Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 9h30
Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Ma gratitude va aux représentants de la société civile qui ont rejoint notre groupe pour fabriquer ce texte. Je veux rendre hommage aux syndicalistes, aux entrepreneurs, aux ONG, aux nombreux universitaires de cercles de réflexion comme la Fondation Jean-Jaurès, Esprit civique ou Terra Nova, qui nous ont accompagnés. Mais je veux surtout rendre hommage aux travaux, destinés à repenser l'entreprise au XXIe siècle, commencés il y a près de dix ans par le collège des Bernardins – ils ont été les premiers à jeter les bases de ce qui nous réunit aujourd'hui.

Penser l'entreprise, c'est faire de la politique. Penser l'entreprise, c'est peut-être en finir avec le veau d'or et cette sorte d'interdit de la critique de l'entreprise qui s'est installée dans nos consciences à cause de la pensée néolibérale. Il faut penser l'entreprise comme un cadre et un creuset. Comme un cadre, pour limiter ses excès et ce qu'on a appelé la « grande déformation » dans la répartition de la valeur ajoutée, au bénéfice de la suprématie actionnariale, et apporter des limites aux grands groupes, qui, par leur puissance, peuvent concurrencer l'État dans l'allocation des ressources et la fabrique de la norme. Mais il faut également penser l'entreprise comme un creuset, capable d'innovation sociale, économique et technologique, apportant des solutions novatrices aux défis du monde, à côté de la puissance publique et dans un rééquilibrage avec elle.

J'aime penser la loi comme les rives d'un fleuve qui l'empêche de devenir un marécage. Oui, la puissance publique, dans sa capacité de réguler et d'édicter la loi, est à la fois un cadre et la condition de la force de l'entreprise : en l'absence de rives, le fleuve se transforme en marécage.

Notre proposition de loi s'articule autour de quatre blocs, dont les deux premiers sont fondateurs.

D'abord, la révision de l'article 1833 du code civil s'impose désormais de façon évidente, car qui pense encore aujourd'hui que cet article issu du code Napoléon peut rendre compte de la réalité et de la vitalité actuelles de l'entreprise ? Mal nommer les choses, disait Camus, c'est ajouter aux malheurs du monde. Alors, faisons oeuvre utile, ayons le courage de réviser l'article 1833, pour dire : « La société est gérée conformément à l'intérêt de l'entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité. » Cet acte serait fondateur ; il ne s'agit pas de se payer de mots mais de jeter la première pierre de ce qui pourrait nous réconcilier.

L'article 2 de la proposition de loi tend à considérer les salariés, le monde du travail, comme une partie constituante de l'entreprise plutôt que comme une simple partie prenante. Cette co-détermination à la française, que nous proposons comme une première étape, rejoindrait une initiative quasi majoritaire en Europe du Nord, qui a fait ses preuves. Avec deux administrateurs salariés dans les entreprises de 500 à 1 000 salariés, un tiers d'administrateurs salariés dans les entreprises de 1 000 à 5 000 salariés et une moitié dans les entreprises de plus de 5 000 salariés, et avec une participation étendue aux entreprises de plus de 20 salariés, nous aurions les bases d'une co-détermination, d'une cogestion à la française, à la fois gage d'efficacité et reconnaissance de la force du travail.

Les articles 3 à 8 s'inspirent du principe de loyauté. Ils visent à instaurer le vote triple pour les actionnaires de long terme, un contrôle du transfert des valeurs, un reporting fiscal aux IRP – les institutions représentatives du personnel – qui contournerait la censure constitutionnelle de la loi Sapin 2, un nouveau pacte territorial et un écart maximal de revenus.

Les articles 9 à 11 ouvrent de nouveaux champs : un renforcement de la garantie offerte aux entreprises à but social, permettant leur reconnaissance et le développement de l'économie sociale ; la création des sociétés à mission et leur encadrement, par le partage de leur mission ; l'instauration d'une double notation.

Sur cette dernière mesure, je fonde beaucoup d'espoirs, car c'est une idée d'avenir : à côté de la cotation économique du CAC 40, il nous faut absolument une visibilité que ne donne pas le reporting extra-financier actuel – il ne donne qu'une vision floue. Nous avons besoin d'une norme publique pour établir ce qu'est profondément la RSE – la responsabilité sociale des entreprises – et, dans une économie sociale de marché responsable, permette à tout citoyen, en sa qualité d'épargnant, de consommateur et éventuellement de collaborateur, de se faire une idée de l'entreprise à laquelle il a affaire.

Telles sont les grandes propositions de notre texte, qui prennent la forme soit d'articles rédigés avec précision, soit de demandes de rapports au Gouvernement, pour poser des jalons, car nous avons voulu rester prudents en la matière.

L'adversité que pourrait connaître cette proposition de loi, sous prétexte de reporter le débat à des dates ultérieures, nous la connaissons malheureusement par coeur si nous relisons notre histoire.

« Impossible ! » disaient les adversaires du progrès en 1898, lorsque le député Nadaud, au bout de dix ans de combat, réussit à faire passer les premières lois sur les accidents du travail. Était-ce la fin du monde ? Non, c'était la naissance d'un nouveau monde, celui de la prévention des accidents et des caisses d'assurance, ainsi que celui d'une révolution technologique, du développement d'une nouvelle économie et d'une nouvelle prospérité.

« Impossible de réformer la comptabilité ! » s'offusquèrent les conservateurs il y a un siècle, en 1915, lorsque les initiatives en faveur d'une nouvelle gouvernance furent prises à travers la création des commissaires aux comptes et de la comptabilité moderne. La comptabilité était restée obscure jusque-là, tandis que la comptabilité moderne serait le gage d'un commerce qui allait s'intensifier, car nous savons la valeur de la contractualisation. C'était l'ouverture, là aussi, d'une nouvelle prospérité.

« Impossible, à l'échelle internationale, de faire reculer les usines et les fabriques du monde » nous disait-on. Or, en mars 2017, nous avons réussi, société civile et Parlement, à l'issue d'un combat de quatre ans, à imposer le vote d'une loi relative au devoir de vigilance, afin de limiter les impacts environnementaux, d'empêcher le travail des enfants et de faire respecter la dignité humaine au bout des chaînes de valeur de nos multinationales.

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