, de générer des bénéfices sociaux plutôt que des pertes en termes d'emploi.

Je veux également saluer l'intelligence de toutes celles et ceux qui ont pris part au débat et ont su, la plupart du temps, y compris au Sénat, dépasser les postures politiques. Nous avons ensemble tracé un chemin. C'est la vision que je me fais de la transition écologique et solidaire, et grâce à vos travaux, notamment sur l'encadrement du droit de suite, vous avez su améliorer le texte et vous allez permettre d'inscrire dans notre droit les principales conséquences de l'accord de Paris. Car, comme l'a dit le Président de la République lors du sommet du 12 décembre dernier, gardons à l'esprit qu'en l'état, nous sommes en train de perdre la bataille climatique. Ce n'est pas une fatalité, même si parfois le fatalisme nous tente : nous avons encore les cartes en main et ne cédons pas à la résignation. Parce que nous n'avons que trop hésité, ajourné, nous ne pouvons plus nous permettre d'hésiter ni de tergiverser.

Ce texte n'est qu'une première étape, je tiens à le rappeler, parce que s'il n'est pas assorti d'autres objectifs, notamment celui de la réduction de notre consommation d'énergies fossiles, il n'aura pas de sens : si l'objectif se limitait à diminuer de 1 % cette consommation, chacun comprendrait qu'il n'aurait pas de portée.

Cette première étape, disais-je, est d'ores et déjà complétée par les dispositions du projet de loi de finance pour 2018 qui permettront d'accompagner les Français dans la réduction de leur consommation d'énergies fossiles : je pense en particulier à la prime à la conversion, mais aussi aux mesures d'accompagnement de la rénovation des logements et du changement du mode de chauffage, pour passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables. Car si l'on veut faire vivre ce texte, on doit le compléter et évidemment l'inscrire dans une vision d'ensemble, et cela ne se fera pas d'un simple claquement de doigt : le chemin vers la neutralité est encore long, complexe, mais je veux d'ores et déjà saluer le premier pas ici accompli.

Je tiens aussi à saluer le travail réalisé par les ONG – organisations non gouvernementales – environnementales, car il faut parfois reconnaître qu'elles nous aiguillonnent de temps en temps, ce qui est heureux. Elles défendent depuis de nombreuses années le principe d'une interdiction de la recherche et de l'exploitation des énergies fossiles, et ce projet loi vient conclure et donner raison à ce combat d'avant-garde. La mise en cohérence aujourd'hui possible entre les discours que nous tenons dans les grandes enceintes internationales et notre politique doit beaucoup à ce travail, à cette exigence des uns et des autres que vous avez avec elles portée inlassablement et qui, aujourd'hui, se matérialise.

Mesdames, messieurs les députés, j'ai l'habitude de ne pas exulter car je sais que tout cela est un long chemin, à la fois complexe et délicat, mais je sais aussi profiter des moments où j'ai le sentiment que nous avançons dans la bonne direction. Par conséquent, sans exulter, je vous invite à ne pas bouder ce petit moment de satisfaction. Nous apportons aujourd'hui la preuve que les générations actuelles peuvent prendre soin des générations futures et ne pas éternellement sacrifier l'avenir au présent.

Nous pouvons être fiers de ce texte dont vous verrez qu'il fera date et, je l'espère, contagion. Traduction concrète de l'engagement du Président de la République pendant la campagne, il place irréversiblement notre pays sur la voie d'une désintoxication des énergies fossiles. II faut rester évidemment modestes à l'aune des changements qui restent à accomplir, mais ce premier pas, que nous faisons ensemble, montre une direction et montre le chemin. C'est un petit pas pour notre pays, peut-être, mais un pas important pour notre planète et surtout pour ses habitants.

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