Intervention de Éric Poulliat

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Récépissé de contrôle d'identité — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Poulliat :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'une des missions prioritaires de l'État est d'assurer la sécurité en veillant, sur l'ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l'ordre publics, à la protection des personnes et des biens.

Le paysage de la sécurité nationale a sensiblement évolué ces dernières années et la nature de la menace terroriste a opéré des mutations profondes. Il y a dix ans, l'écosystème terroriste était composé de groupes organisés et complexes. Aujourd'hui, alors que le niveau de cette menace reste très élevé, on constate une évolution de celle-ci, prenant la forme d'individus ou de petits groupes isolés menant des attaques de manière solitaire. Comme François Molins le rappelait la semaine dernière : « La menace terroriste est plus diffuse, plus difficile à cerner, étant donné qu'elle se produit chez nous et qu'elle peut être le fait de gens qui ne sont pas toujours connus des services de renseignement. Elle est donc endogène et souvent liée à d'autres formes de délinquance. » Nous pouvons aussi déplorer les liens existants entre la criminalité et le terrorisme manifestés à travers un certain nombre de cas, comme celui de Mohamed Lamsalak, soupçonné pour ses liens avec les attentats de Bruxelles en 2016 et impliqué dans des affaires de stupéfiants.

À cela s'ajoute une délinquance de plus en plus présente dans notre quotidien : trafic de stupéfiants, vols, cambriolages, occupations des halls d'immeubles, incivilités dans les rues et, plus récemment, harcèlement de rue pour les femmes. Alors que la voie publique devrait être un espace partagé dans lequel chacun respecte les règles de vie en société, elle devient un espace dans lequel la coexistence est de moins en moins facile. Les missions de nos forces de l'ordre, parce qu'elles s'exercent en partie sur la voie publique, sont par conséquent de plus en plus complexes, et l'autorité des policiers et des gendarmes peine à s'affirmer dans certains de nos quartiers. Cela fait naître chez nos concitoyens un sentiment d'insécurité et donne l'image d'une impuissance publique.

Replacer les relations entre les forces de l'ordre et la population au coeur du débat parlementaire relève non seulement d'une nécessité mais aussi d'un besoin eu égard au contexte sécuritaire particulièrement difficile que je viens de rappeler. Notre majorité et notre Gouvernement n'ont pas caché leur volonté de mener une réflexion approfondie en ce sens.

Je me réjouis que le Gouvernement ait engagé une évolution des missions de la police et de la gendarmerie pour répondre à la priorité des Français, la sécurité. En ce sens, la loi de finances que nous avons adoptée en décembre dernier renforce les moyens humains des forces de sécurité intérieure, à hauteur de 2 000 emplois supplémentaires sur le terrain. De nouveaux modules de formation seront par ailleurs mis en oeuvre. Le budget, qui est en augmentation, sera préservé pour les années à venir.

Certes, le contexte sécuritaire est difficile, et un sentiment de défiance s'est instauré dans certains quartiers sensibles entre les forces de l'ordre et les habitants. Il faut néanmoins souligner que ce sentiment n'est pas la norme, loin de là, contrairement à ce que l'exposé des motifs de la proposition de loi laisse entendre. Comme cela a déjà été rappelé, le CEVIPOF relève en effet que 78 % des Français font confiance à la police, et je souligne que ce pourcentage a augmenté de 3 points par rapport à l'année 2016.

Cependant, ce n'est pas parce que seuls 9 % des Français ne font pas du tout confiance à la police qu'il faut occulter certaines réalités. Les contrôles d'identité sont un sujet polémique depuis plusieurs années, en particulier dans les quartiers sensibles, où les contrôles peuvent parfois susciter des crispations, voire des abus. Le groupe La République en marche est très attaché à ce que de telles pratiques discriminatoires, inacceptables, ne viennent pas ternir l'image de nos forces de l'ordre et porter atteinte à la liberté de nos concitoyens. Les discriminations, qu'elles soient liées à l'orientation ou à l'identité sexuelles, aux convictions religieuses, au sexe, à l'âge, à la couleur de peau, n'ont pas leur place dans notre société, et d'autant moins au sein des institutions représentant les valeurs républicaines et laïques.

Je veux néanmoins garder à l'esprit que notre police est et demeure républicaine. Par principe, elle agit sans discriminer, et tout un arsenal juridique existe pour empêcher que d'éventuelles discriminations aient lieu. Même si vous les jugez insuffisantes, permettez-moi de rappeler ces dispositions juridiques.

Le code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationales, entré en vigueur le 1er janvier 2014, encadre le déroulement concret des contrôles d'identité. L'article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure dispose : « Lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle. » De même, l'article R. 434-15 du même code prévoit l'identification individuelle des agents par leur matricule. Enfin, l'article 211 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté prévoit l'usage des caméras mobiles lorsqu'un contrôle d'identité est effectué. En outre, je le rappelle, des plateformes internet de l'IGPN et de l'IGGN permettent aux particuliers de signaler tout manquement déontologique des forces de l'ordre, et, si quelqu'un estime avoir fait l'objet d'un contrôle discriminatoire, il peut évidemment saisir le juge.

La jurisprudence est claire à ce sujet et elle encadre ces contrôles. Le Conseil constitutionnel, saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité, a établi, dans sa décision du 24 janvier 2017 : « La mise en oeuvre des contrôles d'identité confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. » De même, lorsque des discriminations sont constatées, les juridictions n'hésitent pas à prononcer des sanctions.

Le débat que nous entamons aujourd'hui autour de la proposition de loi déposée par nos collègues de La France insoumise n'est pas nouveau. En effet, en 2016, des propositions similaires ont été formalisées dans des amendements déposés sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, ainsi que sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. De même, plusieurs propositions de loi visant à lutter contre les contrôles abusifs ont été déposées. Mais l'ancienneté d'un problème ne rend pas forcément pertinente la solution de celui qui a la volonté de le résoudre, aussi sincère soit-il – et je ne ferai pas au rapporteur et aux membres de son groupe l'offense de remettre en cause leur sincérité.

Au-delà de son caractère inopportun, cette proposition de loi, notamment dans ses deux premiers articles, présente, à mes yeux, des problèmes opérationnels.

L'article 1er vise à modifier l'article 78-2 du code de procédure pénale, en précisant qu'un contrôle d'identité ne doit plus être effectué pour des « raisons plausibles », mais pour des « raisons objectives et individualisées ». Pourtant, la rédaction de l'article 78-2 ne souffre d'aucune imprécision : il définit de manière précise les circonstances dans lesquelles un contrôle d'identité peut être effectué. Il dispose ainsi : « Les officiers de police judiciaire [… ] peuvent inviter à justifier [… ] de son identité toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner : qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; ou qu'elle se prépare à commettre un crime [… ] ; ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles [… ] ; ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire ». Le contrôle d'identité doit donc d'ores et déjà être fondé sur des éléments objectifs liés à la prévention d'atteintes graves à la sécurité des personnes et des biens ou à la recherche d'infractions et à la découverte de leurs auteurs. Par ailleurs, la notion de « raisons plausibles de soupçonner » est bien ancrée dans notre droit. Le droit pénal y fait expressément référence, à propos de la garde à vue et de la mise en examen. De même, le droit administratif emploie une formule similaire : « des raisons sérieuses de penser ». Il n'y a donc aucun besoin de changer la rédaction actuelle de l'article du code.

L'article 2 entend mettre en place, à titre expérimental pour une durée d'un an au plus, l'établissement des récépissés de contrôle d'identité dans les communes qui en formulent la demande. Il définit par ailleurs la procédure de contrôle. Plus précisément, il prévoit qu'à chaque contrôle, les agents des forces de l'ordre rempliront un formulaire, dont un volet sera remis à la personne et un autre sera conservé par le service de police. Pour des raisons de protection de données, seul le volet remis à la personne permettra son identification. L'objectif mis en avant par nos collègues est de limiter les contrôles abusifs et répétés, mais la procédure qu'ils proposent ne permettra pas de l'atteindre, pour plusieurs raisons.

Premièrement, même si les contrôles peuvent être tracés par le récépissé, cela ne suffit pas à démontrer le caractère discriminatoire du contrôle, la répétition n'étant pas synonyme de discrimination.

Deuxièmement, l'absence d'identification précise de la personne contrôlée peut donner lieu, dans un contexte sécuritaire particulièrement difficile ou dans un contexte de défiance entre la police et les citoyens, à de possibles falsifications.

Troisièmement, l'établissement obligatoire d'un récépissé spécifiant le motif de chaque contrôle entraînerait une surcharge considérable de procédure, allongerait substantiellement la durée des contrôles et alourdirait la tâche des fonctionnaires. Or cela va à l'encontre de notre volonté et de celle du Gouvernement, puisque nous souhaitons numériser et alléger le plus possible les procédures auxquelles sont soumises les forces de l'ordre, afin qu'elles se concentrent sur leurs tâches essentielles. Votre proposition va à rebours de l'évolution des procédures, faite d'allégements, de simplification et de dématérialisation.

Une partie des difficultés opérationnelles et de principe que je viens d'invoquer a conduit la précédente majorité à écarter la mise en place d'un récépissé pour lutter contre le délit de faciès lors des contrôles d'identité. Le groupe La République en marche partage ces réserves, et l'on peut s'étonner que certains collègues du groupe Nouvelle Gauche, qui siégeaient dans l'ancienne majorité, semblent avoir changé d'avis.

Une solution alternative a d'ailleurs été mise en oeuvre : les caméras-piétons. En effet, depuis le 23 décembre 2016, la loi donne aux policiers équipés d'une caméra-piéton la possibilité de filmer certaines de leurs interventions. L'article 211 de la loi du 27 janvier 2017 prévoit d'expérimenter l'enregistrement systématique des contrôles d'identité réalisés en application de l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans certaines zones définies par arrêté ministériel et pour les policiers équipés de caméras. L'usage par les forces de l'ordre des caméras mobiles dans l'exercice de leurs missions a pour but de prévenir des incidents au cours des procédures, de constater des infractions et de poursuivre leurs auteurs par la collecte de preuves, ainsi que de vérifier que les agents respectent leurs obligations. Ces enregistrements sont donc de nature à dissuader d'éventuels contrôles abusifs, d'autant que, si plusieurs caméras filment la même scène, on peut disposer de plusieurs points de vue.

L'expérimentation des caméras-piétons a été programmée pour un an, à compter du 1er mars 2017, et 2 000 d'entre elles sont actuellement en dotation, essentiellement auprès des policiers affectés dans les zones de sécurité prioritaire. Le bilan de cette expérimentation n'est prévu, par décret, que dans un délai de trois mois suivant la fin de l'expérimentation, c'est-à-dire en mai ou juin 2018. Faute de bilan intermédiaire, il est prématuré de prévoir l'expérimentation d'un nouveau dispositif avant d'avoir dressé le bilan du précédent. L'expérimentation est une pratique que nous apprécions.

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