Intervention de Nathalie Loiseau

Séance en hémicycle du lundi 22 janvier 2018 à 17h00
Nouveau traité de l'Élysée — Discussion générale

Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes :

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le président du Bundestag, monsieur le ministre d'État, mesdames et messieurs les députés français et allemands, oui, la relation franco-allemande est unique. Nous le savons et en sommes fiers. Mais avec cette certitude vient un risque, celui d'avoir tellement intégré le réflexe franco-allemand que nous finissons par croire qu'il va de soi.

Rien n'est plus facile, et pourtant rien ne serait plus dangereux : c'est bien pour cela que cette journée exceptionnelle – par les séances organisées tant au Bundestag ce matin que cet après-midi à l'Assemblée nationale – offre une occasion bienvenue de redécouvrir le sens profond du couple franco-allemand.

Au nom du Gouvernement, je remercie les présidents Wolfgang Schäuble et François de Rugy pour cette initiative sans équivalent. Adopter – dans les mêmes termes et le même jour – au Bundestag et à l'Assemblée nationale une résolution sur la relation franco-allemande et le traité de l'Élysée, dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire, revient à marquer de la façon la plus claire à la fois nos identités singulières mais aussi, et surtout, notre détermination profonde et totale à coopérer dans tous les domaines et à faire, ensemble, avancer l'Europe.

La résolution qui vous est soumise s'ouvre par une formule à la fois simple et juste : « L'amitié franco-allemande est un don précieux hérité de l'histoire. » Nous en avons hérité de ceux qui nous ont précédé, et d'abord du président Charles de Gaulle et du chancelier Konrad Adenauer, qui ont su, après les tragédies du XXe siècle, poser les jalons d'un rapprochement durable, en liant d'emblée amitié franco-allemande et construction européenne.

Ce don nous vient de dirigeants politiques qui, au-delà de leur appartenance politique, ont su se montrer visionnaires en mettant en place, par le Traité de l'Élysée, des mécanismes simple et robustes qui ont rencontré un immense écho dans nos deux pays.

Car ce sont les citoyens de nos deux pays qui se sont appropriés ce même traité et qui ont permis, depuis cinquante-cinq ans, de faire de nos deux nations, si longtemps ennemies, plus que des partenaires : des nations soeurs.

Au-delà de la densité exceptionnelle de nos relations institutionnelles, la vraie spécificité de notre lien tient en effet à la proximité de nos sociétés ainsi qu'à leur volonté profonde et partagée de travailler ensemble. En 1963, dix-huit ans seulement après la fin du deuxième conflit mondial, cela n'allait pas de soi : il fallait l'audace de Charles de Gaulle et de Konrad Adenauer pour signer un traité qui instaurait de multiples mécanismes de coopération. Il allait notamment permettre des échanges de jeunes – grâce à l'Office franco-allemand pour la jeunesse, l'OFAJ – ainsi que de nombreux partenariats directs entre nos territoires. Un lien intime est donc né de cette décision : les villes, les villages, les familles se rencontrent depuis cinquante-cinq ans.

Je rappelais tout à l'heure que notre génération a eu la chance immense d'hériter de cette amitié entre nos deux peuples, entretenue depuis 1963 par chaque tandem de président français et de chancelier allemand. Si c'est un capital formidable, c'est aussi une responsabilité, celle non pas de gérer une rente mais de continuer à bâtir. Que dirions-nous sinon aujourd'hui, tant à ceux qui ont donné leur vie lors des conflits sanglants entre nos deux pays qu'aux pères fondateurs de la construction européenne ainsi qu'à tous ceux qui ont patiemment démontré que nos désaccords – parfois profonds – pouvaient se résoudre par le droit et par la négociation au sein de ce qui n'est qu'une même famille, la famille européenne ? Cette filiation nous oblige. C'est un appel à l'ambition et à un nouveau souffle : nous devons donc, tout en reconnaissant que l'Europe d'aujourd'hui fait face à de nouveaux défis, conserver cet esprit pionnier.

Dans un monde à la fois plus ouvert, mais aussi plus instable et toujours injuste, protéger les citoyens européens, c'est affronter le terrorisme mais aussi définir et défendre une mondialisation régulée. Si nous le faisons à titre national, c'est rassemblés au sein de l'Union européenne que nous pouvons véritablement agir.

Pour cela, le couple franco-allemand est déterminant : il nous revient en effet de définir des priorités communes et d'agir auprès de nos partenaires européens, mais aussi de renforcer encore notre coopération bilatérale. Nous sommes en effet bien loin d'avoir épuisé tout le potentiel de notre relation.

Le traité de l'Elysée, complété à plusieurs reprises par des protocoles additionnels, est le socle de notre coopération. Le Président de la République a proposé d'élaborer un nouveau traité de l'Elysée et de donner à la relation franco-allemande un nouvel élan qui réponde aux défis d'aujourd'hui.

Trois objectifs concrets doivent notamment nous servir de lignes directrices : développer notre coopération au service du projet européen et de la sécurité en Europe ; préparer nos économies à l'avenir et encourager leur convergence ; rapprocher et relier les sociétés comme les citoyens.

Sur le premier point, l'engagement européen, la coopération franco-allemande doit – bien sûr – continuer, dans le cadre de l'Union européenne, de servir une vision partagée de notre avenir commun. Quand on analyse l'histoire de la construction européenne, force est de constater que chaque progrès a d'abord reposé sur un accord entre la France et l'Allemagne. À tous les niveaux, et plus encore aujourd'hui, alors que nous travaillons à refonder l'Europe, nous devons échanger et définir des compromis qui servent ensuite le projet européen. Ce n'est pas toujours facile, car il n'est pas rare que nos positions de départ divergent, mais c'est précisément ce qui fait la valeur européenne du couple franco-allemand.

Pour autant, la coopération franco-allemande n'a vocation ni à l'exclusivité, ni à l'enfermement : c'est tout l'inverse. Elle est une condition nécessaire, mais en aucun cas suffisante, des progrès de l'Union européenne, et notamment de la zone euro. Nous devons ensemble convaincre et entraîner nos partenaires, comme nous l'avons fait dans le domaine de la défense avec le lancement de la coopération structurée permanente et le projet de fonds européen de défense.

La coopération franco-allemande doit accompagner et préparer au mieux nos économies et nos sociétés aux transformations qui s'annoncent. Face à la mondialisation comme à la révolution numérique, nos deux économies sont en effet confrontées à des défis similaires. Aussi devons-nous avancer vers une plus grande intégration économique, y compris sur le plan fiscal. Adaptons-nous ensemble aux enjeux du XXIe siècle que sont la transition écologique, la révolution numérique et l'innovation de rupture. Promouvons une convergence sociale par le haut, comme nous l'avons fait au sein de l'Union européenne en dégageant, en octobre dernier, un accord en Conseil des ministres pour modifier la directive sur le détachement des travailleurs.

Cette coopération doit s'ancrer dans le quotidien des citoyens de nos deux pays. Dès l'école, il nous faut donner une nouvelle dynamique à l'apprentissage de la langue du partenaire. Je voudrais rappeler ici l'effort majeur que nous avons mené à ce sujet, dès la rentrée de septembre 2017, avec le rétablissement des classes bilangues. Nous espérons qu'un effort similaire pourra être conduit par les Länder allemands, car le multilinguisme constitue pour nos jeunes un passeport pour l'emploi tout autant qu'un élément indispensable de leur formation.

Dans le domaine de l'apprentissage et de la formation professionnelle, nous portons au plan national des projets ambitieux de réforme : nous souhaitons en effet développer les échanges d'apprentis tout autant que les formations conjointes.

C'est indispensable si l'on veut faire d'Erasmus + une véritable chance pour tous les jeunes. Comment se résigner à ce que la mobilité européenne soit réservée aux seuls étudiants inscrits dans des cursus classiques d'études supérieures ? Jean Arthuis vient d'ailleurs de faire en la matière des propositions très fructueuses qui seront très prochainement examinées par le Gouvernement.

Il existe également une coopération franco-allemande, plus discrète parfois mais souvent très efficace, et dont on ne parle pas assez : la coopération transfrontalière. Je sais, monsieur le président Schäuble, que vous y êtes tout particulièrement sensible. Des régions comme le Bade-Wurtemberg ou l'Alsace mesurent combien une frontière commune doit aujourd'hui constituer un pont et une opportunité en termes de croissance et d'emploi.

Faisons de nos 450 kilomètres de frontières communes au coeur de l'Europe un laboratoire de nouvelles mobilités et de nouvelles simplifications ! Expérimentons ici ce qui pourra demain faciliter la vie quotidienne de dizaines de millions d'Européens vivant à proximité d'une frontière. À nous de saisir pleinement cette chance et de faire de nos régions frontalières des espaces de coopérations perceptibles dans tous les aspects de la vie quotidienne : la langue et la formation ; l'amélioration de la mobilité et l'intégration de nos réseaux de transports publics ; la santé et le rapprochement de nos législations fiscales et sociales et, enfin, l'accès à l'emploi. Dans tous ces domaines, nous pouvons faire plus encore.

Vous le voyez, nous portons l'ambition d'un traité de l'Elysée profondément révisé. Le Président de la République et la chancelière se sont rencontrés vendredi dernier. Nous commencerons formellement les travaux d'experts dès que les conditions juridiques nécessaires seront remplies en Allemagne.

Si la France et l'Allemagne sont attendues par leurs partenaires européens, elles le sont d'abord par leurs propres populations et – ce qui est enthousiasmant – par les jeunes de nos deux pays. Je rencontrais ce matin une délégation de jeunes de l'OFAJ qui voulaient présenter leur vision d'un « traité de l'Élysée 2. 0 ». Les consultations citoyennes sur l'Europe, que nous mènerons avec plus d'une dizaine d'États membres entre le printemps et l'automne, constitueront une bonne occasion pour la France comme pour l'Allemagne de mieux comprendre ce que les populations attendent de la construction européenne. Elles nous aideront à refonder l'Europe.

Mesdames et messieurs les députés français et allemands, au moment où cette proposition de résolution va être mise aux voix, je salue votre volonté d'adresser un message franco-allemand d'unité, de détermination et d'amitié qui va bien au-delà des intérêts politiques de court terme et qui fait écho à la déclaration commune de la chancelière et du Président de la République.

Je veux vous dire ici toute ma fierté de représenter le Gouvernement dans cette séance solennelle, qui témoigne que nos deux pays peuvent donner le meilleur d'eux-mêmes et, ainsi, construire une Europe meilleure.

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