Intervention de Laetitia Avia

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 9h30
Reconnaissance comme maladies professionnelles des pathologies psychiques résultant de l'épuisement professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Avia :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à faire reconnaître les pathologies résultant du burn-out en tant que maladies professionnelles. Ce faisant, il faut noter qu'elle contourne l'une des difficultés principales, l'un des éléments essentiels, cela a été dit : la définition de ce qu'est l'épuisement professionnel. En la matière, si un point fait l'unanimité, c'est la difficulté qu'il y a à cerner, définir, délimiter les contours de l'épuisement professionnel.

Le burn-out est constitué par une multitude d'éléments venant déclencher ou accentuer des pathologies. Dans votre proposition de loi, vous avez identifié la dépression, l'anxiété, le stress post-traumatique, mais la liste est loin d'être exhaustive et on ne peut pas oublier les troubles alimentaires, physiques, comportementaux ou encore « motivationnels » qui peuvent le caractériser. La liste est donc malheureusement bien plus longue, et c'est là l'une des premières carences de cette proposition de loi.

S'il n'y a pas, aujourd'hui, de maladies psychiques inscrites au tableau des maladies professionnelles, c'est bien parce qu'il est hasardeux de chercher une quelconque automaticité qui viendrait objectiver ces pathologies – d'où l'importance de l'approche casuistique utilisée aujourd'hui par la procédure de reconnaissance complémentaire, laquelle est mieux à même de garantir la sécurité juridique tant pour l'employeur que pour le salarié malade.

Si j'aborde la question de la sécurité juridique, c'est aussi pour apporter une autre perspective que celle abordée précédemment, car nous disposons aujourd'hui dans notre droit d'un certain nombre d'éléments de protection des salariés et, surtout, permettant de sanctionner des employeurs dont le comportement fautif peut conduire à une situation de burn-out – ce que j'ai d'ailleurs pu vérifier dans ma pratique professionnelle.

Je me souviens notamment d'une jeune consultante dont les missions allaient bien au-delà de ce qu'elle était en mesure d'absorber tant physiquement que psychologiquement, et qui avait atteint un tel niveau d'accumulation de stress et d'anxiété qu'elle a finalement démissionné du jour au lendemain, sans préavis, en envoyant un courriel aux milliers de salariés de sa société, à la Défense. Elle était dans une situation de burn-out. Bien évidemment, dans des cas pareils, le conseil des prud'hommes requalifie ces démissions en prise d'acte de rupture aux torts exclusifs de l'employeur. La victime a été indemnisée et a reçu plus d'un an et demi de salaire. Grâce à cette indemnisation, elle a pu se reconstruire sereinement avant de retourner sur le marché du travail.

Je me souviens également d'une autre cliente, dont l'intitulé du poste ne correspondait pas à la réalité des missions, si bien qu'elle subissait non seulement une absence de reconnaissance professionnelle, mais aussi des changements fréquents d'équipe, de management ; elle était baladée d'un service à un autre, parfois en hyperactivité, d'autres fois mise au placard. Cela a duré des années, jusqu'à ce que cette femme fasse une dépression, qu'une incapacité totale soit prononcée et qu'elle soit licenciée pour cette raison-là.

Là encore, notre droit est là pour rappeler que, lorsqu'une rupture professionnelle résulte d'un burn-out, la faute repose sur l'employeur qui a manqué à son obligation de santé et de sécurité à l'égard de son salarié et doit donc l'indemniser – en l'occurrence, ce fut pendant dix-huit mois.

Mais il existe aussi des situations plus complexes. Je pense notamment à cet homme, surengagé, qui mettait beaucoup de coeur à l'ouvrage et beaucoup d'énergie dans tout ce qu'il faisait. La même année, il est devenu père et a obtenu une promotion professionnelle. En raison d'un trop-plein de responsabilités, d'engagements, de stress, il est encore aujourd'hui en dépression, alors qu'il est arrêté pour cause de burn-out. Peut-on objectiver son cas et se référer au tableau proposé dans la proposition de loi ? Ce burn-out résulte-t-il d'une faute de l'employeur, de la vie associative qu'il menait, du nouveau-né qu'il a eu ?

L'approche casuistique de la procédure de reconnaissance complémentaire est bien la plus adaptée pour aborder ces pathologies psychiques. C'est d'autant plus vrai lorsque l'on regarde en détail la liste des travaux et des comportements que vous énumérez dans cette proposition de loi. Je note seulement que le harcèlement moral n'est pas un élément à l'origine d'un burn-out et qu'il ne peut être considéré comme un élément provoquant une maladie professionnelle. Le harcèlement moral est un comportement fautif autonome et qui doit être sanctionné fermement en tant que tel. C'est un élément important à rappeler.

Je ne dirais pas non plus que notre droit est parfait en la matière. Nous avons rappelé qu'un rapport sera remis en avril pour mieux appréhender la situation d'épuisement professionnel.

Enfin, comme l'a dit tout à l'heure M. le ministre, nous nous prononcerons bientôt sur un élément important de transformation de notre modèle social : l'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires. Il s'agit là aussi d'un élément important de protection de ceux qui subissent un burn-out. Il faut leur permettre de partir avant d'atteindre ce point de non-retour tout en sachant que l'État leur garantit un filet de sécurité pour mieux se reconstruire et réagir.

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