Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du mardi 1er février 2022 à 15h00
Influence de la diplomatie française

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Alors que certains voient encore dans la diplomatie d'influence une espèce de violon d'Ingres pour ambassadeurs en quête de supplément d'âme – j'ai pu constater que ce n'était pas votre perception –, la diplomatie culturelle et d'influence est en réalité un levier de puissance à part entière.

C'est d'abord un levier de puissance de la vie internationale au sens où elle donne de la profondeur aux liens politiques que nous tissons avec nos partenaires. Dans certains cas, il est même frappant de voir qu'elle précède la constitution de liens politiques et qu'elle subsiste jusque dans les moments où ceux-ci ne sont plus tenables.

Nous pouvons le constater en Afghanistan, où nous étions présents avant même de reconnaître ce pays et d'entretenir des relations diplomatiques avec lui, grâce aux archéologues français dépêchés sur place il y a un siècle. Aujourd'hui, nous accueillons sur notre sol les archéologues afghans que des générations d'archéologues français ont formés au cours de ces années. Cela montre bien ce que la diplomatie d'influence représente comme levier de puissance.

Notre diplomatie d'influence est également un levier de puissance dans la compétition économique mondiale, au sens où elle sert l'attractivité touristique. Elle sert aussi la projection à l'international de nos industries culturelles et créatives, qui représentent plus d'un million d'emplois en France, font partie des secteurs les plus dynamiques à l'export et ont un rôle majeur à jouer pour aider à la relance internationale des filières culturelles françaises et francophones. Je pense à la coopération avec l'Inde dans le domaine du cinéma ; je pense aux séries françaises et à la consécration de Dix pour cent aux Emmy Awards de novembre dernier ; je pense au Gaming Summit Indonesia du 2 novembre 2021, première rencontre professionnelle franco-indonésienne pour les jeux vidéo en ligne. Tout cela permet à la fois de l'échange, de la compréhension, de l'influence, mais aussi de l'activité économique sur notre propre territoire.

Surtout, la diplomatie culturelle et d'influence est un levier de puissance dans les nouvelles batailles de modèles et de valeurs, au sens où elle nous donne des outils concrets pour construire, avec nos partenaires du monde entier, une réponse humaniste aux grands défis environnementaux, technologiques et géopolitiques du XXIe siècle. Je ne pourrais pas mieux dire que ce qu'a dit tout à l'heure le président Bourlanges, n'ayant pas son talent oratoire, sur le fait que la diplomatie d'influence doit contribuer à la fabrication d'un modèle fondé sur l'échange.

J'ajoute, puisque beaucoup d'entre vous ont évoqué le soft power et le hard power, ce que j'ai déjà dit à plusieurs reprises : à mon sens, cette distinction n'a plus beaucoup de sens aujourd'hui. Nous vivons dans un monde où la brutalisation et la déstabilisation se déploient de plus en plus en suivant les voies de l'hybridité stratégique et opérationnelle ; où des manipulations de l'information en ligne ont servi récemment à orchestrer des manifestations hostiles à notre pays et à ses intérêts ; un monde où les ruines de la cité antique de Palmyre ont servi aux mises en scène macabres de Daech avant de subir leur folie destructrice ; un monde où alors que les mercenaires de la société Wagner prenaient pied en Centrafrique, un long métrage à grand spectacle diffusé dans un stade de Bangui glorifiait cet engagement ; un monde où des séries télévisées pseudo-historiques initiées par la Turquie et le régime que représente M. Erdogan accompagnent le déploiement de stratégies révisionnistes qui déstabilisent des régions entières ; un monde où certaines puissances investissent massivement dans des universités étrangères pour y faire taire toute forme de critique à leur encontre.

Il est donc clair à mes yeux que le soft power dans un tel monde est souvent du hard power qui ne dit pas son nom – M. Christophe Naegelen l'a rappelé tout à l'heure –, dans la mesure où aucun domaine n'échappe désormais à la compétition stratégique. Pour le dire autrement, le champ de l'influence constitue un nouvel espace contesté, au même titre que les océans ou le domaine spatial : dans cet espace de rivalité, nos compétiteurs sont prêts à engager des moyens considérables pour prendre le dessus – à titre d'illustration, je vous rappelle que, depuis 2017, l'agence de presse chinoise Xinhua a ouvert pas moins de vingt bureaux en Afrique ! Nous ne pouvons être exclus de cet espace d'importance stratégique, sous peine de devoir renoncer à peser dans la mondialisation. C'est pourquoi, dès 2017, j'ai fait du renforcement de notre outil d'influence une priorité de l'action de mon ministère.

Une priorité budgétaire d'abord : je vous remercie de m'avoir soutenu dans ce combat jusqu'au projet de loi de finances pour 2022 qui consacre, après la stabilisation des dernières années, une augmentation significative des moyens alloués à notre réseau culturel et de coopération – même je ne suis pas d'accord avec certains des propos tenus par M. Jean-Hugues Ratenon, je le remercie d'avoir rappelé que j'avais mis fin à l'hémorragie des ressources humaines au Quai d'Orsay.

Une priorité face à la crise sanitaire, ensuite : nous avons mobilisé énormément de moyens pour garantir la poursuite de l'activité du réseau scolaire français à l'étranger. Nous avons été l'un des seuls pays à le faire parce que nous disposons du premier réseau scolaire au monde et que des engagements financiers très significatifs ont été pris pour le maintenir.

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