Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du lundi 22 janvier 2018 à 17h00
Nouveau traité de l'Élysée — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le président du Bundestag, chers collègues, chers invités, monsieur le ministre d'État, madame la ministre, à la suite du président François de Rugy, nous vous souhaitons la bienvenue pour cette séance à l'Assemblée nationale, qui fait suite à celle tenue ce matin au Bundestag où vous avez accueilli une délégation de nos collègues, à l'occasion du cinquante-cinquième anniversaire du traité de l'Élysée, signé le 22 janvier 1963. Ces deux séances permettront de réaffirmer l'attachement et l'amitié de nos deux pays, grâce au projet de résolution soumis à notre vote, dont le but est de resserrer encore un peu plus les liens qui unissent nos pays et nos peuples.

Pourtant rien n'était joué d'avance. Le 22 janvier 1963, alors que la première génération d'après-guerre n'avait même pas encore atteint la majorité, le Président de la République Charles de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer signaient le traité de coopération dit « de l'Élysée », destiné à sceller la réconciliation entre la France et la République Fédérale d'Allemagne.

Nous saluons ces deux grands hommes d'État, qui ont eu le courage de penser qu'il était possible, non seulement de réconcilier ces deux peuples qui s'étaient tant affrontés, mais même d'unir leurs destins, sortant par là même du rôle d'adversaires privilégiés dans lequel l'histoire les avait enfermés au fil du temps. Adenauer et de Gaulle ont réussi à donner corps à leur espoir, à leur désir de paix dans un traité offrant les conditions de l'amitié entre l'Allemagne et la France. Face à l'histoire, ils ont su s'élever au-dessus des passions encore brûlantes et des rancoeurs toujours vives pour bousculer les certitudes et pour que nos pays avancent enfin main dans la main.

Nos prédécesseurs caressaient l'espoir que le traité de l'Élysée ouvrirait effectivement la voie à une nouvelle étape dans l'histoire des relations franco-allemandes, une étape conduisant vers la fraternité. Mais la fraternité, ce n'est pas la facilité des poignées de mains ou des embrassades officielles. Elle nécessite la profondeur d'un engagement partagé progressivement par nos peuples et sa transmission de génération en génération.

Depuis maintenant plus de cinquante-cinq ans, nos deux peuples ont honoré la parole donnée lors de la signature du traité de l'Élysée, en préservant l'amitié franco-allemande et en permettant la naissance de la construction européenne. Les décennies qui se sont écoulées ne sont pas des chiffres abstraits, elles constituent une réalité et un tournant historique pour l'Europe qui n'avait jamais connu de période de paix aussi longue, mais aussi pour les avancées des projets communs et européens.

Une autre figure illustre de l'Europe, Winston Churchill, avait, lui aussi, eu cette prescience du nécessaire rapprochement entre la France et l'Allemagne pour stabiliser et refonder la famille européenne. C'est lors de son discours de Zurich, en 1946, s'adressant aux jeunes Européens, que Churchill prononça cette phrase, qui résonne aujourd'hui comme une prophétie : « le premier pas vers une refondation de la famille européenne des peuples doit être l'instauration d'un partenariat entre la France et l'Allemagne ».

La France et l'Allemagne ont entendu cet appel. C'est ainsi que fut créée la Communauté européenne du charbon et de l'acier, qui forma les prémices de l'Union européenne. Aujourd'hui, nous sommes conscients, bien plus peut-être qu'à l'époque, de l'importance que revêtaient la réconciliation et l'amitié franco-allemandes, non seulement pour la relation entre nos deux pays, mais plus encore pour l'Europe tout entière. Cet acte revêtait pourtant une valeur essentiellement symbolique, garantissant une amitié fraternelle entre deux anciens ennemis après un siècle de rivalités, instaurant une paix durable et instituant une nouvelle forme de concertation à la tête de la Communauté économique européenne, qui deviendra trente ans plus tard l'Union européenne.

Le traité de l'Élysée est allé au-delà des espérances de ses inspirateurs, contribuant à maintenir pendant plus d'un demi-siècle la paix entre la France et l'Allemagne, renforçant les liens entre nos deux pays et permettant par là même la création du duo moteur qui fait avancer l'Union européenne.

Face à cet héritage, la tâche qui nous incombe ne peut se résumer à un simple exercice de mémoire. Tout au long de ces décennies, ceux qui ont succédé au général de Gaulle et à Konrad Adenauer ont veillé à entretenir et à cultiver le sentiment d'amitié entre nos deux pays, en y ajoutant à chaque étape de nouveaux projets : la création d'Airbus, la création du marché unique, la réunification de l'Allemagne approuvée et soutenue par la France, la création de l'euro.

Cette amitié n'est pourtant pas un long fleuve tranquille ; elle a, bien évidemment, connu durant ces cinquante dernières années des phases de passions et de désaccords, mais, dans le respect de nos intérêts respectifs et communs, nous les avons toujours surmontées – heureusement pour nos deux pays comme pour l'ensemble du projet européen.

L'amitié entre la France et l'Allemagne a toujours été au service de la construction européenne et des valeurs que nous partageons. Ce partenariat nous est précieux, indispensable ; il l'est aussi pour les autres pays européens, car il est indissociable de la construction européenne. L'Europe ne peut pas avancer sans l'Allemagne et la France.

Nos deux pays ont donc la charge de remettre sur les rails une Europe en crise, politique, économique et sociale. Et nous savons gré au Président de la République d'avoir clairement posé le débat devant tous nos partenaires européens. L'Europe fonctionne mal, et parfois ne fonctionne pas, car nous l'avons laissée au milieu du gué, repoussant indéfiniment des décisions indispensables, mais qui demandent du courage. Nous lui confions trop de missions pour lesquelles elle n'est pas indispensable, tout en refusant de lui confier ce qui est essentiel et que nous faisons moins bien séparés qu'ensemble.

À nos yeux, soit l'Europe avancera fortement dans les toutes prochaines années, soit nos pays reculeront et finiront par se recroqueviller. Nous ne serons alors plus capables de défendre nos intérêts face aux autres grands ensemble mondiaux. Or, derrière nos intérêts, il y a nos modes de vie, nos cultures, les valeurs humanistes de la civilisation européenne. Voilà, en réalité, le véritable enjeu de la construction européenne, qui n'est pas seulement, comme on l'entend trop souvent de la part de dirigeants frileux ou aveugles, une simple construction économique.

Pour bâtir cet avenir à l'Europe, l'entente franco-allemande sera plus que jamais indispensable. L'enjeu n'est plus simplement de faire la paix entre nous, mais de réussir à créer un ensemble fédéré à même de garantir notre sécurité, de rétablir des rapports économiques équitables au sein de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, de renforcer notre indépendance technologique, d'assurer l'harmonisation économique et sociale progressive de nos pays sans laquelle le marché unique perdra rapidement sa légitimité, de partager les efforts de préservation de l'environnement, et d'assurer le co-développement du continent africain, notre voisin.

La France vient de choisir une nouvelle Assemblée nationale ; le Bundestag est tout juste sorti des urnes et cherche sa majorité. Les parlementaires de nos deux pays auront la responsabilité historique d'accompagner, et au besoin d'aiguillonner, nos chefs d'État et de Gouvernement, en bâtissant des majorités déterminées à fédérer les pays d'Europe qui veulent reconquérir des souverainetés qui ne soient pas que d'apparence, et partager progressivement les mêmes règles économiques et sociales – quitte à ce que ces majorités dépassent les clivages politiques traditionnels, quitte à ce qu'un groupe de pays autour de nous soient à nouveau les pionniers de cette Europe nouvelle.

C'est aussi ce grand débat que nous aurons l'an prochain, à l'occasion de l'élection du nouveau Parlement européen post-Brexit. Londres a, hélas ! souvent empêché l'Union européenne d'avancer ; le départ des Britanniques donne à Paris et Berlin la responsabilité et l'occasion de rendre l'Europe plus cohérente et plus puissante, accompagnés par tous les pays qui le voudront.

La France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière, par leur histoire, leur géographie, leur puissance économique ; elles doivent réaffirmer la qualité de leur relation, pour elles comme pour l'Europe, et trouver ensemble un nouveau souffle. Un des axes de cette rénovation devrait être, à nos yeux, de mieux intégrer les parlements nationaux dans le coeur fédéré de l'Europe.

Curieusement, au sein de l'Union européenne, nous sommes tellement habitués à cet état de paix permanent, d'amitié et de coopération que la plupart de nos concitoyens, n'ayant jamais connu autre chose au cours de leur vie, le vivent comme une pure et simple évidence. Cette évidence a souvent, sans doute, fait oublier le véritable sens du projet européen : le partage et la protection d'une culture et de valeurs partagées, façonnées par plus de 2 000 ans d'histoire et de civilisation communes, et qui dépendent de notre capacité à garantir notre sécurité et à défendre nos intérêts.

Nous nous remémorons et nous saluons ce qu'a été notre histoire après ce traité de l'Élysée. À nous d'écrire une nouvelle page, et d'ouvrir des perspectives à la hauteur de l'héritage que nous avons reçu. Nous devons le faire dans la continuité du traité de l'Élysée.

C'est pourquoi cette proposition de résolution revêt une réelle importance symbolique. Elle est issue d'un travail de rédaction commun, coordonné par les présidents de nos deux assemblées, et associant notamment les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, le président du groupe d'amitié France-Allemagne et des représentants de toutes les formations politiques. Cette initiative d'origine parlementaire est hautement symbolique, parce qu'elle n'est pas issue d'une discussion entre les exécutifs des deux pays et vise à renforcer le rôle des assemblées dans la coopération franco-allemande.

Souhaitons que nos Gouvernements l'entendent et y veillent. Souhaitons également que nos parlements prennent désormais réellement l'habitude de travailler ensemble, au-delà des symboles.

Parce que nous sommes fortement attachés à l'amitié franco-allemande, parce que celle-ci représente le moteur indispensable de la transformation de l'Europe que nous appelons de nos voeux, le groupe UDI, Agir et indépendants votera ce projet de résolution, dans l'espoir qu'il marque une nouvelle étape dans le rapprochement de la France et de l'Allemagne, permettant à l'Europe de reprendre enfin son chemin vers l'unification.

1 commentaire :

Le 24/01/2018 à 09:21, Laïc1 a dit :

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" le départ des Britanniques donne à Paris et Berlin la responsabilité et l'occasion de rendre l'Europe plus cohérente et plus puissante, accompagnés par tous les pays qui le voudront."

Une Europe moins anglophone aussi et surtout.

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