Intervention de Antoine Petit

Réunion du mardi 16 janvier 2018 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Petit :

Vous m'avez demandé si je serai un président optimiste : je pense que oui, car il est obligatoire d'avoir cet état d'esprit – en s'y forçant un peu, au besoin – quand on dirige une structure : à défaut, je ne vois pas comment cela pourrait marcher. En tout état de cause, je crois au rôle de la recherche et de la science dans la constitution d'une société de progrès, et je suis tout particulièrement persuadé de l'importance du CNRS.

Cela dit, l'optimisme ne doit pas être confondu avec la naïveté, et il faut bien tenir compte des réalités budgétaires. Je connais le budget du CNRS dans ses grandes lignes, et je sais que le rapport de Rémi Quirion, que vous avez cité, indique qu'il manque 350 millions par an. Pourquoi 350 plutôt que 340 ou 360, je n'en sais rien, mais je crois que le message que l'auteur a voulu faire passer, c'est que si nous avons la chance d'avoir l'un des meilleurs centres au niveau international, c'est parce que nous avons su investir quand il le fallait, et que si nous voulons être certains de continuer à bénéficier d'une recherche de qualité, nous devons continuer à investir aujourd'hui pour la recherche de demain.

Cela rejoint la question du caractère attractif de la recherche française, et un sujet un peu tabou en France, mais qu'il faudra avoir un jour le courage d'aborder, celui de la rémunération des chercheurs. Aujourd'hui, un chercheur qui débute après avoir fait une thèse et un, voire deux post-doc – on parle donc d'un bac plus 10 ou 12 ans –, va se voir proposer, dans le meilleur des cas, 2 500 euros brut par mois. Dans ces conditions, il faut vraiment avoir une forte motivation, surtout si on vous propose le double dans un pays voisin !

Si le CNRS réussit tout de même à attirer des gens du monde entier, c'est que les jeunes chercheurs ne sont pas mus uniquement par l'argent, mais aussi par l'environnement scientifique dans lequel ils vont travailler : la recherche étant essentiellement un travail collectif, elle doit se faire dans un environnement propice – si une personne est placée au milieu de nulle part, elle ne fera pas de la recherche dans de bonnes conditions, même si elle est payée un million d'euros par mois.

Cela dit, le sort réservé aux chercheurs en région parisienne, où la vie est chère, n'est pas digne de notre pays. Ainsi, il n'est pas normal que les jeunes chercheurs aient des difficultés à louer un appartement, et doivent pour cela fournir la caution de leurs parents : c'est un sujet de société sur lequel nous devons avoir le courage de nous pencher un jour. Si nous continuons à attirer de très bons chercheurs en France, c'est grâce à des solutions un peu bricolées – notamment les doubles positions que j'ai évoquées tout à l'heure –, et nous pouvons sans doute faire mieux. Que des Français partent à l'étranger, je n'y vois rien à redire, du moment que la circulation des cerveaux se fait dans les deux sens : il faut veiller à rester attractifs pour qu'il continue à en être ainsi car, si nous n'attirions plus de chercheurs étrangers, ce serait une catastrophe.

Je ne dispose pas des chiffres précis au sujet de la répartition des personnels du CNRS en fonction des régions. Il peut y avoir de l'excellence partout mais, plutôt que d'exiger un continuum d'excellence, nous devons être capables d'isoler les niches d'excellence quand il y en a, et accepter que certaines petites universités puissent être très bonnes dans un domaine et un peu moins dans d'autres. En tout état de cause, il ne faut pas demander au CNRS de faire de l'aménagement du territoire : il a vocation à soutenir l'excellence où qu'elle soit, mais seulement l'excellence. Cela implique de bien travailler avec les universités afin de déterminer les sujets sur lesquels le Centre peut encore renforcer l'excellence.

Pour ce qui est des sciences participatives et des neurosciences en matière d'éducation, je vais utiliser un joker, car je ne suis pas un spécialiste de cette question, qui doit s'appuyer sur des études extrêmement précises. Je dirai cependant que, si les notions de sciences participatives et citoyennes me semblent très intéressantes, il ne faut pas perdre de vue qu'être scientifique, c'est un métier : on ne s'improvise pas expert dans un domaine après avoir suivi une formation accélérée de deux jours ! Certes, il est extrêmement important qu'il y ait des interactions entre le monde scientifique et la société, mais nous devons rester vigilants sur toutes les conséquences que cela implique.

Aujourd'hui, on sait faire des implants cochléaires qui permettent à des personnes qui n'ont jamais entendu d'être dotées d'une capacité d'audition – et demain ou après-demain, on saura faire de même pour la vue. L' « homme réparé » constitue une conquête formidable sur le plan technique, dont on ne peut que se féliciter. Mais le concept de l' « homme augmenté » pose déjà plus de questions, et la limite entre les deux notions n'est pas si simple à poser. C'est dans ce genre de débats que la science participative, qui implique des échanges entre les scientifiques et les citoyens, trouve tout son sens. Cela rejoint la sixième priorité que j'ai évoquée tout à l'heure, consistant à ce que le CNRS apporte une culture et une expertise scientifique aux décideurs et à la société : il doit jouer un rôle moteur en la matière si l'on veut que la science soit davantage présente dans la société.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.