Intervention de Marie-Christine Dalloz

Séance en hémicycle du mardi 19 décembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Dalloz :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je voudrais avant tout m'arrêter sur les conditions d'examen auxquelles nous sommes soumis dans le cadre de la nouvelle lecture de ce projet de loi de finances rectificative pour 2017, deuxième du nom après l'examen en urgence d'un collectif numéro un.

Des délais de dépôt d'amendements très courts et un planning de discussion contraignant ne favorisent en rien la qualité de nos échanges. Comme cela vient d'être rappelé, quarante-deux amendements ont été déposés par le Gouvernement juste avant la première lecture : nous les avons découverts en séance. C'est assez inédit pour être souligné. Il serait bon, monsieur le ministre, que le travail parlementaire bénéficie d'une plus grande considération, on ne le répétera jamais assez.

Sur le fond, nous pourrions revenir longuement sur les innombrables erreurs et incohérences contenues dans ce projet de loi de finances rectificative, mais je m'attacherai ici à développer deux points qui me semblent être les plus importants à ce stade de notre discussion.

Premier point : le prélèvement à la source – et notre regard est assez similaire à celui que porte M. Coquerel. Quelle est exactement cette aberration fiscale flanquée du sceau de la nouveauté que constitue la mise en place hasardeuse du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu que vous vous obstinez à vouloir nous faire appliquer ? Ne souriez pas, mes chers collègues : il nous a été présenté par le Gouvernement comme le fer de lance de la modernité, alors qu'il n'est en réalité qu'une véritable usine à gaz, applicable au 1er janvier 2019.

À son sujet, donc, on nous promettait une réforme simplifiée sur la forme et novatrice sur le fond : publicité mensongère si l'on considère simplement que, tout d'abord, les contribuables continueront à rédiger une déclaration de revenus l'année N+1 – en l'état cela ne représente pas une simplification, pas davantage une modernisation du droit existant – et qu'ensuite, le transfert aux employeurs de la collecte de l'impôt, en plus d'être une entrave à la confidentialité et à la sécurité des données fiscales, constitue une charge financière et administrative sans précédent qui pèsera sur nos entreprises.

Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que dans notre droit fiscal le recouvrement de l'impôt s'inscrit dans une relation directe entre le contribuable et l'administration, sans l'intervention d'un tiers, ce qui, confidentialité pour confidentialité, ne nous semble donc plus être le cas dans la rédaction actuelle de l'article 9. Or, la principale difficulté qui réside dans ce texte est que l'on s'apprête à transférer aux employeurs le soin de collecter l'impôt ce qui, encore faut-il le rappeler, n'a rien à voir avec leur mission d'origine.

C'est tout le système du consentement à l'impôt qui est ici touché. Le salarié percevra ainsi une rémunération nette non seulement de cotisations sociales, comme c'est le cas actuellement, mais également de l'impôt sur le revenu. Le curseur de la relation entre l'État et les citoyens change complètement de position en venant se placer sur l'entreprise. Jusqu'ici, cette dernière était là pour produire, pour vendre, pour innover, pour investir. Et voilà qu'elle devient collecteur d'impôt ? C'est une nouveauté certes – sur ce point en tous cas le Gouvernement a tenu toutes ses promesses – mais à quel prix ?

À ce stade, la seule chose dont nous pouvons être certains est que cela entraînera des difficultés d'appréhension et de compréhension qui auront des conséquences sur la pérennité de l'entreprise et de l'emploi, et sur le climat social. Il me semble que le marché de l'emploi se trouve déjà en assez grande difficulté pour qu'on ne lui mette pas encore des bâtons dans les roues.

Ce qui va changer, c'est avant tout la notion de « contemporanéité » : l'impôt sera prélevé sur le salaire, la pension ou le traitement au moment de leur versement par l'entreprise, la caisse de retraite ou l'administration. Il faudra donc informer l'employeur des revenus de son conjoint pour qu'il puisse appliquer le taux exact, et même si on ne donne pas de montant précis, le taux sera en lui-même une indication : le taux retenu, le taux choisi indiquera le niveau de revenu du conjoint. Il y aura bien sûr un taux neutre, mais si la somme réellement due est supérieure, le contribuable sera soumis à des pénalités.

Je vous rappelle que l'impôt sur le revenu français a trois caractéristiques : il est progressif, familialisé et conjugalisé. On voit les difficultés qui ne manqueront pas de surgir s'agissant, par exemple, des indépendants ou des gérants majoritaires. Pour les indépendants, le mécanisme retenu correspond à la mise en place d'acomptes, avec des régularisations une fois le résultat connu. De janvier à août, ils paieront des acomptes calculés sur l'année N-2 ; de septembre à décembre, des acomptes calculés sur les revenus de l'année N-1, la régularisation ayant lieu l'année suivante. Extraordinaire, comme simplification !

On nous dit qu'ils continueront à payer l'impôt sous forme d'acompte : dans ces conditions, qu'est-ce qui change réellement pour ces catégories ? Le système n'est pas sans rappeler celui du RSI, dont les régularisations en année N-1 ou N-2 ont été dramatiques pour les chefs d'entreprise et sur les niveaux de trésorerie. Nous ne devons pas retourner vers un système équivalent pour les artisans, les commerçants et les professions libérales, ni le développer pour les agriculteurs. Concernant l'impôt sur le revenu donc, vous proposez un système similaire aux anciennes procédures appliquées au RSI que le Président de la République s'est engagé à supprimer. Où est la cohérence ?

Monsieur le ministre, vous n'avez jamais daigné apporter de réponses précises à toutes nos interrogations. Que doit-on en déduire ? Que cet impôt est tout d'abord « anti-contribuables ». En effet, la retenue à la source rend le prélèvement presque invisible, inexistant. Or c'est bien parce que les citoyens peuvent mesurer le niveau de l'impôt qu'ils l'acceptent ou le contestent ! Là est le premier problème : ce manque de transparence pourrait être préjudiciable et continuerait d'aggraver encore un peu plus la méfiance, voire la défiance que nos concitoyens entretiennent vis-à-vis de l'administration fiscale.

L'effet de base fiscale a pourtant maintes fois été décrié : quand on paye en année N sur la base des revenus de cette année-ci et non sur celle des revenus de l'année N-1, la croissance et l'inflation – par exemple, 2 % de l'année N-1 plus 2 % de l'année N– augmentent l'impôt d'autant, inexorablement. Tout cela est pour le moins préoccupant, inquiétant.

C'est encore, évidemment, un impôt « anti-familial » – car, on le sait, vous n'aimez pas les famille. On évaluera en effet le revenu individuel sur des bases ne correspondant pas au revenu final. Dans l'hypothèse où ce mécanisme fonctionne, il s'agira de renoncer à cet aspect central de notre fiscalité qui a contribué au taux démographique de notre pays, à savoir la familialisation de l'impôt sur le revenu.

Je ne rappellerai pas tous les inconvénients que nous n'avons cessé de signaler tout au long de nos débats, même si vous n'en tenez pas compte : nous travaillons, monsieur le ministre, jour après jour, amendement après amendement pour essayer de trouver des solutions aux problèmes posés par cette réforme inutile.

Chaque fois que nous abordons un problème – revenus exceptionnels, niches fiscales, familialisation, changement de situation familiale en cours d'année, jeune qui commence sa vie professionnelle, perte d'emploi, autant d'éléments qui forment le quotidien de nos concitoyens – nous sommes confrontés à des difficultés, à des contradictions, conséquences du fait que la réforme de vos prédécesseurs, que vous assumez, repose sur une contradiction de fond : l'idée qu'on peut fixer a priori le montant d'un impôt sur un revenu alors que la législation fiscale nous impose de le fixer a posteriori sur la base de l'ensemble des revenus bénéficiant à un foyer fiscal, ce qui est très différent.

Question qui vous semblera sans doute pertinente, monsieur le ministre, et qui vous mettra mal à l'aise : est-ce à dire que vous vous engagez, pour le quinquennat, à ne pas augmenter ou diminuer les taux d'imposition sur les revenus des personnes physiques ? Il sera difficile de prévenir tous les employeurs, dans un projet de loi de finances, de la modification du taux d'imposition l'année suivante : il faudra changer de logiciel ! Je ne vois pas comment vous allez vous y prendre.

La liste des incohérences ne s'arrête bien sûr pas là…

Lorsque j'ai assisté à la présentation, faite ici même par les services de Bercy, de l'interface informatique du prélèvement à la source, on voyait bien que tout n'était pas encore calé et que des difficultés demeuraient. L'intervenant ne parvenait même pas à faire sa présentation tant les questions du groupe majoritaire étaient nombreuses, à tel point que la présidente de la réunion a dû intervenir ! Ne nous faites pas croire que l'outil est simple et opérationnel. Il est peut-être simple pour vous, monsieur le ministre, ou pour vous, mesdames et messieurs qui maîtrisez les sujets fiscaux, mais mettez-vous à la place de quelqu'un qui ne maîtrise pas la technique fiscale : c'est compliqué ! Il est vrai, en revanche, que notre système fiscal actuel est complexe. Attachons-nous d'abord à le simplifier plutôt que de passer par le prélèvement à la source.

Et quid de l'année blanche ? Il ne suffit pas de lui donner un autre nom pour faire disparaître le problème, monsieur le ministre ! Vous prenez les problèmes à l'envers et ne mesurez aucunement l'impact de vos propositions.

Enfin, si vous avez pris la précaution de décaler le prélèvement à la source en 2019, c'est parce que vous aviez conscience que le relèvement de la CSG au 1er janvier 2018 cumulée avec le prélèvement à la source à la même date aurait eu un effet dévastateur sur le pouvoir d'achat, et donc sur l'opinion publique. Vous avez astucieusement botté en touche et reculé d'un an, mais vous ne réglez pas le problème de fond.

On peut toujours rêver à un monde idéal, chers collègues du groupe majoritaire, mais la réalité est que les entreprises notamment craignent un coût bien supérieur aux 400 à 560 millions d'euros annoncés. Au moment où le ministre Darmanin présente son grand plan de simplification et de réforme, on ajoute de la complexité et des coûts supplémentaires pour les entreprises.

Pour conclure, nous voyons dans ce dispositif un changement inquiétant quant à la prise en compte de l'imposition. Ce secteur est tout entier remis en question, tant dans son fonctionnement que dans ses objectifs. Pour assurer ces nouvelles charges, les employeurs devront devenir, sous la contrainte, de nouveaux acteurs du système et se transformer en extension de l'administration. Plus encore que de faire de l'entreprise une filiale de l'administration, le Gouvernement tend à la transformer en un véritable gestionnaire financier de ses salariés. Où est la cohérence dans l'action du Gouvernement ?

Comme nous l'avons déjà préconisé, essayons aujourd'hui le prélèvement mensuel, mais supprimons le prélèvement à la source ! Oui, le prélèvement mensuel, c'est la relation directe entre le contribuable et l'administration, c'est le sens du consentement à l'impôt !

Enfin, j'en terminerai par un deuxième point : l'article 13… Le dispositif prévu a pour but de redynamiser certains bassins urbains en déclin industriel, caractérisés par des critères de fort taux de chômage, de faibles revenus, de forte densité de population et qui se trouvent confrontés à de graves difficultés de reconversion. Vous semblez donc ignorer, monsieur le ministre, que bon nombre de communes anciennement industrielles se caractérisent par un net déclin démographique, dont les conséquences sont négatives pour les espaces ruraux environnants alors qu'elles en constituent bien souvent les seuls pôles économiques.

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