Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre des solidarités et de la santé, mes chers collègues, le groupe La France insoumise vous propose une loi qui vise à légaliser, sous conditions, l'euthanasie et le suicide assisté. Afin de prévenir les amalgames et les confusions, je tiens d'emblée à préciser que les besoins et les attentes auxquels ce texte entend apporter une réponse ne sont pas du tout de même nature que ceux que la loi dite « Claeys-Leonetti » et la politique de développement des soins palliatifs visent à satisfaire.

Je suis en effet de ceux qui refusent d'inscrire dans des logiques contradictoires les soins palliatifs, la sédation profonde et continue, l'euthanasie et l'assistance au suicide. Ces divers moyens d'apaiser les souffrances physiques ou psychiques des personnes en fin de vie sont complémentaires. Je suis la première à appeler au déploiement et au renforcement massif des moyens des soins palliatifs dans notre pays, à l'heure où le risque d'une absence ou d'une insuffisance de soins palliatifs existe pour plus de 75 % des personnes qui en ont besoin, selon un rapport de l'IGAS – l'inspection générale des affaires sociales – publié en 2017.

D'éventuels malentendus étant ainsi dissipés, il faut prendre conscience que si, dans nombre de situations, les soins palliatifs peuvent être une solution pour assurer une fin de vie digne, ce n'est cependant pas toujours le cas. Certaines personnes peuvent juger insupportable ce qui peut leur apparaître comme un acharnement palliatif. D'après les données fournies lors de son audition par le président de l'ADMD – l'Association pour le droit de mourir dans la dignité – , plus de la moitié des personnes admises en unité de soins palliatifs maintiennent leur demande de mourir, malgré les soins prodigués.

De la même façon, si la sédation profonde et continue consacrée par la loi Claeys-Leonetti peut être une solution envisageable pour certaines personnes, ce n'est pas le cas pour toutes. Une telle sédation peut faire peur à certaines personnes en fin de vie ainsi qu'à leurs proches. En effet, aucune étude scientifique n'a, à ce jour, établi l'absence totale de souffrance chez la personne sous sédation, qui met parfois plusieurs semaines à succomber à un défaut d'hydratation.

Du reste, alors que les unités de soins palliatifs sont les premières concernées par des demandes de sédation, elles rechigneraient parfois à y donner droit. Certes, cela peut se comprendre de la part de personnes qui ont fait le choix de s'engager professionnellement dans le secteur des soins palliatifs pour accompagner des malades la main dans la main et les yeux dans les yeux, et non des malades sous sédation. Mais il n'en demeure pas moins qu'en définitive, notre arsenal législatif ne propose aucune solution aux personnes atteintes d'une affection grave ou incurable leur causant des souffrances physiques ou psychiques insupportables, et qui, comme l'écrivaine Anne Bert, ont une conception de leur dignité qui les amène à préférer mettre fin à leurs jours en toute lucidité, alors qu'elles ne sont pas encore en fin de vie.

Déjà, en 2012, la Commission de réflexion sur la fin de vie en France expliquait qu'à défaut de légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté, le droit français ne répondait pas à la situation de souffrance existentielle d'une personne craignant l'évolution tragique d'une tumeur cérébrale, alors même qu'elle est encore parfaitement consciente et capable, et souhaitant anticiper la fin de sa vie. Le résultat est que ceux de nos concitoyens qui sont dans cette situation se retrouvent aujourd'hui au regard de l'euthanasie et de l'assistance au suicide dans une position assez comparable à celle que d'autres ont pu connaître jusqu'en 1975 au regard de l'interruption volontaire de grossesse : soit ils ont les moyens de trouver refuge chez nos voisins européens pour pouvoir y mourir dignement ; soit ils n'ont pas les moyens de traverser nos frontières et ils trouvent alors d'autres façons d'abréger leurs souffrances, par exemple en se suicidant de manière violente, ou ils subissent sur notre territoire ce que le professeur Didier Sicard a appelé le « mal mourir ».

Le comble du paradoxe est qu'ils se retrouvent parfois euthanasiés contre leur gré, en catimini, dans nos hôpitaux. Je vous rappelle en effet qu'une étude publiée en 2012 par l'INED – l'Institut national d'études démographiques – a révélé que les décisions médicales avec intention de mettre fin à la vie des patients représentaient 3,1 % des décès enregistrés dans notre pays en décembre 2009. D'après les dernières précisions apportées hier au journal Libération par les chercheurs de l'INED, 0,2 % de ces décès, soit 1 200 décès, correspondraient à de véritables euthanasies. Or près de 80 % des actes ainsi considérés comme des euthanasies seraient pratiqués sans même que les patients en aient fait explicitement la demande.

Mes chers collègues, trouvez-vous normal que, chaque année, près de 1 000 euthanasies clandestines soient pratiquées sur notre territoire sur des personnes qui ne les ont pas demandées et que, dans le même temps, les personnes demandant qu'il soit mis fin à leurs jours de façon anticipée soient contraintes de fuir à l'étranger pour y trouver les conditions d'une mort digne ? Pour ma part, je réponds non ! C'est la raison pour laquelle l'article 1er de la présente proposition de loi vise à légaliser, sous conditions, l'euthanasie et le suicide assisté. Plutôt que de recourir à la formule d'« assistance médicalisée active à mourir » ou à d'autres circonvolutions, cet article n'hésite pas à employer les termes d'« euthanasie » et d'« assistance au suicide ». En effet, comme l'a montré le récent sondage de l'IFOP pour le journal La Croix, ces notions sont parfaitement claires pour nos concitoyens et ne leur font plus peur. D'après cette enquête, 89 % des Français sont favorables à ce que l'on aille plus loin que la législation actuelle sur la fin de vie, et 71 % d'entre eux se prononcent en faveur de la légalisation de l'euthanasie.

Assumant donc la revendication d'un « droit de mourir », que Vincent Humbert et Chantal Sébire ont jadis réclamé en vain à la justice française et aux présidents de la République successifs, l'article 1er subordonne la légalité des actes d'euthanasie et d'assistance au suicide à plusieurs conditions, inspirées des lois belge et luxembourgeoise. D'abord, la demande doit émaner d'une personne capable, l'hypothèse où la personne serait hors d'état d'exprimer sa volonté étant envisagée. Ensuite, cette personne doit être atteinte d'une affection grave ou incurable, quelle qu'en soit la cause, qui lui inflige une souffrance physique ou psychique qu'elle juge insupportable et qui ne peut être apaisée, ou qui la place dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité. Enfin, l'acte létal ne peut être accompli que par un médecin ou en présence et sous la responsabilité d'un médecin, étant précisé que l'article 4 garantit aux professionnels de santé la possibilité d'invoquer la clause de conscience pour refuser d'accompagner un patient dans ses démarches, à condition cependant de l'orienter immédiatement vers un praticien susceptible de l'accepter.

Ce n'est qu'aux conditions précédemment énoncées que les personnes prêtant leur concours à un acte d'euthanasie ou d'assistance au suicide pourront bénéficier de l'exonération de poursuites et de sanctions pénales prévue à l'article 5. Cette absence d'incrimination ne vaut toutefois que pour autant qu'aura également été respectée la procédure collégiale, extrêmement précise, prévue à l'article 3. Cet article encadre de façon très stricte le traitement des demandes d'euthanasie et d'assistance au suicide.

Je ne vais pas revenir ce soir sur le détail de la procédure, que j'ai eu l'occasion de décrire la semaine dernière en commission. Je tiens toutefois à souligner que l'article 3 prévoit les différents cas de figure susceptibles d'être rencontrés en pratique : conscience ou non du patient ; capacité ou non du patient à formuler une volonté libre, éclairée, réfléchie et explicite ; acceptation ou non du médecin traitant d'accompagner son patient dans sa démarche ; existence ou non de directives anticipées.

Je ne peux que m'étonner que certains députés de la majorité reprochent au groupe La France insoumise de légiférer de façon prématurée et de préempter l'issue du débat ouvert par les États généraux de la bioéthique, il y a deux semaines, alors que d'autres députés, appartenant à la même majorité, dès le 27 septembre dernier, soit près de trois mois avant le dépôt de la nôtre, se sont empressés de déposer une proposition de loi tendant peu ou prou à légaliser l'euthanasie sous le nom pudique d'« assistance médicalisée active à mourir ».

Comprenez donc que l'on peine à trouver la cohérence du positionnement de la majorité et que l'on admette difficilement l'argument consistant à remettre ad vitam aeternam, à l'issue de nouveaux débats et de nouvelles évaluations, une avancée fortement attendue et même plébiscitée par nos concitoyens. Missions parlementaires successives, débats organisés par la Commission de réflexion sur la fin de vie en France et par le Comité consultatif national d'éthique : rarement un sujet aura été aussi débattu et évalué au cours des vingt dernières années. De mon point de vue, la logique consistant à évaluer, de manière régulière, les dispositifs législatifs existants ne doit pas porter atteinte à la responsabilité du législateur, qui est celle de combler au plus vite les lacunes les plus manifestement béantes de nos politiques publiques.

J'espère donc que la représentation nationale ne tergiversera pas encore pendant des mois, voire des années, et qu'elle adoptera la présente proposition de loi, qui, dans le respect de la liberté de toutes les consciences, offre enfin à nos concitoyens la possibilité de choisir, en consacrant le droit de mourir.

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