Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 15h00
Récépissé de contrôle d'identité — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, chers collègues, en adoptant cette proposition de loi relative à l'expérimentation du récépissé de contrôle d'identité, vous allez donner satisfaction à beaucoup. Cela vous permettra notamment de tenir une promesse de François Hollande, et de répondre aux préoccupations d'un Emmanuel Macron expliquant qu'il y a « beaucoup de trop de contrôles d'identité, avec de la vraie discrimination ».

Répondre ainsi positivement au souhait des deux derniers présidents de la République devrait, en théorie, assurer une majorité confortable à cette proposition de loi. Je pense cependant utile de finir de vous convaincre.

Emmanuel Macron a raison : il y a beaucoup trop de contrôles d'identité. Selon les sources, travaux du Parlement ou du Défenseur des droits, on estime qu'il y en a entre cinq et dix millions par an. L'écart est grand, mais comment faire autrement sans aucune traçabilité de cette procédure ?

Pointons la première anomalie : il s'agit de la seule procédure à ne laisser aucune trace. Vous jetez un mégot dans le caniveau, vous contrevenez à la réglementation du stationnement ? Un document vous est laissé. Mais pour un contrôle pouvant en outre s'accompagner de palpations et de fouilles et parfois dégénérer, rien.

Pourquoi peut-on affirmer qu'il y a trop de contrôles ? Parce que dans le même temps, d'autres études – celle du CNRS ou celle diligentée par la direction générale de la police nationale à partir de deux enquêtes menées pendant six mois dans l'Hérault et le Val d'Oise en 2014 – révèlent que moins de 5 % des contrôles ont une suite policière ou judiciaire. Encore inclut-on dans ce chiffre les suites découlant du contrôle lui-même, du type « outrage à agent ». Cela signifie donc que 95 % ne servent à rien, en tout cas pas à élucider une affaire.

Je suis sûr que sur les bancs de la majorité, où on est si prompt à traquer les dépenses prétendument superflues de l'État, on s'alarmera d'une telle inefficacité au regard des moyens humains mobilisés.

Retenons donc que les contrôles sont trop nombreux et que dans la quasi-totalité des cas, ils ne servent à rien.

Venons-en à la deuxième partie de la phrase du Président de la République : « avec de la vraie discrimination ». Là encore il a raison. Il exprime un fait d'évidence que toutes les associations, collectifs et syndicats de magistrats et d'avocats que nous avons auditionnés dénoncent. Je ne citerai pas toutes les études, nombreuses : je me limiterai à celle commandée par le Défenseur des droits. Cette étude indique que 80 % des personnes correspondant au profil de jeune homme noir ou arabe déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années, contre 16 % pour le reste de la population.

Cette discrimination est si flagrante, réelle, concrète qu'elle n'a échappé ni à la justice, ni aux organisations internationales. La Cour de cassation a ainsi jugé dans une série d'arrêts du 9 novembre 2016 que ces contrôles d'identité discriminatoires constituaient une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'État. Récemment, l'ONU, dans le cadre de ses examens périodiques de la situation des droits de l'homme dans le monde, a pointé du doigt la France pour profilage ethnique et contrôle au faciès.

Je voudrai chers collègues, au-delà de ces données incontestables, vous faire toucher du doigt ce que cela signifie. En effet, admettons-le ensemble, très peu ici ont eu l'occasion de connaître cette expérience. Très peu, mais il en est sûrement quelques-uns : je pense à notre ami Younous Omarjee, député européen, qui passe souvent par la gare du Nord lorsqu'il se rend à Paris et qui y est régulièrement contrôlé… Serait-ce parce qu'il n'est pas blanc ? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.

Je voudrais également vous citer quelques-unes des réactions des personnes que nous avons auditionnées, suffisamment fortes pour être citées telles quelles : « Je n'ai pas forcément envie de me réveiller tous les matins en me disant que je suis noir, en me définissant par ma couleur de peau, mais comme un citoyen comme un autre, égal à un autre. Le contrôle au faciès me ramène à mon origine ethnique supposée. C'est contraire à l'idée que je me fais de la République. »

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