Intervention de Christophe Castaner

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 9h30
Reconnaissance comme maladies professionnelles des pathologies psychiques résultant de l'épuisement professionnel — Présentation

Christophe Castaner, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement :

Madame la Présidente, monsieur le rapporteur François Ruffin, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi sur le burn-out, que vous avez présentée avec la passion qui vous caractérise, a le mérite de mettre en lumière l'importance capitale du bien-être au travail.

En effet, les nombreux témoignages qui jalonnent l'exposé des motifs de votre proposition de loi, comme les propos que vous venez de tenir, mettent en avant un immense gâchis humain. Ils mettent également en évidence un non-sens économique essentiel, car la santé des salariés est une source incontestable d'efficacité dans le travail, et donc de performance individuelle et collective. De même, c'est le travail effectué dans de bonnes conditions qui est facteur de santé et d'accomplissement personnel.

L'enjeu est donc le bien-être des salariés et leur valorisation comme principale ressource de l'entreprise. En France, la fierté du travail bien fait occupe une place essentielle. Le métier n'est pas seulement une source de rémunération. Quand vous interrogez les salariés, ils revendiquent d'abord cette existence sociale, ce lien collectif qui peut exister au sein de l'entreprise. Or l'épanouissement personnel, l'intégration et le lien social sont parfois mis à mal par des conditions de travail qui sont jugées inacceptables, voire inhumaines – et il ne m'appartient pas de m'exprimer sur cette appréciation.

Dès 2010, un rapport sur les risques psychosociaux, remis au Premier ministre de l'époque par Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, Christian Larose, de la CGT, et Muriel Pénicaud mettait en évidence cette forte interdépendance entre social, santé, organisation et management. Sous l'impulsion notamment de Benoît Hamon, le débat avait été relancé il y a quelques mois ici même, dans cet hémicycle. Il est, de fait, essentiel de travailler sur la qualité de vie au travail, qui est une préoccupation croissante de nos concitoyens. Nous devons explorer toutes les voies d'amélioration en la matière, alors même que le nombre d'arrêts de travail et de maladies professionnelles demeure élevé, et que les services de santé au travail connaissent une désaffection qui, sans action corrective, peut devenir problématique pour l'entreprise, pour l'économie et pour l'emploi.

C'est pourquoi la ministre du travail et la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ont décidé de lancer une réflexion globale sur la santé au travail. Cette mission, vous le savez, a été confiée à votre collègue Charlotte Lecocq, députée du Nord, ainsi qu'à l'ancien secrétaire confédéral syndical Henri Forest, et à la personnalité qualifiée Bruno Dupuis. Ils devront, d'ici le 30 avril, faire un état des lieux, identifier les enjeux et les acteurs et formuler des propositions, que nous souhaitons les plus ambitieuses possibles, notamment en matière d'actions de prévention, en s'appuyant sur des exemples étrangers.

Si votre proposition de loi contribue donc, monsieur Ruffin, à souligner l'importance du bien-être au travail, elle montre toutefois l'extrême difficulté à circonscrire le burn-out au cadre figé d'un tableau de reconnaissance des maladies professionnelles. La littérature académique et les travaux parlementaires effectués ces dernières années soulignent tous que les contours de ce syndrome d'épuisement professionnel sont mouvants, car ils résultent d'une pluralité de facteurs étroitement liés, tant professionnels que personnels et qui, de surcroît, se manifestent de façon parfois différente d'une personne à une autre.

Dès lors, l'application de votre proposition de loi se heurterait à plusieurs obstacles. D'abord, la présomption d'imputabilité à l'activité professionnelle ne peut pas être systématique. Ensuite, la fixation d'un délai de prise en charge est difficile à déterminer, car il est extrêmement variable d'un individu à l'autre. Enfin, aucune liste de travaux, limitative ou même indicative, ne pourrait être fixée. C'est pourquoi, et vous l'avez vous-même reconnu en commission, le fait d'inscrire le burn-out dans le tableau de reconnaissance des maladies professionnelles, comme vous le proposez, ne constitue pas une réponse adaptée à l'ampleur et à la complexité de ce problème. Pire encore, cette disposition exclurait la possibilité de prendre en charge de façon spécifique l'ensemble des manifestations émotionnelles, physiques, cognitives ou comportementales de ce syndrome.

Aussi, le dispositif d'expertise individuelle apparaît-il comme le plus adapté et le plus efficient, notamment en comparaison avec les dispositifs mis en place par nos partenaires européens. À ce sujet, permettez-moi de souligner une petite inexactitude dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, concernant le cas de la Belgique. Ce ne sont pas, comme vous l'indiquez, 83 155 cas de burn-out reconnus comme maladie professionnelle et indemnisés comme tels qui ont été recensés. Ce chiffre correspond en réalité au nombre de dépressions et de burn-out, quelle qu'en soit la cause, indemnisés en 2014 au titre d'un arrêt de travail de plus d'un an.

Cette précision faite, je tiens à rappeler qu'il est aujourd'hui possible, en France, de faire reconnaître le burn-out comme une maladie professionnelle hors tableau. D'ailleurs, le nombre d'avis favorables rendus par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles – C2RMP – a été multiplié par sept en cinq ans, pour atteindre 596 cas en 2016.

Cette augmentation significative est globalement liée à la mise en oeuvre des recommandations du Conseil d'orientation des conditions de travail – COCT – , dans lequel siègent notamment les partenaires sociaux. Mais cette progression s'explique aussi par l'apport du décret du 7 juin 2016, qui permet notamment l'intervention de médecins psychiatres lors des différentes phases de la procédure. C'est par de telles dispositions que nous faciliterons la possibilité, pour chaque personne concernée, de faire reconnaître devant le C2RMP son burn-out.

Les réserves du Gouvernement sur cette proposition de loi découlent de cela. Il ne s'agit en aucun cas de considérer le burn-out comme un épiphénomène. Mais nous pensons que c'est en approfondissant les connaissances sur ce sujet, en repérant et en agissant sur les facteurs de risques psychosociaux, que l'on prévient le burn-out. Il me semble d'ailleurs que la question que pose au fond votre proposition de loi, sans y répondre, c'est celle de la prévention. Les dispositions que vous proposez ne comportent pas de volet sur la prévention, pourtant décisif pour traiter ce problème à la racine.

Or vous savez que, comme pour l'ensemble des risques psychosociaux, l'organisation, l'environnement et les relations de travail au sein de l'entreprise – vous en avez donné quelques exemples – peuvent avoir un impact important sur un travailleur, sur un salarié, sur un individu, sur une femme, sur un homme, sur chaque personne – car nous parlons d'abord de situations humaines.

C'est aussi au sein du comité social et économique, qui réunira les décisions relatives à l'organisation, au management et aux conditions sociales – englobant la sécurité, la prévention et les conditions de vie au travail – que nous pourrons justement pousser plus loin cette logique de prévention, qui est essentielle. Bien entendu, l'implication des partenaires sociaux au sein de l'entreprise n'épuise pas leur mobilisation au sein de la branche, qui dispose désormais d'un verrou en matière de prévention des risques professionnels.

Cette mobilisation des partenaires sociaux, complémentaire de la vigilance de l'Inspection du travail, peut également s'appuyer sur les travaux de certaines instances, comme le Conseil d'orientation des conditions de travail qui, dans le cadre du plan santé au travail pour les années 2016-2020, élabore des supports opérationnels et des recommandations validés par la Haute autorité de santé.

Enfin, je pense que l'un des motifs de l'apparition de ce syndrome, c'est la perte de sens dans le travail effectué, c'est le sentiment d'impuissance face aux décisions qui nous concernent, c'est, en somme, celui de ne pas pouvoir être acteur de sa vie professionnelle. D'où la volonté du Gouvernement de doter chacun de nos compatriotes, à travers les compétences, non seulement d'une protection plus efficace contre le chômage et la précarité, mais aussi d'un véritable levier pour lui permettre de choisir son avenir professionnel. C'est le sens du Plan d'investissement Compétences, qui sera doté, je vous le rappelle, de 15 milliards d'euros, et dont les effets seront renforcés par les réformes que nous avons lancées en matière d'apprentissage, de formation et d'assurance chômage. Nous aurons l'occasion d'en discuter de manière approfondie dans quelques semaines.

Le burn-out est un phénomène grave et complexe. C'est en donnant à nos concitoyens la capacité d'être pleinement acteurs de leur vie professionnelle, en mobilisant les partenaires sociaux dans l'entreprise et dans les branches, en mobilisant les expertises, que nous pourrons faire progresser le bien-être au travail et que nous lutterons le plus efficacement possible contre ce syndrome.

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