Intervention de Éric Girardin

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 9h30
Protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Girardin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, la ratification du protocole no 16 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est une étape importante dans la construction de l'Europe des droits et des libertés, au profit des citoyens européens.

En France, ce protocole offrira au Conseil d'État, à la Cour de cassation et, dans une moindre mesure, au Conseil constitutionnel la possibilité de saisir par question préjudicielle la Cour européenne de Strasbourg sur l'application ou l'interprétation de la convention européenne dans le cadre d'une affaire contentieuse.

Ce nouvel outil confortera la protection des droits de l'homme et évitera l'émergence de jurisprudences dissonantes ou dissidentes entre les cours françaises et la Cour de Strasbourg, qui garantissent toutes l'application des droits reconnus dans la convention européenne. Il limitera les risques de condamnation de la France a posteriori.

En adoptant le présent projet de loi, nous pouvons aujourd'hui nous positionner comme l'un des premiers pays à le ratifier, sachant qu'il n'entrera en application que quand dix États l'auront fait. Seulement huit États membres du Conseil de l'Europe sur quarante-sept l'ont ratifié, parmi lesquels, pour le moment, aucun grand État de l'Europe occidentale, mais nous savons que l'Italie et les Pays-Bas ont enclenché leur procédure de ratification. La France, pays des droits de l'homme, qui a toujours défendu leur universalité en s'appuyant sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, doit rester active dans ce combat.

Si les droits et libertés reconnus par la convention européenne des droits de l'homme font partie de ce corpus de règles qui protège les citoyens et qui est appliqué par nos juges du fait du principe de subsidiarité, notre pays a pendant longtemps été réticent à faire entrer cette convention dans son ordre juridique. Il ne l'a ratifiée que tardivement, en 1974, et n'a ouvert la possibilité de saisine individuelle directe de la Cour à ses citoyens qu'en 1981.

À l'époque, le droit européen et les juridictions européennes supranationales – Cour de Strasbourg et Cour de Luxembourg – étaient regardés avec inquiétude et circonspection. De cette période, on retiendra la tension entre le Conseil d'État et la Cour de justice des communautés européennes, dans l'affaire Cohn-Bendit de 1978, il y a déjà quarante ans, et cette appréciation de Bruno Genevois, alors commissaire du gouvernement : « il ne doit y avoir ni gouvernement des juges, ni guerre des juges. Il doit y avoir une place pour le dialogue des juges ».

Aujourd'hui, ce dialogue des juges se développe fortement avec le mécanisme de la question préjudicielle : d'une part, en droit interne, avec la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, introduite en 2008, permettant au Conseil d'État et à la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel ; d'autre part, dans le droit communautaire, avec le renvoi préjudiciel offert aux juges nationaux vers la Cour de justice de l'Union européenne pour l'interprétation et la validité du droit communautaire. Ces questions préjudicielles fonctionnent bien. Elles ont conforté les bonnes relations entre les juges des différentes juridictions et favorisé l'uniformisation de l'application du droit. Elles ont fait la preuve de leur efficacité et de leur nécessité.

Avec le protocole no 16 et cette nouvelle question préjudicielle, nous accomplissons une étape supplémentaire dans le dialogue des juges, l'affirmation de l'État de droit et la protection des droits et libertés reconnus aux femmes et hommes en France et en Europe.

Pour qu'il y ait dialogue, il faut que l'échange soit réciproque. Il est ainsi prévu que, dans le cadre de la question préjudicielle, le juge national puisse faire part de ses observations et donc exprimer un point de vue. Les juges de la Cour européenne pourront aussi se nourrir des observations ou des positions des cours suprêmes.

La construction des droits de l'homme en Europe reposera donc sur un travail commun de la Cour européenne de Strasbourg et des cours suprêmes des États membres. L'existence de la question préjudicielle va restreindre les contentieux individuels en dissuadant les justiciables de s'adresser à la Cour de Strasbourg a posteriori.

Dans une période où le terrorisme exige des règles plus contraignantes et des limitations de libertés pour garantir la sécurité, la protection des droits et libertés des citoyens par les juges est d'autant plus importante et nécessaire au bon équilibre.

Le Conseil d'État a considérablement renforcé son contrôle sur la situation des prisonniers, en appliquant la lettre de la convention européenne des droits de l'homme et en s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il a ainsi consolidé son contrôle sur les actes dans les prisons.

La question préjudicielle crée une nouvelle coopération entre la Cour européenne des droits de l'homme et les cours françaises, mais aussi avec les autres cours des États européens, au service de nos concitoyens. C'est donc un nouveau pas dans la construction d'une Europe des droits et des libertés, d'une Europe au service des droits de l'homme, que le groupe La République en marche soutient.

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