Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 15h00
Accès à l'eau — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'état, ministre de l'intérieur :

Ce prix de l'eau traduit le coût d'un service rendu, qui varie en fonction des conditions d'exercice du service – contexte géophysique, économique et financier – et des exigences de performance de la collectivité organisatrice – qualité et durabilité du service. Il varie donc en fonction des caractéristiques du territoire. Les écarts de prix de l'eau peuvent être assez importants d'un territoire à l'autre. Nous en avons parlé à d'autres occasions au cours de discussions récentes.

De très nombreux facteurs de contexte – complexité technique du service, provenance des eaux, sensibilité du milieu récepteur, dispersion de l'habitat, pression touristique – , mais aussi des choix politiques en matière de gestion et de qualité de service, ainsi que d'entretien du patrimoine, contribuent à expliquer ces écarts de prix.

L'objectif de développement durable numéro 6 – ODD 6 – vise l'accès à tous à l'eau et à l'assainissement. Il détermine plusieurs cibles à atteindre, qui portent sur l'accès aux services, la restauration de la qualité de l'eau, la restauration des milieux aquatiques et la bonne gestion de l'eau pour les bassins transfrontaliers. En Europe, toutes ces cibles sont couvertes par la politique européenne de l'eau, qui comprend les grandes directives que sont notamment la directive-cadre sur l'eau, la directive sur les eaux résiduaires urbaines et la directive sur l'eau potable.

Globalement, la France a d'ores et déjà atteint la majorité des cibles de l'ODD 6, qui constituent un standard international. Cependant, les acteurs de l'eau français, en particulier l'ASTEE – Association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement – et le Partenariat français pour l'eau ont mis en évidence le fait que l'accès aux services d'adduction d'eau et d'assainissement demeure un problème pour certaines catégories de population et dans certains territoires, en particulier – vous l'avez rappelé – en outre-mer – à Mayotte par exemple, ainsi qu'en Guyane et aux Antilles. Enfin le caractère durable de la gestion de l'eau imposé par l'ODD 6 doit réinterroger la politique française de l'eau au regard des enjeux du changement climatique.

Toutefois, monsieur le rapporteur, il y a deux principes auxquels nous ne souscrivons pas dans votre proposition de loi constitutionnelle. Le premier est la question de la gratuité, qui s'oppose à un principe fondateur de notre politique de l'eau. Ce principe, c'est « l'eau paie l'eau ». Il se fonde sur une réalité : si l'eau est un bien commun – ce que je réaffirme – , son approvisionnement, qu'il s'agisse des canalisations ou des services de dépollution, a un coût. Ce coût, c'est la collectivité qui l'assume ; celle-ci doit mettre en place les solutions permettant de satisfaire les besoins de tous nos concitoyens.

Si nous ne souscrivons pas au principe de la gratuité, nous reconnaissons qu'il existe dans notre pays une forme de précarité sur l'eau, comme sur l'énergie. La loi permet actuellement la mise en place de systèmes d'aide aux plus démunis. En effet, les services publics d'eau et d'assainissement peuvent déjà réaliser, à l'égard des abonnés du service, des admissions en non-valeur et des remises gracieuses, lorsqu'il s'agit de distributeurs publics, ou des abandons de créance, lorsqu'il s'agit de distributeurs privés.

De plus, dans une majorité de communes françaises, les personnes endettées peuvent s'adresser aux centres communaux ou intercommunaux d'action sociale ou au gestionnaire du Fonds de solidarité pour le logement, pour que ces organismes prennent en charge une partie de leur dette d'eau – ou de leurs charges, en cas de logement collectif. Par ailleurs, la loi du 15 avril 2013, dite « loi Brottes », à laquelle vous avez fait allusion, interdit à tout distributeur de couper l'alimentation en eau dans une résidence principale, même en cas d'impayé, et cela tout au long de l'année. C'est la garantie de l'accès à l'eau pour les plus démunis, qui sont en situation financière difficile.

Au-delà des systèmes curatifs d'urgence, le Gouvernement porte également des solutions préventives. Dans ce contexte, l'article 28 de la loi précitée a introduit, pour les collectivités qui le souhaitent, la possibilité d'une expérimentation en vue « de favoriser l'accès à l'eau et de mettre en oeuvre une tarification sociale de l'eau ». Ainsi, les cinquante collectivités volontaires ont la possibilité, pendant cinq ans, soit jusqu'au 16 avril 2018, de mettre en place de nouvelles tarifications de l'eau ou de l'assainissement – qui peuvent concerner ces deux domaines – ainsi que des systèmes d'aides au paiement de la facture d'eau, afin de garantir un meilleur accès à ces services pour les plus démunis. Les premiers résultats obtenus par ces collectivités sont intéressants, mais sont trop peu nombreux et trop récents pour permettre, au niveau national, de déterminer s'il est souhaitable de généraliser certaines des solutions mises en oeuvre à l'ensemble du territoire. Il nous faut donc prévoir la prolongation de cette expérimentation.

Le second principe auquel nous ne souscrivons pas est le fait de réserver la gestion de l'eau aux seules collectivités territoriales et à l'État. Actuellement, le droit à l'eau et à l'assainissement est encadré par de nombreux textes législatifs et réglementaires – qui déterminent notamment les conditions de partage de la ressource, les droits et les devoirs et les normes de qualité – et est mis en oeuvre par les autorités locales compétentes légalement et techniquement, et en charge de la planification financière et de la résolution des conflits éventuels. L'approvisionnement de l'eau potable et l'assainissement ne sont donc actuellement jamais gérés uniquement par le secteur privé. La collectivité reste toujours responsable, même dans le cas d'une délégation de service public. La rédaction actuelle du texte reviendrait sur la possibilité offerte aux collectivités de déléguer la compétence au secteur privé, pour les contraindre à gérer en régie directe. Cela contredirait directement le principe de libre administration des collectivités et serait délétère pour la qualité du service proposé par les collectivités n'ayant pas les ressources techniques, humaines ou financières nécessaires.

Mesdames, messieurs les députés, le Président de la République a annoncé, lors de la Conférence nationale des territoires, l'organisation, en 2018, d'Assises de l'eau qui seront pilotées par le ministère de la transition écologique et solidaire. Ces assises seront l'occasion non seulement de moderniser la gouvernance de l'eau, d'intégrer dans notre gestion de l'eau les enjeux du changement climatique, mais aussi, je n'en doute pas, de prolonger les débats sur les questions que vous soulevez concernant l'exercice du droit à l'eau. C'est pourquoi, bien qu'un certain nombre de vos objectifs et de vos préoccupations soient communs à ceux du Gouvernement, celui-ci est défavorable à cette proposition de loi constitutionnelle.

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