Intervention de Jean-Pierre Duport

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Jean-Pierre Duport, préfet :

J'ai plaisir à revenir à l'Assemblée nationale, que j'ai fréquentée pendant ma carrière administrative longue et variée, notamment lorsque je dirigeais ce qui s'appelait alors la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) – une période importante pour moi, dont je parle aujourd'hui parce que Jacques Chérèque est récemment décédé : il fut un grand ministre de l'aménagement du territoire, mais aussi un homme franc et direct, deux qualités qui sont selon moi essentielles pour un responsable politique.

Permettez-moi quelques commentaires sur la philosophie générale du texte. Le développement du rescrit – c'est-à-dire l'obligation pour l'administration d'expliquer aux citoyens et entreprises qui sollicitent son intervention quelle règle doit s'appliquer – est très opportun. Le rescrit est couramment pratiqué dans le domaine fiscal et, dans une moindre mesure, dans celui de l'urbanisme – le certificat d'urbanisme peut être assimilé à un rescrit, en quelque sorte. Le certificat de projet reprend la même méthode. Ce n'est pas simple : les expérimentations conduites avant même les travaux que j'ai menés sur l'autorisation environnementale unique montrent que le certificat de projet a été la procédure la moins utilisée par les pétitionnaires, et pour cause : les porteurs de gros projets savent qu'ils sont tenus de discuter en amont, ce qu'ils font sans qu'il soit nécessaire d'obtenir un tel certificat, tandis que les porteurs de petits projets y voient un marteau pour écraser une mouche. Seule une tranche limitée de porteurs de projets peut donc être intéressée par le certificat de projet.

Ce certificat, qui sert à fixer une règle pendant une période déterminée, peut en outre présenter une difficulté liée à l'application des règles et directives européennes. C'est pourquoi j'ai suggéré, dans mon rapport de février 2016 que vous avez bien voulu citer, que l'application des nouvelles dispositions soit reportée au terme des projets en cours d'instruction, de sorte qu'il ne soit pas nécessaire de recommencer une instruction au motif qu'une règle nouvelle aurait été adoptée. L'inconvénient de cette proposition tient à la nécessité de renouveler cette exigence texte par texte, loi par loi, décret par décret, afin de s'assurer qu'une disposition susceptible de produire des changements substantiels ne s'applique immédiatement que si des motifs d'intérêt général l'exigent.

J'ai surtout porté mon examen sur le chapitre III du texte, intitulé « Une administration qui dialogue », car telle doit être, selon moi, la philosophie de l'administration. De ce point de vue, la notion de référent unique qui figure à l'article 15 et qui fait écho aux différents rapports que j'ai récemment commis me semble extrêmement importante. Dans la conclusion de mon rapport sur l'unification des procédures et la fusion des autorisations visant à aboutir à l'autorisation environnementale unique, instituée par une ordonnance de début 2017, j'écrivais que l'administration devait fonctionner en « mode projet », notion que j'associe à celle de référent unique. L'administration doit partir du principe qu'elle poursuit un projet et organiser son travail en conséquence dans des délais rapides, de telle sorte que toutes les administrations marchent d'un même pas en ce sens. Ce n'est pas simple : il faut pour cela que les préfets exercent leur autorité avec souplesse et rigueur. Avec souplesse, car il n'est pas nécessaire que tout chef de projet soit nécessairement membre du corps préfectoral, ce qui pourrait susciter une certaine démotivation dans l'administration. Avec rigueur aussi : que le chef de projet soit issu de la direction départementale des territoires, de la direction de la cohésion sociale, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), des services de l'environnement ou de toute autre direction régionale, il doit disposer de toute l'autorité du préfet pour convoquer l'ensemble des autres administrations et, en cas de manquement à cette règle, il doit « pousser en mêlée », selon une expression couramment utilisée dans les pays de rugby comme le Sud-Ouest, que je connais bien pour en être originaire.

J'en viens à une autre mesure très importante, qui figure à l'article 33 : la simplification de la procédure d'enquête publique, dont je regrette qu'elle n'ait pas été mise en oeuvre dès la remise à Ségolène Royal et à Sylvia Pinel de mon premier rapport, au printemps 2015. Je suis convaincu que la forme actuelle de l'enquête publique doit évoluer de manière substantielle et que le débat doit se tenir en amont. Je prendrai pour exemple la question du barrage de Sivens, puisqu'elle est revenue dans l'actualité à l'occasion d'une décision de justice concernant les gendarmes impliqués dans la mort de Rémi Fraisse. Le débat public avec les citoyens ne doit pas avoir lieu lorsque le projet est déjà arrêté mais en amont. Pour assurer l'alimentation en eau des agriculteurs du Tarn, plusieurs options sont envisageables : la construction d'un grand barrage ou de plusieurs barrages moyens, ou encore la multiplication des retenues collinaires, fréquentes dans le bassin de l'Adour et de la Garonne – où elles sont été bâties sous la responsabilité de la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne. C'est à ce moment-là que la discussion doit avoir lieu, que toutes les personnes intéressées doivent manifester leur opinion et contester le cas échéant les conditions d'irrigation envisagées.

Or, le « garant » – appellation que j'avais choisie dans mon rapport et qui a ensuite été reprise dans les dispositions instituant cette fonction – chargé de mener le débat n'a pas forcément le même profil que le commissaire enquêteur traditionnel, lequel s'apparente davantage à un notaire ou à un greffier – étant entendu que je n'ai rien, cela va de soi, contre ces professions. Le garant, quand à lui, doit posséder une connaissance assez fine du sujet pour mener un débat de fond, et non pas seulement sur la forme. Le recrutement et la formation de garants sont en cours, dans des conditions très satisfaisantes. Ainsi, les ordonnances de l'été 2016 qui prévoient la tenue d'un débat en amont vont dans le bon sens.

J'avais néanmoins proposé dans mon rapport que dès lors que le débat public a eu lieu en amont, le débat public en aval, lorsque le projet est déjà figé, soit simplifié en s'inspirant de l'article L. 120-1 du code de l'environnement qui prévoit l'information du public tout au long de la mise au point d'un projet. Il va de soi, en effet, qu'une fois le projet arrêté par le maître d'ouvrage, il ne faut pas interrompre la discussion avec le public, mais elle peut être poursuivie sous la forme d'une information sans qu'il soit nécessaire de recommencer une procédure d'enquête publique en confiant la désignation d'un commissaire enquêteur au président du tribunal administratif et en ouvrant la possibilité – rarement exploitée – d'une remise en cause des conclusions de la commission d'enquête.

Je précise à cet égard, pour avoir auditionné les présidents de tribunaux administratifs, qu'ils confient souvent la présidence des commissions d'enquête à des agents de catégorie B ou C ; il ne faut pas croire qu'ils s'investissent dans tous les travaux et décisions desdites commissions. Gardons-nous donc de trop valoriser le rôle du président du tribunal administratif dans ce mécanisme.

Quoi qu'il en soit, ma proposition n'a pas été suivie, puisqu'il a été décidé de maintenir une procédure d'enquête publique, bien que la dématérialisation ait été – insuffisamment – développée. L'article 33 me semble donc aller dans le bon sens. Les commissaires enquêteurs trouveront leur rôle dans ce dispositif – outre le fait que bon nombre d'entre eux, comme je l'espère, deviendront garants. Il leur appartiendra de suivre la procédure et de veiller à la bonne information et à l'association du public. Quant à la dématérialisation de l'examen des amendements, c'est une forme de progrès.

La simplification que constitue la concertation en amont n'a de sens que si l'on simplifie la concertation en aval, sans quoi deux procédures coexisteraient en lieu et place d'une seule, chacun reconnaissant par ailleurs que l'efficacité de la procédure en aval est limitée. Il est vrai que ma proposition n'a pas suscité l'enthousiasme des commissaires enquêteurs ni de leur association, mais j'y vois une transformation de leur métier, et non la remise en cause de leur légitimité. Ces personnes, le plus souvent retraitées, ont un regard de sage, et il est judicieux de leur confier un rôle de pivot à la commission nationale du débat public. Je suis convaincu – ce n'est pas toujours le cas de mes collègues préfets – de l'importance du débat public. Dans de précédentes fonctions, j'ai vécu l'épisode du passage de la ligne à grande vitesse Lyon-Marseille à travers les vignobles des Côtes-du-Rhône, qui a donné lieu à une circulaire prise par M. Bianco, et je sais qu'une concertation en amont sur l'itinéraire aurait permis de résoudre des problèmes, d'atténuer les tensions et d'éviter d'interminables discussions ultérieures concernant le tracé de la ligne.

Je ne m'attarderai pas sur les éoliennes, car la disposition les concernant n'est pas un élément central du texte, mais elle me semble, elle aussi, aller dans le bon sens.

Vous m'interrogez, monsieur le rapporteur, sur les mesures manquantes. Au risque de choquer certains d'entre vous même si, en vertu de la règle du non-cumul, il n'y a plus de maires parmi vous, je suis peiné du fait que l'on engage des travaux de simplification et que l'on demande à l'administration de se mobiliser – je pense au le décret de juillet 2015 visant à ramener à cinq mois les délais d'octroi des permis de construire – alors que, dans le même temps, les collectivités locales imposent de nouvelles règles informelles sans base juridique qui ralentissent la procédure. De nombreux élus à qui je faisais cette remarque m'ont objecté que je réagissais en préfet, et qu'ils étaient maîtres chez eux. Ne faudrait-il pas encadrer les dispositions que les collectivités locales sont susceptibles d'ajouter aux procédures d'urbanisme et d'aménagement sur une base légale non fondée ? En effet, telle règle imposant des toits à deux pentes et telle autre des volets verts ou jaunes, parfois supprimées dans les plans locaux d'urbanisme, réapparaissent de manière informelle ; c'est problématique. Certes, il est difficile d'agir dans ce domaine : un maire dispose de tous les moyens nécessaires pour ralentir l'instruction d'une demande de permis de construire, dans le monde de la promotion comme dans celui de la construction sociale, si ses préférences ne sont pas respectées. Il faut donc conduire un travail collectif : à quoi sert que les parlementaires et l'administration s'échinent à proposer des mesures de simplification si, in fine, des procédures sont tout de même ajoutées ? C'est un sujet délicat.

Il n'y a pas selon moi d'autres mesures manquantes au texte. Je conclurai en disant ceci : il ne s'agit pas d'un « match pour ou contre » les élus ou les pétitionnaires, monsieur le rapporteur. L'administration est au service de l'intérêt général. Je pense à un projet situé à Lalinde, dont la demande d'autorisation environnementale unique était en phase d'instruction : dès lors qu'il a été jugé utile à l'aménagement du territoire local, il appartient à l'administration de s'assurer qu'il sera mis en oeuvre dans de bonnes conditions. D'expérience, je sais que l'administration travaille dans cette logique du « pour ». Il arrive que certains aient une attitude différente, mais les préfets souhaitent le développement de leur territoire. À cet égard, je dirai qu'un bon préfet – j'en faisais un critère de désignation lorsque j'ai eu à prononcer un avis sur la nomination de préfets – doit posséder des qualités d'empathie avec les hommes et les femmes avec lesquels il doit travailler, mais aussi avec leur territoire. La première qualité d'un préfet est d'aimer son territoire ; en ce qui me concerne, j'ai aimé la Seine-Saint-Denis et les territoires où j'ai travaillé.

S'agissant de l'expérimentation, enfin, j'en suis un fervent partisan. Plusieurs dispositions ont visé à en étendre la possibilité dans le domaine de l'urbanisme et de la construction ; l'article 26, notamment, a trait à l'obligation de résultats et de moyens. Nous avions déjà tenté de prendre des initiatives similaires avec Paul Quilès et Pierre Méhaignerie ; j'étais alors directeur de l'urbanisme. Il faut être attentif à la question de l'assurance. L'administration est innovante, et moins sclérosée qu'on ne le croit parfois ; encore faut-il que l'assureur ne décide pas de n'assurer que si le projet respecte le document technique unifié (DTU) et, dans le cas contraire, de ne pas assurer ou de le faire moyennant une surcote de la police d'assurance. L'expérimentation est opportune, mais il faudra veiller à négocier avec les compagnies d'assurance pour éviter tout frein, sans quoi les expérimentations seront moins nombreuses qu'on ne le souhaite. C'est un problème ancien qui concerne un document, le DTU, sans base réglementaire. Il faut travailler sur ces règles de l'art, en quelque sorte, afin que l'ensemble des acteurs en tiennent compte. Autrement, on se sera fait plaisir en adoptant des mesures législatives et réglementaires prévoyant l'expérimentation mais elles n'auront pas été concrètement traduites dans les faits.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.