Intervention de Alain Ramadier

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 21h30
Euthanasie et suicide assisté pour une fin de vie digne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Ramadier :

La présente proposition de loi répond-elle à cette exigence de prudence ? Il nous est malheureusement permis d'en douter, pour deux raisons principales, l'une entraînant l'autre : le diagnostic partiel que pose ce texte sur la fin de vie en France et la nature même des réponses qu'il préconise.

Le diagnostic, tout d'abord. Comme l'explique Frédéric, aide-soignant de l'hôpital d'Argenteuil : « Dans les services de soins palliatifs, on ne soigne pas des mourants. On soigne des vivants. » Puissions-nous entendre ces mots. Pour Frédéric, comme pour les équipes de soins palliatifs que j'ai pu rencontrer dans mon département de Seine-Saint-Denis, les choses sont claires : les demandes d'euthanasie sont rares, pour ne pas dire inexistantes. Quand il y en a, elles sont très vite retirées lorsque leur est opposé l'accompagnement global – scientifique, social, psychologique et spirituel – prôné par les soins palliatifs.

Un obstacle au développement de cet accompagnement tient au fait – cela est souligné dans l'exposé des motifs de ce texte – que la mort est devenue « un sujet tabou » en France ; plus encore que la mort, c'est la vulnérabilité de la personne, la prise en compte de la fragilité intrinsèque de notre humanité qui est aujourd'hui évacuée de notre réflexion.

De plus en plus maîtres de nos choix, nous oublions qu'avant de devenir autonomes, nous avons dû acquérir cette autonomie, qu'elle nous a été transmise. Nous sommes donc, de ce fait, des êtres fondamentalement sociaux, dépendants d'autrui ; à ce titre, prétendre être, jusqu'au soir de sa vie, totalement souverain de ses choix relève plus de la peur – peur de perdre l'image que l'on s'est faite de soi-même – que d'une demande thérapeutique.

Oui, la condition humaine fait qu'à un moment, on s'affaiblit. Devient-on pour autant moins digne ? C'est parce que l'homme est par nature digne, de sa naissance à sa mort, que notre devoir est de lui porter assistance et de tout faire pour que les solutions existantes lui soient enfin proposées. En effet, les experts s'accordent aujourd'hui pour dire que toute douleur peut être soulagée par une gamme de solutions pouvant aller jusqu'à l'utilisation de techniques anesthésiques ou à une chirurgie de la douleur. Les souffrances dont l'origine est une dépression trouvent, elles aussi, très majoritairement, des réponses médicales. Nos concitoyens ont tout simplement besoin de le savoir, ont un fort besoin de réassurance.

Or, loin de les rassurer, ce texte, en proposant de légaliser l'euthanasie, prend acte de leur peur, comme si elle était sans issue. Ainsi s'appuie-t-il sur un sondage commandé à l'IFOP par l'ADMD, dont nous connaissons tous le point de vue très partisan sur ce sujet, qui révélerait que 92 % des Français soutiennent la légalisation de l'euthanasie. On ne peut que s'étonner que, sur un sujet aussi lourd de sens, vous puissiez sérieusement vous référer à un tel sondage, dont le caractère biaisé a été parfaitement démontré par les journalistes de l'émission Envoyé spécial.

En effet, comment s'étonner que les Français répondent oui à la question suivante : « Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes souffrant de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? » Comme l'explique Alain Garrigou, directeur de l'Observatoire des sondages, ce n'est pas une question neutre ; « souffrance », « insupportable », « incurable » : ces termes, loin d'être neutres – chacun pourra en convenir – , incitent à la compassion, pas au discernement. Pourquoi ne pas parler de cet autre sondage, réalisé également par l'IFOP, deux ans plus tôt, cette fois-ci pour une association contre l'euthanasie, selon lequel seuls 34 % des sondés plébiscitaient l'euthanasie ?

Au fond, quel que soit le sondage que l'on retienne, des conclusions convergentes peuvent être tirées : il est urgent, en France, de se pencher sur la qualité de la fin de vie. Trop de gens perçoivent la fin de vie comme une somme de douleurs qu'il est inutile de prolonger. Ces sondages doivent donc être vus comme un appel à nous ressaisir, pas à recourir à la facilité ou à démissionner face à des situations de détresse auxquelles notre société pourrait répondre si elle s'en donnait les moyens et se concentrait, avant toute chose, sur la bonne application du droit existant.

La loi Claeys-Leonetti, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, comme le droit à la sédation profonde et continue et, à cette fin, la mise en oeuvre de directives anticipées, a été votée il y a à peine plus d'un an : donnons-nous le temps de l'évaluation.

Les premières remontées de terrain font en tout cas état, chez nos médecins, de difficultés pratiques et éthiques à faire appliquer les nouveaux droits prévus par la loi Claeys-Leonetti. Un acte comme la sédation est en effet lourd de conséquences pour un seul homme, qui plus est lorsque celui-ci est animé du devoir d'assistance, comme le rappelle l'avis du Comité consultatif national d'éthique de 2013 sur la fin de vie.

Cet acte est d'autant plus lourd que la culture des soins palliatifs est faible dans notre pays : selon la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, seuls 30 % des personnes qui en auraient besoin bénéficient aujourd'hui de soins palliatifs. Autrement dit, sept Français sur dix en fin de vie ne bénéficieraient pas de soins palliatifs.

Face à ce constat, que proposez-vous concrètement à travers la présente proposition de loi ? L'article 1er dispose : « Toute personne [… ] atteinte d'une affection grave ou incurable, quelle qu'en soit la cause, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qu'elle juge insupportable et qui ne peut être apaisée, ou la plaçant dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander [… ] à bénéficier d'une euthanasie ou d'une assistance au suicide. »

Autrement dit, le fait que la souffrance soit issue d'une maladie et que le pronostic vital soit engagé ne sont plus des conditions nécessaires. La France est donc sommée d'adopter le modèle belge, érigé curieusement en référence, à l'heure où d'importantes dérives se font jour. La loi belge n'exige en effet pas que la personne soit en phase terminale d'une maladie grave et incurable, objectivement évaluée par le corps médical. Dans une tribune publiée dans la presse locale, à la fin de l'année 2016, un collectif d'éthiciens et de médecins belges s'en est ému, rappelant que la perception subjective de la souffrance dans leur pays devenait progressivement le seul critère – je dis bien le seul – pris en compte.

Ce n'est pas tout : le texte s'inspire aussi du droit belge en prévoyant qu'en cas de refus de pratiquer une euthanasie, le médecin puisse faire valoir une clause de conscience, à condition d'être tenu de transmettre le dossier médical du patient à un autre médecin qui accédera à sa demande d'euthanasie.

Concrètement, cela revient à contraindre le médecin objecteur à coopérer indirectement à un acte qui répugne à sa conscience. Il est donc contraint à une forme d'hypocrisie : « Je ne le fais pas moi-même mais je vous dirige vers un confrère qui répondra à votre demande ». N'y a-t-il pas ici, comme en d'autres points, quelque contradiction à revendiquer, d'un côté, une autonomie morale complète et à exiger, de l'autre, que, dans l'exercice des activités publiques et professionnelles, chacun mette entre parenthèses ses propres convictions pour satisfaire les requêtes individuelles ?

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce texte, présenté dans la précipitation, ne répond ni aux enjeux de notre temps, ni aux véritables besoins des personnes en fin de vie. Comme l'a précisé mon collègue Stéphane Viry, les députés du groupe Les Républicains sont libres de leur vote ; pour ma part, je voterai contre ce texte.

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