Intervention de Pacôme Rupin

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 15h00
Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPacôme Rupin :

Vous nous invitez, chers collègues du groupe Nouvelle Gauche, à débattre sur la gouvernance des entreprises, ce qui revient à se demander comment le pouvoir de décision doit se partager en leur sein.

Votre proposition de loi s'intitule « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances », or, à mon sens, elle aurait dû s'appeler « Nouvelles gouvernances des sociétés à capitaux. » Comme je l'ai dit en commission des lois, je pense que vous confondez la notion d'entreprise et celle de société. En effet, votre objectif n'est pas de changer la gouvernance des entreprises puisqu'il existe autant de gouvernances que nécessaire afin de répondre aux différentes volontés individuelles ou collectives sur la forme de gouvernance et de propriété d'une entreprise.

En effet, il existe déjà des entreprises sans actionnaires et sans propriétaire : c'est le cas des associations. Il existe déjà des entreprises avec une gouvernance et une propriété détenues par les salariés : c'est le cas des coopératives. Il existe déjà des entreprises avec une gouvernance détenue par ceux qui bénéficient de leurs services : c'est le cas des mutuelles. Il existe déjà des entreprises qui appartiennent aux citoyens à travers l'État ou les collectivités territoriales : c'est par exemple le cas des établissements publics à caractère industriel et commercial.

Enfin, il existe même une reconnaissance des entreprises pourtant détenues par des actionnaires, c'est-à-dire des sociétés de capitaux, et qui ont un objectif social ou environnemental.

C'est d'ailleurs à vous que nous devons ce nouveau statut, puisque c'est la loi qui porte le nom de votre candidat à l'élection présidentielle, la loi Hamon de 2014, qui a introduit la notion d'entreprise solidaire d'utilité sociale. Cette disposition est à mes yeux une bonne chose, car elle a permis à un certain nombre d'entrepreneurs sociaux qui avaient décidé de prendre le statut de société, de faire reconnaître que leur priorité était, non pas la rentabilité économique, mais l'accomplissement d'une mission sociale ou environnementale.

Vous indiquez, dans votre exposé des motifs, que « la conception de l'entreprise, telle qu'elle existe dans le droit français, apparaît décalée par rapport à sa réalité contemporaine et archaïque au regard de sa mission au XXIe siècle ». Or il n'existe pas de définition juridique de l'entreprise au sens strict, et ce, pour une raison simple : c'est que ce terme renvoie, comme je viens de le démontrer, à des réalités extrêmement différentes. En effet, une entreprise est une structure dans laquelle s'organise une activité économique. D'un point de vue juridique, elle n'a aucune consistance, et c'est la notion de « statut » qui la lui apporte.

Ce n'est donc pas la gouvernance des entreprises que vous souhaitez changer, mais bien celle des sociétés de capitaux. Pourquoi pas ? Mais, dans ce cas-là, n'oublions pas qu'il est déjà possible, dans notre droit, de dessiner la gouvernance que vous souhaitez imposer à toutes les sociétés.

Je suis également en désaccord avec un autre point de votre exposé des motifs. Vous y écrivez que l'entreprise doit être « regardée comme un bien commun ». C'est vrai pour les entreprises publiques. C'est souvent vrai pour les entreprises de l'économie sociale et solidaire. Mais c'est beaucoup plus rarement vrai pour les entreprises privées, qui répondent à des intérêts privés. C'est, du reste, une liberté à laquelle je suis attaché. Il faut en effet laisser à l'entrepreneur cette liberté fondamentale, qui est d'ailleurs assurée par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de créer une société ayant pour priorité le développement d'une activité économique. Or l'article 1er de votre proposition de loi me fait penser que vous voulez revenir sur cette liberté.

Vous voulez en effet élargir l'objectif premier d'une société et imposer la prise en compte des conséquences environnementales et sociétales de l'activité de la société, au même titre que l'intérêt des associés et de l'entreprise. Cette rédaction me paraît large et imprécise. Les sociétés doivent déjà respecter un cadre réglementaire, social et environnemental, que nous nous efforçons d'élaborer ici même. Ce cadre étant déjà très contraignant, comment pouvons-nous, concrètement, demander à des sociétés qui ont déjà suffisamment à faire pour gagner des marchés, développer leur activité et respecter le cadre réglementaire existant, d'être volontaires pour répondre à des objectifs sociaux et environnementaux, que vous mettez sur le même plan que les objectifs économiques ?

Vous semblez oublier que l'immense majorité des sociétés sont des très petites entreprises. Si les grandes entreprises peuvent financer un département entier consacré à leur responsabilité sociétale, cela ne peut pas être le cas de toutes les entreprises. Beaucoup de dirigeants de petites entreprises font preuve de bonne volonté pour répondre à des objectifs sociaux et environnementaux supplémentaires au cadre réglementaire, …

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