Intervention de François Geleznikoff

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

François Geleznikoff, directeur des applications militaires du CEA :

En matière de lutte contre la prolifération et le terrorisme, nous sommes financés sur le programme 146, et non sur le programme 144, pour un montant, certes, au moins dix fois moindre que le budget de mon homologue américain au département de l'énergie, qui est de 1,5 milliard de dollars, mais tout de même sensiblement plus élevé que le million d'euros évoqués. Dans ce domaine, nous ne sommes pas seuls : nous menons nos actions en étroite coordination avec le ministère des Armées et les services de renseignement, et elles sont suivies au plus haut niveau de l'État. Un comité de lutte contre la prolifération, piloté par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées, arbitre les priorités, au premier rang desquels figurent – je ne dévoile là aucun secret– l'Iran et la Corée du Nord, qui font l'objet d'un suivi extrêmement strict. Mais nous suivons également l'évolution d'autres pays.

Ce suivi passe d'abord par la détection des essais nucléaires qu'ils peuvent réaliser. Grâce au système de détection internationale créé par l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais et auquel la France participe activement, et à nos propres analyses, nous sommes en mesure d'alerter les autorités françaises dans les trente minutes qui suivent un essai de la Corée du Nord – ce serait la même chose dans le cas d'un essai iranien, par exemple. Nous sommes donc autonomes dans ce domaine. Nous ne dépendons pas d'informations qui nous seraient données par d'autres pays. Nous avons vu, du reste, que, lors de l'affaire irakienne, nous avions eu raison d'affirmer que, selon nous, il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak, alors que des informations contraires circulaient, et nous avions raison.

Par ailleurs, nous avons participé, auprès du ministère en charge des Affaires étrangères, aux négociations visant à empêcher l'Iran d'accéder à l'arme nucléaire, négociations qui ont permis de repousser l'échéance d'une dizaine d'années dans un premier temps. Nous pouvons en effet évaluer précisément ce que les Iraniens sont capables de faire en armement nucléaire. Cela ne les empêche pas de développer des missiles, mais un missile sans arme nucléaire n'est pas réellement une menace. En la matière, la France mène donc une action très forte qui est suivie au plus haut niveau de l'État.

Quant à la Corée du Nord, c'est un pays, je l'ai dit, que nous suivons de près, en étudiant ses tirs de missiles. À partir, d'une part, de la capacité des missiles et, d'autre part, de notre connaissance des essais nord-coréens, nous évaluons les capacités nucléaires de ce pays pour nos autorités. Toutefois il semble que le président nord-coréen, M. Kim Jong-Un cherche plutôt à avoir une capacité de nuisance suffisante pour sauver son régime qu'à utiliser ses armes contre la France. Cette capacité de nuisance, il l'a avec la capacité d'atteindre la Corée du Sud ou le Japon et, au-delà, l'île américaine de Guam, qui est à 3 000 kilomètres.

Nous ne sommes donc pas, a priori, directement concernés. Au demeurant, la France a décidé de ne pas se doter d'armes défensives contre les armes nucléaires, qu'elles soient nord-coréennes ou russes. Notre objectif est de posséder des armes nucléaires suffisamment efficaces pour que la dissuasion joue pleinement son rôle. Il n'y a donc pas de défense antimissile particulière. La question pourra peut-être se poser un jour. Nos collègues américains, par exemple, estiment que, dans l'hypothèse où quelques têtes pourraient arriver quelque part, on peut installer des défenses de zones particulières, notamment sur des bateaux. Mais la France table, depuis l'origine, sur la dissuasion.

La situation, en Corée du Nord, n'est pas tolérable, car outre qu'elle témoigne d'une dissémination des armes nucléaires, cela peut avoir un impact régional ou international, ce qui justifie une attention très soutenue.

En ce qui concerne les ressources humaines, le haut de la pyramide est occupé par les concepteurs d'armes. Les personnes qui maîtrisent la totalité de ce qu'est une arme nucléaire se comptent en effet sur les doigts des deux mains. Nous sommes donc attentifs à ce métier extrêmement sensible et à la manière dont nous pouvons renouveler ces personnels, dont la formation dure cinq à dix ans. Celle-ci n'est pas dispensée, heureusement, à l'université ou dans les écoles d'ingénieurs ; elle est donc assurée en interne.

La DAM compte 4 500 personnes et nous avons mis en place une gestion prévisionnelle sur le long terme des emplois et des compétences à l'unité près, gestion qui nous permet de prévoir des plans de recrutement en fonction des besoins des programmes. Pour l'instant, nous n'avons pas de problèmes de compétences particuliers, même si le besoin civil devient parfois pressant, notamment dans le secteur de la sécurité informatique. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) a rencontré du reste le même problème, en particulier pour des raisons salariales. Mais, pour l'instant, le fait de travailler pour la défense et la dissuasion attire les jeunes Français. Cependant, j'ai lancé, l'an dernier, un plan attractivité, en gestion de risques, pour accroître encore l'attractivité de la DAM pour le futur.

Nous avons des métiers particuliers. Outre les concepteurs, je pense aux spécialistes de la détonique, c'est-à-dire du fonctionnement des explosifs, et de la pyrotechnie ou au métier d'atomicien. Dans ces domaines, nous travaillons également avec le milieu universitaire, français ou, lorsque c'est possible, international. Les grands laboratoires qui développent les modèles quantiques sur l'atome se trouvent, par exemple, à l'université de Louvain et à celle de Trieste. Tout en respectant la confidentialité de nos travaux, nous coopérons avec ces laboratoires puis nous adaptons les modèles à nos applications propres. Cette méthode existait avant l'arrêt des essais, et nous l'avons renforcé depuis. Nous faisons en sorte « d'éviter les trous dans la raquette ».

Sur la coopération avec le Royaume-Uni, j'ai lu le récent article de Nathalie Guibert dans Le Monde précisant que certains estiment que cette coopération dans le domaine nucléaire est emblématique. Lorsque l'État français nous a demandé de réfléchir à ce que nous pouvions faire dans ce domaine avant la signature du traité de Lancaster House, notre objectif de base était d'établir une forte coopération entre les deux pays européens dotés d'armements nucléaires et partageant des intérêts stratégiques communs. En définitive, nous avons convergé vers un partage d'installations dédiées à la garantie des armes nucléaires, ce qui a permis de faire des économies substantielles au budget de la défense et de faire travailler nos équipes avec des équipes britanniques qui ont des compétences similaires. Il est toujours bon d'avoir des contreparties à l'extérieur.

Notre coopération avec les Britanniques se poursuit donc et ne pose pas de problèmes particuliers. Aujourd'hui, notre objectif est de finaliser ce que nous avons décidé en 2010, à savoir un programme d'équipement qui devrait s'achever en 2022. Le traité qui a été signé en sus du traité général de coopération et de défense nous engage sur cinquante ans durant lesquels nous allons exploiter en commun les installations concernées.

En ce qui concerne les applications civiles de nos travaux, nous avons installé un système de surveillance sismique mondial. Nous avons ainsi créé, sur la ligne TGV sud-est, un réseau d'alerte qui permet d'arrêter les trains si la sismicité était trop importante. Par ailleurs, nous avons installé, à la demande des autorités, y compris internationales, un réseau d'alerte au tsunami en Atlantique-Nord et en Méditerranée, ainsi que dans le Pacifique, pour la Polynésie française et les pays avoisinants. Le même dispositif existe dans l'océan Indien – on se souvient du raz de marée qu'ont connu, il y a quelques années, l'Indonésie et la Thaïlande notamment. Ces systèmes sont des « retombées » de nos recherches dans le domaine de la lutte contre la prolifération.

Quant au porte-avions qui devrait, à l'avenir, remplacer le Charles de Gaulle, la DAM préférerait que ce soit un porte-avions nucléaire ! Il a été décidé, avec le ministère des Armées – et cela rejoint la problématique de la conservation des compétences –, d'étudier, en avance de phase, ce que pourrait être une chaufferie nucléaire pour ce futur porte-avions. En tout état de cause, nous ne concevrons pas une chaufferie d'une conception totalement nouvelle ; nous allons garder le type de celle qui équipe les sous-marins nucléaires d'attaque et que nous définissons pour les futurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Toutefois, la chaufferie pourrait être plus importante, car le bateau pourrait être plus long et plus lourd. Cela dépendra de la catapulte, même si celle-ci ne représentera peut-être pas l'appel à puissance le plus fort, car on pourrait être capable de stocker de l'énergie dans des bancs capacitifs. Aujourd'hui, nous sommes donc en avance de phase, puisque le programme sera décidé aux alentours de 2030 en vue de disposer d'un futur porte-avions vers 2040, sauf s'il était décidé d'avoir deux porte-avions et si le budget de la défense le permettait.

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