Intervention de Cédric Villani

Séance en hémicycle du mardi 6 février 2018 à 15h00
Protection des données personnelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quelles données personnelles, quels éléments de nous-mêmes sommes-nous prêts à voir figurer dans un fichier ? La question est hautement sensible ; elle est aussi hautement culturelle. Comme d'autres ici peut-être, je m'en suis rendu compte quand, à l'occasion d'un séjour professionnel dans une grande université américaine, ladite université a exigé de moi que je déclare mon origine ethnique. Mes protestations n'y changèrent rien ; de l'autre côté de l'Atlantique, cela est considéré comme une exigence légitime, à des fins de lutte en faveur des minorités. Mais en Europe occidentale, le fichage ethnique renvoie à une histoire si sombre que l'on a, à raison, éprouvé le besoin d'encadrer bien plus strictement les données personnelles.

Aujourd'hui, en 2018, le sujet est toujours hautement sensible, toujours hautement culturel, mais il est aussi devenu hautement économique et hautement technologique. Les techniques d'intelligence artificielle les plus en vogue reposent sur l'apprentissage statistique, qui, par recherche de corrélations dans des tableaux de millions ou de milliards de cases, permet l'accès à des informations et la mise en oeuvre d'actions personnalisées nouvelles. À partir de données personnelles, fournies éventuellement sans qu'on y prenne garde – quelques dizaines de « like » sur les réseaux sociaux, des recherches via des moteurs de recherche, des inscriptions – , on peut déterminer avec une bonne probabilité le genre d'ouvrage que vous aimez lire, si vous êtes une femme enceinte ou si vous êtes membre de telle minorité ; on peut déterminer à quel genre de publicité vous serez sensible.

Vaste pouvoir nouveau, qui appelle à une vigilance accrue et à la réaffirmation des principes de collecte de données qui sont inscrits dans notre loi depuis 1978 : les principes de finalité, de pertinence et de conservation des données, les principes de protection et de consentement des citoyens. Cela justifie le renforcement des pouvoirs de la CNIL ; en même temps, cela justifie la recherche d'une efficacité accrue dans le partage des données, à des fins de recherche, à des fins de progrès, pour éviter que notre économie ne soit pénalisée par des entraves trop fortes.

En pratique, tous nos acteurs informatiques vous le diront – et ils nous l'ont dit au cours des auditions menées par la mission sur l'intelligence artificielle – , l'accès aux données est difficile, pour des raisons matérielles, juridiques ou culturelles. Des blocages se manifestent entre différents secteurs, parfois entre départements d'une même institution – et ces blocages peuvent être néfastes. Prenez CardioLogs, fierté française, start-up consacrée à la meilleure analyse algorithmique des électrocardiogrammes. Des vies seront sauvées grâce à ces techniques, mes chers collègues – c'est en tout cas ma conviction. Et pourtant, au démarrage, CardioLogs, devant l'impossibilité de récupérer des données des hôpitaux français, a été contrainte d'aller les chercher aux États-Unis, et jusqu'en Chine. Nous ne pouvons pas admettre que de tels blocages subsistent pour nos pépites françaises, qui nous interpellent sans relâche pour nous dire : « Donnez-nous les moyens de faire de la recherche ! Simplifiez-nous la vie administrative, la recherche est déjà tellement complexe ! ». Les patients sont partants, puisque moins de 1 % d'entre eux refusent de participer à des expérimentations de ce type.

1 commentaire :

Le 11/02/2018 à 09:17, Laïc1 a dit :

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" Comme d'autres ici peut-être, je m'en suis rendu compte quand, à l'occasion d'un séjour professionnel dans une grande université américaine, ladite université a exigé de moi que je déclare mon origine ethnique. Mes protestations n'y changèrent rien ; de l'autre côté de l'Atlantique, cela est considéré comme une exigence légitime, à des fins de lutte en faveur des minorités."

C'est clairement une forme de racisme à des fins hypocrites et mensongères de lutte contre le racisme.

La discrimination dite positive n'est rien d'autre que la rampe de lancement du vrai racisme, de la vraie discrimination.

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