Intervention de Denis Turbet-Delof

Réunion du mercredi 20 décembre 2017 à 9h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Denis Turbet-Delof, délégué général de Solidaires Fonction publique :

Je n'entrerai dans un débat de fiscalistes, mais n'oublions pas que la fréquence des contrôles est déterminée non pas par le hasard mais par l'administration en fonction de la loi. Qui plus est, le calendrier du contrôle est fixé par la haute administration, pas par le personnel.

La fréquence des contrôles s'est distendue, concomitamment avec la baisse des effectifs : quand on est moins nombreux pour une même tâche, il faut plus de temps pour l'accomplir. Auparavant, les contrôles étaient conduits sur la base de l'expérience, de manière pragmatique ; aujourd'hui, ce sont des algorithmes qui déterminent si une entreprise doit être ou non contrôlée.

De fait, contrairement à ce que certains pensent, la fréquence des contrôles varie fortement, depuis le contrôle annuel systématique pour tous les salariés et retraités, même s'ils ne le savent pas, jusqu'à des contrôles tous les quinze ou vingt ans, voire plus de cent ans pour la profession agricole qui n'est pratiquement jamais contrôlée.

Mais il est vrai que plusieurs administrations exerçant des activités différentes ne disposent pas d'un calendrier commun. Le douanier n'a pas forcément la même activité que l'agent des finances publiques ou celui de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)… Ce sont généralement les directions de Bercy qui sont visées, mais on pourrait aussi parler des autres, comme de l'URSSAF, qui fait parfois beaucoup plus de mal que Bercy. Il faudrait voir comment tous ces contrôles s'articulent. Si, le même jour, les douanes, les impôts et la DGCCRF débarquaient dans votre entreprise, vous trouveriez cela bizarre…

Une autre question est celle de l'approche du contrôle. Il faut y réfléchir. Comment faire en sorte que l'agent aille contrôler « le coeur léger » ? Ce n'est pas toujours facile, chez le contribuable lambda ou dans les entreprises. Des agents se sont fait vilipender, voire pire, car certains usagers ne se conduisent pas en citoyens, il faut le prendre en compte. Faute de soutien de leur administration, les agents peuvent perdre le sentiment de leur utilité.

Objectivement, M. Vallaud, nous n'avons pas toujours été gâtés dans la fonction publique ces dernières années, quelle que soit la couleur du Gouvernement, qu'il s'agisse des messages adressés ou des politiques menées. Depuis trente ans, la fonction publique subit même une vraie dégradation, notamment du fait d'une remise en cause des moyens. Censé lutter contre la fraude fiscale, Bercy a perdu 37 000 emplois depuis 2002 ; cela complique les choses. Au ministère de l'écologie, alors qu'on ne parle que de développement durable et des nouvelles perspectives qu'il ouvre, le budget 2018 fait perdre 900 emplois.

Dès lors que les moyens donnés et les politiques que l'on veut mener sont en contradiction, il convient de nous interroger sur le malaise que ressentent les personnels au quotidien : comment comprendraient-ils qu'on les empêche de mener une mission prétendument fondamentale ? Le personnel doit au contraire se sentir le plus à l'aise possible pour accomplir des missions qui ne sont parfois pas simples, comme celles de contrôle, mais qui n'en sont pas moins fondamentales pour le respect de la règle démocratique.

À cet égard, vous n'avez pas beaucoup parlé de l'accumulation des normes, qu'elles soient nationales ou européennes, ces dernières venant parfois contredire les premières. Ainsi, dans un même service, les agents sont confrontés à deux normes de sens opposé. C'est un débat qui doit être mené au niveau européen : il y a un vrai souci de gestion des normes, qui empêchent parfois l'administration de faire son travail sereinement. Cela induit des tensions et des incompréhensions chez les usagers.

Le sentiment de défiance s'installe. Cela s'est traduit, aux dernières élections présidentielles, par une prise de distance avec la chose publique ou par ce qui constitue, à notre sens, de « mauvais choix ». Car nos concitoyens n'ont pas le sentiment d'être tous logés à la même enseigne, vis-à-vis de l'administration : « selon que vous serez puissant ou misérable »… De fait, plus vous avez de moyens, plus vous pouvez vous payer les services d'un avocat fiscaliste, plus il est facile d'avoir des relations « apaisées » avec l'administration. Pendant ce temps, le citoyen lambda se trouve complètement démuni, seul un ordinateur pouvant répondre à sa question.

Bien que ça ne soit pas tout à fait vrai, il peut avoir le sentiment que tout est fait pour celui qui en a les moyens. Il faut donc améliorer ces rapports d'égalité. Mais ce n'est pas la loi qui va régler le problème : c'est avant tout une question d'état d'esprit.

Il faudrait par exemple que les élus cessent, par facilité de langage, de rejeter la faute sur les fonctionnaires. Beaucoup le font. Il faudrait aussi cesser de ne considérer la fonction publique que comme une variable d'ajustement comptable. Si les services publics sont utiles à la société et à la cohésion sociale, alors il faut y mettre les moyens, sans avoir les yeux toujours fixés sur le compteur budgétaire.

Toutes les contraintes ne nous sont pas imposées de l'extérieur ; nous faisons aussi, dans notre pays, certains choix budgétaires. Ainsi, on fait baisser les recettes d'impôt sur la fortune tout en décidant 60 milliards d'économies dans les dépenses publiques… Ces choix ont des incidences sur la bonne marche de la fonction publique au quotidien.

Si vous visez une amélioration de la confiance, c'est que vous vous posez des questions à son sujet, voire que vous pensez qu'il n'y a pas de confiance. Il faut alors partir des véritables besoins des usagers. Or, je ferai remarquer que, dans le cadre du comité Action publique 2022 qui fait en ce moment ses premiers pas, le postulat a été donné dès le départ, comme cela avait été fait en 2007 par Nicolas Sarkozy, dans son discours de Nantes, où il avait déclaré « les usagers ont exprimé des besoins ». Mais il avait ensuite été incapable de dire quand il avait vraiment posé la question « aux usagers ».

De même, au comité Action publique 2022, on prend acte que les besoins des usagers sont tels et tels, sans jamais leur poser la question. Quoi qu'on dise, il n'y a pas eu de débat public à ce sujet. D'ailleurs, si on en organise un, j'aimerais pouvoir y participer ! Aussi avions-nous souhaité que le comité Action publique 2022 prenne la forme d'un débat public incluant le ministère de l'action et des comptes publics.

Or, en réalité, la lettre de cadrage de M. Édouard Philippe nous donne déjà les conclusions auxquelles ce comité doit arriver. Cela pose un vrai problème. Autant nous sommes d'accord pour discuter du périmètre et de l'évolution des services publics, autant nous contestons l'objectif, fixé d'avance, de supprimer 120 000 emplois, de réduire nos dépenses publiques et d'externaliser des missions, voire carrément d'en abandonner. Tel est en effet l'objectif qui figure dans la lettre de cadrage de M. Édouard Philippe, du 26 septembre dernier.

Tout cela démarre donc assez mal. Nous sommes preneurs d'une vraie réflexion ; nous en mènerons d'ailleurs une au sein de notre syndicat. Pour l'instant, nous connaissons cependant des difficultés dans le dialogue social, aujourd'hui piloté par M. Darmanin, même si M. Dussopt arrive pour prendre la relève sur cette question. M. Darmanin a tout de même déjà réussi à recréer l'unité syndicale dans la fonction publique, les textes qu'il propose étant tous rejetés par l'ensemble des organisations syndicales : c'est un exploit !

Sur ce sujet, nous avons donc décidé de conduire notre propre consultation des personnels : Que pensent-ils des services publics ? Comment voient-ils les services publics de demain ? Nous considérons en effet que le service public du XXIe siècle, c'est l'avenir de la société.

Ainsi pourrons-nous comparer les résultats de notre propre enquête et les conclusions prévisibles du comité Action publique 2022. Nous verrons ainsi si nous n'avons pas simplement deux approches très différenciées du service public. Mais ce n'est pas le présent projet de loi qui rassurera les personnels.

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