Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 9h30
Orientation et réussite des étudiants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission mixte paritaire, monsieur le rapporteur, chers collègues, je m'étais opposée, en première lecture, à ce projet gravant dans la loi la sélection des bachelières et des bacheliers pour l'entrée dans l'enseignement supérieur. Je m'y oppose encore plus fortement aujourd'hui, tant le texte issu de la commission mixte paritaire laisse aux établissements d'enseignement supérieur une autonomie jusque-là jamais atteinte pour choisir leurs étudiants. Du reste, le résultat de cette commission mixte paritaire fait que le rassemblement des associations étudiantes contre ce projet s'élargit.

La majorité a clairement choisi la sélection et non l'ambition que les progressistes portent d'un enseignement supérieur démocratisé, permettant à chacune et chacun de s'émanciper par le savoir, d'être maître de son destin, de contribuer au développement et au rayonnement de la France.

Vous nous dites que cette réforme est pragmatique. Je n'y vois qu'idéologie : l'idéologie de la réduction des investissements publics, quitte à nourrir une société qui accepte, voire favorise les inégalités – inégalités entre les bachelières et bacheliers, certains pouvant intégrer la filière de leur choix pendant que les études des autres seront décidées par l'autorité académique ; inégalités territoriales, avec des universités très bien dotées, correspondant aux standards internationaux et sélectionnant les meilleurs élèves, pendant que les autres seront sans moyens, incapables d'assurer convenablement leurs missions.

Cette réforme est aussi un pas de plus vers un enseignement au service d'intérêts purement économiques, oubliant l'intérêt général. J'affirme une nouvelle fois que l'enseignement n'a pas comme vocation exclusive l'insertion professionnelle, même si celle-ci est primordiale. Qui connaît les métiers de demain ? Qui peut savoir quelle sera la structure du marché du travail dans les prochaines années ? Pourquoi limiter les places dans les filières en se fondant sur ce critère, si ce n'est pour satisfaire à une vision étroite et à court terme de ce dont notre pays a besoin ? C'est le futur que nous préparons à l'université. La France a besoin du plus grand nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes hautement qualifiés, pluridisciplinaires, motivés par ce qu'ils font et en capacité de maîtriser les grands défis scientifiques, technologiques, sociétaux et humanistes de demain.

La France est à la pointe dans de nombreux domaines. Nous avons cette chance formidable de compter des ingénieurs, des ouvriers qualifiés, des techniciens mais aussi des chercheurs en sciences, dans les humanités, des millions d'hommes et de femmes qui, dans tous les domaines, sont parmi les meilleurs et font la France d'aujourd'hui. Combien d'entre eux, combien d'entre elles sont arrivés là grâce au système éducatif français, qui leur a permis d'aller à l'université dans la filière de leur choix ?

Faute de moyens, l'université a commencé, ces dernières années, à trier, jusqu'à l'inique tirage au sort ; et votre loi, loin d'inverser la tendance, légalise le tri. Le système des attendus, avec des exigences telles que les stages, l'examen individuel des dossiers par les universités – avec le « oui », le « oui mais », le « non » – mais aussi l'absence de places en nombre suffisant seront les outils de cette sélection.

L'obtention du baccalauréat, si l'on veut encore garder le sens de ce diplôme, doit permettre à son titulaire d'étudier dans la filière de son choix, car il s'agit de sa vie future. Armer les lycéennes et les lycéens pour qu'ils fassent les bons choix d'orientation, afin qu'ils puissent s'épanouir et réussir à l'université : oui ! Ériger des murs à l'entrée : non ! Dans un système scolaire déjà très inégalitaire, tout ce qui entrave l'accès au savoir doit être banni et combattu. Pour ce faire, il faut donner des moyens financiers et humains aux établissements.

Combien d'élèves, qui étaient en difficulté au lycée, qui ne trouvaient pas leur place ni leur bonheur dans les enseignements proposés, ont pu, à l'université, s'épanouir en étudiant ce qui les motivait et devenir des adultes accomplis dans leur vie professionnelle et personnelle ? Ne renonçons pas à la possibilité pour chacune et chacun de s'émanciper par le savoir.

Enfin, je veux alerter sur la précipitation avec laquelle vous appliquez la réforme. Le texte de loi n'était même pas en discussion au Sénat que la plateforme Parcoursup, émanation directe de ce texte, était mise en place. De plus, les bachelières et bacheliers de cette année vont découvrir les attendus sans avoir pu s'y préparer. Tout cela n'est pas sérieux : comment voulez-vous que les élèves s'orientent convenablement ? Comment voulez-vous que le personnel enseignant des lycées les accompagne dans de bonnes conditions ? Comment les universités pourront-elles traiter individuellement et convenablement tous les dossiers des bacheliers et bachelières qui leur seront soumis ? Comment les universités, déjà en situation difficile, pourront-elles assurer ce parcours de la réussite ?

C'est une tout autre ambition dont nous avons besoin pour l'enseignement supérieur. Parce que nous croyons en une université ouverte, dont la mission première est l'émancipation et non la sélection, le groupe GDR votera résolument contre ce projet de loi.

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